Elle n’en est pas revenue, Laurette, d’une telle aventure. Une fois ses fringues réintégrées, elle s’est mise à chialer Niagara.
— Il va falloir que je déménage ! sanglotait-elle ; je ne peux plus rester dans cet immeuble désormais. J’ai trop honte.
— Déconne pas, la mère : tu es une vedette, l’ai-je consolée. Les vedettes, on les respecte, quel que soit le fait qui a motivé leur vedettariat. Ainsi Bombard qui a traversé l’Atlantique sur un radeau pneumatique, le Japonais qui a mangé sa copine à Paris, le petit boche qui a détruit le communisme en allant poser son zinc sur la Place Rouge, prouvant ainsi au monde que l’U.R.S.S. n’était qu’un tigre en papier-cul, tous ces gens et beaucoup d’autres ont désormais un statut inaltérable. Dans cet immeuble, tu es, à partir d’à présent, la jolie locataire du deuxième, irréprochable, qui aura fait l’amour sur son palier. Même les grincheux te salueront très bas. Ils n’oublieront jamais ton exploit. En parleront à leurs amis et connaissances. Je te prédis que tu vas recevoir des lettres d’admirateurs, des invitations en tout genre. La nuit, des hommes viendront baiser le tapis à l’endroit où tu as pris ton pied. Tu voulais que je t’apporte du nouveau ? Tu en as eu.
Là-dessus je ramasse son caniche et me trisse.
— Quand me le rapporteras-tu ?
— Ce soir, à potron… minette !
Elle sourit. Une femme apaisée est toujours de bonne humeur.
J’ignore s’il est espingouin d’origine, Albert Baugland, malgré son nom franchouillard, mais sa vitrine peinte en rouge et or évoque le drapeau de la fière Espagne. C’est une boutique en longueur. T’entres dans un petit salon d’attente meublé nickelé. Des photos de chienchiens aux murs. Des clebs dits « de compagnie » : caniches, yorkshires, chihuahuas, bichons futés. Toilettés à mort, gracieux, frétillants, briqués à l’oigne. L’air vaniteux. La caste, là comme ailleurs, que veux-tu. C’est comme les arènes, la vie : t’as toujours les places à l’ombre et les places au soleil, mais dans l’existence c’est les places au soleil qui coûtent le plus cher.
Entre le salon d’attente et la « salle de travail », il y a un rideau de grosses perles de bois évoquant le Midi. Quand il remue, on aperçoit un local carrelé, avec deux bacs de faïence pour laver les clébards, deux tables pour les brosser, les tondre, les fourbir. Et plus au fond encore, se trouvent des cages où quelques clients « terminés » attendent le retour de leur maîmaître en jappant (s’ils sont petits) ou en aboyant (s’ils sont gros). Cacophonie insupportable qui te donne envie de calmer la meute avec une lance d’arrosage.
La porte du magase ayant déclenché un timbre mélodieux, une employée ne tarde pas à surviendre, comme dirait mon pote Johnny. Une brunasse pileuse que, plus pute d’aspect qu’elle, tu meurs ! Elle a des accroche-cœurs comme je n’en ai plus revu depuis vingt ans quand une diseuse de bonne aventure m’a prédit que je deviendrais riche et célèbre. Des boucles d’oreilles en métal doré coquillage. Une bouche fluo dont on pressent les tribulations. Du vert aux paupières et du violet aux pommettes. Le tableau sera presque achevé quand je t’aurai confié qu’elle est entièrement nue sous une blouse bleue qui lui arrive à vingt centimètres au-dessus des genoux.
Elle me sourit et j’entends son rouge à lèvres qui se décolle comme quand t’arraches ta godasse d’une terre boueuse. Elle me récite un bonjour plus long qu’un alexandrin en me montrant un maximum de poitrine par une échancrure de sa blouse.
Elle grattouille la tronche du caniche et murmure :
— Il s’appelle comment, ce bout d’homme ?
Moi j’ai oublié le blase du roquet, bien que ce soit pourtant une chose capitale.
— Bayard, réponds-je, le chevalier sans peur et sans reproche.
— Mais il est toiletté de frais ! objecte la shampouineuse de cadors.
Et ma pomme, faisant fi des recommandations de Laure Ambard :
— Je voudrais faire tondre ce qui subsiste sur la tête, la queue et les pattes.
— Oh ! pourquoi ? Il va perdre son look !
— Je pars avec lui dans des pays chauds.
— C’est pas ces quelques touffes qui l’incommoderont.
— Il n’empêche, je préfère.
— Bon…
Elle cramponne un carnet relié faux cuir sur une console.
— Vous pouvez le ramener après-demain ? Nous sommes complets jusque-là.
— Je pars demain matin. J’espérais qu’on pourrait me faire ça tout de suite, entre deux clients. Je viens de la part du patron de La Lanterne Sourde, rue Saint-Benoît.
Elle hoche la tête :
— Je vais demander à M. Albert.
Elle disparaît dans le tintinnabulement du rideau de perles et chuchote avec le taulier dans un paroxysme d’aboiements en tout genre. Jusqu’à « Bayard » qui joint sa voix de soprano à la chorale canine.
Le rideau de perlouses s’agite et le compagnon de la dusèche surgit.
De près, c’est un gorille. Et pas un beau ! Sa blouse entrouverte laisse exploser un foisonnement de poils noirs, rêches et frisés. Il en a sur les mains, les doigts, partout. Son trouduc doit ressembler à un accroc dans un manteau d’astrakan. Ses cheveux bas rejoignent ses formidables sourcils et ses joues sont déjà bleuies par la barbe en cours. Tu tendrais l’oreille, tu l’entendrais pousser !
Il me frime, puis frime le caniche.
— Quelle idée de le saccager ? demande-t-il d’un ton bougon.
— Ma petite amie l’exige ! réponds-je, laconique.
Il hausse les épaules, ce qui le fait paraître un peu plus carré.
— Je vous jure ! marmonne le gorille.
Puis, se décidant :
— Vous avez dix minutes, au moins ? Je voudrais bien finir celui que je toilette en ce moment.
— Naturellement.
Il hoche la tête et retourne vaquer. J’attends un brimborion de moment puis j’écarte les olives de bois du rideau :
— Je peux vous regarder travailler ? C’est sûrement plus intéressant que le numéro de Point de Vue-Images du Monde de l’an dernier consacré aux salpingites des gonzesses du Rocher.
— Si vous voulez, répond Baugland.
Je les rejoins dans leur « laboratoire ». Terme pompeux, mais dont raffolent ceux qui exercent une profession sans rapport avec le monde médical. Albert promène une tondeuse sur le dos d’un gros caniche gris à l’air languide. Mon arrivée déclenche les « encagés » et t’as les tympans sur le point de saigner !
— Vous êtes bien installés, dis-je pour être gentil.
Le gorille ne moufte pas, seule sa collaboratrice me vote un sourire pareil à un début de fellation.
— N’est-ce pas ?
Celle-là doit prendre du fion sans réclamer ton analyse témoignant que tu as passé le test du Sida et qu’il est ultra négatif. La dévorante dans toute sa gloire. Bébert doit la sabrer sur les tables de travail après la fermeture. J’imagine leur rude tringlée ! De la troussée héroïque, sans préambule ni tralala.
Elle baigne un yorkshire qui, n’en déplaise à Bébel, ressemble à quelque rat noyé. Elle trévulse du prose quand elle se penche, pour me donner à rêvasser.
Baugland demande :
— C’est vrai que vous venez de la part de Milou ?
Je me dis qu’il s’agit du taulier de La Lanterne Sourde et j’opine.
— J’y ai bouffé pas plus tard que ce midi, déclare le tondeur.
— C’est une bonne table, cuisine familiale de grand-mère, lâché-je.
Je me demande s’il est ronchon comme ça, dans la vie courante, ou bien si c’est ma tronche qui, pour des raisons « X », ne lui revient pas. Il semble tendu, nerveux.
Le bigophone carillonne et l’assistante va répondre, emportant avec elle le malheureux yorkshire dans une serviette-éponge.
— Allô ? fait-elle. Non, c’est Paulette. Comment ? Je vous le passe.
Elle revient.
— M. Max ! annonce-t-elle.
— Tu me le surveilles, fait Baugland en sortant.
Il désigne le caniche aux trois quarts dépoilé. Paulette le maintient sur la table. Elle me virgule une œillade aussi mouillée que sa chatte.
Ma décision est prise.
— Vous croyez aux coups de foudre ? lui chuchoté-je.
— Et comment !
— Alors on dîne ensemble ce soir. Vingt heures trente au Fouquet’s, ça vous va ?
Elle hésite, réfléchit à ce qu’elle va balancer comme vanne à son jules du moment, trouve et opine :
— D’ac.
Histoire de parachever mon entreprise de séduction, je murmure en me fourbissant la braguette.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive ! Vous, alors, comme centrale électrique…
Elle rerit niais. Connasse ! J’ai autant envie de l’enfourner que de traverser le Sahara à bicyclette.
De l’autre côté du rideau de perles, Albert parle à voix basse. Quelque chose me dit que la converse doit être intéressante. Qu’est-ce qu’il fout avec Mme de Sanfoyniloix, ce vilain ? Tu crois qu’il la fait étinceler de la craquette ou bien il se passe autre chose entre eux ?
Le revoilà. Il finit son caniche, va le fourrer dans une cage et s’empare de « Bayard ».
Il fulmine :
— Votre copine, elle est bargeot ou quoi ? Il est impec, ce chien !
Il biche sa tondeuse et, sauvagement, attaque les touffes du caniche. Quand c’est fini, « Bayard » ressemble à Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du paradis (interprétant le rôle du mime Debureau). Tondu, il paraît à poil, ce qui est cocasse, hein ?
Le gars Baugland m’éponge une somme astronomique pour prix de sa mutilation. Je lui file un talbin grand format. Là encore il est mécontent parce qu’il doit chercher de la monnaie. Tandis qu’il s’affaire pour la réunir, j’enfouille presto l’une de ses tondeuses, puis je joue cassos !
Direction : la Grande Volière.
J’ai hâte de retrouver M. Blanc pour apprendre ce que la dusèche a bricolé avec le gorille en quittant La Lanterne Sourde. Hélas, il n’y est pas. Alors je vais trouver Mathias et je dépose la tondeuse sur son sous-main, après l’avoir saisie par sa partie dentée.
— Tu veux bien vérifier les empreintes qui figurent sur cet objet, Xavier ?
— Tout de suite, Antoine. TU as acheté un chien ?
— Une copine me l’a prêté.
— Pour quoi faire ?
— Pour me permettre d’aller dérober cette tondeuse.
Il sourit et approuve véhémentement.
— On dirait un squelette de caniche, déclare-t-il. C’est du rasibus qu’on lui a fait ! Pour l’hiver, c’est imprudent.
— On lui mettra un lardeuss, promets-je à cet ami des bêtes.
Mathias disparaît avec la tondeuse et je vais dans mon burlingue. L’absence de Béru et aussi celle de Pinaud me pèsent. J’aime bien avoir ma fine équipe à dispose. Sans ma galerie de monstres, je me sens orphelin.
« Bayard » semblant avoir soif, je vais lui chercher de la flotte dans un grand cendrier de verre. Il lape avec plaisir, frétillant du bâtonnet dénudé qui, maintenant, lui tient lieu de queue. On est en train de devenir deux potes, lui et moi. Quand il a étanché sa soif, il vient se coucher à mes pieds sous mon bureau et s’endort.
Et tu sais quoi ? J’en fais autant. La petite ronflette réparatrice. De celles qui durent dix à vingt minutes et te refont une santé express.
C’est Mathias qui m’en arrache. Il tient une fiche à la main.
— Albert Baugland, ça TE dit quelque chose, ANTOINE ?
— Tout à fait.
— Jeunesse orageuse. Il est tombé trois fois, pour des délits de plus en plus importants. Vol de voiture pour débuter, ensuite il a fait les sacs à main à l’arraché, et puis enfin association de malfaiteurs et braquage d’une agence de P.M.U. Porte des Lilas. Là il en a morflé pour cinq ans. Il en a fait quatre et a été relâché pour bonne conduite. A sa sortie, il s’en est acheté une (conduite) car on n’a jamais plus entendu parler de lui. Ça t’intéresse ?
— Non, ça me passionne. On n’a rien de nouveau concernant Eloi Salique que Blanc a blessé ?
— Rien. Mais ça peut venir.
— Heureusement !
Le Flamboyant se retire. Je vais prendre une chemise propre dans mon placard. J’y conserve toujours quelques hardes de rechange pour quand je n’ai pas le temps de rentrer at home.
Une petite lotion de « Cologne-Sologne » et me voilà fringant pour aller retrouver la Paulette au Fouquet’s.
J’arrive en avance, et cependant elle est déjà laguche, la petite Mémé. Saboulée tu peux pas imaginer comme. J’ai l’anus qui recroqueville en l’apercevant, tellement elle en balance ! Magine-toi une robe de soie noire qui cache à peine la pointe de sa culotte. Par-dessus, un manteau de renard jaune-pisse. Mais le pire, c’est sa coiffure. On jurerait qu’elle a une paonne en train de couver sur la tête. Ça gonfle sur le devant et ça bouillonne carrément sur le derrière pour former éventail. Tu te dis que c’est pas possible. Ou alors si : pour un film des Bronzés.
Aux oreilles, deux lustres vénitiens. Quant au maquillage « du soir », je te le garde pour la prochaine fois, sinon tu me ferais un infarctus en plein bouquin et je déteste perdre mes lecteurs avant l’arrêt complet des réacteurs.
Naturellement, elle s’est parfumée à la lance d’incendie et pue si fort que je prends mal au caillou sitôt la porte franchie.
Impudique, elle lève un bras en m’apercevant et crie :
— Ho ! hoooo !
Charmant. Côté discrétion, c’est gagné. Je dois ressembler à un mac venant relever le compteur de sa gagneuse en fin de turbin. Le dos rond, je me faufile jusqu’à elle. Presse avec ferveur quatre des cinq doigts aux ongles carminés qu’elle me propose.
— Vous êtes en avance ! complimenté-je.
— Vous z’aussi.
— De la part d’une femme, c’est plus rare. Que buvez-vous ?
— Un Ricard.
Elle se baisse pour caresser « Bayard ».
— Le pauvre ! s’apitoie-t-elle. Il a l’air d’un…
— Tout à fait, conviens-je.
Je dis au loufiat baladeur de me servir un Pimm’s et un comprimé d’Aspirine (son parfum insoutenable m’amène dans la périphérie de la méningite).
— C’est gentil de m’inviter, roucoule-t-elle.
— Je vous l’ai dit : coup de cœur immédiat.
— Plus coup de bol, enchaîne l’irrésistable. Si je vous disais qu’hier encore j’avais mes ragnagnas.
— On fera sans eux ! plaisanté-je.
Elle rit. Pour elle, le tracé de la soirée est établi rigoureusement : bouffement bien arrosé et carambolage fripon dans une chambre plafonnée avec des miroirs.
Les gens d’alentour ont cessé de nous mater. Après tout, c’est pas la première pétasse qu’ils côtoient sur les Champs-Elysées.
Je me mets à la questionner sur sa vie. Faut balayer large. J’apprends qu’elle a été mariée à un cuisinier, qu’elle l’a plaqué parce qu’il était bon aux fourneaux, mais pas du tout au plumard. Maintenant elle vit avec un vieil agent d’assurance retraité : M. Vincent. Une bonne rapière, malgré son carat. Du genre viceloque inventif ; malheureusement il a une petite pipette d’écureuil qu’il charge de sept capotes superposées pour lui donner un volume décent.
Elle travaille depuis un an pour Baugland. S’il la tire ? Oui, selon l’humeur : un coup de verge à l’improviste. Mais rien de passionnel ; c’est un sanguin, un fougueux du chibre. Il lui est arrivé de planter des dadames à toutou dans le laboratoire, en présence de Paulette qui participait de son mieux en distribuant des feuilles de rose. Il pique des colères noires, Bébert. Il est maqué avec une grande blondasse qu’on voit peu au magasin et qui fait épilation définitive en étage ; mais selon son arrière-pensée, Paulette, elle bricolerait une petite pipe ou une petite minouche aux clients que ça n’aurait rien de surprenant. Elle a « la tête à ça ». L’hôpital qui se fout de la charité !
La vie sociale de M. Albert ? Il sort beaucoup. Se farcit des tas de gerces, fréquente une foule de copains. Il aime la bonne gueule, joue aux brèmes dans des bars près de chez lui. Son adresse ? Rue de Bretagne. Le numéro ? Elle en est pas sûre, mais c’est presque en face du square du Temple.
En dix broquilles, j’ai tout un papelard sur cézigue et donc plus besoin de son auxiliaire. Une seconde, l’idée me vient de prétexter un coup de grelot urgent et de mettre les adjas. Mais je pense aux efforts déployés par m’man pour faire de moi quelque chose qui ressemble à un homme bien et je chasse la tentation.
On se lève pour claper. Je demande au maître d’hôtel la plus discrète de ses tables. Il me déniche ce qu’il me faut, au fond de la terrasse, entre deux plantes vertes et je me place dos aux clients.
On passe commande. Paulette se défait de ses escarpins et se met à me faire du pied comme une folle, remontant mes jambes jusqu’à mes vaillants testicules. Prévoyante, elle pense déjà au pousse-café, la gueuse ! Tu sais, mine de rien, que ça doit être une sacrée bestiole, au dodo ? Pas chômeuse ! Tout à l’initiative ! Elle fait des essais, ça, comptes-y ! Tente des recettes nouvelles, des figures libres, des exercices périlleux.
En mangeant, elle m’explique que sa folie c’est de prendre du rond tandis qu’elle se pratique un solo de banjo. Elle adore parler chiffons. Ça fait partie des prémices.
Cette grenouille fait tant et si bien que je finis par attraper un concasseur à chaglatte gros comme un avant-bras de lutteur. Et, tiens-toi bien, Bastien, c’est ma pomme qui brusque l’addition pour l’embarquer chez Madame Renée, rue de Courcelles. La vie est singulière. Pleine d’ironie. Inattendue, quoi !
Chez Madame Renée, c’est le luxe culier en majesté. Velours, brocart, pompons, tapis, dorures, miroirs partout ! Et biseautés, please ! Le bidet ressemble à un cygne noir, sa robinetterie est dorée et il comporte un jet rotatif endiablé. Le pucier mesure trois mètres de large ; en perspective des partouzes qui peuvent éventuellement être organisées par Madame qui a toujours des pineurs et des pineuses en renfort dans son salon privé.
La coiffeuse de cadors est aux anges devant tant de faste. Croit qu’elle vient se faire tirer chez Louis XIV.
Je mettrais une perruque longue d’un mètre que ça lui semblerait naturel. Elle ose à peine se décarpiller au milieu de ces somptuosités, Paulette. Que sa culotte lui paraît mesquine, soudain. Elle rêve de beaux atours, de dessous à laçages qu’il fallait une plombe pour rendre une gonzesse opérationnelle.
Elle me goinfre le périscope, d’emblée. « Bats-moi avec, qu’elle supplie ! » Et tu me vois en train de lui filer des coups de gourdin en bidoche sur les noix ! Les jeux de l’amour et du lézard ! Pan ! pan ! mimiches ! Connasse ! Foutriquette ! Bavure ! Je l’engonce prompto du mandrin. Illico dans le petit borgne, puisqu’elle prétend aimer ça. Le caniche glabre qui assiste à l’emplâtrage se met à japper comme un malade. De quoi te faire dégoder ! Mme Renée ne tarde pas à surviendre, sévère derrière son face-à-main.
— Faites-moi taire cette bête, commissaire, elle admoneste ; on va croire que mon établissement donne dans la zoophilie !
— Ça vous ennuierait de me le garder un moment ? Il est doux comme un agneau ?
— Je déteste les chiens, elle répond.
Elle me mate, sévère. J’ai le Corona qui bat la mesure et ça finit par la faire sourire.
— Bon, parce que c’est vous, je vais le confier à Marinette.
Elle prend la laisse traînante et repart avec le tondu.
L’intermède a agacé le sensoriel de Paulette.
— Vite ! Vite ! elle me presse en actionnant du derche comme le tennisman accomplit des mouvements d’assouplissement en cours de match.
Je me dis qu’une nana en survoltage, tu peux lui poser n’importe quelle question, elle y répond sans barguigner.
Je demande :
— Je parie qu’Albert te fait tirer par ses potes, quelquefois ?
— Oui, c’est vrai ! halète la grenouille.
— Par plusieurs à la fois ?
— C’est arrivé, oui. Vite ! Allez, allez, remets-moi !
— Et t’aimes ça ?
— J’en raffole.
— C’est des voyous, ses aminches, hein ?
— Sûrement. Mais je t’en supplie : reviens ! J’y tiens plus.
— Et Albert aussi, c’est un gredin, non ?
— Je ne sais pas !
— Si, tu sais !
Brusquement, elle saute du lit, furibarde.
— Class, à la fin ! hurle-t-elle, à deux doigts de l’hystérie. Tu m’as payé à dîner et amenée ici pour me tirer, oui, mais les vers du nez, avoue ! T’es qu’un sale poulet de merde ; à preuve, la taulière t’appelle « Commissaire ».
Embêté, je regarde se dégonfler ma balise.
— Ton Albert, tu ferais mieux de le quitter pour aller tondre ailleurs, conseillé-je, tu risques de gros ennuis à travailler pour lui.
— C’est mes oignons !
— Non : c’est ton oignon ! Je t’aurai prévenue !
Je me ressape en vitesse et vais récupérer « Bayard ». Un talbin à Marinette la femme de chambre ; une gentille Alsaco dodue, aux yeux de porcelaine.
— Pourquoi vous l’avez complètement tondu, ce caniche ? demande la briqueuse de bidets.
— C’est parce qu’il aime voyager incognito, ma poule.
Je me dis qu’il est temps de le rendre à sa chère maîtresse. Ce ratage me rend furax. C’est charognard, les coups foirés ; ça te laisse un goût de gueule de bois dans la bouche et te colle de mauvais présages dans le cigare. Je continue de bandocher dans mes guenilles. Peut-être vais-je faire rebelote avec Laure. Les secondes tringlées sont souvent meilleures que les premières.