II
Cent mille livres que personne n'interroge. – On demande une expédition scientifique en pays alchimique. – Les inventeurs. – Le délire par le mercure. – Un langage chiffré. – Y eut-il une autre civilisation atomique ? – Les piles du musée de Bagdad. – Newton et les grands initiés. – Helvétius et Spinoza devant l'or philosophal. – Alchimie et physique moderne. – Une bombe à hydrogène sur un fourneau de cuisine. – Matérialiser, hominiser, spiritualiser.
On connaît plus de cent mille livres ou manuscrits alchimiques. Cette énorme littérature à laquelle se sont consacrés des esprits de qualité, des hommes importants et honnêtes, cette énorme littérature qui affirme solennellement son attachement à des faits, à des réalités expérimentales, n'a jamais été explorée scientifiquement. La pensée régnante, catholique dans le passé, rationaliste aujourd'hui, a entretenu autour de ces textes une conspiration de l'ignorance et du mépris. Cent mille livres et manuscrits contiennent peut-être quelques-uns des secrets de l'énergie et de la matière. Si ce n'est vrai, ils le proclament, tout au moins. Les princes, les rois et les républiques ont encouragé d'innombrables expéditions en pays lointains, financé des recherches scientifiques de toutes sortes. Jamais une équipe de cryptographes, d'historiens, de linguistes et de savants, physiciens, chimistes, mathématiciens, biologistes, n'a été réunie dans une bibliothèque alchimique complète avec mission de voir ce qu'il y a de vrai et d'utilisable dans ses vieux traités. Voilà qui est inconcevable. Que de telles fermetures de l'esprit soient possibles et durables, que des sociétés humaines très civilisées et apparemment, comme la nôtre, sans préjugés d'aucune sorte, puissent oublier dans leur grenier cent mille livres et manuscrits portant l'étiquette : « Trésor », voilà qui convaincra les plus sceptiques que nous vivons dans le fantastique.
Les rares recherches sur l'alchimie sont faites, ou bien par des mystiques qui demandent aux textes une confirmation de leurs attitudes spirituelles, ou bien par des historiens coupés de tout contact avec la science et les techniques.
Les alchimistes parlent de la nécessité de distiller mille et mille fois l'eau qui va servir à préparer l'Élixir. Nous avons entendu un historien spécialisé dire que cette opération était démentielle. Il ignorait tout de l'eau lourde et des méthodes que l'on emploie pour enrichir l'eau simple en eau lourde. Nous avons entendu un érudit affirmer que le raffinage et la purification indéfiniment répétés d'un métal ou d'un métalloïde ne changeant en rien les propriétés de celui-ci, il fallait voir dans les recommandations alchimiques un mystique apprentissage de la patience, un geste rituel comparable à l'égrenage du rosaire. C'est pourtant par un tel raffinage au moyen d'une technique décrite par les alchimistes et que l'on nomme aujourd'hui « la fusion de zone », que l'on prépare le germanium et le silicium pur des transistors. Nous savons maintenant, grâce à ces travaux sur les transistors, qu'en purifiant à fond un métal et en introduisant ensuite quelques millionièmes de gramme d'impuretés soigneusement choisies, on donne au corps traité des propriétés nouvelles et révolutionnaires. Nous ne voulons pas multiplier les exemples, mais nous voudrions faire comprendre à quel point serait souhaitable un examen vraiment méthodique de la littérature alchimique. Ce serait un travail immense, qui exigerait des dizaines d'années de travail et des dizaines de chercheurs appartenant à toutes les disciplines. Ni Bergier ni moi n'avons pu même l'esquisser, mais si notre gros bouquin maladroit pouvait quelque jour décider un mécène à permettre ce travail, nous n'aurions pas perdu tout à fait notre temps.
En étudiant un peu les textes alchimiques, nous avons constaté que ceux-ci sont généralement modernes par rapport à l'époque où ils ont été écrits, alors que les autres ouvrages d'occultisme sont en retrait. D'autre part, l'alchimie est la seule pratique parareligieuse ayant enrichi réellement notre connaissance du réel.
Albert le Grand (1193-1280) réussit à préparer la potasse caustique. Il fut le premier à décrire la composition chimique du cinabre, de la céruse et du minium.
Raymond Lulle (1235-1315) prépara le bicarbonate de potassium.
Théophraste Paracelse (1493-1541) fut le premier à décrire le zinc, jusqu'alors inconnu. Il introduisit également dans la médecine l'usage des composés chimiques.
Giambattista della Porta (1541-1615) prépara l'oxyde d'étain.
Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1644) reconnut l'existence des gaz.
Basile Valentin (dont nul ne sut jamais l'identité véritable) découvrit au XVIIe siècle l'acide sulfurique et l'acide chlorhydrique.
Johann Rudolf Glauber (1604-1668) trouva le sulfate de sodium.
Brandt (mort en 1662) découvrit le phosphore.
Johann Friedrich Boetticher (1682-1719) fut le premier Européen à faire de la porcelaine.
Blaise Vigenère (1523-1596) découvrit l'acide benzoïque.
Tels sont quelques-uns des travaux alchimiques qui enrichissent l'humanité au moment où la chimie progresse(20). À mesure que d'autres sciences se développent, l'alchimie semble suivre et souvent précéder le progrès. Le Breton, dans ses Clefs de la Philosophie Spagyrique, en 1722, parle du magnétisme de manière plus qu'intelligente et fréquemment anticipe sur les découvertes modernes. Le Père Castel, en 1728, au moment où les idées sur la gravitation commencent à se répandre, parle de celle-ci et de ses rapports avec la lumière dans des termes qui, deux siècles plus tard, feront étrangement écho à la pensée d'Einstein :
« J'ai dit que si l'on ôtait la pesanteur du monde, on ôterait en même temps la lumière. Du reste la lumière et le son, et toutes autres qualités sensibles sont une suite et comme un résultat de la mécanique et par conséquent de la pesanteur des corps naturels qui sont plus ou moins lumineux ou sonores, selon qu'ils ont plus de pesanteur et de ressort. »
Dans les traités alchimiques de notre siècle, on voit apparaître fréquemment, plus tôt que dans les ouvrages universitaires, les dernières découvertes de la physique nucléaire, et il est probable que les traités de demain mentionneront les théories physiques et mathématiques les plus abstraites qui soient.
La distinction est nette entre l'alchimie et les fausses sciences comme la radiesthésie qui introduit les ondes ou des rayons dans ses publications après que la science officielle les a découverts. Tout pourrait nous inviter à penser que l'alchimie est susceptible d'apporter une contribution importante aux connaissances et aux techniques de l'avenir basées sur la structure de la matière.
Nous avons constaté aussi, dans la littérature alchimique, l'existence d'un nombre impressionnant de textes purement délirants. On a parfois voulu expliquer ce délire par la psychanalyse (Jung : Psychologie et Alchimie, ou Herbert Silberer : Problèmes du Mysticisme). Plus souvent comme l'alchimie contient une doctrine métaphysique et suppose une attitude mystique, les historiens, les curieux et surtout les occultistes se sont acharnés à interpréter ces propos démentiels dans le sens d'une révélation supranaturelle, d'une vaticination inspirée. À y regarder de près, il nous a paru raisonnable de tenir, à côté des textes techniques et des textes de sagesse, les textes démentiels pour des textes démentiels. Il nous a paru aussi que cette démence de l'adepte expérimentateur pouvait trouver une explication matérielle, simple, satisfaisante. Le mercure était fréquemment utilisé par les alchimistes. Sa vapeur est toxique et l'empoisonnement chronique provoque le délire. Théoriquement, les récipients employés étaient absolument hermétiques, mais le secret de cette fermeture n'est pas donné à tout adepte, et la folie a pu envahir plus d'un « philosophe chimique ».
Enfin, nous avons été frappés par l'aspect de cryptogramme de la littérature alchimique. Blaise Vigenère, que nous avons cité tout à l'heure, inventa les codes les plus perfectionnés et les méthodes de chiffrage les plus ingénieuses. Ses inventions en cette matière sont encore utilisées aujourd'hui. Or, il est probable que Blaise Vigenère prit contact avec cette science du chiffre en essayant d'interpréter les textes alchimiques. Il conviendrait d'ajouter aux équipes de chercheurs que nous souhaitons voir réunies, des spécialistes du déchiffrage.
« Afin de donner un exemple plus clair, écrit René Alleau(21), nous prendrons celui du jeu d'échecs dont on connaît la simplicité relative des règles et des éléments ainsi que l'indéfinie variété des combinaisons. Si l'on suppose que l'ensemble des traités acroamatiques de l'alchimie se présente à nous comme autant de parties annotées en un langage conventionnel, il faut admettre d'abord, honnêtement, que nous ignorons et les règles du jeu, et le chiffre utilisé. Sinon, nous affirmons que l'indication cryptographique est composée de signes directement compréhensibles par n'importe quel individu, ce qui est précisément l'illusion immédiate que doit provoquer un cryptogramme bien composé. Ainsi la prudence nous conseille-t-elle de ne pas nous laisser séduire par la tentation d'un sens clair et d'étudier ces textes comme s'il s'agissait d'une langue inconnue.
« Apparemment, ces messages ne s'adressent qu'à d'autres joueurs, à d'autres alchimistes dont nous devons penser qu'ils possèdent déjà, par quelque moyen diffèrent de la tradition écrite, la clé nécessaire à la compréhension exacte de ce langage. »
Aussi loin que l'on remonte dans le passé, on trouve des manuscrits alchimiques. Nicolas de Valois, au XVe siècle, en déduisait que les transmutations, que les secrets et les techniques de la libération de l'énergie ont été connus des hommes avant l'écriture même. L'architecture a précédé l'écriture. Elle a peut-être été une forme d'écriture. Aussi bien voyons-nous l'alchimie liée très intimement à l'architecture. Un des textes les plus significatifs de l'alchimie, dont l'auteur est le sieur Esprit Gobineau de Montluisant, s'intitule : « Explications très curieuses des énigmes et figures hiéroglyphiques qui sont au grand portail de Notre-Dame de Paris. » Les ouvrages de Fulcanelli sont consacrés au « Mystère des Cathédrales » et à de minutieuses descriptions des « Demeures Philosophales ». Certaines constructions médiévales témoigneraient de l'habitude immémoriale de transmettre par l'architecture le message de l'alchimie qui remonterait à des âges infiniment reculés de l'humanité.
Newton croyait à l'existence d'une chaîne d'initiés s'étendant dans le temps jusqu'à une très lointaine antiquité, et qui auraient connu les secrets des transmutations et de la désintégration de la matière. Le savant atomiste anglais Da Costa Andrade, dans un discours prononcé devant ses pairs à l'occasion du tricentenaire de Newton, à Cambridge, en juillet 1946, n'a pas hésité à laisser entendre que l'inventeur de la gravitation appartenait peut-être à cette chaîne et n'avait révélé au monde qu'une petite partie de son savoir :
« Je ne peux, a-t-il dit(22), espérer convaincre les sceptiques que Newton avait des pouvoirs de prophétie ou de vision spéciale qui lui auraient révélé l'énergie atomique, mais je dirai simplement que les phrases que je vais vous citer dépassent de beaucoup, dans la pensée de Newton parlant de la transmutation alchimique, l'inquiétude d'un bouleversement du commerce mondial par suite de la synthèse de l'or. Voici ce que Newton écrit :
« “La façon dont le mercure peut être ainsi imprégné a été gardée secrète par ceux qui savaient et constitue probablement une porte vers quelque chose de plus noble (que la fabrication de l'or) qui ne peut être communiqué sans que le monde coure à un immense danger, si les écrits d'Hermès disent vrai.”
« Et plus loin encore, Newton écrit : “Il existe d'autres Grands Mystères que la transmutation des métaux si les grands maîtres ne se vantent point. Eux seuls connaissent ces secrets.”
« En réfléchissant au sens profond de ce passage, souvenez-vous que Newton parle avec la même réticence et la même prudence annonciatrice de ses propres découvertes en optique. »
De quel passé viendraient ces grands maîtres invoqués par Newton, et dans quel passé eux-mêmes auraient-ils puisé leur science ?
« Si je suis monté si haut, dit Newton, c'est que j'étais sur l'épaule des géants. »
Atterbury, contemporain de Newton, écrivait :
« La modestie nous apprend à parler avec respect au sujet des Anciens, surtout quand nous ne connaissons pas parfaitement leurs ouvrages. Newton, qui les savait presque par cœur, avait pour eux le plus grand respect et il les considérait comme des hommes d'un profond génie et d'un esprit supérieur qui avaient porté leurs découvertes en tous genres beaucoup plus loin qu'il ne nous paraît à présent, par ce qui reste de leurs écrits. Il y a plus d'ouvrages antiques perdus que conservés et peut-être nos nouvelles découvertes ne valent-elles pas nos pertes anciennes. »
Pour Fulcanelli, l'alchimie serait le lien avec des civilisations englouties depuis des millénaires et ignorées des archéologues. Bien entendu, aucun archéologue réputé sérieux et aucun historien d'égale réputation n'admettra l'existence dans le passé de civilisations possédant une science et des techniques supérieures aux nôtres. Mais une science et des techniques avancées simplifient à l'extrême l'appareillage, et les vestiges sont peut-être sous nos yeux, sans que nous soyons capables de les voir comme tels. Aucun archéologue et aucun historien sérieux, n'ayant reçu une formation scientifique poussée, ne pourra effectuer des fouilles susceptibles de nous apporter là-dessus quelque lumière. Le cloisonnement des disciplines, qui fut une nécessité du fabuleux progrès contemporain, nous cache peut-être quelque chose de fabuleux dans le passé.
On sait que c'est un ingénieur allemand, chargé de construire les égouts de Bagdad, qui découvrit dans le bric-à-brac du musée local, sous la vague étiquette « objets de culte », des piles électriques fabriquées dix siècles avant Volta, sous la dynastie des Sassanides.
Tant que l'archéologie ne sera pratiquée que par les archéologues, nous ne saurons pas si la « nuit des temps » était obscure ou lumineuse.
« Jean-Frédéric Schweitzer, dit Helvétius, violent adversaire de l'alchimie, rapporte que dans la matinée du 27 décembre 1666, un étranger se présenta chez lui(23). C'était un homme d'apparence honnête et grave, et de mine autoritaire, vêtu d'un simple manteau, comme un mennonite. Ayant demandé à Helvétius s'il croyait à la pierre philosophale (ce à quoi le fameux docteur répondit par la négative), l'étranger ouvrit une petite boîte d'ivoire « contenant trois morceaux d'une substance ressemblant à du verre ou à de l'opale ». Son propriétaire déclara que c'était la fameuse pierre, et qu'avec une quantité aussi minime, il pouvait produire vingt tonnes d'or. Helvétius en tint un fragment dans la main, et, ayant remercié le visiteur de son amabilité, il le pria de lui en donner un peu. L'alchimiste refusa d'un ton brusque, ajoutant avec plus de courtoisie que, pour toute la fortune d'Helvétius, il ne pourrait se séparer de la moindre parcelle de ce minéral, pour une raison qu'il ne lui était pas permis de divulguer. Prié de fournir la preuve de ses dires, en réalisant une transmutation, l'étranger répondit qu'il reviendrait trois semaines plus tard, et montrerait à Helvétius une chose susceptible de l'étonner. Il revint ponctuellement au jour dit, mais refusa d'opérer, affirmant qu'il lui était interdit de révéler le secret. Il condescendit pourtant à donner à Helvétius un petit fragment de la pierre « pas plus gros qu'un grain de sénevé ». Et comme le docteur émettait le doute qu'une quantité aussi infime pût produire le moindre effet, l'alchimiste brisa le corpuscule en deux, en jeta une moitié et lui tendit l'autre en disant : « Voici même ce qui vous suffit. »
« Notre savant dut alors avouer qu'à la première visite de l'étranger, il avait réussi à s'approprier quelques particules de la pierre et qu'elles avaient changé le plomb, non point en or, mais en verre. – « Vous auriez dû protéger votre butin avec de la cire jaune, répondit l'alchimiste, cela aurait aidé à pénétrer le plomb et à le transformer en or. » L'homme promit de revenir le lendemain matin, à neuf heures, et de réaliser le miracle, – mais il ne vint pas, et le surlendemain non plus. Ce que voyant, la femme d'Helvétius le persuada de tenter lui-même la transmutation :
« Helvétius procéda conformément aux directives de l'étranger. Il fit fondre trois drachmes de plomb, entoura la pierre de cire, et la laissa tomber dans le métal liquide. Celui-ci se changea en or ! « Nous le portâmes immédiatement à l'orfèvre, qui déclara que c'était l'or le plus fin qu'il eût jamais vu, et il en offrit cinquante florins l'once. » Helvétius, en concluant son rapport, nous dit que le lingot d'or était toujours en sa possession, preuve tangible de la transmutation. « Puissent les Saints Anges de Dieu veiller sur lui (l'alchimiste anonyme) comme sur une source de bénédictions pour la chrétienté. Telle est notre prière constante, pour lui et pour nous. »
« La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Spinoza, que nous ne pouvons compter au nombre des naïfs, voulut avoir le fin mot de l'histoire. Il rendit visite à l'orfèvre qui avait expertisé l'or. Le rapport fut plus que favorable : au cours de la fusion de l'argent incorporé au mélange s'était également transformé en or. L'orfèvre, Brechtel, était monnayeur du duc d'Orange. Il connaissait certainement son métier. Il semble difficile de croire qu'il ait pu être la victime d'un subterfuge, ou qu'il ait voulu abuser Spinoza. Spinoza se rendit alors chez Helvétius qui lui montra l'or et le creuset qui avait servi à l'opération Des bribes du précieux métal adhéraient encore à l'intérieur du récipient ; comme les autres, Spinoza fut convaincu que la transmutation avait réellement eu lieu. »
La transmutation, pour l'alchimiste, est un phénomène secondaire, réalisé simplement à titre de démonstration. Il est difficile de se faire une opinion sur la réalité de ces transmutations, quoique diverses observations, comme celle d'Helvétius ou celle de Van Helmont, par exemple, semblent frappantes. On peut alléguer que l'art du prestidigitateur est sans limite, mais quatre mille ans de recherches et cent mille volumes ou manuscrits auraient-ils été consacrés à une fourberie ? Nous proposons autre chose, comme on le verra tout à l'heure. Nous le proposons timidement, car le poids de l'opinion scientifique acquise est redoutable. Nous essaierons de décrire le travail de l'alchimiste, qui aboutit à la fabrication de la « pierre » ou « poudre de projection », et nous verrons que l'interprétation de certaines opérations se heurte à notre savoir actuel sur la structure de la matière. Mais il n'est pas évident que notre connaissance des phénomènes nucléaires soit parfaite, définitive. La catalyse, en particulier, peut intervenir dans ces phénomènes d'une manière encore inattendue pour nous(24).
Il n'est pas impossible que certains mélanges naturels produisent, sous l'effet des rayons cosmiques, des réactions nucléo-catalytiques à grande échelle, conduisant à une transmutation massive d'éléments. Il faudrait voir là une des clés de l'alchimie et la raison pour laquelle l'alchimiste répète indéfiniment ses manipulations, jusqu'au moment où les conditions cosmiques sont réunies.
L'objection est : si des transmutations de cette nature sont possibles, que devient l'énergie dégagée ? Bien des alchimistes auraient dû faire sauter la ville qu'ils habitaient et quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés de leur patrie par la même occasion. De nombreuses et immenses catastrophes auraient dû se produire.
Les alchimistes répondent : c'est justement parce que de telles catastrophes ont eu lieu dans un lointain passé, que nous craignons la terrible énergie contenue dans la matière et que nous gardons secrète notre science. En outre, le « Grand Œuvre » est atteint par phases progressives et celui qui, au terme de dizaines et de dizaines d'années de manipulations et d'ascèse, apprend à déchaîner les forces nucléaires, apprend également quelles précautions il convient d'observer pour éviter le danger.
Argument valable ? Peut-être. Les physiciens d'aujourd'hui admettent que, dans certaines conditions, l'énergie d'une transmutation nucléaire pourrait être absorbée par des particules spéciales qu'ils appellent neutrinos, ou antineutrinos. Quelques preuves de l'existence du neutrino semblent avoir été apportées. Il y a peut-être des types de transmutations qui ne libèrent que peu d'énergie, ou dans lesquelles l'énergie libérée s'en va sous forme de neutrinos. Nous reviendrons sur cette question.
M. Eugène Canseliet, disciple de Fulcanelli et l'un des meilleurs spécialistes actuels de l'alchimie, tomba en arrêt sur un passage d'une étude que Jacques Bergier avait écrite en préface à l'un des ouvrages classiques de la Bibliothèque Mondiale. Il s'agissait d'une anthologie de la poésie du XVIe siècle. Dans cette préface, Bergier faisait allusion aux alchimistes et à leur volonté de secret. Il écrivait : « Sur ce point particulier, il est difficile de ne pas leur donner raison. S'il existe un procédé permettant de fabriquer des bombes à hydrogène sur un fourneau de cuisine, il est nettement préférable que ce procédé ne soit pas révélé. »
M. Eugène Canseliet nous répondit alors : « Il ne faudrait surtout pas que l'on prit cela pour une boutade. Vous avez vu juste, et je suis bien placé pour affirmer qu'il est possible de parvenir à la fission atomique en partant d'un minerai relativement commun et bon marché, et cela par un processus d'opérations ne réclamant rien d'autre qu'une bonne cheminée, un four de fusion de charbon, quelques brûleurs Meker et quatre bouteilles de gaz butane. »
Il n'est pas exclu que l'on puisse, même en physique nucléaire, obtenir des résultats importants par des moyens simples. C'est la direction de l'avenir de toute science et de toute technique.
« Nous pouvons plus que nous ne savons », disait Roger Bacon. Mais il ajoutait cette parole qui pourrait être un adage alchimique : « Bien que tout ne soit pas permis, tout est possible. »
Pour l'alchimiste, il faut sans cesse le rappeler, le pouvoir sur la matière et l'énergie n'est qu'une réalité accessoire. Le véritable but des opérations alchimiques qui sont peut-être le résidu d'une science très ancienne appartenant à une civilisation engloutie, est la transformation de l'alchimiste lui-même, son accession à un état de conscience supérieur. Les résultats matériels ne sont que les promesses du résultat final, qui est spirituel. Tout est dirigé vers la transmutation de l'homme lui-même, vers sa divinisation, sa fusion dans l'énergie divine fixe, d'où rayonnent toutes les énergies de la matière. L'alchimie est cette science « avec conscience » dont parle Rabelais. C'est une science qui matérialise moins qu'elle n'hominise, pour reprendre une expression du Père Teilhard de Chardin, qui disait : « La vraie physique est celle qui parviendra à intégrer l'Homme total dans une représentation cohérente du monde. »
« Sachez, écrivait un maître alchimiste(25), sachez vous tous, Investigateurs de cet Art, que l'Esprit est tout, et que si dans cet Esprit, il n'est enfermé un autre Esprit semblable, tout ne profite de rien. »