IV

L'alchimiste moderne et l'esprit de recherche. – Description de ce que fait un alchimiste dans son laboratoire. – répétition indéfinie de l'expérience. – Qu'est-ce qu'il attend. – La préparation des ténèbres. – Le gaz électronique. – L'eau dissolvante. – La pierre philosophale est-elle de l'énergie en suspension ? – La transmutation de l'alchimiste lui-même. – Au-delà commence la vraie métaphysique.

L'alchimiste moderne est un homme qui lit les traités de physique nucléaire. Il tient pour certain que des transmutations et des phénomènes encore plus extraordinaires peuvent être obtenus par des manipulations et avec un matériel relativement simples. C'est chez les alchimistes contemporains que l'on retrouve l'esprit du chercheur isolé. La conservation d'un tel esprit est précieuse à notre époque. En effet, nous avons fini par croire que le progrès des connaissances n'est plus possible sans équipes nombreuses, sans appareillage énorme, sans financement considérable.

Or, les découvertes fondamentales, comme, par exemple, la radio-activité ou la mécanique ondulatoire, ont été faites par des hommes isolés. L'Amérique, qui est le pays des grandes équipes et des grands moyens, délègue aujourd'hui des agents dans le monde à la recherche d'esprits originaux. Le directeur de la recherche scientifique américaine, le docteur James Killian, a déclaré en 1958 qu'il était nuisible d'accorder uniquement confiance au travail collectif et qu'il fallait faire appel aux hommes solitaires porteurs d'idées originales. Rutherford a effectué ses travaux capitaux sur la structure de la matière avec des boîtes de conserve et des bouts de ficelle. Jean Perrin et Mme Curie, avant-guerre, envoyaient leurs collaborateurs au Marché aux Puces, le dimanche, chercher un peu de matériel. Bien entendu, les laboratoires à puissant outillage sont nécessaires, mais il serait important d'organiser une coopération entre ces laboratoires, ces équipes, et les originaux solitaires. Cependant les alchimistes se déroberont à l'invitation. Leur règle est le secret. Leur ambition est d'ordre spirituel. « Il est hors de doute, écrit René Alleau, que les manipulations alchimiques servent de support à une ascèse intérieure. » Si l'alchimie contient une science, cette science n'est qu'un moyen d'accéder à la conscience. Il importe, dès lors, qu'elle ne se répande pas au-dehors, où elle deviendrait une fin.


Quel est le matériel de l'alchimiste ? Celui du chercheur en chimie minérale de hautes températures : fours, creusets, balances, instruments de mesure, à quoi sont venus s'ajouter les appareils modernes accessibles de détection des radiations nucléaires : compteur Geiger, scintillomètre, etc.

Ce matériel peut paraître dérisoire. Un physicien orthodoxe ne saurait admettre qu'il est possible de fabriquer une cathode émettant des neutrons avec des moyens simples et peu coûteux. Si nos renseignements sont exacts, des alchimistes y parviennent. Au temps où l'élection était considérée comme le quatrième état de la matière, on a inventé des dispositifs extrêmement onéreux et compliqués pour produire des courants électroniques. Après quoi, en 1910, Elster et Gaitel ont montré qu'il suffisait de chauffer dans le vide de la chaux au rouge sombre. Nous ne connaissons pas tout des lois de la matière. Si l'alchimie est une connaissance en avance sur la nôtre, elle use de moyens plus simples que les nôtres.

Nous connaissons plusieurs alchimistes en France et deux aux États-Unis. Il y en a en Angleterre, en Allemagne et en Italie. E.J. Holmyard dit en avoir rencontré un au Maroc. Trois nous ont écrit de Prague. La presse soviétique scientifique semble faire grand cas, aujourd'hui, de l'alchimie et entreprend des recherches historiques.


Nous allons maintenant, pour la première fois, pensons-nous, essayer de décrire avec précision ce que fait un alchimiste dans son laboratoire. Nous ne prétendons pas révéler la totalité de la méthode alchimique, mais nous croyons avoir, sur cette méthode, quelques aperçus d'un certain intérêt. Nous n'oublions pas que le but ultime de l'alchimie est la transmutation de l'alchimiste lui-même, et que les manipulations ne sont qu'un lent cheminement vers la « délivrance de l'esprit ». C'est sur ces manipulations que nous tentons d'apporter des renseignements nouveaux.

L'alchimiste a d'abord, pendant des années, décrypté de vieux textes où « le lecteur doit s'engager privé du fil d'Ariane, plongé dans un labyrinthe où tout a été préparé consciemment et systématiquement afin de jeter le profane dans une inextricable confusion mentale ». Patience, humilité et foi l'ont amené à un certain niveau de compréhension de ces textes. À ce niveau, il va pouvoir commencer réellement l'expérience alchimique. Cette expérience, nous allons la décrire, mais il nous manque un élément. Nous savons ce qui se passe dans le laboratoire de l'alchimiste. Nous ignorons ce qui se passe dans l'alchimiste lui-même, dans son âme. Il se peut que tout soit lié. Il se peut que l'énergie spirituelle joue un rôle dans les manipulations physiques et chimiques de l'alchimie. Il se peut qu'une certaine manière d'acquérir, de concentrer et d'orienter l'énergie spirituelle soit indispensable à la réussite du « travail » alchimique. Cela n'est pas sûr, mais nous ne pouvons pas, en un sujet aussi délicat, ne pas réserver sa part à la parole de Dante : « Je vois que tu crois ces choses parce que je te les dis, mais tu n'en sais pas le pourquoi, en sorte que pour être crues elles n'en sont pas moins cachées. »

Notre alchimiste commence par préparer, dans un mortier d'agate, un mélange intime de trois constituants. Le premier, qui entre pour 95 %, est un minerai : une pyrite arsénieuse, par exemple, un minerai de fer contenant notamment comme impuretés de l'arsenic et de l'antimoine. Le second est un métal : fer, plomb, argent ou mercure. Le troisième est un acide d'origine organique : acide tartrique ou citrique. Il va broyer à la main et mélanger ces constituants durant cinq ou six mois. Ensuite, il chauffe le tout dans un creuset. Il augmente progressivement la température et fait durer l'opération une dizaine de jours. Il doit prendre des précautions. Des gaz toxiques se dégagent : la vapeur de mercure, et surtout l'hydrogène arsénieux qui a tué plus d'un alchimiste dès le début des travaux.

Il dissout enfin le contenu du creuset grâce à un acide. C'est en cherchant un dissolvant que les alchimistes du temps passé ont découvert l'acide acétique, l'acide nitrique et l'acide sulfurique. Cette dissolution doit s'effectuer sous une lumière polarisée : soit une faible lumière solaire réfléchie sur un miroir, soit la lumière de la lune. On sait aujourd'hui que la lumière polarisée vibre dans une seule direction, tandis que la lumière normale vibre dans toutes les directions autour d'un axe.

Il évapore ensuite le liquide et recalcine le solide. Il va recommencer cette opération des milliers de fois, pendant plusieurs années. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Peut-être dans l'attente du moment où seront réunies les meilleures conditions : rayons cosmiques, magnétisme terrestre, etc. Peut-être afin d'obtenir une « fatigue » de la matière dans des structures profondes que nous ignorons encore. L'alchimiste parle de « patience sacrée », de lente condensation de « l'esprit universel ». Il y a sûrement autre chose, derrière ce langage parareligieux.

Cette façon d'opérer en répétant indéfiniment la même manipulation peut paraître démentielle à un chimiste moderne. On a enseigné à ce dernier qu'une seule méthode expérimentale est valable : celle de Claude Bernard. Cette méthode procède par variations concomitantes. On reproduit des milliers de fois la même expérience, mais en faisant chaque fois varier l'un des facteurs : proportions de l'un des constituants, température, pression, catalyseur, etc. On note les résultats obtenus et l'on dégage quelques-unes des lois qui gouvernent le phénomène. C'est une méthode qui a fait ses preuves, mais ce n'est pas la seule. L'alchimiste répète sa manipulation sans rien faire varier, jusqu'à ce que quelque chose d'extraordinaire se produise. Il croit, au fond, en une loi naturelle assez comparable au « principe d'exclusion » formulé par le physicien Pauli, l'ami de Jung. Pour Pauli, dans un système donné (l'atome et ses molécules) il ne peut y avoir deux particules (électrons, protons, mésons) dans le même état. Tout est unique dans la nature : « Votre âme à nulle autre pareille… » C'est pour cela qu'on passe brusquement, sans intermédiaire, de l'hydrogène à l'hélium, de l'hélium au lithium, et ainsi de suite, comme l'indique, pour le physicien nucléaire, la Table Périodique des Éléments. Quand on ajoute à un système une particule, cette particule ne peut prendre aucun des états existant à l'intérieur de ce système. Elle prend un état nouveau et la combinaison avec les particules déjà existantes crée un système nouveau et unique.

Pour l'alchimiste, de même qu'il n'y a pas deux âmes semblables, deux êtres semblables, deux plantes semblables (Pauli dirait : deux électrons semblables), il n'y a pas deux expériences semblables. Si l'on répète des milliers de fois une expérience, quelque chose d'extraordinaire finira par se produire. Nous ne sommes pas assez compétents pour lui donner tort ou raison. Nous nous contentons de remarquer qu'une science moderne : la science des rayons cosmiques, a adopté une méthode comparable à celle de l'alchimiste. Cette science étudie les phénomènes causés par l'arrivée, dans un appareil de détection ou sur une plaque, de particules d'une formidable énergie venant d'étoiles. Ces phénomènes ne peuvent être obtenus à volonté. Il faut attendre. Parfois, on enregistre un phénomène extraordinaire. C'est ainsi que dans l'été 1957, au cours des recherches poursuivies aux États-Unis par le professeur Bruno Rossi, une particule animée d'une énergie formidable, jamais enregistrée jusqu'ici, et venant peut-être d'une autre galaxie que notre Voie lactée, impressionna 1 500 compteurs à la fois dans un rayon de huit kilomètres carrés, créant sur son passage une énorme gerbe de débris atomiques. On ne conçoit aucune machine capable de produire une telle énergie. Jamais un tel événement n'avait eu lieu, de mémoire de savant, et l'on ne sait s'il aura lieu de nouveau. C'est un événement exceptionnel, d'origine terrestre ou cosmique, influençant son creuset, que semble attendre notre alchimiste. Peut-être pourrait-il abréger son attente en utilisant des moyens plus actifs que le feu, par exemple en chauffant son creuset dans un four à induction par la méthode de lévitation(29), ou encore en ajoutant des isotopes radio-actifs à son mélange. Il pourrait alors faire et refaire sa manipulation, non pas plusieurs fois par semaine, mais plusieurs milliards de fois par seconde, multipliant ainsi les chances de capter « l'événement » nécessaire à la réussite de l'expérience. Mais l'alchimiste d'aujourd'hui, comme celui d'hier, travaille en secret, pauvrement, et tient l'attente pour vertu.

Poursuivons notre description : au bout de plusieurs années d'un travail toujours le même, de jour et de nuit, notre alchimiste finit par estimer que la première phase est terminée. Il ajoute alors à son mélange un oxydant : le nitrate de potasse, par exemple. Il y a dans son creuset du soufre provenant de la pyrite et du charbon provenant de l'acide organique. Soufre, charbon et nitrate : c'est au cours de cette manipulation que les anciens alchimistes ont découvert la poudre à canon.

Il va recommencer à dissoudre, puis à calciner, sans relâche, durant des mois et des années, dans l'attente d'un signe. Sur la nature de ce signe, les ouvrages alchimiques diffèrent, mais c'est peut-être qu'il y a plusieurs phénomènes possibles. Ce signe se produit au moment d'une dissolution. Pour certains alchimistes, il s'agit de la formation de cristaux en forme d'étoiles à la surface du bain. Pour d'autres, une couche d'oxyde apparaît à la surface de ce bain, puis se déchire, découvrant le métal lumineux dans lequel semblent se refléter, en image réduite, tantôt la Voie lactée, tantôt les constellations(30).

Ce signe reçu, l'alchimiste retire son mélange du creuset et le « laisse mûrir », à l'abri de l'air et de l'humidité, jusqu'au premier jour du prochain printemps. Quand il reprendra les opérations, celles-ci viseront à ce que l'on nomme, dans les vieux textes, « la préparation des ténèbres ». Des recherches récentes sur l'histoire de la chimie ont montré que le moine allemand Berthold le Noir (Berthold Schwarz) à qui l'on attribue communément l'invention de la poudre à canon en Occident, n'a jamais existé. Il est une figure symbolique de cette « préparation des ténèbres ».

Le mélange est placé dans un récipient transparent, en cristal de roche, fermé de manière spéciale. On a peu d'indications sur cette fermeture, dite fermeture d'Hermès, ou hermétique. Le travail consiste désormais à chauffer le récipient en dosant, avec une infinie délicatesse, les températures. Le mélange, dans le récipient fermé, contient toujours du soufre, du charbon et du nitrate. Il s'agit de porter ce mélange à un certain degré d'incandescence en évitant l'explosion. Les cas d'alchimistes gravement brûlés ou tués sont nombreux. Les explosions qui se produisent ainsi sont d'une violence particulière et dégagent des températures auxquelles, logiquement, on ne saurait s'attendre.

Le but poursuivi est l'obtention, dans le récipient, d'une « essence », d'un « fluide », que les alchimistes nomment parfois « l'aile de corbeau ».

Expliquons-nous là-dessus. Cette opération n'a pas d'équivalent dans la physique et la chimie modernes. Cependant, elle n'est pas sans analogies. Lorsque l'on dissout dans le gaz ammoniac liquide un métal tel que le cuivre, on obtient une coloration bleu foncé qui vire au noir pour les grandes concentrations. Le même phénomène se produit si l'on dissout dans le gaz ammoniac liquéfié de l'hydrogène sous pression on des amines organiques, de manière à obtenir le composé instable NH4 qui a toutes les propriétés d'un métal alcalin et que, pour cette raison, on a appelé « ammonium ». Il y a lieu de croire que cette coloration bleu-noir, qui fait songer à « l'aile de corbeau » du fluide obtenu par les alchimistes, est la couleur même du gaz électronique. Qu'est-ce que le « gaz électronique » ? C'est, pour les savants modernes, l'ensemble d'électrons libres qui constituent un métal et lui assurent ses propriétés mécaniques, électriques et thermiques. Il correspond, dans la terminologie d'aujourd'hui, à ce que l'alchimiste appelle « l'âme » ou encore « l'essence » des métaux. C'est cette « âme » ou cette « essence » qui se dégage dans le récipient hermétiquement clos et patiemment chauffé de l'alchimiste.

Il chauffe, laisse refroidir, chauffe à nouveau, et ceci pendant des mois ou des années, observant à travers le cristal de roche la formation de ce qui est aussi nommé « l'œuf alchimique » : le mélange changé en un fluide bleu-noir. Il ouvre finalement son récipient dans l'obscurité, à la lumière seule de cette sorte de liquide fluorescent. Au contact de l'air, ce liquide fluorescent se solidifie et se sépare.

Il obtiendrait ainsi des substances tout à fait nouvelles, inconnues dans la nature et ayant toutes les propriétés d'éléments chimiques purs, c'est-à-dire inséparables par les moyens de la chimie.

Des alchimistes modernes prétendent avoir ainsi obtenu des éléments chimiques nouveaux, et ceci en quantités pondérables. Fulcanelli aurait extrait d'un kilo de fer, vingt grammes d'un corps tout à fait nouveau dont les propriétés chimiques et physiques ne correspondent à aucun élément chimique connu. La même opération serait applicable à tous les éléments, dont la plupart donneraient deux éléments nouveaux par élément traité.

Une telle affirmation est de nature à choquer l'homme de laboratoire. Actuellement, la théorie ne permet pas de prévoir d'autres séparations d'un élément chimique que celles-ci :

La molécule d'un élément peut prendre plusieurs états : orthohydrogène et parahydrogène, par exemple.

Le noyau d'un élément peut prendre un certain nombre d'états isotopiques caractérisés par un nombre de neutrons différent. Dans le lithium 6, le noyau contient trois neutrons et dans le lithium 7, le noyau en contient quatre.

Nos techniques, pour séparer les divers états allotropiques de la molécule et les divers états isotopiques du noyau, exigent la mise en œuvre d'un énorme matériel.

Les moyens de l'alchimiste sont, en regard, dérisoires, et il parviendrait, non pas à un changement d'état de la matière, mais à la création d'une matière nouvelle, ou tout au moins à une décomposition et recomposition différente de la matière. Toute notre connaissance de l'atome et du noyau est basée sur le modèle « saturnien » de Nagasaka et Rutherford : le noyau et son anneau d'électrons. Il n'est pas évident que, dans l'avenir, une autre théorie ne nous amène pas à réaliser des changements d'états et des séparations d'éléments chimiques inconcevables en ce moment.

Donc, notre alchimiste a ouvert son récipient de cristal de roche et obtenu, par refroidissement du liquide fluorescent au contact de l'air, un ou plusieurs éléments nouveaux. Il reste des scories. Ces scories, il va les laver, pendant des mois, à l'eau tridistillée. Puis il conservera cette eau à l'abri de la lumière et des variations de température.

Cette eau aurait des propriétés chimiques et médicales extraordinaires. C'est le dissolvant universel et l'élixir de longue vie de la tradition, l'élixir de Faust(31).

Ici, la tradition alchimique paraît en harmonie avec la science d'avant-garde. Pour la science ultra moderne, en effet, l'eau est un mélange extrêmement complexe et réactif. Les chercheurs penchés sur la question des oligo-éléments, et notamment le docteur Jacques Ménétrier, ont constaté que, pratiquement, tous les métaux étaient solubles dans l'eau en présence de certains catalyseurs comme le glucose et sous certaines variations de température. L'eau formerait en outre de véritables composés chimiques, des hydrates, avec des gaz inertes tels que l'hélium et l'argon. Si l'on savait quel est le constituant de l'eau responsable de la formation des hydrates au contact d'un gaz inerte, il serait possible de stimuler le pouvoir solvant de l'eau et ainsi d'obtenir un véritable dissolvant universel. La très sérieuse revue russe Savoir et Force écrivait dans son numéro 11 de 1957 que l'on arriverait peut-être un jour à ce résultat en bombardant l'eau avec des radiations nucléaires et que le dissolvant universel des alchimistes serait une réalité avant la fin du siècle. Et cette revue prévoyait un certain nombre d'applications, imaginait des percées de tunnels au moyen d'un jet d'eau activée.

Notre alchimiste se trouve donc maintenant en possession d'un certain nombre de corps simples inconnus dans la nature et de quelques flacons d'une eau alchimique susceptible de prolonger sa vie considérablement par le rajeunissement des tissus.

Il va maintenant essayer de recombiner les éléments simples qu'il a obtenus. Il les mélange dans son mortier et les fait fondre à de basses températures, en présence de catalyseurs sur lesquels les textes sont très vagues. Plus on avance dans l'étude des manipulations alchimiques, plus les textes sont malaisés à décrypter. Ce travail va lui prendre encore plusieurs années.

Il obtiendrait ainsi, assure-t-on, des substances ressemblant absolument aux métaux connus, et en particulier aux métaux bons conducteurs de la chaleur et de l'électricité. Ce seraient le cuivre alchimique, l'argent alchimique, l'or alchimique. Les tests classiques et la spectroscopie ne permettraient pas de déceler la nouveauté de ces substances, et cependant elles auraient des propriétés nouvelles, différentes de celles des métaux connus, et surprenantes.

Si nos informations sont exactes, le cuivre alchimique, apparemment semblable au cuivre connu et pourtant très différent, aurait une résistance électrique infiniment faible, comparable à celle des super-conducteurs que le physicien obtient au voisinage du zéro absolu. Un tel cuivre, s'il pouvait être utilisé, bouleverserait l'électrochimie.

D'autres substances, nées de la manipulation alchimique, seraient plus surprenantes encore. L'une d'elles serait soluble dans le verre, à basse température et avant le moment de fusion de celui-ci. Cette substance, en touchant le verre légèrement amolli, se disperserait à l'intérieur, lui donnant une coloration rouge rubis, avec fluorescence mauve dans l'obscurité. C'est la poudre obtenue en broyant ce verre modifié dans le mortier d'agate, que les textes alchimiques nomment la « poudre de projection » ou « pierre philosophale ». « En quoi, écrit Bernard, comte de la Marche Trévisane, dans son traité philosophique, est accomplie cette précieuse Pierre surmontant toute pierre précieuse, laquelle est un trésor infini à la gloire de Dieu qui vit et règne éternellement. »

On connaît les légendes merveilleuses qui s'attachent à cette pierre ou « poudre de projection » qui serait capable d'assurer des transmutations de métaux en quantités pondérables. Elle transformerait notamment certains métaux vils en or, argent ou platine, mais il ne s'agirait là que d'un des aspects de son pouvoir. Elle serait une sorte de réservoir d'énergie nucléaire en suspension, maniable à volonté.

Nous allons revenir tout à l'heure sur les questions que posent à l'homme moderne éclairé les manipulations de l'alchimiste, mais arrêtons-nous là où s'arrêtent les textes alchimiques eux-mêmes. Voici le « grand œuvre » accompli. Il se produit dans l'alchimiste lui-même une transformation que ces textes évoquent, mais que nous sommes incapables de décrire, n'ayant là-dessus que de faibles aperçus analogiques. Cette transformation serait comme la promesse, à travers un être privilégié, de ce qui attend l'humanité entière au terme de son contact intelligent avec la terre et ses éléments : sa fusion en Esprit, sa concentration en un point spirituel fixe et sa liaison avec d'autres foyers de conscience à travers les espaces cosmiques. Progressivement, ou en un soudain éclair, l'alchimiste, dit la tradition, découvre le sens de son long travail. Les secrets de l'énergie de la matière lui sont dévoilés, et en même temps lui deviennent visibles les infinies perspectives de la Vie. Il possède la clé de la mécanique de l'univers. Lui-même établit de nouveaux rapport : entre son propre esprit désormais animé et l'esprit universel en éternel progrès de concentration. Certaines radiations de la poudre de projection sont-elles la cause de la transmutation de l'être physique ?

La manipulation du feu et de certaines substances permet donc, non seulement de transmuter les éléments, mais encore de transformer l'expérimentateur lui-même. Celui-ci, sous l'influence des forces émises par le creuset (c'est-à-dire des radiations émises par des noyaux subissant des changements de structure), entre dans un autre état. Des mutations s'opèrent en lui. Sa vie se trouve prolongée, son intelligence et ses perceptions atteignent un niveau supérieur. L'existence de tels « mutants » est un des fondements de la tradition Rose-Croix. L'alchimiste passe à un autre état de l'être. Il se trouve hissé à un autre étage de la conscience. Lui seul se découvre éveillé, et tous les autres hommes, lui semble-t-il, dorment encore. Il échappe à l'humain ordinaire, comme Mallory, sur l'Everest, disparaît, ayant eu sa minute de vérité.

« La Pierre philosophale représente ainsi le premier échelon qui peut aider l'homme à s'élever vers l'Absolu(32). Au-delà, le mystère commence. En deçà, il n'y a pas de mystère, pas d'ésotérisme, pas d'autres ombres que celles que projettent nos désirs et surtout notre orgueil. Mais, comme il est plus facile de se satisfaire d'idées et de mots que de faire quelque chose avec ses mains, sa douleur, sa fatigue, dans le silence et dans la solitude, il est aussi plus commode de chercher dans la pensée dite « pure » un refuge, que de se battre corps à corps contre la pesanteur et les ténèbres de la matière. L'alchimie interdit toute évasion de ce genre à ses disciples. Elle les laisse face à face avec la grande énigme… Elle nous assure seulement que si nous luttons jusqu'au bout pour nous dégager de l'ignorance, la vérité elle-même luttera pour nous et vaincra finalement toutes choses. Alors commencera peut-être la VRAIE métaphysique. »

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