V

Mémoire plus vieille que nous… – Où les auteurs retrouvent des oiseaux métalliques. – Histoire d'une bien curieuse carte du monde. – Des bombardements atomiques et des vaisseaux interplanétaires dans des « textes sacrés ». – Une autre idée sur les machines. – Le culte du « cargo ». – Une autre vision de l'ésotérisme. – Le sacre de l'intelligence. – Encore une histoire, s'il vous plaît.

Depuis dix ans, l'exploration du passé s'est trouvée facilitée par les nouvelles méthodes basées sur la radio-activité et par les progrès de la cosmologie. Il s'en dégage deux faits extraordinaires(44).

1° La terre serait contemporaine de l'Univers. Elle serait donc vieille d'environ 4 500 millions d'années. Elle se serait formée en même temps et peut-être avant le Soleil, par condensation des particules à froid.

2° L'homme tel que nous le connaissons, l'homo sapiens, n'existerait que depuis 75 000 ans. Cette période très courte aurait suffi pour passer du préhominien à l'homme. Ici, nous nous permettons de poser deux questions :

a) Au cours de ces 75 000 années, l'humanité a-t-elle connu d'autres civilisations techniques que la nôtre ?

Les spécialistes, en chœur, nous répondent non. Mais il n'est pas évident qu'ils sachent distinguer un instrument d'un objet dit de culte. Dans ce domaine, la recherche n'est pas même commencée. Cependant, il y a des problèmes troublants. La plupart des paléontologues considèrent les éolithes (pierres découvertes près d'Orléans en 1867) comme des objets naturels. Mais certains y voient l'œuvre de l'homme. De quel « homme » ? Autre que l'homo sapiens. On a trouvé d'autres objets à Ipswich, dans le Suffolk : ils démontreraient l'existence d'« hommes » tertiaires dans l'Europe occidentale.

b) Les expériences de Washburn et de Dice prouvent que l'évolution de l'homme a pu être causée par des modifications très triviales. Par exemple, un léger changement des os du crâne(45). Une seule mutation, et non pas, comme on l'avait cru, une conjonction complexe de mutations, aurait suffi pour passer du préhominien à l'homme.

Ainsi, en 4 500 millions d'années, une seule mutation ? C'est possible. Pourquoi serait-ce certain ? Pourquoi n'y aurait-il pas eu plusieurs cycles d'évolution avant cette soixante-quinze millième année ? D'autres formes d'humanité, ou plutôt d'autres êtres pensants ont pu apparaître et disparaître. Ils n'auraient pas laissé de traces visibles à nos yeux, mais leur souvenir persisterait dans les légendes. « Le buste survit à la cité » : leur souvenir pourrait avoir survécu aux centrales d'énergie, aux machines, aux monuments de leurs civilisations englouties. Notre mémoire remonte peut-être beaucoup plus loin que notre propre existence, que l'existence même de notre espèce. Quels enregistrements infiniment lointains se dissimulent dans nos chromosomes et nos gènes ? « D'où te vient ceci, âme de l'homme, d'où te vient ceci ?… »


Déjà, en archéologie, tout change. Notre civilisation accélère les communications, et les observations faites sur l'ensemble de la surface du globe, rassemblées, confrontées, débouchent sur de grands mystères. En juin 1958, l'institut Smithson publie les résultats obtenus par des Américains, des Indiens, des Russes(46). Dans les fouilles effectuées en Mongolie, Scandinavie, à Ceylan, près du lac Baïkal et sur le cours supérieur de la rivière Lena, en Sibérie, on découvre exactement les mêmes objets d'os et de pierre. Or, la technique de fabrication de ces objets ne se trouve plus que chez les Esquimaux. L'institut Smithson s'estime donc en mesure de conclure qu'il y a dix mille ans les Esquimaux habitaient l'Asie centrale, Ceylan et la Mongolie. Ils auraient ensuite émigré brusquement vers le Groenland. Mais pourquoi ? Comment des primitifs ont-ils pu décider brusquement, et en même temps, de quitter ces terres pour le même point inhospitalier du globe ? Comment ont-ils d'ailleurs pu le gagner ? Ils ignorent encore maintenant que la terre est ronde et n'ont aucune idée de la géographie. Et quitter Ceylan, paradis terrestre ? L'institut ne répond pas à ces questions. Nous ne prétendons pas imposer notre hypothèse et ne formulons celle-ci que comme exercice d'ouverture d'esprit : une civilisation supérieure, il y a dix mille ans, contrôle le globe. Elle crée dans le Grand Nord une zone de déportation. Or, que dit le folklore esquimau ? Il parle de tribus transportées dans le Grand Nord, à l'origine des temps, par des oiseaux métalliques géants. Les archéologues du XIXe siècle ont beaucoup insisté sur l'absurdité de ces « oiseaux métalliques ». Et nous ?

Nul travail comparable à celui de l'institut Smithson n'a encore été fait sur des objets mieux définis. Par exemple, sur les lentilles. Des lentilles optiques ont été trouvées en Irak et en Australie centrale. Proviennent-elles de la même source, de la même civilisation ? Aucun opticien moderne n'a été appelé à se prononcer. Tous les verres d'optique, depuis une vingtaine d'années, dans notre civilisation, sont polis à l'oxyde de cérium. Dans mille ans, l'analyse spectroscopique prouvera, par l'analyse de ces verres, l'existence d'une civilisation unique sur le globe. Et ce sera vrai.

Une nouvelle vision du monde passé pourrait naître d'études de ce genre. Dieu veuille que notre bouquin léger et mal documenté suscite chez quelque jeune homme encore naïf l'idée d'un travail fou qui lui donnera un jour la clef des anciennes raisons.

Il y a d'autres faits :

Sur de vastes régions du désert de Gobi, on observe des vitrifications du sol semblables à celles que produisent les explosions atomiques.

On a trouvé dans des cavernes du Bohistan des inscriptions accompagnées de cartes astronomiques représentant les étoiles dans la position qu'elles occupaient voici treize mille ans. Des lignes relient Vénus à la Terre.

Au milieu du XIXe siècle, un officier de marine turc, Piri Reis, fait cadeau à la Library of Congress d'un paquet de cartes qu'il a découvert en Orient. Les plus récentes datent de Christophe Colomb, les plus anciennes du premier siècle après Jésus-Christ, les unes copiées sur les autres. En 1952, Arlington H. Mallery, grand spécialiste de la cartographie, examine ces documents(47). Il s'aperçoit que, par exemple, tout ce qui existe en Méditerranée a été consigné, mais n'est pas en place. Ces gens pensaient-ils que la Terre est plate ? L'explication n'est pas suffisante. Ont-ils établi leur carte par projection, en tenant compte de la rotondité de la Terre ? Impossible, la géométrie projective date de Monge. Mallery confie ensuite l'étude à Walters, cartographe officiel, qui reporte ces cartes sur un globe moderne du monde : celles-ci sont exactes, non seulement pour la Méditerranée, mais pour toute la terre, y compris les Amériques et l'Antarctique. En 1955, Mallery et Walters soumettent leur travail au comité de l'année géophysique. Le comité confie le dossier au père jésuite Daniel Linehan, directeur de l'Observatoire de Weston et responsable de la cartographie de la marine américaine. Le père constate que le relief de l'Amérique du Nord, le report des lacs et des montagnes du Canada, le tracé des côtes à l'extrémité nord du continent et le relief de l'Antarctique (couvert par les glaces et décelé à grand-peine par nos instruments de mesure) sont corrects. Copies de cartes plus anciennes encore ? Tracées à partir d'observations faites à bord d'un engin volant ou spatial ? Notes prises par des visiteurs venus du Dehors ?

Nous reprochera-t-on de poser ces questions ? Le Popol Vuh, livre sacré des Quichés d'Amérique, parle d'une civilisation infiniment ancienne qui connaissait les nébuleuses et tout le système solaire. « Ceux de la première race, lit-on, étaient capables de tout savoir. Ils examinaient les quatre coins de l'horizon, les quatre points de l'arche du ciel et la face ronde de la Terre. »


« Quelques-unes de ces croyances et légendes que l'Antiquité nous a léguées sont si universellement et si profondément enracinées, que nous avons pris l'habitude de les considérer comme presque aussi vieilles que l'humanité elle-même. Or, on est porté à rechercher jusqu'où la conformité de plusieurs de ces croyances et légendes est un effet du hasard, ou bien jusqu'où elle pourrait être le reflet de l'existence d'une ancienne civilisation, totalement inconnue et insoupçonnée, et dont tout autre vestige aurait disparu. »

L'homme qui, en 1910, écrivait ces lignes, n'était ni un écrivain de science-fiction, ni un vague occultiste. C'était un des pionniers de la science, le professeur Frédéric Soddy, prix Nobel, découvreur des isotopes et des lois de transformation de radio-activité naturelle(48).

L'Université d'Oklahoma a publié en 1954 les annales de tribus indiennes du Guatemala, datant du XVIe siècle. Récits fantastiques, apparitions d'êtres légendaires, mœurs imaginaires de dieux. Or, en y regardant de plus près, on s'est aperçu que les Indiens cackchiquels ne racontaient pas d'histoires folles : ils mentionnaient à leur manière leurs premiers contacts avec les envahisseurs espagnols. Ces derniers prenaient place, dans l'esprit des « historiens » cackchiquels, aux côtés des êtres appartenant à leur mythologie et à leur tradition. Ainsi le réel se trouvait-il dépeint sous l'aspect fabuleux, et il est hautement probable que des textes considérés comme purement folkloriques ou mythologiques reposent sur des faits réels mal interprétés et intégrés à d'autres faits, ceux-ci imaginaires. Le partage n'a pas été fait et toute une littérature plusieurs fois millénaire repose dans nos bibliothèques spécialisées sur les rayons « légendes » sans que personne veuille un instant songer qu'il s'y cache peut-être des chroniques enluminées d'événements véritables.

Ce que nous savons de la science et de la technique modernes devrait pourtant nous faire lire d'un autre œil cette littérature. Le livre de Dzyan parle de « maîtres à la face éblouissante » qui abandonnent la Terre, retirant leurs connaissances aux hommes impurs, effaçant par désintégration les traces de leur passage. Ils s'en vont en chars volants, mus par la lumière, rejoindre leurs pays « de fer et de métal ».

Dans une récente étude de la Literatournaya Gazeta(49), le professeur Agrest, qui admet l'hypothèse d'une visite ancienne de voyageurs interplanétaires, retrouve parmi les premiers textes introduits dans la Bible par les prêtres juifs, les souvenirs d'Êtres venus d'ailleurs qui, tel Enoch, disparaissaient pour remonter au ciel dans des arches mystérieuses. Les ouvrages sacrés hindous, le Ramayana et le Maha Bhratra, décrivent les aéronefs qui circulèrent dans le ciel, à l'origine des temps, et qui ressemblaient « à des nuages azurés en forme d'œuf ou de globe lumineux ». Ils pouvaient faire plusieurs fois le tour de la Terre. Ils étaient actionnés « par une force éthérée qui frappe le sol au départ », ou « par une vibration émanant d'une force invisible ». Ils émettaient des « sons doux et mélodieux », irradiaient en « brillant comme du feu » et leur trajectoire n'était pas droite, mais apparaissait comme « une longue ondulation les rapprochant ou les éloignant de la Terre ». La matière de ces engins est définie, dans ces ouvrages vieux de plus de trois mille ans et sans doute écrits sur des souvenirs infiniment plus lointains, comme étant composée de plusieurs métaux, les uns blancs et légers, les autres rouges.

Dans le Mausola Purva, cette singulière description, incompréhensible pour des ethnologues du XIXe siècle, certes, mais non plus pour nous :

« C'est une arme inconnue, une foudre de fer, gigantesque messager de la mort, qui réduisit en cendres tous les membres de la race des Vrishnis et des Andhakas. Les cadavres brûlés n'étaient même pas reconnaissables. Les cheveux et les ongles tombaient, les poteries cassaient sans cause apparente, les oiseaux devenaient blancs. Au bout de quelques heures, toute nourriture était malsaine. La foudre se réduisit en fine poudre. »

Et ceci :

« Cukra, volant à bord d'un vimana à haute puissance, lança sur la triple cité un projectile unique chargé de la puissance de l'Univers. Une fumée incandescente, semblable à dix mille soleils, s'éleva dans sa splendeur. Lorsque le vimana eut atterri, il apparut comme un splendide bloc d'antimoine posé sur le sol… »

Objection : si vous admettez l'existence de civilisations aussi fabuleusement avancées, comment expliquez-vous que les innombrables fouilles, sur le globe tout entier, n'ont jamais amené au jour un seul reste d'objets susceptibles de nous faire croire à cette existence ?

Réponses :

1° Il n'y a guère plus d'un siècle que l'on fouille systématiquement, et notre civilisation atomique n'a pas vingt ans. Aucune exploration archéologique sérieuse de la Russie du Sud, de la Chine, de l'Afrique centrale et de l'Afrique du Sud n'a encore été faite. D'immenses terres gardent leur passé secret.

2° Il a fallu qu'un ingénieur allemand, Wilhelm König, visite par hasard le musée de Bagdad pour s'apercevoir que des pierres plates trouvées en Irak, et classées comme telles, étaient en réalité des piles électriques, utilisées deux mille ans avant Galvani. Les musées d'archéologie regorgent d'objets classés « objets de culte » ou « divers » sur lesquels nul ne sait rien. Les Russes ont récemment découvert dans des cavernes du Gobi et du Turkestan des demi-sphères en céramique ou en verre, terminées par un cône contenant une goutte de mercure. De quoi s'agit-il ? Enfin, peu d'archéologues ont des connaissances scientifiques et techniques. Moins encore sont à même de se rendre compte qu'un problème technique peut être résolu de plusieurs façons différentes et qu'il y a des machines qui ne ressemblent pas à ce que nous appelons des machines : sans bielle, manivelles, ni rouages. Quelques lignes tracées avec une encre spéciale sur du papier préparé constituent un récepteur d'ondes électromagnétiques. Un simple tube de cuivre sert de résonateur lors de la production d'ondes radar. Un diamant est un détecteur sensible à la radiation nucléaire et cosmique. Des enregistrements complexes peuvent être contenus dans des cristaux. Des bibliothèques entières sont-elles enfermées dans des petites pierres taillées ? Si, dans mille ans, notre civilisation s'étant effacée, des archéologues retrouvaient des bandes magnétiques, par exemple, qu'en feraient-ils ? Et comment verraient-ils une différence entre une bande vierge et une bande enregistrée ?

Aujourd'hui, nous sommes sur le point de découvrir les secrets de l'antimatière et de l'antigravitation. Demain, le maniement de ces secrets exigera-t-il un appareillage lourd, ou tout au contraire d'une confondante légèreté ? En se développant, la technique ne complique pas, elle simplifie, réduit l'équipement jusqu'à rendre celui-ci presque invisible. Dans son livre, Magie chaldéenne, Lenormand, reprenant une légende qui rappelle le mythe d'Orphée, écrivait : « Dans les temps anciens, les prêtres d'On, grâce à des sons, suscitaient des tempêtes et soulevaient dans les airs, pour construire leurs temples, des pierres que mille hommes n'eussent pu déplacer. » Et Walter Owen : « Les vibrations sonores sont des forces… La création cosmique est soutenue par des vibrations qui pourraient également la suspendre. » Cette théorie n'est pas éloignée des conceptions modernes. Demain sera fantastique : tout le monde le sait. Mais il le sera peut-être doublement, nous arrachant à l'idée qu'hier était banal.


Nous avons de la Tradition, c'est-à-dire de l'ensemble des textes les plus anciens de l'humanité, une conception toute littéraire, religieuse, philosophique. Et s'il s'agissait d'immémoriaux souvenirs, consignés par des gens fort éloignés du temps où se déroulaient les événements, transposant, enluminant ? D'immémoriaux souvenirs de civilisations techniquement, scientifiquement aussi avancées, sinon infiniment, plus que la nôtre ? Que dit la Tradition, vue sous cet aspect ?

Tout d'abord, que la science est dangereuse. Cette idée pouvait surprendre un homme du XIXe siècle. Nous savons maintenant qu'il a suffi de deux bombes sur Nagasaki et Hiroshima pour tuer 300 000 personnes, que ces bombes sont d'ailleurs fort périmées, et qu'un projectile au cobalt de cinq cents tonnes pourrait effacer la vie sur la plus grande partie du monde.

Ensuite, qu'il peut y avoir des contacts avec des êtres non terrestres. Absurdité pour le XIXe siècle, non plus pour nous. Il n'est plus impensable qu'il existe des univers parallèles au nôtre, avec lesquels la communication pourrait s'établir(50). Les radiotélescopes reçoivent des ondes émises à dix milliards d'années-lumière, modulées de telle façon qu'elles ressemblent à des messages. L'astronome John Krauss, de l'Université d'Ohio, assure avoir capté, le 2 juin 1956, des signaux en provenance de Vénus. D'autres signaux, en provenance de Jupiter, auraient été reçus à l'Institut de Princeton.

Enfin, la Tradition assure que tout ce qui s'est passé, depuis le début des temps, a été enregistré dans la matière, dans l'espace, dans les énergies, et peut être révélé. C'est exactement ce que dit un grand savant comme Bowen dans son ouvrage L'exploration du Temps, et c'est une pensée aujourd'hui partagée par la plupart des chercheurs.

Nouvelle objection : une haute civilisation technique et scientifique ne disparaît pas entièrement, ne s'anéantit pas complètement.

Réponse : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles. » Ce sont justement les techniques les plus évoluées qui risquent d'entraîner la disparition totale de la civilisation dont elles sont nées. Imaginons notre propre civilisation dans un proche futur. Toutes les centrales d'énergie, toutes les armes, tous les émetteurs et récepteurs de télécommunications, tous les appareils d'électricité et de nucléonique, bref, tous les instruments technologiques se trouvent basés sur le même principe de production d'énergie. À la suite de quelque réaction en chaîne, tous ces instruments, gigantesques ou de poche, explosent. Tout le potentiel matériel et la plus grande partie du potentiel humain d'une civilisation disparaît. Ne restent que les choses qui ne témoignent pas de cette civilisation, que les hommes qui vivaient plus ou moins à l'écart de celle-ci. Les survivants retombent à la simplicité. Ne demeurent que des souvenirs, consignés après la catastrophe de façon maladroite : des récits d'apparence légendaire, mythique, où passe le thème de l'expulsion d'un paradis terrestre et le sentiment qu'il y a de grands dangers, de grands secrets cachés au sein de la matière. Tout recommence, à partir de l'Apocalypse : « La lune devint comme du sang et les cieux se refermèrent comme un rouleau de parchemin… »


Des patrouilles du gouvernement australien, s'aventurant en 1946 dans les hautes terres incontrôlées de la Nouvelle-Guinée, trouvèrent là des peuplades remuées par un grand vent d'excitation religieuse : le culte du « cargo » venait de naître. Le « cargo » est un terme anglais qui désigne les marchandises commerciales à destination des indigènes : boîtes de conserve, bouteilles d'alcool, lampes à paraffine, etc. Pour ces hommes encore à l'âge de pierre, le soudain contact avec de telles richesses ne pouvait être que bouleversant. Mais les hommes blancs pouvaient-ils avoir fabriqué eux-mêmes de telles richesses ? Impossible. Les Blancs que l'on voit sont de toute évidence incapables de faire naître de leurs doigts un objet merveilleux. Soyons positifs, se disaient à peu près les indigènes de Nouvelle-Guinée : avez-vous jamais vu un homme blanc fabriquer quelque chose ? Non, mais les Blancs se livrent à de très mystérieuses activités : ils s'habillent tous de la même façon. Parfois, ils s'assoient devant une boîte de métal sur laquelle il y a des cadrans et écoutent des bruits bizarres qui en sortent. Ils font des signes sur des feuilles blanches. Ce sont là des rites magiques, grâce auxquels ils obtiennent des dieux que ceux-ci leur envoient le « cargo ». Les indigènes se mirent donc à tenter de copier ces « rites » : ils essayèrent de se vêtir à l'européenne, parlèrent dans des boîtes de conserve, dressèrent des tiges de bambous au-dessus de leurs cases, à l'imitation des antennes. Et ils construisirent de fausses pistes d'atterrissage, dans l'attente du « cargo ».

Bien. Et si nos ancêtres avaient interprété de cette manière leurs contacts avec des civilisations supérieures ? Il nous resterait la Tradition, c'est-à-dire l'enseignement de « rites » qui étaient en réalité des manières très légitimes d'agir en fonction de connaissances autres. Nous aurions imité enfantinement des attitudes, des gestes, des manipulations, sans les comprendre, sans les relier à une réalité complexe qui nous échappait, dans l'attente que ces gestes, ces attitudes, ces manipulations, nous apportent quelque chose. Quelque chose qui ne vient pas : une manne « céleste », en vérité acheminée par des voies que notre imagination ne pouvait concevoir. Il est plus facile de tomber dans le rituel que d'accéder à la connaissance, plus facile d'inventer des dieux que de comprendre des techniques. Ceci dit, j'ajoute que ni Bergier ni moi-même n'entendons ramener tout élan spirituel à une ignorance matérielle. Bien au contraire. Pour nous, la vie spirituelle existe. Si Dieu dépasse toute réalité, nous trouverons Dieu quand nous aurons connu toute réalité. Et s'il y a dans l'homme des pouvoirs qui lui permettent de comprendre tout l'Univers, Dieu est peut-être tout l'Univers, plus autre chose.

Mais poursuivons notre exercice d'ouverture de l'esprit : si ce que nous appelons l'ésotérisme n'était en fait qu'un exotérisme ? Si les plus vieux textes de l'humanité, sacrés à nos yeux, n'étaient que des traductions abâtardies, des vulgarisations hasardeuses, des rapports de troisième main, des souvenirs quelque peu faussés de réalités techniques ? Nous interprétons ces vieux textes sacrés comme s'ils étaient de toute évidence l'expression de « vérités » spirituelles, de symboles philosophiques, d'images religieuses. C'est que, les lisant, nous ne nous référons qu'à nous-mêmes, hommes occupés par notre petit mystère intérieur : j'aime le bien et fais le mal, je vis et vais mourir, etc. Ils s'adressent à nous : ces engins, ces foudres, ces mannes, ces apocalypses sont des représentations du monde de notre esprit et de notre âme. C'est à moi que l'on parle, à moi, pour moi… Et s'il s'agissait de lointains souvenirs déformés d'autres mondes qui ont existé, du passage sur cette terre d'autres êtres qui cherchaient, qui savaient, qui faisaient ?

Imaginez un temps très ancien où les messages en provenance d'autres intelligences dans l'Univers étaient captés et interprétés, où des visiteurs interplanétaires avaient installé un réseau sur la Terre, où un trafic cosmique avait été établi. Imaginez qu'il existe encore, dans quelque sanctuaire, des notes, des diagrammes, des rapports, déchiffrés avec peine, au cours des millénaires, par des moines détenteurs des secrets anciens, mais nullement qualifiés pour comprendre ces secrets dans leur totalité, n'ayant cessé d'interpréter, d'extrapoler. Exactement comme pourraient faire des sorciers de Nouvelle-Guinée essayant de comprendre une feuille de papier sur laquelle sont inscrit les horaires des avions entre New York et San Francisco. À la limite, vous avez le livre de Gurdjieff : Récits de Belzébuth à son petit Fils, plein de références à des concepts inconnus, à un langage invraisemblable. Gurdjieff dit qu'il a eu accès à des « sources ». Des sources qui ne sont elles-mêmes que des déviations. Il fait une traduction de millième main, y ajoutant ses idées personnelles ; construisant une symbolique du psychisme humain : voilà l'ésotérisme.

Un prospectus-guide des lignes d'aviation intérieures des U.S.A. : « Vous pouvez retenir votre place n'importe où. Cette demande de réservation est enregistrée par un robot électronique. Un autre robot vous retient la place sur l'avion que vous désirez. Le billet qui vous sera remis sera perforé selon, etc. » Songez à ce que cela donnerait à la millième traduction en dialecte amazonien, faite par des gens qui n'ont jamais vu un avion, ignorent ce qu'est un robot et ne connaissent pas les noms des villes citées dans ce guide. Et, maintenant, imaginez l'ésotérisme devant ce texte, remontant aux sources de la sagesse ancienne et cherchant un enseignement pour la conduite de l'âme humaine…


S'il y a eu, dans la nuit des temps, des civilisations bâties sur un système de connaissances, il y a eu des manuels. Les cathédrales seraient des manuels de la connaissance alchimique. Il n'est pas exclu que certains de ces manuels, ou des fragments, aient été retrouvés, pieusement conservés et indéfiniment recopiés par des moines dont la tâche était moins de comprendre que de sauvegarder. Indéfiniment recopiés, enluminés, transposés, interprétés, non en fonction de ces connaissances anciennes, hautes et complexes, mais en fonction du peu de savoir de l'âge suivant. Mais en fin de compte, toute réelle connaissance technique, scientifique, poussée à son extrémité, entraîne une connaissance profonde de la nature de l'esprit, des ressources du psychisme, introduit à un état supérieur de conscience. Si, à partir des textes « ésotériques », – même s'ils ne sont que ce que nous en disons ici – des hommes ont pu remonter vers cet état supérieur de conscience, ils ont, d'une certaine manière, renoué avec la splendeur des civilisations englouties. Il n'est pas exclu non plus qu'il y ait deux sortes de « textes sacrés » : fragments de témoignages d'une ancienne connaissance technique, et fragments de livres purement religieux, inspirés par Dieu. Les deux seraient confondus, faute de références permettant de les distinguer. Et il s'agit bien, dans les deux cas, de textes également sacrés.

Sacrée est l'aventure indéfiniment recommencée et pourtant indéfiniment progressive de l'intelligence sur Terre. Et sacré est le regard de Dieu sur cette aventure, le regard sous lequel se trouve tenue cette aventure.

Voulez-vous nous permettre de terminer cette étude, ou plutôt cet exercice, sur une histoire ? C'est le récit d'un jeune écrivain américain, Walter M. Miller. Quand nous le découvrîmes, Bergier et moi, nous éprouvâmes une profonde jubilation. Puisse-t-il en être ainsi pour vous !

Загрузка...