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Les inspecteurs Roland Dimonte et Kevin Krinsky de la brigade criminelle ont été les premiers à arriver sur place, avant même leurs collègues en uniforme. Dimonte, un homme aux cheveux gras qui arborait une vilaine paire de bottes en peau de serpent et mâchonnait un cure-dent archi-usé, a pris les choses en main. Il a aboyé des ordres. Le lieu du crime a été instantanément placé sous scellés. Quelques minutes plus tard, les techniciens de la police scientifique ont débarqué discrètement et se sont répandus dans tous les recoins.

— Isolez les témoins, a exigé Dimonte.

Il n'y en avait que deux: le mari et l'espèce d'hurluberlu en noir. Le mari, a noté Dimonte, paraissait en état de choc, mais ça pouvait être de la comédie. De toute façon, le principal d'abord.

Sans cesser de mâchonner son cure-dent, Dimonte a pris l'hurluberlu — Arturo de son nom — à part. Le gamin était pâle. Normalement, Dimonte aurait soupçonné la drogue, sauf qu'il avait vomi tripes et boyaux après avoir découvert le corps.

— Ça va? a dit Dimonte.

Comme si ça l'intéressait.

Arturo a hoché la tête.

Dimonte lui a demandé s'il s'était récemment passé quelque chose d'inhabituel concernant la victime. Oui, a répondu Arturo. Et quoi donc? Rebecca avait reçu un coup de fil, la veille, qui l'avait perturbée. De la part de qui? Il ne savait pas, mais une heure plus tard — ou peut-être moins, Arturo n'était pas sûr — un homme est venu la voir. Quand il est reparti, Rebecca était à ramasser à la petite cuillère.

Vous souvenez-vous du nom de cet homme?

— Beck, a lâché Arturo. Elle l'a appelé Beck.


Shauna a mis les draps de Mark dans le sèche-linge. Linda s'est approchée par-derrière.

— Il recommence à faire pipi au lit, a dit Linda.

— Mon Dieu, que tu es perspicace.

— Ne sois pas méchante.

Linda s'est éloignée. Shauna a ouvert la bouche pour s'excuser, mais aucun son n'en est sorti. Quand elle était partie de la maison pour la première fois — la seule et unique fois —, Mark avait mal réagi. C'avait commencé par le pipi au lit. Après que Linda et elle s'étaient rabibochées, le problème d'incontinence avait été réglé. Jusqu'à aujourd'hui.

— Il sait ce qui se passe, a commenté Linda. Il sent la tension.

— Que veux-tu que j'y fasse?

— Tout ce qui est de notre devoir.

— Je ne partirai plus. J'ai promis.

— Manifestement, ça ne suffit pas.

Shauna a jeté une plaquette d'adoucissant dans le sèche-linge. Ses traits accusaient la fatigue. Elle n'avait pas besoin de ça. Elle était top model et ne pouvait donc se permettre d'arriver au boulot avec des poches sous les yeux ou le cheveu terne.

Elle en avait marre. Marre des corvées domestiques, qui ne lui réussissaient guère. Marre de la pression exercée par toutes ces fichues bonnes âmes. C'était facile d'appeler à la tolérance. Mais la pression que subissait un couple de lesbiennes avec enfant — de la part d'un entourage soi-disant bienveillant — se révélait plus qu'étouffante. Si leur relation échouait, c'était l'échec de l'homosexualité en général, ou autres conneries du même genre, comme si les couples hétéros ne se séparaient jamais. Shauna n'était pas une militante. Elle le savait. Égoïste ou non, elle n'allait pas sacrifier son bonheur sur l'autel d'une « grande cause ». Elle se demandait si Linda ressentait la même chose.

— Je t'aime, a soufflé Linda.

— Moi aussi, je t'aime.

Elles se sont dévisagées. Mark était en train de refaire pipi au lit. Shauna n'était pas prête à se sacrifier pour une grande cause. Mais pour Mark, si.

— Alors, qu'est-ce qu'on fait? a demandé Linda.

— On va trouver une solution.

— Tu crois qu'on peut?

— Tu m'aimes?

— Bien sûr que oui.

— Tu trouves toujours que je suis le plus excitant, le plus merveilleux spécimen de la Création?

— Oh oui! a dit Linda.

— Moi aussi.

Shauna lui a souri.

— Je suis une emmerdeuse nombriliste.

— Oh, que oui!

— Mais je suis ton emmerdeuse nombriliste.

— Bien vu.

Shauna s'est rapprochée.

— Je ne suis pas faite pour une vie stable. Trop versatile.

— Tu es sexy en diable quand tu es versatile.

— Et même quand je ne le suis pas.

— Ferme-la et embrasse-moi.

La sonnerie de l'interphone a retenti. Linda a regardé Shauna. Shauna a haussé les épaules. Linda a pressé le bouton:

— Oui?

— Linda Beck?

— Qui est-ce?

— Ici l'agent Kimberly Green, du FBI. Je suis avec mon collègue, l'agent Rick Peck. Nous aimerions vous poser quelques questions.

Sans laisser à Linda le temps de répondre, Shauna s'est penchée en avant.

— Le nom de notre avocate est Hester Crimstein, a-t-elle crié dans l'interphone. Vous n'avez qu'à la contacter.

— Vous n'êtes soupçonnées d'aucun crime. Nous voulons simplement vous poser des questions…

— Hester Crimstein, a interrompu Shauna. Je suis sûre que vous avez son numéro. Passez une excellente journée.

Elle a lâché le bouton. Linda s'est étonnée.

— C'est quoi, cette histoire?

— Ton frère a des ennuis.

— Comment?

— Assieds-toi, a fait Shauna. Il faut qu'on parle.


Raïssa Markov, la garde-malade en charge du grand-père du Dr Beck, a ouvert la porte. Les agents fédéraux Carlson et Stone, qui travaillaient désormais main dans la main avec les inspecteurs de police Dimonte et Krinsky, lui ont remis le document.

— Mandat de perquisition, a annoncé Carlson.

Raïssa s'est écartée sans réagir. Elle avait grandi en Union soviétique. Les exactions policières ne l'impressionnaient pas.

Huit hommes de Carlson se sont dispersés à travers la maison.

— Je veux que tout soit filmé! a crié Carlson. Sans faute.

Ils se dépêchaient, dans l'espoir de prendre une demi-longueur d'avance sur Hester Crimstein. Carlson savait que Crimstein, comme bon nombre de ténors du barreau de l'après-O. J. Simpson, se raccrochait aux thèses de l'incompétence et/ou des brutalités policières tel un plaideur à bout d'arguments. Lui-même n'étant pas tombé de la dernière pluie, il n'avait pas l'intention de se laisser faire. Chaque pas/mouvement/souffle serait répertorié, preuves à l'appui.

Au début, quand Carlson et Stone avaient fait irruption dans le studio de Rebecca Schayes, Dimonte n'avait pas été ravi de les voir. Il y avait eu le bras de fer habituel entre police locale et agents fédéraux. Le FBI et les forces de l'ordre ont peu de choses en commun, surtout dans une métropole comme New York.

Mais parmi ces choses-là figurait Hester Crimstein.

Les deux camps savaient qu'elle était passée maîtresse dans l'art de l'embrouille et de la médiatisation à outrance. Le monde aurait les yeux braqués sur eux. Personne n'avait envie de se ramasser. C'était une motivation suffisante. Ils avaient donc conclu une alliance fiable comme une poignée de main israélo-palestinienne, car à l'arrivée les deux parties avaient conscience de l'urgence à boucler l'instruction… avant que Crimstein ne vienne mettre son grain de sel.

Les agents fédéraux avaient obtenu un mandat de perquisition. Eux, il leur suffisait de traverser Federal Plaza pour frapper à la porte du tribunal fédéral. Si Dimonte et la police new-yorkaise avaient voulu en demander un, ils auraient dû s'adresser au tribunal de grande instance du New Jersey — ce qui aurait pris trop de temps, avec Hester Crimstein sur leurs talons.

— Agent Carlson!

Le cri venait du coin de la rue. Carlson s'est précipité dehors. Stone l'a suivi en se dandinant, accompagné de Dimonte et Krinsky. Au bord du trottoir, un jeune agent fédéral se tenait à côté d'une poubelle ouverte.

— Qu'est-ce que c'est? a demandé Carlson.

— Peut-être pas grand-chose, monsieur, mais… Le jeune agent a désigné une paire de gants en latex qu'on avait apparemment jetés là à la hâte.

— Embarquez-les. Je veux une analyse immédiate, pour les traces d'arme à feu.

Carlson s'est tourné vers Dimonte. C'était le moment de resserrer la collaboration — cette fois, par le biais de la compétition.

— Combien de temps ça va prendre dans votre labo?

— Une journée, a estimé Dimonte.

Il avait dans la bouche un cure-dent tout neuf, qu'il mastiquait avec application.

— Peut-être deux.

— Ça n'ira pas. Il va falloir qu' on expédie les échantillons à notre labo de Quantico.

— Des clous, a grincé Dimonte.

— On s'était mis d'accord pour faire au plus vite.

— Le plus vite, c'est ici, a assuré Dimonte. Je m'en occupe.

Carlson a hoché la tête. C'était à prévoir. Si vous voulez que la police locale se charge d'une enquête toutes affaires cessantes, menacez de la lui retirer. La compétition avait du bon.

Une demi-heure plus tard, ils ont entendu un autre cri, provenant cette fois du garage. À nouveau, ils se sont précipités dans cette direction.

Stone a sifflé tout bas. Dimonte a ouvert de grands yeux. Carlson s'est baissé pour mieux voir.

Là, dans une poubelle de recyclage, sous une pile de journaux, il y avait un pistolet, un neuf millimètres. Il suffisait de le renifler pour savoir qu'il avait servi récemment.

Stone a pivoté vers Carlson. Après s'être assuré que son sourire était hors caméra.

— On le tient, a-t-il dit doucement.

Carlson n'a pas répondu. Il a regardé le technicien ensacher l'arme. Et, tout en réfléchissant, il s'est mis à froncer les sourcils.

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