3 Au fil du rasoir

J’ai grandi en bande, incapable de me suffire à moi-même, plus apte au partage qu’à l’accumulation. L’amitié a toujours été une protection, un refuge, la chaleur face au grand froid. De cet amour lent et sans enjeux, je tire mes plus beaux rires, mes plus sauvages équipées, des éclats de vie qui bâtissent les regards francs. Certains de mes amis sont restés à Rennes, d’autres ont migré à Paris ou ailleurs. Depuis trente ans, nous nous voyons avec un plaisir intact. Si l’union fait la force, la nôtre est pacifique, bienveillante, sans esprit de compétition et en gardant le sens de l’humour, au cas où l’un de nous se prendrait trop au sérieux. Nous partions en moto tous les étés, faisions les quatre cents coups le long des routes pour collectionner les souvenirs, les aventures pendables, absurdes, rock disait-on, puisque la musique nous avait vus pousser.

J’étais pourtant foutument seul avec mes rêves d’écrivain. Condamné à chercher dans les livres des guides ou des figures emblématiques, un exemple à suivre (ou non), les biographies tenaient une place prépondérante dans mon imaginaire. Le pied de nez de Romain Gary quand, taxé d’écrivain populaire (une insulte visiblement), il s’était caché sous le pseudo d’Émile Ajar pour décrocher un deuxième Goncourt (La Vie devant soi, pur chef-d’œuvre d’inventivité), les mille vies de Kessel, toujours au bon endroit au bon moment de l’Histoire pour en tirer des récits fabuleux avec l’amitié comme fer de lance, les excès de Brel, les réinventions de Bowie, la mégalomanie et la curiosité d’Alexandre le Grand, René Char, poète résistant contraint de tuer pour sauver ses camarades, l’honneur inflexible de Jean Moulin, les amours contrariées de Nietzsche et ses migraines effroyables qui le contraignirent à écrire Le Gai Savoir à la pénombre d’une bougie, l’humeur bancale de Ferré dont les orchestrations ronflantes ne valaient pas le verbe, Mermoz le bouffeur de vie allant en toute conscience au-devant de sa mort, toutes ces lectures me faisaient rêver et réfléchir au chemin que je prendrais en tant qu’homme et qu’écrivain.

Dans ce Panthéon héroïque, Lawrence d’Arabie occupait une place de choix.

Anglais à la sexualité controversée, maigrelet doté d’un courage exceptionnel, ce diable de T.E. Lawrence avait le grain de folie qu’il fallait pour se jeter dans les pires entreprises, risquant tout, tout le temps, avec un humour typiquement british qui rappelait les jeunes pilotes de la RAF — ces soi-disant bons à rien qui avaient sauvé la démocratie européenne en repoussant la Luftwaffe sous le regard de la population, venue sur la côte assister aux combats aériens en profitant du soleil de l’été 1940, un gin-tonic à la main.

Son goût pour la liberté et son destin tragique firent de Lawrence un personnage hautement romanesque : bâtard d’aristocrate, amoureux d’une femme promise à son frère, très vite tué dans les tranchées, envoyé comme militaire au Caire au service cartographie (Lawrence avait fait un tour de France des cathédrales à vélo), le jeune officier avait trompé son monde et fomenté une révolte arabe contre les Turcs, pour aider non pas tant les Anglais à gagner la guerre que les Arabes leur indépendance.

Au-delà de son audace, ses fêlures procédaient parfois du masochisme, voire du suicidaire : violé par ses geôliers à Deraa lors d’une mission de reconnaissance dans la ville garnison de l’ennemi turc qui avait mis sa tête à prix, Lawrence a pu traverser les déserts les plus arides en survivant à ses guides bédouins, conduire une moto pendant cent kilomètres avec le bras cassé au milieu des nids-de-poule des routes anglaises de l’époque — qui d’ailleurs lui seront fatales.

Lawrence se faisait payer chaque honte ou faiblesse au prix fort : ayant le sentiment d’avoir trahi ses amis arabes après le partage de leur territoire entre la France et l’Angleterre, le jeune héros demandait à recevoir des coups de fouet plutôt que de l’amour pour expier ses remords…

Même si j’avais troqué mes lames de rasoir pour un stylo, je me sentais étrangement proche du personnage. Notre petit gabarit nous obligeant à en faire deux fois plus que les autres, notre moteur était à explosions multiples où l’ironique et le tragique semblaient tenir le manche. Blessé dans la chair, acculé au fracas des douleurs muettes, j’étais pris comme Lawrence entre l’écorchure et la caresse d’une vie guère destinée à durer. Ou l’image qu’on s’en fait. Une envie d’aventures, quoi qu’il arrive, pour s’oublier.

Je décidai ainsi de suivre ses traces, prendre comme Lawrence Aqaba par la terre depuis le désert du Wadi Rum, où il avait entraîné les tribus bédouines pour attaquer à revers la garnison turque qui tenait l’embouchure stratégique de la mer Rouge. Un rêve de désert, convoité depuis longtemps. Ne me manquait plus qu’à trouver un équipier pour l’aventure…


Tous ne laissent pas la même empreinte, mais parmi mes voyages initiatiques, celui que je fis en Israël et en Jordanie fut l’un des plus vains, parfois lamentable, toujours drôle.

J’avais rencontré Craint-Blanc en seconde au lycée de Rennes. Anxieux de nature, sa peau blanche redoutant le soleil, Craint-Blanc avait de fortes tendances hypocondriaques, prenait des comprimés pour passer les saisons, vendait des produits pharmaceutiques pour gagner sa vie (on n’est jamais mieux servi que par soi-même), se marierait plus tard avec une pharmacienne (service à domicile), mais supportait ses angoisses en riant : c’était d’ailleurs notre principale activité lorsque nous étions ensemble, ce qui à mes yeux effaçait ses défauts de fabrication.

Dix ans plus tard Craint-Blanc n’avait jamais dépassé Laval, soixante kilomètres plus à l’est, mais je lui vendis si bien mon projet de désert qu’il accepta le cœur battant. Mon équipier n’avait jamais pris l’avion, parlait anglais comme un Malien de six ans, ses seuls contacts avec la culture étrangère se résumaient aux Allemands de La Grande Vadrouille, c’était l’occasion ou jamais de se lancer sur les traces de Lawrence…

Sauf que ce que je ne savais pas, c’est que je partais en voyage avec un psychopathe.

En Israël, Craint-Blanc réussit à :

— jeter son billet de retour et son passeport dans une poubelle proche de l’arrêt de bus de l’aéroport de Tel-Aviv, où nous venions à peine de débarquer ;

— égarer mystérieusement notre guide du pays, feuilleté dans ledit bus ;

— se perdre dans la vieille ville de Jérusalem lors de sa seule promenade en solitaire (je le retrouvai par hasard dans l’arrière-boutique de vendeurs de tapis devant un thé à la menthe et un pétard de haschich, ce n’est pas ça qui allait l’aider à regagner l’hôtel par ses propres moyens) ;

— se faire draguer par un jeune et élégant curé lors de la visite du tombeau du Christ (nous dûmes fuir quand celui-ci proposa de nous montrer les églises de la ville).

En Jordanie, Craint-Blanc ne s’arrêta pas en si bon chemin, il s’appliqua à :

— boire d’un trait, avec avidité et jusqu’à la dernière goutte, notre unique gourde d’eau alors que nous quittions à pied le village de Wadi Rum pour rejoindre la route principale, onze kilomètres plus loin dans le désert (j’avais eu la mauvaise idée de lui dire qu’il fallait économiser l’eau pour le trajet mais ma soif ne l’intéressait pas, et le concernait encore moins, ce qui comptait c’était de boire tout, tout de suite, de peur de mourir déshydraté) ;

— goûter de l’houmous et attraper une terrible déripette qui le cloua au lit tandis que je visitais le site de Petra (Craint-Blanc voulut se faire rapatrier sanitaire mais je ne cédai pas) ;

— se faire caresser la nuque par un gros moustachu alors que nous dînions dans la cuisine commune d’un hôtel miteux, autochtone qui se cacha dans le couloir du dortoir voisin, l’attendant pour partager sa couche (« Il est là, putain ! Il est là, collé contre le mur ! Et il me fait ça ! » mimait Craint-Blanc, son index crochetant l’air à hauteur de son nez, un signe universel qui voulait dire : « Viens… Viens par ici mon mignon… ») ;

— perdre nos clés de voiture dans la mer Morte, toutes nos affaires enfermées dans l’habitacle, nous laissant seuls sous le soleil du désert du Néguev en maillot de bain (le type qui finit par ouvrir la boutique du coin appela gracieusement l’agence de location de Tel-Aviv qui, moyennant une liasse de dollars, dépêcha un taxi à l’autre bout du désert pour nous apporter un double des clés) ;

— retrouver, grâce à la fouille suspicieuse des douaniers de l’aéroport de Tel-Aviv, notre précieux et désormais inutile guide d’Israël (dans son sac évidemment)…

On était loin des Sept Piliers de la sagesse, mais T.E. Lawrence aurait compati : lui aussi avait voyagé avec un bras cassé.

Si cette aventure en Arabie s’avéra littérairement sans lendemains, j’en tirai un solide enseignement : ce n’est pas tant où l’on va qui compte, mais avec qui.

*

Écrire et voyager occupait l’essentiel de mon temps mais j’étais toujours aussi fauché, et surtout isolé. Hormis mon ami le Libraire-qui-trouvait-ça-nul, je n’avais aucun contact avec aucun milieu artistique. À lire La Chute, Camus avait raison : personne pour vous encourager sur le chemin de votre propre liberté, aucun ami à sabrer le champagne en votre honneur, que de la solitude à ruminer le ventre à l’air.

C’est au cœur de ce désert que, naviguant entre Rennes et Paris en quête de contacts éditoriaux, je rencontrai Chevalier-Élégant : journaliste globe-trotter et futur romancier, il me fit découvrir la Ville lumière et m’encouragea à persévérer dans l’écriture, sûr de mon talent. Un allié de choix dans la période d’apprentissage que je traversais et, depuis ce jour à la terrasse d’un bistrot parisien où nous « jurâmes d’être heureux », mon compagnon d’armes le plus fidèle. Nous n’avions pas fini d’en user…

Je ne me suis jamais astreint à écrire, c’est l’écriture qui me réveille tous les matins. Dans la vingtaine, je pouvais me coucher à quatre heures, me réveiller à huit, allumer mon ordinateur au saut du lit, attendre trois minutes que le café passe, fumer ma première cigarette en me mettant à l’ouvrage, ceci jusqu’à l’heure de l’apéro où je retrouvais ma bande d’amis. « La vie d’écrivain est une éternelle gueule de bois », disais-je à l’époque. Enfin, de petits boulots pénibles en petits boulots sans intérêt, je touchai des bribes de chômage, peaufinai ce qui commençait à ressembler à un style, rasant des forêts d’écriture névrotique où mes histoires, fatalement, finissaient mal. Je progressais cependant, découvris avec Pierrot le fou des références artistiques allant de la peinture au théâtre, voyageais dès que l’occasion se présentait, tâtai du journalisme grâce à Chevalier-Élégant qui m’ouvrit ses portes parisiennes, et publiai deux premiers romans à Rennes grâce à la souscription des habitués du bar où je travaillais — Le Chien jaune, qu’Éléphant-Souriant avait monté en rentrant de Nouvelle-Zélande — et à un de ses clients, graphiste devenu éditeur pour la circonstance (les éditions Balle d’Argent publieraient une poignée d’auteurs dans la foulée).

Mon premier roman, Avec un ange sur les yeux, était inspiré de ma situation familiale — enfant de divorcés — et de la traumatique mésaventure d’Ours-Gris, un ami de la bande, qui avait vu son père quitter un jour la maison sans jamais y revenir, et découvert bien des années plus tard que le lâche avait refait sa vie avec une autre femme.

Je m’imaginai facilement dans la peau du narrateur, un écrivain trentenaire au chômage vivant reclus en bordure de la plage des Chevrets, entre Cancale et Saint-Malo, en compagnie de Marianne, une ancienne comédienne alcoolique de vingt ans son aînée. Un jour de beuverie ordinaire, le narrateur reçoit un coup de fil de son père fuyard et accepte, après des années de refus, de revoir ce pan de famille cruellement oublié. À cette occasion, il rencontre sa jeune demi-sœur, Krysia, âgée de dix-sept ans, touchante inconnue dont il tombe amoureux. Marianne découvre cet amour coupable, mais le laisse vivre sa passion malgré les embûches. Le narrateur enlève sa sœur, qu’il aime d’abord platoniquement, puis physiquement. Une histoire d’amour qui finit mal, évidemment : rattrapée par la culpabilité et le désespoir, Krysia trouvera la mort dans une forêt, un soir de tempête, en compagnie du narrateur, dévasté.

Le sujet était un peu trop ambitieux pour un écrivain de vingt-six ans, mais le personnage de l’ancienne comédienne, inspirée d’Anna Karina, était plutôt réussi, voire émouvant, et l’on trouvait quelques envolées poétiques qui — même si mon ami libraire trouvait toujours ça nul — laissaient présager de beaux lendemains.

Le second roman, Delicta mortalia (péché mortel), était un polar plus inspiré par Tarantino que Peckinpah. Grave erreur. Le ton volontiers second degré et les incessantes digressions ramenaient l’histoire pourtant échevelée à une bouffonnerie assez indigeste. J’avais la rage désordonnée, la langue dans la poche kangourou, sautant du coq à l’âne sans maîtriser le sens de la combustion qui m’animait. Nous étions en 1995. Si le résultat ne valait pas l’investissement, grâce à ce second roman édité en région, je découvris le petit monde du polar français, la camaraderie qui y régnait, glanant mes premiers contacts in vivo. Enfin, je n’étais plus seul au monde. Ma vie était à Paris, je le savais depuis ma rencontre avec Chevalier-Élégant, encore fallait-il en avoir les moyens. Et puis j’avais une femme à Rennes, un bébé dans son ventre et un trône derrière le bar d’Éléphant-Souriant.

C’est la période où je lus Le Dahlia noir de James Ellroy, la première bombe du « Quatuor de Los Angeles » : un roman dur, impitoyable et d’une noirceur sans fond. Il mettait tout dans ses livres, l’Histoire, la politique, le social, toute la violence du monde et même des histoires d’amour qui finissent mal : le roman total, écrit avec une hargne stylée digne des meilleurs auteurs.

Ellroy m’offrait une nouvelle direction artistique. Comme Bowie pour la musique, j’étais libre de m’en inspirer pour y tracer ma voie. Le décor de mon prochain roman s’imposa alors aussitôt, original, évident : la Nouvelle-Zélande.


« Il faut cinq ans pour digérer un pays », disait Joseph Kessel, l’écrivain-voyageur par excellence. C’est effectivement le temps qu’il me faudrait pour imaginer Haka. Ce roman au destin tortueux serait mon premier bon livre, je le sentis tout de suite. Dans son rythme, l’attaque des personnages, la densité de l’intrigue, j’avais l’impression d’avoir à grimper un Everest où les vents seraient de plus en plus violents à mesure que je m’approcherais du but. Un polar ambitieux, dur, avec le pays de mes amours en toile de fond.

L’écriture dura trois ans, à plein temps de RMI, du premier café du matin à l’apéro du soir.

Le héros de Haka est maori. Jack Fitzgerald, un type dur au mal, ancien activiste engagé dans la police d’Auckland pour retrouver la trace de sa femme et de sa fille, disparues mystérieusement vingt ans plus tôt. Grosse névrose, grosse colère, pour une série de grosses désillusions qui enverront Jack en enfer.

Ce qui m’excitait dans ce roman était aussi une difficulté : les Maoris.

Internet balbutiait, aucun livre traduit en français n’en parlait et, hormis les récits de Cook ou Segalen, les seuls contacts que j’avais eus avec la culture autochtone lors de mon voyage se réduisaient aux gardes-chiourmes de Roscoe et à un autre colosse de leur genre qui avait voulu braquer ma ceinture « clashienne » dans les toilettes du Cornerbar en échange d’une de ses bagues à tête de mort — j’avais fait remarquer au Maori vindicatif que ma ceinture lui ferait à peine un bracelet, si bien que la brute avait renoncé à me voler, dégoûtée (j’étais vraiment trop petit). Éléphant-Souriant et moi n’avions pu entrer dans les bars maoris sous peine de n’en jamais ressortir… En voyant L’Âme des guerriers puis en lisant les livres d’Alan Duff, je comprendrais mieux pourquoi : alcool + désœuvrement + déculturation = violence et autodestruction. Au final, les seuls Maoris à qui j’avais parlé étaient les portiers des night-clubs, ou ceux voulant me casser la gueule si j’approchais de Francesca.

Je fis donc preuve d’imagination pour décrire l’âme brisée de Jack Fitzgerald, mais moins pour les Maoris sectaires qui, dans Haka, semaient la terreur dans les banlieues d’Auckland.

On se venge comme on peut des voleurs d’amour.

Les personnages secondaires étaient inspirés de ceux que j’avais croisés en Nouvelle-Zélande, comme Kirsty, prostituée et indic de Jack, qui m’avait jeté comme le slip d’un autre après une folle nuit d’amour dans le parc situé au-dessus du Cornerbar.

La comédienne tombée dans l’alcoolisme d’Avec un ange sur les yeux se vit transposée en Helen, la femme de ménage et maîtresse plus âgée de Jack, personnage tendre et désespéré qui ne se résolvait pas à quitter son mari pompier gazé — comme le doux géant qui vivait avec la tante d’Éléphant-Souriant. Ann Waitura, la jeune criminologue qu’on mettait dans les pattes de Jack était « mieux foutue que sa gueule » (à l’instar de la Bombe-Anatomique qui n’avait pas explosé sous ecstasy), mais c’est évidemment Francesca qui m’envoya sur orbite.

Amor à mort péchait par trop de lacunes, l’écriture n’était pas au niveau, mais je tenais toujours à ce trio d’amants diaboliques : je transbordai leurs mésaventures dans le quartier chic de Ponsonby où nous avions fini notre première nuit avec Francesca, puis dans ses alentours lors de leur fuite éperdue.

Francesca devint Eva, femme fatale ne crachant pas sur un rail de poudre pour noyer son ennui, mariée au beau et retors Roscoe, « sorte de James Dean sans drame la menant à l’est de nulle part », quand John(ny) fait leur connaissance lors d’une garden-party huppée. Il porte une lame de rasoir autour du cou et est sujet à des crises d’épilepsie inquiétantes. Eva devinera plus tard que John a été agressé sexuellement pendant son adolescence, lapin pris dans les phares d’un étrange éphèbe sur une dune de son adolescence (scène arrachée aux forceps à La Fanette, une chanson de papa Brel), John devenu dealer et peintre psychotique, peignant les visages des femmes qu’il invite dans sa bicoque sur la plage isolée de Karekare, avec son propre sang… Celui de ses modèles aussi ? Il faudra la mort de Roscoe et la mise en scène du crime pour que Jack croise la route des amants terribles. John est désespéré, poétique, touchant, suicidaire, en proie à des traumatismes qu’Eva fera voler en éclats en s’offrant tout entière. Eva/Francesca aux yeux d’émeraude qui envoûte Jack, alors pris au piège de sa propre névrose, voyant en elle le visage de sa fille disparue. Un accident, une collision d’émotions contradictoires.

Débusqués par la police, qui les soupçonne à juste titre du meurtre de Roscoe, John et Eva s’enfuient jusqu’au repaire du peintre meurtrier, la plage de sable noir de Karekare, un décor à la mesure de leur tendre détresse où, après que John a réalisé le portrait d’Eva, ils pourront s’aimer enfin corps et âme et mourir, pourchassés par Jack, comme une délivrance.

Une tragédie grecque, dévastatrice, un cri d’amour qui me traverse encore : mon Haka pour Francesca.


Je ne l’ai jamais revue. Mais lorsque je suis revenu plus tard à Auckland, j’ai appris que Francesca avait vécu avec un tueur qui, après quelques mauvais coups, avait failli l’entraîner en prison comme complice de meurtre : elle avait échappé de peu à son funeste destin et, depuis, Francesca était devenue peintre…

John. Eva.

Au fil du rasoir, ma sœur de sang.

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