Bien avant Copenhague, j’avais appris l’existence de l’école psychiatrique d’antipsychiatrie, qui m’avait fait des offres. Les psychiatres de cette tendance affirment que si l’on instaurait une société différente, avec des familles différentes, les cas, « comme le vôtre » – et je cite – ainsi que des millions d’autres du même genre humain, deviendraient impossibles. Je les comprends très bien, les antipsychiatres : ils en ont marre des cas comme les nôtres, et ils veulent changer de cas. Ils ont besoin de renouvellement. Ils veulent changer la société pour changer de cas-cas. Ici, j’éclate d’un rire maniaque – hi ! hi ! hi – parce que s’il y a une chose dont les mots ont horreur, c’est les jeux de mots : ça les débusque. Enlevez aux mots leur sérieux, leur creux et leur pseudo-pseudo et ils sont menacés de santé et de bonnes joues fraîches. Les mots ont horreur de la santé parce que ça les rend malades.

Si les dingues d’aujourd’hui ne conviennent plus et qu’il faut changer la société pour avoir des dingues différents, nous, les anciens, on demande pas mieux. Mais il conviendrait peut-être alors de réunir les Assises mondiales de la Psychiatrie, afin qu’on se mette d’accord sur le genre de fous que l’on veut avoir, pour créer ensuite une société en fonction de la folie souhaitée, du nombre de dingues nécessaires à son fonctionnement, de l’usage productif auquel on les destinerait, des emplois qui leur seraient réservés dans des institutions spécialement créées dans ce but, avec une activité culturelle, idéologique, militaire, économique qui favoriserait le genre de folie recherchée et encouragerait et multiplierait l’espèce de dingues souhaitée. C’est ce qu’on pourrait appeler la qualité de la vie.

Je remercie la société ici présente qui m’a favorisé en tant que dingue plutôt que d’autres. Pour un peu, je pleurerais de reconnaissance.

Finissons-en maintenant avec cette question de « canular » : oui, j’en suis un, comme tant de journaux et de chaînes de radio l’ont deviné.

On reconnaît notre état de canular à nos cris défiant toute concurrence, à notre creux qui sonne un avenir toujours futur, et à nos traces de larmes, de sueurs froides et de sang.

Mais pour les millions et les millions de vrais canulars, on les reconnaît à leur absence de traces quelconques. Ils ne savent souvent ni lire ni écrire et leur état de canulars leur est habilement caché.

Le Bangladesh compte quatre-vingt-dix millions de canulars. Au Chili, en Argentine et un peu n’importe où, on tue et on torture ceux qui prétendent avoir été réduits à l’état de canulars.

En Afrique, quand on voit des mômes aux ventres gonflés par la faim, personne ne cherche les auteurs du canular, parce qu’ils prennent fin de toute façon, et en bas âge.

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