Je suis obligé ici de revenir sur mes pas. Je le fais à contrecœur, pour ne rien vous cacher. Je n’ai pas osé écrire ces lignes à leur place, dans le précédent chapitre, car je n’étais pas encore chimiquement au point. J’en fais donc un chapitre à part, en hommage à mon nouveau médicament, dont le docteur Christianssen m’interdit de donner ici le nom, car c’est l’éthique médicale.
Je vais donc tout dire, car je suis en ce moment sans scrupule, atténué. Il y aura peut-être lecteur : je ne veux rien lui épargner. Je ne cherche pas à m’épargner non plus, car à cet égard, je suis un autodidacte : je me suis appris tout seul, sans l’aide de Tonton Macoute, et ce que je sais de moi, je ne peux plus me l’épargner.
Ce que je viens d’indiquer de mon arbre généalogique, je le tiens de ma mère. Elle ne me mentait jamais, mais elle m’aimait beaucoup et mentir par amour est une des plus vieilles vérités de l’organe populaire.
Je ne sais pas pourquoi elle s’est tiré ce coup de revolver. Mais la balle n’a jamais cessé de grandir en moi.
Je me vois contraint de dire ici que l’extrait de naissance de Tonton Macoute et celui de ma mère sont, comme par hasard, introuvables. Ils les ont laissés en Russie, à la source du mal, et c’est en vain que j’ai cherché à les obtenir. La révolution bolchevique, cette grande purificatrice, a tout balayé. Je ne saurai donc jamais s’ils étaient frère et sœur, et s’il y eut inceste. Il s’agit sans doute d’une simple rumeur intérieure : le psychisme et le subconscient ont toujours eu la langue empoisonnée. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose, et ce quelque chose, c’est sans doute moi. Je me sens le produit d’une consanguinité intolérable et fraternelle, charrié par mon sang d’un massacre à l’autre, mourant sous la torture, torturé et tortionnaire, terroriste et terrorisé, écrabouillé et écrabouilleur, je me scinde en deux, schizo, à la fois exterminé et exterminateur, Plioutch et Pinochet et je suis alors saisi de tendances humanitaires morbides, « messianiques et réformatrices » aiguës, avec psychiatres et camisole de force chimique, en proie à la conviction parano que tous les hommes sont mes frères et toutes les femmes mes sœurs, ce qui me fait souvent débander. J’ai même dû exiger d’Alyette un certificat de naissance rassurant de la mairie de Cahors, tel père, telle mère, car Tonton Macoute était parfaitement capable de l’avoir engendrée, elle aussi, comme à notre origine, pour faire banaliser ainsi, par la répétition de père en fils, son propre crime à notre égard. À moins qu’il n’ait cherché à obtenir ainsi génétiquement, depuis le début des temps, par cet élevage hautement prémédité, une sensibilité à ce point coupable, vulnérable et réceptive qu’il en résulterait peut-être encore dans la famille quelque nouvelle bleuette littéraire, avec une jolie crise mystique. Je n’ai donc strictement aucune preuve et ce n’est certes pas moi qui irais intenter à Dieu ou à n’importe quel autre irresponsable qui se prévaut de son inexistence imaginaire pour nous forcer à de vaines recherches de paternité, encore un de ces procès d’intention dont le seul résultat jusqu’à présent est une prolifération d’avocats qui se dessaisissent les uns après les autres de l’affaire, sous prétexte que le paranoïaque s’adresse toujours à un avocat plutôt qu’à un psychiatre. Si je suis paranoïaque, le moins qu’on puisse dire, c’est que le monde est peuplé d’hommes qui ne le sont pas assez, si bien que seules les persécutions échappent aux persécutions.