Chapitre II

La longue coque noire s’enfonçait rapidement dans les vagues bleues de la mer de Marmara. Les périscopes du Memphis tracèrent quelques instants un sillon d’écume, puis il n’y eut plus qu’un bouillonnement qui se dispersa très vite.

Sur la passerelle du Skylark, le bâtiment d’escorte du Memphis, spécialisé dans les secours aux sous-marins, le lieutenant Bob Rydell brancha le radiotéléphone qui le reliait au Memphis. Aussitôt parvint dans les écouteurs le grognement rauque d’un avertisseur puis la voix du capitaine Harvey ordonnant :

Dive, dive (plongée).

Rydell prit le micro.

— Harvey, Harvey, comment m’entendez-vous ? La voix d’Harvey parvint aussitôt, forte et claire.

— Cinq sur cinq. Nous filons direction est nord-est. Vitesse maxima. Profondeur maxima. Ferons surface en fin de journée. Tous les quarts d’heure je vous enverrai un « Gertrude ». Over.

— O.K. Bien reçu. Over.

Le Skylark filait à bonne allure. Le temps était magnifique. Pas un nuage, juste un léger clapotis des vagues. Détendu, Rydell alluma une cigarette. Ces manœuvres, au fond, n’avaient rien de désagréable. Et puis quelle sensation merveilleuse, sur ce petit bâtiment, de se sentir protégé par toute la VIe flotte des États-Unis. Il laissa son regard errer sur l’horizon.

Entre la côte turque et le bateau se profilait la silhouette plate et grise de l’Enterprise, le plus grand porte-avions de la Flotte. Tout autour, une nuée de destroyers, de ravitailleurs, de torpilleurs, dansait un ballet gracieux de chiens de garde bien dressés.

Un hélicoptère peint en orange passa en vrombissant. Il assurait la liaison entre les différents bâtiments.

Rydell sentit soudain une présence. Il se retourna. Un officier lui souriait, blond et hâlé.

— Watson, qu’est-ce que tu fous là ? Ils t’ont oublié ! L’autre secoua la tête, en riant.

— Non, non. Mais on m’a pris ma place. Un type, un civil, venu de Washington. Il voulait expérimenter un truc sur le sonar. Tant mieux. Cela me fait un après-midi au soleil. Et ce soir, je regagnerai mon home.

Carol Watson était l’officier chargé du sonar, à bord du Memphis, l’appareillage électronique capable de déceler l’approche d’un autre bâtiment, de surface ou sous-marin.

Le radiotéléphone grésilla.

— Ici, Harvey, annonça la voix claire. Nous sommes à la vitesse maxima et nous venons de dépasser la profondeur « G ». Tout va bien. Over.

— Bien reçu. Over.

Rydell imaginait le capitaine Harvey installé près de son imposant tableau de bord, dans l’énorme kiosque, entouré des trois timoniers. Il aurait voulu être sous-marinier, Rydell. Malheureusement, dès son entrée dans l’U.S. Navy on l’avait spécialisé dans la chasse aux sous-marins.

— C’est combien « G » ? interrogea Watson. Pourquoi n’annonce-t-il pas en clair.

— Et les Russes alors ? Tu veux pas qu’on leur donne aussi le plan du bateau ? N’oublie pas que nous sommes à 500 kilomètres de Sébastopol et qu’ils doivent avoir des stations d’écoute sur tous leurs chalutiers-bidons qui traversent le Bosphore. Attends, je vais te dire.

Il consulta rapidement une table.

— Ça fait 250 mètres. Il peut encore y aller.

Watson réfléchissait. C’était vrai, le Memphis faisait encore partie du matériel ultrasecret de l’U.S. Navy. Sous-marin atomique, le huitième à être entré en service, il était uniquement chargé de détecter et de chasser les sous-marins ennemis. À part sa longueur, 83 mètres, et son rayon d’action, près de 100.000 kilomètres, presque toutes ses caractéristiques étaient secrètes. On savait seulement que de tous les sous-marins du monde, il était le plus rapide, celui qui descendait le plus bas et de la manière la plus silencieuse.

Il était capable de plonger ou de remonter à la vitesse effarante de 300 mètres-minute… Un bon chien de garde pour la Méditerranée. Avec son sonar à ultrasons et son équipement de détection radioactif, il pouvait repérer n’importe quel autre sous-marin avant d’être surpris lui-même.

Toute la VIe flotte longeait maintenant la côte d’Asie en direction du détroit des Dardanelles. L’étroite mer de Marmara ne suffisait pas à ses évolutions.

Les messages arrivaient tous les quarts d’heure, rassurants et réguliers.

Bercé par la houle, Rydell somnolait dans un fauteuil de toile en écoutant la voix d’Harvey. Du fond de la mer, sa voix annonça, très calme :

— Nous sommes à la profondeur « M ». Nous stoppons pour certaines vérifications. Nous vous tiendrons informés.

Rydell nota l’heure : 10 h 45. Le Skylark tournait en rond sous le soleil. Six chasseurs Seawolf passèrent au ras des flots, regagnant l’Enterprise. Cette manœuvre de routine dans les eaux amies – la Turquie était un des plus beaux fleurons de l’OTAN – n’excitait personne.

La voix d’Harvey se fit de nouveau entendre.

— Nous avons une légère difficulté avec le sonar. Nous sommes obligés de le mettre en panne. Nous vous tiendrons informés.

Watson fronça les sourcils.

— Cet abruti de civil va me démolir mon zinzin. C’est plus délicat qu’une pépée. Et sans ça, tu n’as pas intérêt à t’aventurer dans les coins malsains. C’est comme si tu te baladais, aveugle et sourd, au milieu d’une bande de malfrats…

— Ici, il n’a rien à craindre, fit Rydell. La dernière fois qu’on a vu un sous-marin russe, c’était en 56. Tu penses, il faut qu’ils viennent de Mourmansk ou de Vladivostok ! Tu parles d’une…

La voix d’Harvey l’interrompit :

— Nous venons de déceler une légère augmentation de la radioactivité. Nous contrôlons. Over.

Du coup, Rydell cassa la pointe de son crayon en notant l’heure. 10 h 57. Les deux officiers se regardèrent.

— C’est pas possible, fit Watson. Rydell hocha la tête.

— Les Russes aussi ont des sous-marins atomiques. Six, d’après nos experts de la C.I.A., neuf d’après ceux de la Navy. Et si la radioactivité augmente dans le coin, cela ne peut vouloir dire qu’une chose : c’est qu’il y a un autre Sub qui se promène ici.

— T’es cinglé ! Ici, dans la mer de Marmara qui est un vrai cul-de-sac avec le Bosphore au bout, ses filets et ses mines et toute la VIe flotte par-dessus.

Watson fît un grand geste de bras, montrant l’espace autour de lui :

— Regarde, c’est une cuvette !

— Bon, on va bien voir. En tout cas j’alerte l’Enterprise. Par le cornet acoustique, il appela le radio et lui donna l’ordre d’envoyer un message codé.

Songeur, Watson regardait la mer scintiller au loin, là où devait se trouver le Memphis avec ses 129 camarades. Une angoisse sourde l’étreignit. Il aurait donné cher pour se trouver à bord. Il n’y avait que lui pour savoir tirer toutes les possibilités du sonar. Il sursauta, car la voix sortait encore du haut-parleur.

— Ici Harvey. L’augmentation de la radioactivité est confirmée. Mais notre sonar ne fonctionne pas correctement. Pouvez-vous nous relayer ? Over.

Watson bondit et arracha presque le micro des mains de Rydell.

— Ici Watson. Qu’est-ce qu’on a fait à mon sonar ? Passez-moi l’ingénieur civil. Je vais lui expliquer.

— Inutile, coupa la voix claire d’Harvey, nous avons essayé un dispositif expérimental qui l’a détraqué. Nous allons remonter dès que nous aurons terminé nos vérifications sur la radioactivité. Over.

Presque aussitôt un son strident sortit du haut-parleur : la sirène d’alerte du Memphis. Le capitaine Harvey faisait mettre son bâtiment en position de combat. Un danger le menaçait. Lui aussi savait ce que signifiait l’augmentation de la radioactivité…

Rydell griffonnait fiévreusement sur son bloc des messages que l’on portait immédiatement au radio. On lui rapporta une feuille jaune qu’il montra à Watson.

— Aucun sous-marin identifié dans la zone de manœuvre à part Sub Memphis.

Watson poussa un soupir de soulagement.

— Leur détecteur doit être déréglé, comme le sonar. C’était pas possible.

Au même moment la voix d’Harvey éclata dans le haut-parleur :

— Nous pensons avoir localisé la source de radioactivité. Nous nous dirigeons droit dessus. Profondeur « E ». Nous allons reprendre la profondeur « L ». Over.

Dans ses écouteurs, Rydell entendit le bruit caractéristique de l’eau chassée des ballasts. Le Memphis remontait. Il nota l’heure : 11 h 13. Soudain un hélicoptère apparut, volant très près des vagues dans un grand bruissement de rotor. Il se posa sur le pont, au pied de la passerelle où se trouvaient Rydell et Watson.

Un homme en sortit, escaladant immédiatement l’échelle de la passerelle.

— C’est l’amiral Cooper, souffla Rydell. Il vient aux nouvelles.

L’officier supérieur surgissait. Il alla droit à Rydell.

— Alors ? Vous avez la liaison avec le 593 ?

C’était le nom de code du Memphis. Basé sur l’Enterprise, Cooper était placé trop loin pour capter les messages du sous-marin. Le Skylark était le seul à conserver le contact.

— J’ai la liaison, affirma Rydell. Et il résuma la situation.

— Appelez le 593, ordonna Cooper. Rydell appuya sur la commande du micro.

— Harvey, Harvey, ici le Skylark, donnez votre cap et votre position.

Pas de réponse. Le micro grésillait doucement.

— Il y a deux minutes, il m’a parlé, gémit Rydell.

Les trois hommes contemplaient fixement le micro muet L’amiral se tourna vers le marin qui l’accompagnait, porteur d’un poste à ondes courtes.

— Faites immédiatement décoller les escadrilles C et D et que mes bâtiments d’escorte se dirigent vers la dernière position signalée du 593.

Il se retourna vers Rydell.

— Appelez encore.

Rydell se pencha sur le micro et cria presque :

— Harvey, donnez votre cap. Rien.

L’amiral Cooper arracha le micro des mains du lieutenant. Une veine battait sur son front.

— Ici, l’amiral Cooper, appela-t-il. Harvey, donnez votre position immédiatement. Est-ce que vous contrôlez votre bâtiment ?

Des grésillements se firent entendre dans le micro. Puis une explosion, sourde comme un coup de tonnerre lointain, fit vibrer le micro.

Rydell blêmit.

— Harvey, hurla-t-il.

Son pouce appuyait frénétiquement sur un bouton rouge placé devant lui, sur le pupitre. Un klaxon se mit à sonner sur toute la surface du Skylark.

Livide, Watson répétait :

— Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible. Soudain des mots sortirent du micro, des mots mutilés et hachés, perdus dans des crissements et des grondements.

— Impossible… surface… touchés… explosion avant droit… dépassons… profondeur expérimentale.

Il y eut quelques secondes de silence. Puis les trois hommes entendirent distinctement un bruit sourd comparable à celui d’une cloison qui s’effondre…

Il y eut encore quelques bribes de mots, indistinctes. Là-bas, sous la Méditerranée, le Memphis essayait de dicter son testament.

Rydell était livide. Il connaissait bien ce bruit. Il l’avait souvent entendu durant la guerre. Cela voulait dire que le sous-marin s’écrasait, brisé par la pression de l’eau. En ce temps-là, ce bruit le remplissait de joie, car c’étaient des ennemis.

Mais cette fois cela signifiait que des dizaines de ses amis étaient en train de mourir, tout près de lui, et cela en pleine paix, en 1969.

— Envoyez tous les hélicoptères disponibles là-bas, ordonna l’amiral.

Déjà le Skylark fonçait de toute la vitesse de ses machines. Courbé sur le micro, Rydell continuait d’appeler inlassablement. Debout derrière lui, Watson, les yeux pleins de larmes, fixait le micro sans le voir. Il aurait dû être là-dessous lui aussi.

Les rampes de lancement des grenades sous-marines étaient en place.

Une escadrille de F. 86 chasseurs de sous-marins armés de missiles air-mer passa au-dessus du Skylark. Déjà plusieurs hélicoptères tournaient en rond au-dessus du point supposé occupé par le Memphis.

— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? gronda Watson. C’est invraisemblable. Un sous-marin russe dans la mer de Marmara !

— Si c’est un Russe, on va le piquer, gronda Rydell, même si on doit y rester trois mois !

Une série d’explosions sourdes fit sursauter les deux hommes. L’amiral faisait larguer une série de grenades d’exercices, signal convenu de remontée immédiate pour le Memphis.

Rydell haussa les épaules, tristement.

— Il ne remontera plus jamais.

Soudain une fusée rouge éclata dans le ciel, lâchée d’un hélicoptère.

Les deux officiers se précipitèrent sur leurs jumelles. Quelques instants plus tard, ils les abaissaient et se regardaient en silence : à deux miles, à l’ouest du Skylark une énorme tache d’huile remontait lentement à la surface de la mer. C’était le signe du désastre. Éventré, le Memphis perdait son sang.

Accroché des deux mains au bastingage, Watson pleurait en silence. Il ne reverrait plus jamais ses amis, Harvey, si gai et si courageux, Smiths le taciturne, et les autres.

Une immense rage le prit.

— Qu’est-ce qu’on va faire ? rugit-il. Il y a bien un sous-marin qui a lancé cette torpille.

Rydell haussa les épaules.

— Tous les sonars de la flotte sont sur les dents. Ils entendraient un poisson éternuer. Mais, s’il y a un sous-marin inconnu dans le coin, il attend, immobile, entre deux eaux, que nous ayons fichu le camp pour déguerpir. C’est à celui qui sera le plus patient…

— Il a combien de chances d’échapper ?

— Dans une mer étroite comme ici, pas une sur dix. Dès qu’il bouge, il est repéré. Et alors, gare au festival. Cooper a donné l’ordre qu’on en fasse des confettis.

Pendant plusieurs heures, il ne se passa plus rien. Le Skylark avait stoppé près de la tache d’huile et des hommes-grenouilles plongeaient sans arrêt pour tenter d’apercevoir un débris quelconque.

Mais rien ne remontait que de l’huile grasse et noire qui se dissolvait au fil des vagues. Au loin, la côte turque commençait à s’estomper dans une brume bleuâtre. Au nord les premières lumières d’Istanbul formaient un halo plus clair.

Sur tous les navires de la VIe flotte, les drapeaux étaient déjà en berne. A bord de l’Enterprise, l’amiral Cooper, enfermé dans sa cabine, examinait page par page, le dossier secret des sous-marins russes. Tous ceux dont on connaissait l’existence étaient aux antipodes de la mer de Marmara.

Évidemment, il y avait une chance infime pour que le Memphis ait été victime d’un sabotage ou d’une explosion accidentelle. Il fallait attendre. Si un submersible ennemi se trouvait dans le coin, il finirait par bouger…

Il feuilleta rapidement une liasse de papiers. Les câbles de Washington commençaient à pleuvoir. La différence d’heure faisait que les gens de la C.I.A. et de la Navy Intelligence venaient seulement à cette minute d’apprendre la nouvelle. Officiellement, le Memphis n’était encore que porté en retard sur l’heure prévue de sa fin de manœuvre.

L’amiral sonna. Un marin entra.

— Faites prévenir tous les commandants d’unités, or-donna-t-il. Conférence ici dans deux heures. Qu’on les fasse prendre par hélicoptère.

Et Cooper se lança dans la rédaction d’un long câble à destination de l’état-major de la Navy.

C’est à trois heures du matin que la chose arriva. Tous les bâtiments avaient stoppé dans le noir et attendaient. Lors de la conférence, l’amiral n’avait pas mâché ses mots.

— Je veux que la veille ne se relâche pas une seconde. S’il y a vraiment un sous-marin russe dans le coin, nous devons le trouver et le détruire. C’est une question vitale pour notre pays.

L’officier sonar du destroyer Vagrant avait pris lui-même la veille sur son navire : son frère était officier-mécanicien sur le Memphis. Il en était à sa sixième tasse de café lorsqu’une tache verte apparut sur son écran cathodique. Fasciné, l’officier le regarda palpiter sur l’écran. À tâtons, il saisit son micro relié par radio à tous les autres postes d’écoute de la flotte et annonça à voix basse :

— Objet non identifié en plongée cap nord-nord-ouest. Presque à la même seconde, tous les autres guetteurs confirmèrent : selon toute apparence, un sous-marin inconnu glissait lentement sous les navires de la VIe flotte en direction du Bosphore.

L’amiral dormait tout habillé lorsqu’on le réveilla pour lui annoncer la nouvelle.

— Qu’aucun bâtiment ne bouge, ordonna-t-il. Suivez-le à la trace.

Cinq minutes plus tard, il était au poste de veille de l’Enterprise. Fiévreusement, des officiers reportaient sur une carte le parcours indiqué par les appareils d’écoute.

— Donnez l’ordre aux avions de décoller, ordonna Cooper. Qu’ils tournent au-dessus de nous en attendant les instructions.

Il prit l’ascenseur qui menait à la dunette supérieure. L’énorme bâtiment grouillait d’activité. Le premier des avions torpilleurs était déjà en bout de pont, réacteurs sifflants.

La nuit était claire. Presque pas de nuages. On distinguait vaguement les silhouettes de deux destroyers. Au nord, les lumières d’Istanbul éclairaient le ciel. De l’autre côté, c’était la mer Noire et la Russie…

Cooper eut un serrement de cœur en pensant au Memphis. « Invulnérable » avaient dit les experts, lors du lancement. Et pourtant. Mais pourquoi avait-il été attaqué ?

Un officier surgit, salua et tendit un papier. Cooper lut. C’était le rapport d’écoute.

— Le submersible non identifié se dirige vers le N-N.O. en suivant le cap 130. Vitesse 30 nœuds. Profondeur 100 mètres.

La carte montrait clairement que la trace partait d’un point voisin d’où avait disparu le Memphis. Et se dirigeait droit sur le Bosphore.

L’amiral se passa la main sur le front.

— Le Bosphore ! Mais il est fou. C’est un cul-de-sac. Entre les mines, le filet anti-sous-marin et les repéreurs au son turcs, il n’a pas une chance sur mille de passer.

Soudain une pensée affreuse le fit sursauter.

— Et si c’était un Turc, un allié, qui avait commis une erreur épouvantable ?

Il redescendit à toute vitesse et gagna son bureau.

— Appelez-moi le H.Q. de la marine turque, en code, ordonna-t-il et demandez-leur s’ils ont un sous-marin en opération. Urgent. Réponse codée.

Cinq minutes plus tard, le radio apportait un message codé :

— Aucun submersible en opérations, répondait Ankara. Cooper prit une profonde inspiration et saisit son micro le reliant au chef des opérations.

— Je donne l’ordre que l’on détruise par tous les moyens le submersible inconnu, articula-t-il nettement.

Déjà, les douze jets décollés du porte-avions s’inclinaient gracieusement et fonçaient sur leur but. Ils étaient tous porteurs de missiles air-mer dotés d’une tête chercheuse capable d’aller frapper le sous-marin sous l’eau.

La première rafale d’engins partit au moment où le Skylark arrivait au-dessus du submersible. Le lieutenant Rydell était debout sur la passerelle.

— Go, hurla-t-il dans l’interphone.

Un premier chapelet de grenades sous-marines s’envola de l’arrière. De quoi pulvériser n’importe quel sous-marin.

Le Skylark amorça aussitôt un demi-tour pour revenir sur son objectif. Les chasseurs, à leur tour, replongèrent vers la mer et leurs missiles s’enfoncèrent dans l’eau en sifflant.

De sa passerelle, l’amiral Cooper observait l’opération. Le jour commençait à se lever. Les silhouettes de ses navires se découpaient dans le clair-obscur. Pourvu qu’un projectile ne se perde pas et n’aille pas couler un innocent cargo ! Toute l’opération faisait un vacarme d’enfer. Il faudrait expliquer aux Turcs le pourquoi de ces soudaines « manœuvres ».

Soudain, un officier accourut, essoufflé.

— Amiral, les avions signalent que le submersible fait surface, au milieu d’une tache d’huile !

— J’y vais.

L’amiral Cooper dégringola l’échelle. Un hélicoptère attendait, son rotor tournant déjà, et à peine Cooper eut-il bouclé sa ceinture, qu’il décollait.

Il ne leur fallut que quelques minutes pour parvenir au sous-marin. Les avions tournaient au-dessus. Les deux officiers scrutèrent les vagues grisâtres et le virent immédiatement. Un long fuseau noir dont on ne distinguait que l’avant et un morceau du kiosque entouré d’une sorte de rambarde.

Aucun signe de vie.

— Si seulement il pouvait émerger un peu plus, murmura Cooper. Pour le moment ça peut être n’importe quoi.

Mais le sous-marin inconnu continuait à flotter entre deux eaux, comme une baleine blessée. Toutes les écoutilles étaient fermées. L’amiral prit le micro placé devant lui et cria pour couvrir le bruit des moteurs :

— Ici Ventilateur-leader, avez-vous pris des photos ?

— Ici Red-leader, répondit aussitôt une voix nasillarde. Nous avons pris plusieurs clichés infrarouges.

L’amiral se tut un instant puis calmement annonça :

— Ici Ventilateur-leader. À Red-leader. Coulez l’objectif. A côté de lui l’officier eut un sursaut et regarda en coin l’amiral. Ce dernier se tourna vers lui et dit :

— Vous voulez peut-être qu’on le remorque jusqu’à Istanbul et qu’on explique aux Russes qu’en temps de paix nous avons coulé un de leurs sous-marins dans des eaux neutres ? Il y aurait de quoi faire sauter l’ONU.

— Mais, objecta timidement l’autre. Il a attaqué et détruit le Memphis…

— Vous pouvez le prouver ? Non, n’est-ce pas. Les Russes ne pourront pas perdre la face et moi je risque de me retrouver en train de laver le pont de l’Enterprise. De toute façon, je vous conseille d’oublier ce que vous venez de voir et d’attendre. J’avertirai tous ceux qui ont été mêlés à cette histoire qu’ils risquent le Conseil de guerre pour la moindre indiscrétion.

L’hélicoptère s’éloigna lentement. Les chasseurs de l’Enterprise étaient repassés. Du sous-marin, il ne restait plus qu’un bouillonnement et une tache d’huile. Aucun objet ne flottait sur la mer.

— Nous ne pourrions même pas recueillir les survivants, remarqua Cooper.

Quelques instants plus tard, l’hélicoptère atterrissait sur l’Enterprise. L’amiral Cooper fila et s’enferma pour rédiger son rapport. Pas drôle. Perdre la plus belle unité de sa flotte dans des circonstances indéterminées et couler un sous-marin appartenant à une nation avec laquelle on n’était pas en guerre, c’était beaucoup pour une seule journée.

Il restait à savoir d’où venait ce sous-marin et surtout où il allait.

— Cela, fit à haute voix Cooper, c’est l’affaire de la CIA. Ça va les occuper un bon moment.

Son pensum terminé, il remonta sur le pont. Le soleil était déjà haut sur l’horizon. Une énorme bouée rouge flottait à l’endroit où le Memphis avait disparu.

Plusieurs patrouilleurs tournaient en rond autour de la bouée. Il y avait eu une chance minuscule pour qu’il y ait des survivants enfermés dans l’épave. Mais les appareils de sondage venaient de révéler que l’épave reposait par 700 mètres de fond. Rien n’avait pu résister à cette pression.

Le premier, le Skylark stoppa, et envoya 21 bordées de toutes ses pièces.

Puis, un à un, tous les bâtiments saluèrent leurs camarades engloutis. L’Enterprise stoppa et un chapelain, penché sur le bastingage, récita une courte prière. Ses paroles étaient emportées par le vent mais six cents hommes derrière lui les reprenaient en chœur en un grondement puissant.

Un hélicoptère s’approcha et lâcha sur la mer une gerbe improvisée. Beaucoup d’hommes pleuraient.

Le Memphis n’existait plus. Il ne restait plus qu’à le venger. Mais cela, comme l’avait pensé l’amiral Cooper, c’était l’affaire de la C.I.A.

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