William Mitchell, responsable de la CIA. pour le Moyen-Orient frappa du plat de la main sur le dossier, faisant voler une liasse de feuillets.
— C’est invraisemblable ! glapit-il, d’une voix aiguë. Vous, les meilleurs spécialistes de l’Intelligence de la Navy, vous êtes incapables de me dire ce que foutait ce Ruskoff dans la mer de Marmara !
— On n’est pas devin, grommela un des deux hommes assis devant le bureau. Vous savez que depuis que les Russes ont retiré leurs sous-marins de la base de Seno, en Albanie, en juin 1961, on n’a plus vu un seul sous-marin russe en Méditerranée. D’ailleurs nous les aurions repérés à Gibraltar ou en mer Rouge.
— Enfin, celui-là, il n’est pas venu par la voie des airs ! Et Mitchell montra les photos prises par les hélicoptères de la VIe flotte.
— Bien sûr, répliqua un de ses interlocuteurs. Mais d’abord on n’est pas sûr qu’il soit russe. Ni même que ce soit un sous-marin atomique. Ni qu’il ait coulé le Memphis.
— Et dans le Bosphore, où allait-il ? rugit Mitchell. Demander bien poliment qu’on écarte pour lui les filets anti-sous-marins qui barrent l’entrée de la mer Noire ? Ou bien se transformer en cerf-volant ?
— Que disent les Turcs ? hasarda le second expert.
— Rien, ils ne comprennent pas non plus. Ils ont mis leurs hommes les plus sûrs pour garder le Bosphore et les filets sont régulièrement surveillés. De plus, nous avons des gens à nous partout. On ne nous a rien signalé de particulier. Un sous-marin, c’est quand même pas un paquet de cigarettes. Ça ne passe pas en fraude comme ça…
— Enfin, c’est invraisemblable, ce sous-marin qui va se jeter dans la gueule du loup…
— Peut-être, mais vrai. L’amiral Cooper est formel. Le submersible fonçait vers le nord, vers la mer Noire, de toute la vitesse de ses machines.
Il y eut un silence.
— Vous savez ce que cela veut dire, messieurs, reprit d’un ton grave Mitchell. Nous avons retiré de Turquie nos bases de fusées pour les remplacer par des sous-marins armés de Polaris croisant en Méditerranée. Mais si les Russes, eux aussi, ont trouvé le moyen de faire passer en Méditerranée des sous-marins à eux, c’est toute notre stratégie de dissuasion qui s’effondre dans ce coin du monde…
Un ange passa, les ailes chargées de fusées. Mitchell reprit :
— Il est d’une importance capitale de découvrir, qui était, d’où venait, et où allait ce sous-marin. Il nous faut trouver l’astuce des Russes. C’est vital. Et ça ne va pas être facile. Je vous remercie, messieurs.
Mitchell resta un instant seul, la tête dans ses mains. Puis il appuya sur le bouton de l’interphone.
— Bill, venez me voir. Bill entra quelques instants plus tard. C’était le patron du réseau-action de la C.I.A. au Moyen-Orient. Un dur, intelligent et dangereux. Il s’assit et prit une cigarette.
— Qu’y a-t-il ?
— Est-ce que vous avez des gens qui parlent le turc chez vous ?
— Le turc ? Bill réfléchit.
— Non, personne. À part une bonne femme inutilisable en mission. Mais à Ankara et à Istanbul nous avons des gens.
— O.K. Contactez les deux meilleurs et envoyez-les à Istanbul. Qu’ils s’installent au Hilton. Je vais leur envoyer quelqu’un ici.
— Qui ?
— S.A.S.
— Ce dingue ! Avec son château !
— Un vieux dingue qui parle vingt-cinq langues et qui a un cerveau en forme d’I.B.M., ça ne court pas les rues. Et il n’a jamais échoué.
— Faites comme vous voudrez. Après tout c’est vous le patron. Mais il va encore nous coûter une fortune.
Et Bill se leva et sortit. Mitchell décrocha son téléphone et dit :
— Donnez-moi le 925 0524 à Poughkeepsie, dans l’État de New York. Appel personnel pour Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge.