Chapitre 9

Sur les armes des Parthes

1. C'est une mauvaise attitude de la noblesse de notre temps, et signe de faiblesse, que de ne prendre les armes qu'en cas d'extrême nécessité, et de s'en défaire dès que le danger semble tant soit peu écarté. Il en résulte bien des inconvénients : quand tout le monde crie et court prendre ses armes, au moment du combat, il en est qui en sont encore à lacer leur cuirasse, quand leurs compagnons sont déjà en déroute. Nos pères donnaient à porter leur casque, leur lance, leurs gantelets, mais ne quittaient pas le reste de leur équipement tant que durait leur service. Nos troupes sont maintenant troublées et désorganisées par la confusion due aux bagages et aux valets qui ne peuvent s'éloigner de leur maître, dont ils portent les armes.

2. Tite-Live, parlant des gens de chez nous, dit : « Incapables de souffrir la fatigue, ils peinaient à porter leurs armes sur l'épaule. » [Tite-Live, Annales ou Histoire romaine XXVII,48.] Plusieurs peuples allaient autrefois et vont encore aujourd'hui à la guerre sans se protéger, ou avec des protections peu efficaces.

La tête protégée par du liège...

[Virgile Énéide, in Œuvres complètes, tome I VII, v. 742]

3. Alexandre, le chef le plus audacieux qu'il y ait jamais eu, revêtait rarement la cuirasse et le casque. Et ceux de chez nous qui méprisent cet attirail ne sont pas pour autant désavantagés. S'il arrive en effet que des gens soient tués parce qu'ils n'avaient pas d'armure, il en est à peu près autant que l'encombrement de leurs armes a mis en état d'infériorité, à cause de leur poids, ou parce qu'ils étaient blessés et brisés à l'intérieur, à la suite d'un choc quelconque. Car il semble bien, en effet, quand on voit le poids de nos armures et leur épaisseur, que nous ne cherchons qu'à nous défendre, et que nous en sommes plus empêtrés que vraiment protégés. Nous avons bien assez à faire pour en soutenir le poids, coincés, entravés, comme si combattre consistait seulement à cogner avec elles, et comme si nous n'avions pas besoin de les défendre comme elles doivent le faire pour nous.

4. Tacite décrit plaisamment les guerriers gaulois comme des gens armés seulement pour se protéger, incapables de blesser qui que ce soit ni de l'être eux-mêmes, et ne pouvant se relever lorsqu'ils sont tombés. [Tacite Annales III, 43-46] Lucullus vit certains hommes d'armes chez les Mèdes qui faisaient front dans l'armée de Tigrane, lourdement armés et empêtrés comme dans une prison de fer. Il en tira la conclusion qu'il allait les défaire aisément, et c'est par eux qu'il commença la charge qui le mena à la victoire.

5. Et maintenant que les mousquets124 sont à la mode, je crois qu'on inventera quelque chose pour nous en protéger et dans quoi nous serons emmurés, et qu'on nous mènera à la guerre enfermés dans des bastions, comme ceux que les Anciens faisaient porter à leurs éléphants. C'est une conception fort éloignée de celle de Scipion Émilien qui réprimanda ses soldats pour avoir disposé des chausses-trapes sous l'eau, à l'endroit du fossé par lequel les gens de la ville qu'il assiégeait auraient pu sortir, leur disant qu'ils devaient avoir l'attaque à l'esprit et non la défense. Il craignait avec quelque raison que ces dispositions ne viennent endormir leur vigilance quand ils montaient la garde. Il dit aussi à un jeune homme qui lui faisait admirer son beau bouclier : « il est vraiment beau, mon fils, mais un soldat romain doit plutôt faire confiance à sa main droite qu'à celle de gauche. »

6. Et ce n'est que l'habitude qui puisse nous rendre supportable la charge de nos armures.

Deux des guerriers que je chante ici avaient

Le haubert sur le dos et le casque sur la tête ;

Depuis leur entrée dans ce château,

Jamais ils n'avaient quitté leur armure :

Ils la portaient aussi aisément que leurs vêtements,

Tant ils en avaient pris l'habitude.

[Ariosto Ludovico Orlando Furioso XII, 30]

L'empereur Caracalla parcourait le pays, armé de pied en cap, à la tête de son armée125.

7. Les fantassins romains portaient non seulement le casque, l'épée et le bouclier, mais encore ce dont ils avaient besoin pour vivre quinze jours, et un certain nombre de pieux pour élever leur rempart, charge qui pouvait faire jusqu'à soixante livres ; quant à l'armure, dit Cicéron, ils étaient tellement habitués à l'avoir sur le dos qu'elle ne les gênait pas plus que leurs propres membres : « Car on dit que les armes du soldat sont ses membres. » [Cicéron, Tusculanes II, 16.]

8. Leur discipline militaire était beaucoup plus rude que la nôtre, et produisait donc des effets fort différents. Voici un trait étonnant à ce propos : il fut reproché à un soldat de Sparte d'avoir été vu à l'abri dans une maison, pendant une expédition. Ces soldats étaient tellement endurcis que c'était pour eux une honte, en effet, d'être vus sous un autre toit que celui du ciel, quel que soit le temps. Et Scipion Émilien, reformant son armée en Espagne, ordonna à ses soldats de ne manger que debout, et rien qui soit cuit. À ce compte-là, nous ne mènerions pas bien loin nos soldats d'aujourd'hui !

9. Au demeurant, Ammien Marcellin, bon connaisseur des guerres romaines, note soigneusement la façon de s'armer des Parthes, et ce d'autant plus qu'elle est très différente de celle des Romains. [Comme elle me semble très proche de la nôtre, j'ai voulu emprunter ce passage à son auteur, ayant déjà pris autrefois la peine de dire en détails ce que je savais sur la comparaison de nos armes avec celles des Romains. Mais ce passage de mes brouillons m'ayant été dérobé — ainsi que plusieurs autres — par un homme qui était à mon service, je ne veux point le priver du profit qu'il espère en tirer... et d'ailleurs il me serait bien difficile de mâcher deux fois la même viande.]126.

10. « Ils avaient, dit-il, des armures tissées avec des sortes de petites plumes : elles n'entravaient pas leurs mouvements, et pourtant étaient si résistantes que nos flèches rebondissaient sur elles (ce sont comme les “écailles” dont nos ancêtres faisaient couramment usage). » Et ailleurs il ajoute : « Ils avaient des chevaux forts et robustes, recouverts de gros cuir, et eux-mêmes étaient bardés, de pied en cap, de grosses lames de fer, arrangées de telle façon qu'à l'endroit des jointures des membres elles se prêtaient aux mouvements. On eût dit des hommes de fer, car ils avaient des casques si parfaitement ajustés aux formes naturelles des différentes parties du visage qu'il n'y avait pas moyen de les atteindre, sauf par les petits trous ronds à l'endroit des yeux, qui leur donnaient un peu de lumière, et par des fentes sur le nez par où ils respiraient, assez malaisément d'ailleurs. »

Spectacle effroyable ! le métal flexible de l'armure

Semble animé par les membres qu'il recouvre...

On dirait des statues de fer qui marchent,

Des guerriers de métal, et qui pourtant à travers lui respirent;

Les chevaux sont de même : leurs fronts menaçants

Sont bardés de fer, et leurs flancs ferrés

Se meuvent aussi à l'abri des blessures.

[Claudien Oeuvres : In Ruffinum II, 358]

Voilà une description qui ressemble très fort à l'équipement d'un homme d'armes français, bardé de toutes les pièces de son armure !

11.Plutarque dit que Demetrios fit faire pour lui-même, et pour Alcinos, le capitaine qui était le premier après lui, une armure complète qui pesait cent-vingt livres, alors que les armures ordinaires n'en pesaient que soixante.



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