10 Le troisième tour

Une fois que Newby eut proclamé les résultats, et que les trois cardinaux réviseurs les eurent vérifiés, Lomeli se leva et s’approcha de l’autel. La chapelle semblait émettre un bourdonnement bas. Tout le long des quatre rangées de tables, les cardinaux comparaient leurs listes et parlaient à voix basse à leurs voisins.

De la plate-forme de l’autel, il avait vue sur les quatre favoris. Bellini, en tant que cardinal-évêque, était le plus proche de lui, à droite de l’allée par rapport à Lomeli : il examinait les chiffres et se tapotait les lèvres avec son index, silhouette isolée parmi les siens. Un peu plus loin, de l’autre côté de l’allée, Tedesco se tenait en arrière sur sa chaise, un peu tourné de côté pour écouter l’archevêque émérite de Palerme : Scozzazi, dans la rangée derrière lui, qui s’était penché sur sa table pour lui dire quelque chose. À quelques sièges de Tedesco, Tremblay effectuait des torsions du buste d’un côté puis de l’autre pour étirer ses muscles, tel un sportif entre deux manches. En face de lui, Adeyemi gardait les yeux rivés droit devant lui, si parfaitement immobile qu’il aurait pu être une statue d’ébène, insensible aux regards qu’il suscitait partout dans la Sixtine.

Lomeli tapota le micro. Le bruit se répercuta contre les fresques comme un roulement de tambour. Les murmures se turent aussitôt.

— Mes frères, conformément à la Constitution apostolique, les bulletins exprimés ne seront pas brûlés maintenant, et nous allons procéder immédiatement au tour suivant. Prions ensemble.


Pour la troisième fois, Lomeli vota pour Bellini. Il s’était résolu à ne pas l’abandonner, même si l’on voyait — presque physiquement — l’autorité quitter l’ancien favori alors qu’il marchait d’un pas raide jusqu’à l’autel, récitait le serment d’une voix atone et déposait son bulletin dans l’urne. Bellini se retourna pour regagner sa place, pareil à une enveloppe vide. C’était une chose de redouter de devenir pape, et c’en était une autre de se trouver confronté à la soudaine réalité que cela ne se produirait jamais — de constater qu’après avoir été considéré pendant des années comme l’héritier évident, vos pairs vous jaugeaient, puis Dieu les orientait ailleurs. Lomeli se demanda s’il s’en remettrait. Au moment où l’ancien secrétaire d’État passait derrière lui pour regagner sa place, il lui donna une petite tape compatissante sur le dos, mais son ami ne parut pas le remarquer.

Pendant que les cardinaux votaient, Lomeli se plongea dans la contemplation des panneaux de la voûte les plus proches de lui. Le prophète Jérémie, plongé dans la désolation. Le supplice d’Aman, dénoncé pour antisémitisme. Le prophète Jonas, sorti de la bouche d’un poisson géant. L’agitation qui animait toutes ces scènes le frappa pour la première fois. Leur violence, leur force. Il tendit le cou pour examiner Dieu séparant la lumière des ténèbres. La création du soleil et des planètes. Dieu séparant la terre et les eaux. Sans s’en apercevoir, il se perdit dans les tableaux. Et il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les nations seront dans l’angoisse, inquiètes du fracas de la mer et des flots ; des hommes défailliront de frayeur, dans l’attente de ce qui menace le monde habité, car les puissances des cieux seront ébranlées. Il eut soudain la prémonition d’une catastrophe imminente, si intense qu’il en frissonna. Lorsqu’il regarda autour de lui, il s’aperçut qu’une heure s’était écoulée et que les scrutateurs s’apprêtaient à compter les bulletins.


— Adeyemi… Adeyemi… Adeyemi…

Un vote sur deux semblait être en faveur du cardinal nigérian, et alors qu’on lisait à voix haute les derniers bulletins, Lomeli dit une prière pour lui.

— Adeyemi…

Newby enfila le rectangle de papier sur son cordon rouge.

— Mes frères, voilà qui conclut le vote du troisième tour.

Un soupir collectif parcourut la chapelle. Lomeli additionna rapidement la forêt de bâtonnets qu’il avait tracés à côté du nom d’Adeyemi. Il en trouva cinquante-sept. Cinquante-sept ! Il ne put résister à l’envie de se pencher en avant pour voir, au bout de la rangée de tables, l’endroit où se tenait Adeyemi. Près de la moitié du conclave faisait déjà de même. Plus que trois voix, et il aurait la majorité simple ; encore vingt et une, et il serait élu pape.

Le premier pape noir.

La tête massive du Nigérian était inclinée vers sa poitrine. Il étreignait sa croix pectorale dans sa main droite. Il priait.

Au cours du premier tour de scrutin, trente-quatre cardinaux avaient recueilli au moins un suffrage. Ils n’étaient plus que six à se partager les voix.

Adeyemi 57

Tedesco 32

Tremblay 12

Bellini 10

Lomeli 5

Benítez 2

Adeyemi serait élu souverain pontife avant la fin du jour, Lomeli n’en doutait plus. La prophétie était écrite dans les chiffres. Même si Tedesco parvenait à atteindre quarante suffrages, lui interdisant la majorité aux deux tiers, cette minorité d’obstruction ne manquerait pas de s’effondrer au tour suivant. Dans leur grande majorité, les cardinaux préféreraient ne pas risquer un schisme au sein de l’Église en s’opposant à une manifestation aussi spectaculaire de la volonté divine. Et ils ne voudraient pas non plus, pour être honnête, se faire un ennemi du nouveau pape, surtout quand il avait une personnalité aussi forte que Joshua Adeyemi.

Une fois les bulletins vérifiés par les réviseurs, Lomeli retourna sur la plate-forme de l’autel pour s’adresser au conclave :

— Mes frères, le troisième tour est maintenant terminé. Nous allons suspendre le scrutin pour déjeuner. Le vote reprendra à 14 h 30. Je vous prie de rester à vos places pendant que les cérémoniaires reviennent, et rappelez-vous de ne pas parler de nos procédures tant que vous n’aurez pas regagné la résidence Sainte-Marthe. Le dernier cardinal-diacre pourrait-il avoir l’amabilité de faire ouvrir les portes, je vous prie ?


Les membres du conclave remirent leurs notes aux maîtres de cérémonies. Ensuite, tout en discutant avec animation, ils traversèrent en file le vestibule de la chapelle Sixtine, émergèrent au milieu des marbres grandioses de la Sala Regia, descendirent l’escalier et montèrent dans les minibus. Une déférence nouvelle se remarquait déjà à l’égard d’Adeyemi, qui semblait avoir érigé un bouclier protecteur autour de lui. Ses plus proches partisans eux-mêmes gardaient leurs distances. Il marchait seul.

Les cardinaux avaient hâte de rentrer à la résidence Sainte-Marthe. Ils étaient assez peu à présent à s’attarder pour regarder brûler les bulletins de vote. O’Malley fourra les sacs en papier dans un poêle et un fumigène dans l’autre. Les émanations se mêlèrent et s’élevèrent dans le conduit de cuivre. À 12 h 37, une fumée noire sortit par la cheminée de la chapelle Sixtine. Tout en l’observant, les spécialistes des questions vaticanes des grandes chaînes d’information télévisées continuèrent de prédire avec assurance la victoire de Bellini.


Lomeli quitta la chapelle Sixtine peu après que la fumée se fut dissipée, soit vers 12 h 45. Dans la cour, les agents de sécurité retenaient le dernier minibus à son intention. Il déclina l’aide qu’on lui proposait et monta seul le marchepied. Bellini était à bord, assis à l’avant avec sa petite troupe habituelle de partisans — Sabbadin, Landolfi, Dell’Acqua, Santini, Panzavecchia. Lomeli songea qu’il ne s’était pas rendu service en essayant de convaincre un électorat international avec une clique d’Italiens. Tous les sièges à l’arrière étaient occupés, et le doyen n’eut d’autre choix que de s’asseoir avec eux. Le minibus démarra. Conscients du regard du chauffeur, qui les surveillait dans son rétroviseur, les cardinaux ne parlèrent pas tout de suite. Mais Sabbadin finit pas se tourner vers Lomeli et lui dit avec une amabilité de façade :

— Doyen, j’ai remarqué que vous avez passé près d’une heure, ce matin, à étudier le plafond de Michel-Ange.

— En effet, et cette œuvre est d’une violence étonnante quand on prend le temps de l’examiner… des exécutions, des meurtres, le déluge. Je n’avais jamais remarqué auparavant l’expression de Dieu quand Il sépare la lumière et les ténèbres : cela fait froid dans le dos.

— Évidemment, il aurait été plus approprié pour nous de contempler l’histoire des porcs de Gadara, ce matin. Quel dommage que le maître n’ait jamais pensé à illustrer ça.

— Voyons, voyons, Giulio, avertit Bellini avec un coup d’œil en direction du chauffeur. Rappelle-toi où nous sommes.

Mais Sabbadin ne pouvait contenir son amertume. Sa seule concession fut de baisser la voix, qui ne fut plus qu’un sifflement, les obligeant tous à se pencher vers lui pour l’entendre.

— Sérieusement, avons-nous perdu la raison ? Ne voyons-nous pas que nous fonçons tête baissée vers un précipice ? Qu’est-ce que je vais leur dire, moi, à Milan, quand on commencera à découvrir les conceptions sociales de notre nouveau pape ?

— N’oublie pas qu’il y aura aussi beaucoup d’excitation à l’idée de connaître notre premier pontife africain.

— Oh, oui ! Génial ! Un pape qui autorisera les danses tribales au milieu de la messe mais qui ne tolérera pas la communion pour les divorcés !

— Cela suffit !

Bellini eut un geste du tranchant de la main pour couper court à la conversation. Lomeli ne l’avait jamais vu aussi en colère.

— Nous devons accepter la sagesse collective du conclave. Nous ne sommes pas à l’un des comités électoraux de ton père, Giulio… Dieu ne procède pas au recomptage des voix.

Puis il se tourna vers la vitre et ne dit plus rien jusqu’à la fin du court trajet. Sabbadin s’enfonça dans son siège, bras croisés, à la fois furieux, frustré et déçu. Dévoré par la curiosité, le conducteur ouvrait de grands yeux dans le rétroviseur.

Il leur fallait moins de cinq minutes pour aller de la Sixtine à la maison Sainte-Marthe. Lomeli estima par la suite qu’il devait donc être dans les 12 h 50 lorsqu’ils descendirent devant la résidence. Ils étaient les derniers arrivés. La moitié des cardinaux environ étaient déjà assis, et une trentaine d’autres faisaient la queue avec leur plateau ; les autres avaient dû monter dans leurs chambres. Les religieuses évoluaient entre les tables pour servir du vin. L’atmosphère était clairement électrique : maintenant qu’ils avaient le droit de parler ouvertement, les cardinaux échangeaient leurs avis concernant le résultat extraordinaire du vote. Tandis qu’il prenait sa place dans la queue, Lomeli fut étonné de voir Adeyemi installé à la même table qu’au petit déjeuner, avec le même contingent de cardinaux africains : à la place du Nigérian, il se serait retiré dans la chapelle, loin de l’agitation, pour s’immerger dans la prière.

Il avait atteint le comptoir et se servait un peu de riso tonnato quand il entendit des éclats de voix derrière lui, suivis du fracas d’un plateau heurtant le sol de marbre, d’un bris de verre et d’un cri de femme. (Ou était-ce bien un cri ? Un sanglot, aurait mieux convenu : un sanglot de femme.) Lomeli pivota pour voir ce qui se passait. D’autres cardinaux se levaient pour faire de même et lui bouchèrent la vue. Une religieuse, les mains plaquées sur la tête, traversa la salle à manger en courant et disparut dans la cuisine. Deux autres sœurs la suivirent à pas rapides. Il se tourna vers le cardinal le plus proche de lui — c’était le jeune Espagnol, Villanueva.

— Que s’est-il passé ? Vous avez vu quelque chose ?

— Je crois qu’elle a fait tomber une bouteille de vin.

Quel qu’ait été l’incident, il semblait terminé. Les cardinaux qui s’étaient levés avaient regagné leurs sièges. Le bourdonnement des conversations reprit lentement. Lomeli reporta son attention sur le comptoir pour achever de se servir. Puis, son plateau à la main, il chercha du regard une place ou s’asseoir. Une sœur sortit de la cuisine avec un seau et une serpillière et se dirigea vers la table des Africains, où Lomeli remarqua brusquement l’absence d’Adeyemi. À cet instant, il sut avec une clarté implacable ce qui s’était passé. Mais cette fois encore — et comme il se le reprocha par la suite ! — cette fois encore, son instinct fut de ne pas en tenir compte. Une vie de discrétion et d’autodiscipline guida ses pas vers la chaise libre la plus proche et força son corps à s’asseoir, sa bouche à sourire en guise de salut aux autres convives, sa main à déplier une serviette alors qu’il n’entendait plus dans ses oreilles qu’un bruit semblable à celui d’un torrent.

Le hasard voulut que la place voisine de la sienne fût occupée par l’archevêque de Bordeaux, Courtemarche — celui-là même qui avait remis en question l’existence historique de l’Holocauste et que Lomeli avait toujours évité. Se méprenant sur ses intentions, le Français crut à un geste officiel du doyen du Collège et s’empressa de faire une réclamation pour le compte de la Fraternité Saint-Pie-X. Lomeli écouta sans entendre. Une religieuse, qui gardait les yeux modestement baissés, s’approcha de son épaule pour lui proposer du vin. Il leva la tête pour décliner son offre et, pendant une fraction de seconde, leurs regards se croisèrent — et celui de la sœur exprimait un reproche si terrible qu’il en eut la bouche sèche.

— … le Cœur Immaculé de Marie… disait Courtemarche… La volonté du Ciel révélée à Fatima…

Derrière la sœur, trois des cardinaux africains qui avaient été assis à la table d’Adeyemi — Nakitanda, Mwangale et Zucula — venaient vers la table du doyen. Le plus jeune, Nakitanda de Kampala, semblait être leur porte-parole.

— Pourriez-vous nous accorder un instant, Doyen ?

— Bien sûr, répondit-il en adressant un petit salut à Courtemarche. Je vous prie de m’excuser.

Il suivit le trio jusqu’à un coin du hall.

— Que s’est-il passé ? questionna-t-il.

Zucula secoua la tête d’un air lugubre.

— Notre frère est tourmenté, dit-il.

— L’une des sœurs qui servaient à notre table s’est mise à parler à Joshua, intervint Nakitanda. Il a d’abord essayé de faire comme si de rien n’était. Puis elle a laissé tomber le plateau. Il s’est levé et il est parti.

— Qu’est-ce qu’elle a dit exactement ?

— Malheureusement, nous ne le savons pas. Elle parlait un dialecte nigérian.

— Du yoruba, précisa Mwangale. C’était du yoruba. La langue d’Adeyemi.

— Et où se trouve le cardinal Adeyemi à présent ?

— Nous n’en savons rien, Éminence, dit Nakitanda, mais, de toute évidence, quelque chose ne va pas, et il doit nous dire ce que c’est. Il faut que nous sachions ce qu’il en est de la sœur avant de retourner à la Sixtine pour voter. Qu’a-t-elle exactement à lui reprocher ?

Zucula saisit Lomeli par le bras. Pour un homme aussi frêle, il avait une poigne de fer.

— Nous attendons un pape africain depuis très longtemps, Jacopo, et si le choix de Dieu se porte sur Joshua, j’en serai heureux. Mais il doit avoir la conscience et le cœur purs. Ce doit être réellement un saint homme. Si ce n’est pas le cas, ce serait un désastre pour nous tous.

— Je comprends. Je vais voir ce que je peux faire.

Lomeli consulta sa montre. Il était 13 h 03.

Pour atteindre les cuisines depuis le hall, il fallait traverser toute la salle à manger. Les cardinaux avaient observé sa conversation avec les Africains, et il avait conscience tout en marchant d’être suivi par des dizaines de regards… de voir des têtes se rapprocher pour chuchoter, des fourchettes se figer à mi-course. Il poussa la porte. Il y avait des années qu’il n’était pas entré dans une cuisine, et en tout cas jamais dans une cuisine aussi animée que celle-ci. Il découvrit avec stupéfaction l’armée de religieuses qui préparaient le repas. Les sœurs les plus proches de lui baissèrent la tête.

— Éminence…

— Éminence…

— Dieu vous bénisse, mes enfants. Dites-moi, où est la sœur qui vient d’avoir un petit problème ?

— Elle est avec sœur Agnès, Éminence, répondit une religieuse italienne.

— Auriez-vous la gentillesse de me conduire à elle ?

— Bien sûr, Éminence. Je vous en prie.

Elle montra la porte qui donnait dans la salle à manger.

Lomeli eut un mouvement de recul.

— N’y aurait-il pas une entrée de service que nous pourrions emprunter ?

— Oui, Éminence.

— Montrez-moi, mon enfant.

Il la suivit à travers une réserve, puis dans un couloir de service.

— Vous savez comment s’appelle la sœur en question ?

— Non, Éminence. Elle est nouvelle.

La religieuse frappa timidement à la porte vitrée d’un bureau. Lomeli reconnut l’endroit où l’on avait conduit Benítez à son arrivée, seulement, maintenant, les stores étaient baissés, et il était impossible de voir à l’intérieur. Au bout d’un moment, il frappa lui-même contre la porte, un peu plus fort. Il entendit qu’on bougeait, puis la porte s’entrouvrit sur sœur Agnès.

— Éminence ?

— Bonjour, ma sœur. Je dois parler à la religieuse qui vient de laisser tomber son plateau.

— Elle est en sécurité avec moi, Éminence. Je gère la situation.

— Je n’en doute pas, sœur Agnès. Mais il faut que je lui parle.

— Je ne vois pas en quoi un plateau renversé pourrait concerner le doyen du Collège cardinalice.

— Néanmoins, si vous voulez bien ?

Il saisit la poignée de la porte.

— Ce n’est rien dont je ne puisse me charger…

Il poussa doucement le panneau et, après une dernière tentative de résistance, la religieuse céda.

La sœur était assise sur la même chaise qu’avait occupée Benítez, à côté de la photocopieuse. Elle se leva à son entrée. Il lui donna une cinquantaine d’années — petite, replète, timide, des lunettes : identique aux autres. Mais il était toujours si difficile de voir la personne au-delà de l’uniforme et du voile, surtout quand cette personne gardait les yeux rivés au sol.

— Asseyez-vous, mon enfant, dit-il doucement. Je suis le cardinal Lomeli. Nous nous inquiétons tous pour vous. Comment vous sentez-vous ?

— Elle se sent beaucoup mieux, Éminence, intervint sœur Agnès.

— Pouvez-vous me dire votre nom ?

— Elle s’appelle Shanumi. Et elle ne comprend pas un mot de ce que vous lui dites : la pauvre petite ne parle pas italien.

— Anglais ? demanda-t-il à la religieuse. Vous parlez anglais ?

Elle acquiesça d’un signe de tête. Elle ne l’avait toujours pas regardé.

— Bien. Moi aussi. J’ai vécu quelques années aux États-Unis. Je vous en prie, asseyez-vous.

— Éminence, je crois vraiment qu’il vaudrait mieux que je…

Sans se retourner, Lomeli répliqua d’une voix ferme :

— Voudriez-vous avoir l’amabilité de nous laisser maintenant, sœur Agnès ?

Ce ne fut que lorsqu’elle se permit de protester de nouveau que le doyen fit enfin volte-face et la foudroya d’un regard si glaçant que cette femme, qui avait fait trembler trois papes et au moins un seigneur africain, s’inclina et sortit à reculons de la pièce en refermant la porte derrière elle.

Lomeli prit une chaise et la tira juste en face de la religieuse, si près d’elle que leurs genoux se touchaient presque. Une telle intimité lui était physiquement pénible. Ô Dieu, pria-t-il, donne-moi la force et la sagesse d’aider cette pauvre femme et de découvrir ce que je dois savoir afin que je puisse m’acquitter de ma mission envers Toi.

— Sœur Shanumi, je veux tout d’abord que vous compreniez que vous n’aurez aucun problème. Le fait est que j’ai une responsabilité devant Dieu et vis-à-vis de notre Sainte Mère l’Église, que nous cherchons tous les deux à servir du mieux possible en nous efforçant de prendre les bonnes décisions. Là, il est important que vous me confiiez tout ce qui est dans votre cœur et qui vous trouble, pour autant que ce soit en relation avec le cardinal Adeyemi. Vous pouvez faire ça pour moi ?

Elle fit non de tête.

— Même si je vous donne l’assurance que cela ne sortira pas de cette pièce ?

Une pause, suivie par un nouveau mouvement négatif de la tête.

C’est alors qu’il eut une inspiration. Il serait par la suite toujours convaincu que Dieu était venu à son aide.

— Voudriez-vous que je vous entende en confession ?

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