12 Le cinquième tour

L’élection de la plupart des papes de l’époque récente n’avait pas pris plus de cinq tours. Ainsi, le dernier Saint-Père était devenu pontife au cinquième, et Lomeli le revoyait encore, refusant de s’asseoir sur le trône pontifical parce qu’il tenait à rester debout et à embrasser tous les cardinaux qui se pressaient pour le féliciter. Quatre tours de scrutin avaient suffi à élire Ratzinger. Lomeli se rappelait aussi son sourire timide quand il avait obtenu les deux tiers des suffrages et que le conclave l’avait chaleureusement applaudi. Jean-Paul Ier l’avait emporté au quatrième tour également. En fait, mis à part Wojtyla, la règle des cinq tours s’était vérifiée au moins depuis 1963, quand Montini avait battu Lercaro et avait glissé sa célèbre remarque à son rival plus charismatique : « Ainsi va la vie, Éminence — vous devriez être assis ici. »

Lomeli avait secrètement prié pour une élection en cinq tours — un bon chiffre rond et conventionnel, suggérant un choix qui ne tenait ni du schisme ni du couronnement, mais d’un processus de méditation pour arriver à discerner la volonté de Dieu. Mais ce ne serait pas pour cette fois-ci, et cela n’annonçait rien de bon.

Lorsqu’il étudiait le droit canon à l’Université pontificale du Latran, il avait lu Masse et Puissance, de Canetti. Il y avait appris à distinguer les diverses catégories de masses — la masse en panique, la masse stagnante, la masse révoltée, etc. C’était utile pour un homme d’Église. En appliquant cette analyse séculière, on pouvait considérer un conclave comme la masse la plus avertie de la terre, mue dans un sens ou dans un autre par l’impulsion collective de l’Esprit-Saint. Certains conclaves se révélaient timides et rétifs aux changements, tel celui qui avait élu Ratzinger ; d’autres se révélaient plus hardis, comme celui qui avait fini par choisir Wojtyla. Lomeli trouvait inquiétant que ce conclave-ci commence à montrer des signes de ce que Canetti aurait pu appeler une masse en désintégration. C’était une assemblée troublée, instable, fragile — susceptible de partir soudain dans n’importe quelle direction.

La motivation et l’excitation grandissantes sur lesquelles s’était terminée la séance du matin s’étaient évaporées. Désormais, tandis que les cardinaux se levaient pour voter et alors que le petit bout de ciel visible par les fenêtres en hauteur s’obscurcissait, le silence qui régnait dans la chapelle devenait aussi morne et pesant que celui d’un tombeau. Saint-Pierre sonna 17 heures, et l’on aurait pu croire entendre le glas lors d’un enterrement. Nous sommes des brebis égarées, songea Lomeli, et une grande tempête approche. Mais qui sera notre berger ? Il pensait toujours que le meilleur choix était Bellini, et il vota de nouveau pour lui, mais sans espoir de le voir l’emporter. Jusqu’à présent, l’Italien avait obtenu respectivement dix-huit, dix-neuf, dix et dix-huit voix aux quatre scrutins précédents : quelque chose l’empêchait visiblement de percer au-delà de son petit noyau de partisans. Peut-être était-ce parce qu’il avait été secrétaire d’État, et donc associé de trop près au Saint-Père, dont la politique s’était attiré à la fois les foudres des traditionalistes et la déception des réformateurs.

Malgré lui, son regard se posait régulièrement sur Tremblay. Le Canadien, qui triturait nerveusement sa croix pectorale pendant le scrutin, parvenait à réunir un manque de personnalité et une ambition passionnée — paradoxe qui n’était, à en croire l’expérience de Lomeli, pas si rare que cela. Mais peut-être ce manque de personnalité était-il justement ce qu’il fallait pour assurer la cohésion de l’Église. Et l’ambition était-elle nécessairement un péché ? Wojtyla avait été ambitieux. Seigneur, quelle assurance il avait, dès le début ! Le soir de son élection, lorsqu’il était monté au balcon pour s’adresser aux milliers de fidèles présents sur la place Saint-Pierre, c’est tout juste s’il n’avait pas poussé le maître des célébrations liturgiques pontificales tant il était pressé de parler au monde. S’il en était réduit à devoir choisir entre Tremblay et Tedesco, Lomeli décida qu’il voterait pour Tremblay — rapport secret ou pas. Il ne pouvait que prier de ne pas avoir à en arriver là.

Le ciel était complètement noir lorsque le dernier bulletin fut glissé dans l’urne et que les scrutateurs commencèrent le comptage des votes. Le résultat du dépouillement fut un nouveau choc.

Tremblay 40

Tedesco 38

Bellini 15

Lomeli 12

Adeyemi 9

Benítez 4

Alors que ses confrères se tournaient vers lui, Tremblay baissa la tête et joignit les mains en prière. Pour une fois, au lieu de trouver cette démonstration ostentatoire de piété irritante, Lomeli ferma brièvement les yeux et loua le Seigneur. Merci, mon Dieu, de nous avoir indiqué Ta volonté, et si le cardinal Tremblay doit être notre choix, je prie pour que Tu lui accordes la sagesse et la force de remplir sa mission. Amen.

C’est avec un certain soulagement qu’il se leva et fit face au conclave.

— Mes frères, cela conclut le cinquième tour. Aucun candidat n’ayant atteint la majorité nécessaire, nous reprendrons le vote demain matin. Les maîtres des cérémonies vont ramasser vos feuilles. Ne sortez aucune note écrite de la Sixtine, je vous prie, et prenez garde de ne pas souffler mot de nos délibérations avant d’être de retour à la résidence Sainte-Marthe. Le dernier cardinal-diacre pourrait-il avoir l’amabilité de demander qu’on ouvre les portes ?


À 18 h 22, une fumée noire s’échappa de nouveau de la cheminée de la chapelle Sixtine, capturée par le projecteur fixé au flanc de la basilique Saint-Pierre. Les experts invités par les chaînes de télévision se déclarèrent surpris de constater que le conclave n’avait toujours pas pu s’accorder. La plupart avaient prédit qu’un nouveau pape serait déjà élu à l’heure qu’il était, et les chaînes américaines se tenaient prêtes à interrompre leurs programmes de la mi-journée pour retransmettre les images de la place Saint-Pierre, lorsque le vainqueur apparaîtrait au balcon. Pour la première fois, ces spécialistes commencèrent à exprimer des doutes quant au soutien de la candidature de Bellini. S’il avait dû l’emporter, ce serait déjà fait. Une nouvelle sagesse collective s’élevait peu à peu des débris de l’ancienne : le conclave s’apprêtait à faire date dans l’histoire. Au Royaume-Uni — cette île impie d’apostasie, où toute l’affaire était traitée comme une course de chevaux —, les officines de paris firent du cardinal Adeyemi leur nouveau favori. Demain, entendait-on un peu partout, on pourrait enfin assister à la première élection d’un pape noir.


Comme d’habitude, Lomeli fut le dernier cardinal à quitter la chapelle. Il s’attarda pour regarder Mgr O’Malley brûler les bulletins, puis traversa avec lui la Sala Regia. Un agent de sécurité les suivit dans l’escalier jusqu’à la cour. Lomeli supposa que l’Irlandais, en tant que secrétaire du Collège cardinalice, devait connaître les résultats des scrutins de l’après-midi, ne fût-ce que parce qu’il lui revenait de récupérer les notes des cardinaux pour les brûler — et O’Malley n’était pas du genre à détourner les yeux d’un secret. Il devait donc être au courant de l’effondrement de la candidature d’Adeyemi, et de la percée inattendue de Tremblay. Mais il était trop discret pour aborder le sujet directement. Il préféra interroger à mi-voix :

— Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez que je fasse avant demain matin, Éminence ?

— Comme ?

— Je me demandais si vous voudriez que je retourne interroger Mgr Morales pour voir si je peux en apprendre un peu plus sur ce rapport annulé concernant le cardinal Tremblay.

Lomeli jeta un coup d’œil derrière lui, en direction du garde du corps.

— Je ne sais pas à quoi cela pourrait servir, Ray. S’il n’a rien voulu dire avant le début du conclave, il y a peu de chances qu’il accepte de le faire maintenant, surtout s’il soupçonne que le cardinal Tremblay pourrait bien devenir pape. Et c’est exactement ce qu’il soupçonnerait si vous l’interrogiez de nouveau à ce sujet.

Ils sortirent dans la nuit. Les derniers minibus étaient partis. Quelque part, non loin de là, un hélicoptère effectuait de nouveau un vol stationnaire. Lomeli fit signe à l’agent et montra la cour déserte.

— On dirait bien qu’on m’a oublié. Vous voulez bien ?

— Bien sûr, Éminence.

L’homme murmura aussitôt quelques mots dans sa manche.

Lomeli se retourna vers O’Malley. Il se sentait fatigué, très seul, et éprouva soudain le désir inhabituel de se confier.

— Il arrive qu’on en sache trop, mon cher monseigneur O’Malley. Qui parmi nous n’a pas un secret dont il a honte ? Cette horrible histoire d’avoir fermé les yeux sur des abus sexuels, par exemple — je travaillais aux Affaires étrangères et, Dieu merci, je n’ai pas eu à m’en mêler directement, mais je ne suis pas sûr que j’aurais fait preuve de plus de fermeté. Combien de nos frères n’ont pas pris les plaintes des victimes au sérieux et se sont contentés de muter les prêtres impliqués dans une autre paroisse ? Ceux qui n’ont pas voulu voir n’étaient pas forcément mauvais, mais ils n’ont simplement pas compris à quelle atrocité ils étaient confrontés, et ont préféré la tranquillité. On ne commettrait plus la même erreur.

Il demeura silencieux un moment, pensant à sœur Shanumi et à la petite photo élimée de son enfant.

— Et combien ont entretenu des amitiés qui sont devenues trop intimes, conduisant au péché et au chagrin ? Ou ce pauvre imbécile de Tutino, avec son appartement lamentable… sans famille, on peut facilement devenir obsédé par des questions de statut et de protocole pour se donner une impression d’accomplissement. Alors dites-moi, Ray : suis-je vraiment censé jouer les grands inquisiteurs et fouiller le passé de mes confrères pour trouver des fautes vieilles de plus de trente ans ?

— Je suis d’accord, Éminence, dit O’Malley. « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. » Cependant, je pensais que dans le cas du cardinal Tremblay, vous vous inquiétiez de quelque chose de beaucoup plus récent, un entretien entre le Saint-Père et le cardinal qui a eu lieu le mois dernier, non ?

— Effectivement. Mais je commence à découvrir que le Saint-Père… puisse-t-il être uni à tout jamais à la communauté des souverains pontifes…

— Amen, ajouta O’Malley, et les deux prélats se signèrent.

— Je commence à découvrir, reprit Lomeli en baissant la voix, que le Saint-Père n’était peut-être plus tout à fait lui-même au cours des dernières semaines de sa vie. De fait, d’après ce que m’a dit le cardinal Bellini, j’ai l’impression qu’il était presque devenu — je vous dis cela en toute confidence — légèrement paranoïaque, ou en tout cas très renfermé.

— Comme en témoignerait sa décision de créer un cardinal in pectore ?

— Exactement. Mais pourquoi donc a-t-il fait une chose pareille ? Laissez-moi vous dire tout de suite que je tiens le cardinal Benítez en très haute estime, et que je ne suis pas le seul — c’est un véritable homme de Dieu — mais était-il réellement nécessaire de le nommer en secret et avec une telle hâte ?

— D’autant plus qu’il venait de chercher à démissionner de sa fonction d’archevêque pour raisons de santé.

— Alors qu’il me paraît parfaitement sain de corps et d’esprit. De plus, hier soir, quand je me suis enquis de sa santé, il a paru surpris par ma question.

Lomeli se rendit compte qu’il chuchotait, et il se mit à rire.

— Écoutez-moi… on dirait une vieille servante de la Curie colportant les derniers ragots de nominations dans les coins sombres de la cité !

Un minibus pénétra dans la cour et s’immobilisa devant Lomeli. Le chauffeur ouvrit les portes. Il n’y avait personne d’autre à l’intérieur. Un souffle d’air chaud les assaillit.

— Vous voulez qu’on vous emmène à la résidence Sainte-Marthe ? s’enquit Lomeli en se tournant vers O’Malley.

— Non, merci, Éminence. Je dois retourner dans la Sixtine pour distribuer les nouveaux bulletins et m’assurer que tout est prêt pour demain.

— Bon, eh bien, bonsoir, Ray.

— Bonsoir, Éminence.

O’Malley tendit la main pour aider Lomeli à monter dans le véhicule et, pour une fois, le doyen se sentit si las qu’il la prit. L’Irlandais ajouta :

— Bien sûr, je peux approfondir un peu mon enquête, si vous le désirez.

Lomeli s’arrêta sur la dernière marche.

— Sur quoi ?

— Le cardinal Benítez.

Lomeli réfléchit.

— Merci, mais non, je ne crois pas. J’ai entendu assez de secrets pour aujourd’hui. Que la volonté de Dieu soit faite… et le plus vite sera le mieux.


Lorsqu’il parvint à la résidence Sainte-Marthe, Lomeli se dirigea directement vers l’ascenseur. Il n’était pas tout à fait 19 heures. Il maintint la porte ouverte assez longtemps pour permettre aux archevêques de Stuttgart et de Prague, Löwenstein et Jandaček, de monter avec lui. Le Tchèque, visiblement épuisé, s’appuyait sur sa canne. Alors que la porte se refermait et que la cabine s’ébranlait, Löwenstein interrogea :

— Alors, Doyen, pensez-vous que ce sera terminé avant demain soir ?

— Peut-être, Éminence. Ce n’est pas à moi de décider.

Löwenstein haussa les sourcils et jeta un bref coup d’œil en direction de Jandaček.

— Si cela traîne encore, je me demande quels sont les risques statistiques pour que l’un d’entre nous meure avant qu’on ait élu un nouveau pape.

— Vous devriez faire part de vos craintes à certains de nos frères, répliqua Lomeli en souriant avec un petit salut de la tête. Cela pourrait peut-être rassembler les esprits. Excusez-moi : c’est mon étage.

Il sortit de l’ascenseur, dépassa les veilleuses votives devant l’appartement du Saint-Père et continua dans le couloir faiblement éclairé. De derrière certaines portes closes lui parvenaient des bruits de douche. Une fois devant sa chambre, il hésita, puis avança encore de quelques pas jusqu’à celle d’Adeyemi. Aucun bruit n’en sortait. Le contraste entre ce profond silence et les rires excités de la veille lui fit mal. Ce qu’il avait été contraint de faire l’épouvantait. Il frappa doucement.

— Joshua ? C’est Lomeli. Vous allez bien ?

Il n’y eut pas de réponse.

Cette fois encore, les religieuses avaient fait sa chambre. Il ôta sa mozette et son rochet puis s’assit au bord de son lit et desserra ses lacets. Il avait mal au dos. Ses yeux larmoyaient de fatigue. Il savait que, s’il s’allongeait, il s’endormirait instantanément. Alors il se leva pour aller au prie-Dieu, s’agenouilla et ouvrit son bréviaire aux prières du jour. Son regard tomba immédiatement sur le Psaume 46 :

Venez et voyez les actes du Seigneur,

comme Il couvre de ruines la terre.

Il détruit la guerre jusqu’au bout du monde,

Il casse les arcs, brise les lances,

incendie les chars.

Pendant qu’il méditait, il commença à éprouver la même prémonition de chaos et de violence qui s’était emparée de lui pendant la séance du matin dans la chapelle Sixtine. Il comprit pour la première fois que Dieu cherchait la destruction : qu’elle était inhérente à Sa création depuis le début, et qu’ils ne pouvaient pas y échapper… qu’Il viendrait parmi eux rempli de colère. Venez et voyez les actes du Seigneur, comme il couvre de ruines la terre… ! Il agrippa les bords du prie-Dieu avec une telle force que, quelques minutes plus tard, lorsque des coups sonores furent frappés à sa porte, derrière lui, son corps tout entier sursauta comme sous l’effet d’une décharge électrique.

— Un instant !

Il se releva péniblement et posa brièvement la main sur son cœur. Celui-ci semblait se débattre contre ses doigts tel un animal en cage. Était-ce ce que le Saint-Père avait ressenti juste avant de mourir ? De soudaines palpitations qui s’étaient muées en un étau douloureux ? Il attendit un moment pour se ressaisir avant d’ouvrir.

Bellini et Sabbadin se tenaient dans le couloir.

Bellini le regarda d’un air inquiet.

— Excuse-nous, Jacopo, nous dérangeons tes prières ?

— Oh, ce n’est rien. Je suis sûr que Dieu nous pardonnera.

— Tu ne te sens pas bien ?

— Parfaitement bien. Entrez.

Il s’effaça pour les laisser passer. Comme à son habitude, l’archevêque de Milan affichait l’air lugubre d’un entrepreneur de pompes funèbres, même si son visage s’éclaira quand il découvrit la chambre de Lomeli.

— Oh ! là, là ! mais c’est minuscule. Nous avons tous les deux des suites.

— Ce n’est pas tant le manque d’espace que le manque d’air et de lumière que je trouve pénible. Ça me donne des cauchemars. Mais prions pour que ça ne dure plus trop longtemps.

— Amen !

— C’est justement ce qui nous amène, dit Bellini.

— Asseyez-vous, les invita Lomeli en retirant sa mozette et son rochet de son lit pour en draper le prie-Dieu et leur faire de la place.

Puis il prit la chaise du bureau et la retourna afin de s’asseoir face à eux.

— Je vous proposerais bien à boire, mais, contrairement à Guttuso, je n’ai pas eu la présence d’esprit d’apporter mes provisions.

— Nous n’en avons pas pour longtemps, assura Bellini. Je voulais simplement te mettre au courant que je suis arrivé à la conclusion que je n’ai pas assez de soutien parmi nos confrères pour être élu pape.

Lomeli fut pris de court par sa franchise.

— Je n’en serais pas si sûr, Aldo. Ce n’est pas encore terminé.

— Tu es très aimable, mais pour moi, je crains bien que ce ne soit fini. J’ai une cohorte de partisans très loyaux, parmi lesquels je suis touché de pouvoir te compter, Jacopo, en dépit du fait que j’ai pris ton poste de secrétaire d’État et que tu aurais été en droit de m’en vouloir.

— Je n’ai jamais dévié dans ma certitude que tu es l’homme qui convient le mieux pour le poste.

— Bien dit, commenta Sabbadin.

Bellini leva la main.

— Je vous en prie, mes chers amis, ne me rendez pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà. Maintenant, la question qui se pose est : étant donné que je ne peux pas gagner, pour qui dois-je conseiller à mes partisans de voter ? Au premier tour, j’ai voté pour Vandroogenbroek — le plus grand théologien de son temps, à mon avis — même si, évidemment, il n’avait pas une chance. Aux quatre tours suivants, j’ai voté pour toi, Jacopo.

Surpris, Lomeli cligna des yeux.

— Mon cher Aldo, je ne sais pas quoi dire…

— Et je serais heureux de continuer à voter pour toi et de conseiller à nos frères de faire de même, mais…

Il haussa les épaules.

— Mais tu ne peux pas gagner non plus, décréta brutalement Sabbadin.

Il ouvrit son tout petit calepin noir.

— Aldo a obtenu quinze voix au dernier tour ; tu en as eu douze. Alors, même si on t’offrait ces quinze voix sur un plateau, ce qu’on ne peut pas faire, tu serais toujours à la troisième place, derrière Tremblay et Tedesco. Les Italiens sont divisés — comme toujours ! — et comme nous sommes tous les trois d’accord pour penser que le patriarche de Venise serait une catastrophe, la logique de la situation est claire. La seule option viable est Tremblay. Nos vingt-sept voix combinées ajoutées aux quarante qu’il a obtenues lui donneraient un total de soixante-sept. Cela signifie qu’il ne lui manquerait plus que douze voix pour arriver à la majorité des deux tiers. S’il ne les obtient pas au prochain tour, j’ai l’impression qu’il les aura certainement à celui d’après. Tu n’es pas d’accord, Lomeli ?

— Si, malheureusement.

— Je ne suis pas plus fan de Tremblay que toi, assura Bellini. Mais on doit se rendre à l’évidence : il séduit largement. Et si l’on croit que le Saint-Esprit s’exprime par le conclave, nous devons accepter que Dieu — aussi improbable que ça puisse paraître — attend de nous que nous remettions les clés de Saint-Pierre à Joe Tremblay.

— C’est possible… même si, curieusement, jusqu’au déjeuner, Il semblait vouloir qu’on les donne à Joshua Adeyemi.

Lomeli regarda le mur. Il se demanda si le Nigérian écoutait.

— Puis-je ajouter que je suis un peu troublé par ceci…, dit-il en désignant leur petit groupe du geste, par cette espèce de collusion entre nous trois pour tenter d’influencer le résultat du scrutin ? Ça ressemble à un sacrilège. Il ne nous manque plus que le patriarche de Lisbonne avec son cigare pour nous retrouver dans une salle enfumée, comme dans une convention politique américaine.

Bellini eut un petit sourire ; Sabbadin se rembrunit.

— Sérieusement, n’oublions pas que nous jurons de donner notre voix à celui que, selon Dieu, nous jugeons devoir être élu. Il n’est pas suffisant pour nous de voter pour la moins mauvaise solution.

— Vraiment, Doyen, avec tout le respect que je te dois, c’est du sophisme ! répliqua Sabbadin avec un ricanement. Au premier tour, on peut jouer les puristes, oui, très bien. Mais quand on arrive au quatrième ou au cinquième tour, nos préférences personnelles se sont la plupart du temps réduites à rien, et on est obligé de choisir dans un champ restreint. Ce processus de concentration est la raison d’être du conclave. Sinon, tout le monde resterait sur ses positions et nous serions coincés ici pendant des semaines.

— Et c’est là-dessus que compte Tedesco, ajouta Bellini.

— Je sais, je sais. Vous avez raison, soupira Lomeli. Je suis arrivé à la même conclusion dans la Sixtine cet après-midi. Et pourtant…

Il se pencha en avant sur sa chaise et se frotta les paumes, se demandant s’il devait leur dire ce qu’il avait appris ou pas.

— Il y a une chose qu’il faut que vous sachiez. Juste avant le début du conclave, l’archevêque Woźniak est venu me voir. Il m’a confié que le Saint-Père s’était sérieusement disputé avec Tremblay, à tel point qu’il avait l’intention de le démettre de toutes ses fonctions dans l’Église. L’un ou l’autre d’entre vous a-t-il entendu parler de cette histoire ?

Bellini et Sabbadin se regardèrent avec stupéfaction.

— Tu nous l’apprends. Mais tu crois que c’est vrai ?

— Je n’en sais rien. J’ai posé la question à Tremblay lui-même, mais, naturellement, il a nié : il a attribué cette allégation à l’abus de boisson de Woźniak.

— Eh bien, c’est possible, commenta Sabbadin.

— Et pourtant, Woźniak n’a pas pu tout inventer.

— Pourquoi pas ?

— Parce que j’ai découvert ensuite qu’il y avait bien eu un rapport sur Tremblay, mais qu’il avait été retiré.

Il y eut un moment de silence pendant lequel ils digérèrent l’information. Puis Sabbadin se tourna vers Bellini.

— S’il y a effectivement eu un rapport, en tant que secrétaire d’État, tu devrais être au courant, non ?

— Pas nécessairement. Tu sais comment ça fonctionne. Et le Saint-Père faisait beaucoup de mystères.

Il y eut un nouveau silence, qui dura peut-être trente secondes, brisé de nouveau par Sabbadin :

— Nous ne trouverons jamais de candidat dont le nom ne soit pas d’une façon ou d’une autre entaché. Nous avons eu un pape qui a fait partie des Jeunesses hitlériennes et s’est battu du côté des nazis. Nous avons eu des papes accusés de collusion avec les communistes et les fascistes, ou qui ont ignoré des accusations d’abus épouvantables… Quelle est la limite ? Dès qu’on fait partie de la Curie, on peut être sûr que quelqu’un va laisser filtrer des informations nous concernant. Et si l’on a été archevêque, il est presque inévitable qu’on ait commis une erreur à un moment ou à un autre. Nous sommes mortels. Nous servons un idéal ; nous ne pouvons pas toujours être cet idéal.

On aurait dit un plaidoyer bien préparé — à tel point que, pendant un instant, Lomeli fut traversé par la pensée indigne que Sabbadin était peut-être déjà allé voir Tremblay pour lui proposer de lui assurer le pontificat contre une future nomination. Il en croyait l’archevêque de Milan tout à fait capable : celui-ci n’avait jamais dissimulé son ambition de devenir secrétaire d’État. Cependant, le doyen se contenta de commenter :

— C’était très bien formulé.

— Alors nous sommes d’accord, Jacopo ? intervint Bellini. Je parlerai à mes partisans et tu parleras aux tiens, pour les presser de soutenir Tremblay ?

— Si tu veux. Mais je dois préciser que je n’ai aucune idée de qui sont mes partisans, à part toi et Benítez.

— Benítez, répéta pensivement Sabbadin. Ah, voilà un type intéressant. Je ne sais pas du tout quoi en penser.

Il consulta son calepin.

— Et il a quand même obtenu quatre voix au dernier scrutin. D’où peuvent-elles bien venir ? Tu devrais lui dire un mot, Jacopo, et voir si tu peux l’amener à notre point de vue. Ces quatre voix pourraient bien faire toute la différence.

Lomeli accepta d’essayer de parler à Benítez avant le dîner. Il irait le voir dans sa chambre. C’était le genre de conversation qu’il préférait éviter d’avoir devant les autres cardinaux.


Une demi-heure plus tard, Lomeli prit l’ascenseur jusqu’au cinquième étage du bloc B. Il se rappelait Benítez lui disant que sa chambre se situait tout en haut de la résidence, dans l’aile qui donnait sur la ville, mais maintenant qu’il était ici, il se rendit compte qu’il n’en connaissait pas le numéro. Il avança dans le couloir, examinant la douzaine de portes identiques, jusqu’au moment où il entendit des voix derrière lui. Il se retourna et vit surgir deux cardinaux. L’un d’eux était Gambino, l’archevêque de Pérouse, qui comptait au nombre des directeurs de campagne non officiels de Tedesco. L’autre était Adeyemi. Ils étaient en pleine conversation.

— Je suis sûr qu’on peut le convaincre, disait Gambino.

Mais ils s’interrompirent à l’instant où ils aperçurent Lomeli.

— Vous êtes perdu, Doyen ? questionna Gambino.

— En fait, oui. Je cherche le cardinal Benítez.

— Ah, le petit nouveau ! Seriez-vous en train d’intriguer, Éminence ?

— Non… ou du moins, pas plus que n’importe qui.

— Alors, vous intriguez bien, dit l’archevêque, visiblement amusé, avant de désigner le bout du couloir. Je crois que vous le trouverez dans la dernière chambre, sur la gauche.

Pendant que Gambino se détournait pour appeler l’ascenseur, Adeyemi s’attarda encore une fraction de seconde, les yeux rivés sur Lomeli. Son expression semblait dire : Vous me croyez fini, mais épargnez-moi votre pitié, car je n’ai pas encore perdu tout mon pouvoir. Puis il rejoignit Gambino dans l’ascenseur. Les portes se refermèrent, et Lomeli contempla l’espace vide. Il se rendit compte qu’ils avaient complètement oublié l’influence d’Adeyemi dans leurs calculs. Bien que sa candidature soit de toute évidence condamnée, le Nigérian avait tout de même reçu neuf voix au dernier tour. S’il pouvait transmettre ne fût-ce que la moitié de ces irréductibles à Tedesco, le patriarche de Venise serait assuré d’avoir son tiers de blocage.

Cette pensée stimula Lomeli. Il se rendit au bout du couloir et frappa fermement à la dernière porte. Au bout d’un instant, il entendit Benítez demander :

— Qui est-ce ?

— C’est Lomeli.

Le verrou coulissa, et la porte s’entrouvrit.

— Éminence ?

Benítez maintenait le col encore ouvert de sa soutane contre sa gorge. Ses minces pieds bruns étaient nus. Derrière lui, la chambre était plongée dans l’obscurité.

— Pardonnez-moi de vous interrompre pendant que vous vous habillez. Puis-je vous dire quelques mots ?

— Bien sûr. Un instant.

Benítez disparut dans sa chambre. Sa méfiance parut curieuse à Lomeli, puis il songea que s’il avait vécu dans certains des endroits que cet homme avait fréquentés, il aurait sans doute pris lui aussi l’habitude de ne pas ouvrir sa porte avant d’avoir vérifié qui était de l’autre côté.

Deux autres cardinaux étaient apparus dans le couloir et se préparaient à descendre dîner. Ils regardèrent dans sa direction, et Lomeli les salua de la main. Ils firent de même.

Benítez ouvrit sa porte en grand. Il avait fini de s’habiller.

— Entrez, Éminence, dit-il en allumant la lumière. Veuillez m’excuser. À ce moment de la journée, j’essaie toujours de prendre une heure pour méditer.

Lomeli le suivit à l’intérieur. La chambre était petite — identique à la sienne — et parsemée d’une douzaine de bougies vacillantes : sur la table de nuit, sur le bureau, près du prie-Dieu, et même dans la salle de bains obscure.

— En Afrique, j’ai pris l’habitude de ne pas toujours avoir d’électricité, expliqua Benítez. Et maintenant, je m’aperçois que les bougies me sont essentielles quand je prie seul. Les sœurs ont eu la gentillesse de m’en procurer quelques-unes. La qualité de la lumière apporte quelque chose.

— Intéressant… je devrais voir si ça m’aide.

— Vous avez des difficultés pour prier ?

Lomeli fut surpris qu’on lui pose une question aussi directe.

— Parfois. Surtout ces derniers temps, ajouta-t-il en esquissant un vague cercle en l’air. J’ai l’esprit encombré par trop de choses.

— Je pourrais peut-être vous aider ?

Lomeli se sentit fugitivement offensé — était-ce à lui, ancien secrétaire d’État, doyen du Collège cardinalice, qu’on allait apprendre à prier ? — mais la proposition était clairement sincère, et il répondit tout naturellement :

— Oui, ce serait avec plaisir. Merci.

— Je vous en prie, asseyez-vous, offrit Benítez en tirant la chaise du bureau. Cela vous dérange-t-il si je finis de me préparer pendant que nous parlons ?

— Non, allez-y.

Lomeli observa le Philippin s’asseoir sur le lit et enfiler ses chaussettes. Il fut de nouveau frappé par la jeunesse et la forme qu’il affichait pour un homme de soixante-sept ans — on aurait presque dit un adolescent, avec ses mèches de cheveux d’un noir de jais qui retombaient sur son visage telles des coulures d’encre tandis qu’il penchait la tête vers ses pieds. Pour Lomeli, ces derniers temps, mettre ses chaussettes pouvait prendre dix minutes. Les membres et les doigts de Benítez paraissaient aussi souples et agiles que ceux d’un garçon de vingt ans. Peut-être pratiquait-il le yoga en plus de la prière, à la lueur des bougies ?

Le doyen se rappela soudain ce qui l’amenait.

— L’autre soir, vous avez eu la gentillesse de me dire que vous aviez voté pour moi.

— Effectivement.

— Je ne sais pas si vous avez continué à le faire — et je ne vous demande pas de me le dire — mais si c’est le cas, je voudrais vous réitérer mon souhait que vous ne le fassiez plus, et cette fois-ci, je vous en prie instamment.

— Pourquoi ?

— D’abord parce que je n’ai pas la profondeur spirituelle nécessaire pour être pape. Ensuite, parce qu’il est impossible que je gagne. Vous devez comprendre, Éminence, que ce conclave ne tient qu’à un fil. Si nous n’arrivons pas à tomber d’accord demain, les règles sont très claires. Le vote sera suspendu pendant une journée afin que nous puissions réfléchir à cette impasse. Puis nous devrons réessayer pendant deux jours. Ensuite, il y aura une nouvelle journée de trêve. Et ainsi de suite pendant douze jours consécutifs et un maximum de trente tours de scrutin. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourrait envisager d’élire un nouveau pape à la majorité simple.

— Et alors ? Quel est le problème ?

— Ça me paraît évident : un processus aussi long serait certainement très dommageable pour l’Église.

— Dommageable ? Je ne comprends pas.

Était-il naïf ou fourbe ? songea Lomeli. Il poursuivit patiemment :

— Eh bien, douze jours de votes et de discussions effectués à huis clos, avec la moitié des médias du monde entier postée à Rome, ce serait la preuve pour tous que l’Église est en crise… qu’elle ne peut s’accorder sur un dirigeant pour la guider en ces temps difficiles. Et, franchement, cela renforcerait aussi la faction de nos confrères qui veulent ramener l’Église à une époque reculée. Dans mes pires cauchemars, si je peux vous parler en toute liberté, ma crainte est qu’un conclave prolongé pourrait marquer le début du grand schisme qui nous menace depuis près de soixante ans.

— Donc, si je comprends bien, vous êtes venu me demander de voter pour le cardinal Tremblay ?

Lomeli pensa qu’il était plus perspicace qu’il ne le laissait paraître.

— C’est ce que je conseillerais. Et si vous savez qui sont les cardinaux qui ont voté pour vous, je vous prierais également d’envisager de leur conseiller la même chose. D’ailleurs, simple curiosité, vous les connaissez ?

— Je soupçonne deux d’entre eux d’être mes compatriotes, le cardinal Mendoza et le cardinal Ramos… même si, comme vous, j’ai bien supplié tout le monde de ne pas me soutenir. En fait, le cardinal Tremblay est déjà venu me voir à ce sujet.

— Ça ne m’étonne pas ! commenta Lomeli en riant.

Il regretta aussitôt son sarcasme.

— Vous voulez donc que je vote pour quelqu’un que vous considérez comme ambitieux ?

Benítez dévisagea le doyen — un regard appuyé, long et scrutateur qui mit ce dernier assez mal à l’aise — puis mit ses chaussures sans rien ajouter.

Lomeli s’agita sur son siège. Ce silence qui durait ne lui plaisait pas beaucoup. Il finit par dire :

— J’ai supposé, bien sûr, du fait de votre relation visiblement étroite avec le Saint-Père, que vous ne souhaitiez pas l’élection du cardinal Tedesco. Mais peut-être me suis-je trompé. Peut-être partagez-vous ses opinions ?

Benítez finit de lacer ses chaussures et posa les pieds par terre avant de lever à nouveau les yeux.

— Je crois en Dieu, Éminence. Et en Dieu seul. C’est pour cela que je ne comprends pas votre inquiétude à la perspective d’un long conclave… ou même d’un schisme, si on doit en arriver là. Qui sait ? Peut-être que c’est ce que veut le Seigneur ? Cela expliquerait pourquoi notre conclave prend un tour si énigmatique que vous-même ne puissiez le résoudre.

— Un schisme irait à l’encontre de tout ce en quoi je crois et à quoi je travaille depuis toujours.

— C’est-à-dire ?

— Le don divin d’une Église universelle unique.

— Et l’unité de cette institution mérite qu’elle soit préservée, même s’il en coûte pour cela de rompre un serment sacré ?

— Voilà une assertion bien extraordinaire. L’Église n’est pas qu’une institution, comme vous l’appelez, mais l’incarnation vivante du Saint-Esprit.

— Ah, alors c’est là que nous divergeons. J’ai le sentiment que j’ai plus de chance de rencontrer l’incarnation du Saint-Esprit ailleurs… par exemple chez ces deux millions de femmes qui ont été violées dans le cadre d’une politique militaire de terreur durant les guerres civiles d’Afrique centrale.

Lomeli fut tellement décontenancé qu’il ne put répondre tout de suite. Puis il déclara avec raideur :

— Je puis vous assurer que jamais je ne consentirais à rompre mon serment envers Dieu, quelles que puissent en être les conséquences pour l’Église.

La sonnerie du soir retentit — un son strident et prolongé rappelant une alarme d’incendie — pour signaler que le dîner était prêt.

Benítez se mit debout et tendit la main.

— Je ne voulais pas vous offenser, Doyen, et je suis désolé si je l’ai fait. Mais je ne peux voter que pour celui que je juge le plus digne d’être pape. Et pour moi, cet homme n’est pas le cardinal Tremblay : c’est vous.

— Combien de fois devrai-je le répéter, Éminence ? s’exclama Lomeli en frappant de frustration le côté de sa chaise. Je ne veux pas de votre voix !

— Eh bien, vous l’aurez tout de même, conclut Benítez en avançant un peu plus sa main. Venez. Soyons amis. Vous voulez bien que nous descendions ensemble dîner ?

Lomeli fulmina encore quelques secondes, puis soupira et prit la main tendue, qui l’aida à se relever. Il regarda le Philippin faire le tour de la chambre pour souffler les veilleuses. Chaque mèche éteinte émit un filament de fumée noire et âcre, et l’odeur de cire fondue ramena aussitôt Lomeli à l’époque où il faisait son séminaire et lisait à la lumière d’une bougie dans le dortoir, après l’extinction des feux, feignant de dormir dès que le prêtre approchait. Il entra dans la salle de bains, mouilla d’un coup de langue le bout de son pouce et de son index et éteignit la chandelle posée près du lavabo. Il remarqua alors le petit ensemble de toilette qu’O’Malley avait fourni à Benítez le soir de son arrivée — une brosse à dents, un petit tube de dentifrice, un flacon de déodorant et un rasoir jetable, toujours dans son emballage de cellophane.

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