Chapitre XI

Une énorme veine battait sur la tempe de l’Ambassadeur Extraordinaire Plénipotentiaire. Il poussait des petits grognements de plaisir et de frustration, tandis que ses longues mains noires pétrissaient les seins somptueux de la fille assise sur ses genoux, à travers son chemisier.

Les yeux lui sortaient pratiquement de la tête. Il se mit debout tout à coup et commença à arracher ses vêtements comme s’ils avaient été infestés de vermine. Il ne prit même pas le temps d’ôter complètement le pantalon de son smoking, le laissant tomber sur ses chevilles. Plusieurs boutons de sa chemise avaient sauté. Soulevant la fille presque à bout de bras, il se mit debout. Il y avait une telle différence de taille que son ventre était à la hauteur de son chemisier.

Le gigantesque diplomate abandonna les seins de sa partenaire et la prit aux hanches à deux mains, sous sa jupe de daim. Lorsqu’il réalisa qu’elle ne portait aucun dessous, il poussa un rugissement. Un vrai cri de guerre primitif. Il se laissa aller en arrière sur les coussins, souleva la fille au-dessus de lui et l’assit sur lui, l’écartelant si brutalement qu’elle poussa un cri. Puis il commença à secouer son corps contre le sien si furieusement, en la tenant par la taille, qu’il prit très vite son plaisir. Il se laissa tomber sur le côté, entraînant sa cavalière, toujours empalée à lui.

Chris Jones humecta ses lèvres sèches, reprit son souffle et se dit que ça allait faire une sacrée séquence pour la CIA. Il se sentait tout bizarre. Le spectacle de ce Noir gigantesque qu’il avait croisé dans les couloirs de l’ONU, compassé et sévère, faisant l’amour avec une violence primitive et égoïste, le troublait. Et cela se passait à quelques mètres de lui. Il avait entendu les gémissements, les grognements, les froissements de tissu.

Il avait beau se dire qu’il était en service commandé, il n’était pas en paix avec lui-même. Son éducation puritaine du Middle West ne l’avait pas préparé à cela. Si sa femme apprenait qu’il avait assisté à un tel spectacle, même on duty, elle le jetterait dehors, tout simplement.

Il retint une exclamation de dégoût en voyant ce qui se passait dans le coin le plus éloigné de la pièce. Un des diplomates noirs, assis sur le canapé, caressait distraitement les cheveux crépus d’un très jeune Noir, assis à ses pieds et occupé à lui dispenser une caresse de virtuose. Il n’avait pas plus de seize ans. La CIA utilisait parfois Ralph Mills pour ce genre de travail. Rien ne le rebutait. À l’âge de sept ans, il avait été violé sur un toit de Harlem par deux homosexuels. Et depuis l’âge de douze ans, il racolait des hommes sur la 42e Rue, leur offrant ses services pour des sommes allant de un à cinq dollars.

La CIA payait beaucoup mieux et intervenait discrètement lorsque Ralph avait des ennuis avec un client qu’il avait mordu jusqu’au sang. Son péché mignon.

Chris commençait à s’endormir devant ses six écrans de télévision intérieure quand tout s’était déclenché sans préambule. Jusque-là, il n’y avait vraiment rien eu d’excitant. Il se trouvait dans l’appartement contigu à celui occupé par Malko, également propriété de la CIA. Juste à titre d’observateur au cas ou un événement imprévu se produirait, nécessitant une intervention extérieure. Tout ce qui se passait de l’autre côté du mur était filmé, enregistré et télévisé sur ce circuit intérieur.

Malko avait sélectionné sept chefs de délégation parmi ceux qui avaient le plus de chance d’être sensibles à une « pression ». Selon l’importance de leur pays, leur situation de famille, l’état de leurs finances et leur absence de convictions politiques.

Il y avait seulement quatre filles : Gail, Cathy, Claudia et Lo-ning. Cathy était encore plus grande, plus blonde, plus sexy que Gail. Le genre de fille capable de rendre fou un homme avant même d’ouvrir la bouche. Claudia était un peu plus petite, avec des cheveux bouclés, une poitrine et des fesses très marquées. Lo-ning portait une tunique noire brodée.

Au début, tous étaient assis sur des coussins, accotés à un grand canapé, face aux écrans de télévision. Par moments la haute silhouette de Krisantem apparaissait avec un plateau, merveilleusement stylé.

Chris avait bâillé d’ennui.

Finalement toutes ces histoires d’orgie, c’était du bidon. On se serait cru dans le Middle West.

Et puis, Gail s’était levée et avait tiré par la main un diplomate noir. Elle portait une tunique beige, très échancrée, ultra-courte. Elle avait amené l’homme près du mur où il y avait un espace libre réservé théoriquement pour la danse.

— Nom de Dieu !

Chris n’avait pas pu s’empêcher de jurer. Gail tranquillement venait de défaire sa fermeture éclair et avait laissé tomber sa tunique à terre. Radieusement nue, elle avait enlacé le diplomate pour un slow passionné.

Chris avait oublié son sommeil. À son tour, Cathy venait de faire lever un second diplomate. Mais elle s’était mise nue avant même de se lever et, gentiment, avait commencé à déshabiller son partenaire. En commençant par les chaussures. Quand il était apparut en caleçon à fleurs, Chris avait éclaté de rire nerveusement. Tout cela semblait irréel, à cause de la télévision.

Et puis, il n’avait plus eu envie de rire. Gail ne dansait plus. Lentement, elle s’était laissé glisser le long du corps du diplomate. À genoux sur le plancher, elle lui appliquait une caresse parfaitement calculée pour l’amener au bord de l’hystérie. Chris avait vu les yeux de l’homme rouler dans leurs orbites, alors qu’il étreignait les cheveux blonds, forçant la tête contre lui.

Soudain, elle s’était redressée et éloignée un peu de lui, le laissant dans un état à rendre jaloux un étalon. Puis, moqueusement, elle s’était mise à danser autour de lui.

La réaction n’avait pas tardé. Le diplomate noir s’était jeté sur elle, la faisant tomber sur les coussins. Docilement, elle s’était ouverte sous lui, tandis qu’il luttait furieusement avec la ceinture de son pantalon. Gail avait bougé un peu comme pour lui échapper, pivotant de quarante-cinq degrés. L’homme l’avait suivie avec un grognement de dépit. Ignorant que Gail s’était seulement déplacée pour se placer mieux dans l’angle des caméras. À cause des gros plans.

Elle avait noué gracieusement ses longues jambes autour de son corps, le verrouillant, en quelque sorte. Il était tellement excité qu’on aurait pu lui mettre quatre caméras autour de lui sans qu’il s’en aperçoive.

Chris avait réalisé soudain que sa respiration était aussi courte que celle de l’homme en train de besogner Gail et en avait rougi.

Hélas ! ses tourments moraux ne faisaient que commencer.

Cathy se tenait en face du second diplomate, qu’elle avait déshabillé. Tout en remuant vaguement au son de la musique, elle le caressait posément, les yeux dans les yeux, en lui murmurant des obscénités épouvantables, d’autant plus choquantes en raison de son visage angélique. L’homme haletait, cherchait à s’échapper pour la prendre, mais elle le tenait solidement. Il n’arriva pas à se libérer avant qu’elle ne lui ait fait prendre son plaisir.

Son visage crispé ferait également une bonne séquence.

Chris Jones s’était épongé le front. Il n’osait plus regarder ce qui se passait sur les coussins à l’arrière-plan. Cela lui rappelait le jour où il avait surpris Malko en galante compagnie à Istanbul. Il éprouvait le même mélange d’excitation et de honte. Décidément, le métier de barbouze avait d’étranges à-côtés. Après avoir pesé le pour et le contre, il s’était approché du sixième poste de télévision, et l’avait allumé.

Pour voir le gigantesque ambassadeur se livrer à son assaut final.


* * *

— Restez près de moi, murmura Lo-ning à Malko.

Dès qu’elle vit Gail se déshabiller, elle se coula contre lui et l’embrassa. Depuis le début de la soirée, le représentant du micro-État africain la dévorait des yeux. Heureusement, Claudia l’avait pris pour l’instant en main d’une façon telle qu’il avait oublié Lo-ning.

C’est la jeune Chinoise qui avait insisté pour participer à cette soirée un peu spéciale. Pas seulement pour des raisons professionnelles, avait soupçonné Malko.

Lo-ning le caressait doucement. Il s’aperçut qu’elle avait sournoisement défait la fermeture de sa tunique. Elle l’embrassa et il lui rendit son baiser. Au fond, il était heureux qu’elle soit là. Ce n’était pas les dollars qui la poussaient.

À son tour, il se dépouilla de son kimono. Lo-ning se glissa sous lui, comme une petite bête parfumée, parcourant son corps de baisers d’oiseau. C’est elle qui le guida. Elle était étroite, chaude et soyeuse. Elle ne bougeait presque pas, le serrant contre elle de toutes ses forces. Mais il eut l’impression qu’elle l’aspirait de son corps fragile avec la force d’une pompe à dépression.

Pendant quelques minutes, Malko perdit la notion du temps. Lorsqu’il reprit conscience, tout autour de lui, on faisait l’amour, c’était un concert de gémissements, de cris, de bruits étranges. Soudain, la blonde Cathy au visage de madone commença à crier. Des hurlements rauques, entrecoupés de mots inintelligibles, qui montaient, montaient, vrillaient les oreilles.

Malgré lui Malko regarda.

Le colosse noir qui avait grade d’Ambassadeur avait abandonné Claudia pour Gail. Il se ruait en elle avec une régularité de piston, le corps luisant de transpiration. Celle-ci, Gail, la bouche ouverte, accotée au divan, ahanait sous chaque assaut, les yeux révulsés, tremblant de tous ses membres.

Les mouvements du Noir s’accélérèrent. Maintenant Gail criait d’une façon continue, ses longs cheveux blonds lui cachant le visage.

Enfin, ils retombèrent tous les deux épuisés. Gail resta les yeux fermés, respirant, lourdement. L’Ambassadeur se leva pour boire, Krisantem s’était enfermé dans sa cuisine, absolument horrifié. S’il avait pu, il se serait bouché les oreilles. On peut être tueur et puritain.

Pendant plusieurs minutes, il ne se passa rien. Lo-ning était serrée contre Malko, le maintenant sous elle.

Soudain, Gail vint rejoindre Cathy sur ce qui avait été la piste de danse et était maintenant encombré de coussins. Elle lui prit la main et voulut l’attirer contre elle. Cathy, assise, la repoussa doucement.

Gail fronça les sourcils.

— Tu ne m’aimes plus ?

Cathy sourit et lui caressa la joue de ses longs doigts.

— Si, je t’aime fit-elle avec tendresse. Mais je suis fatiguée.

Les deux têtes blondes se rapprochèrent. La langue de Gail força la bouche de Cathy, ses mains saisirent la poitrine de l’autre fille, pincèrent les pointes brunes. Gail ferma les yeux. Malko détourna les yeux. C’était le show, la touche finale pour le film. Les diplomates en cercle étaient fascinés. Sans se douter que les caméras étaient juste en face d’eux.

Gail se rapprocha et se mit à l’embrasser légèrement, délicatement. Elle explorait le visage de Cathy à petits coups de langue vifs, d’une sensualité extraordinaire.

Cathy commença à réagir.

Elle étreignit soudain la jeune femme et l’embrassa passionnément. Son corps plein et souple contrastait magnifiquement avec celui de sa partenaire, beaucoup plus fin.

Doucement, Gail attira Cathy jusqu’à ce qu’elle soit allongée près d’elle. Malko ne voyait plus que le dos et les reins de Cathy. Et les mains de l’autre, la caressant. Gail mordit les lèvres de Cathy et elle cria. Les deux blondes ne se souciaient plus de ce qui les entourait. En apparence, du moins Malko se sentit glacé d’horreur en pensant par quels détours sordides passait la politique.

Maintenant, Cathy était à genoux. Gail l’embrassait, les mains accrochées dans ses cheveux. Puis sa bouche commença à descendre, embrassant les seins au passage, s’attardant aux mamelons. Cathy haletait, la tête en arrière.

Inexorablement, sa partenaire descendait. Cathy se laissa aller en arrière, faisant le pont. Gail lui ouvrit les jambes et enfouit sa tête dans son ventre.

Cathy hurla.

Un silence total régnait dans la pièce, à part les gémissements des deux filles. Elles se tordirent encore un moment sur les coussins, puis reposèrent l’une près de l’autre.

Comme si cette exhibition avait inhibé les invités, les diplomates commencèrent à s’excuser les uns après les autres. On se serait cru dans les vestiaires d’un club sportif. Tous s’habillaient avec un calme imperturbable. Malko remit son kimono. Il avait hâte que ce soit fini. Plus jamais il n’accepterait de rendre ce genre de service à la CIA. C’était dégradant.

Un à un, les ambassadeurs s’esquivèrent, baisant très civilement la main de celles dont ils venaient de profiter.

Bonne soirée pour la CIA. Il devait y avoir trois ou quatre mille mètres de film entre les différentes caméras. Les trois filles de l’Agence Jet Set se rhabillaient à leur tour. Elles embrassèrent Malko chastement sur la joue et filèrent à leur tour. Lo-ning se haussa jusqu’à son oreille pour demander :

— Je peux rester ?

Malko fut heureux qu’elle l’ait demandé. Mais il l’entraîna dans sa chambre, à l’abri des caméras de la CIA.

De l’autre côté de la cloison, Chris Jones sortit de l’appartement comme s’il était poursuivi par le diable, après avoir éteint les écrans. Dans le hall de l’immeuble, il se regarda à la dérobée dans la glace, persuadé que les stigmates de l’infamie l’avaient marqué à tout jamais.

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