Les moustaches d’Al Katz tendaient tellement vers le bas qu’elles ressemblaient à un accent circonflexe roux. Il regardait fixement, à travers la fenêtre ouverte, le grand building vitré des Nations Unies, de l’autre côté de la Première Avenue. Il jouait avec un stylo, dessinant des pendus sur son sous-main.
— On a trouvé de quoi il est mort ? demanda Malko.
Al Katz baissa les yeux et fignola son pendu.
— Une attaque, il paraît. On l’a découvert cette nuit. Allongé de tout son long sur un banc. Les toubibs l’ont ouvert dans tous les sens, sans résultat. Aucune trace de violence, d’aucune sorte, pas d’hémorragie. Le FBI a retrouvé la Noire et l’adresse de cette Jada. Elle s’appelle Sue Beal, habite 93e Rue ouest. Mais on ne peut rien faire.
— Et pourtant, je suis sûr que cet homme a été assassiné, dit Malko. L’autre soir, il mourait de peur.
— Je sais, dit Al Katz.
Son regard repartit de l’autre côté de l’avenue.
En cette minute précise, les délégués participant à l’Assemblée générale prenaient un repos bien mérité après avoir avalé la diatribe de l’Albanie sur la Chine communiste. Le Guatemala se préparait à répondre vertement avec un discours de quarante-cinq minutes, entièrement élaboré au State Department.
— On peut dire que la délégation du Lesotho n’a pas de chance, conclut tristement Malko. Nous avons deux cadavres sur les bras et nous ne pouvons rien faire d’utile.
Katz haussa les épaules.
— Le premier est mort visiblement dans un accident. Le second a eu bêtement une attaque.
— Et moi, on m’a gentiment ramené chez moi après m’avoir fait peur. Que dit le FBI de tout cela ?
— Le FBI, ce sont des cons, grogna Katz. Si je les pousse un peu, ils vont arrêter la fille et une poignée de Mad Dogs sur n’importe quelle charge. Qu’ils ont respiré trop fort ou éternué sur le passage du président. On sera bien avancés…
— J’ai une idée, proposa soudain Malko.
— Ah ! fit Katz, pas emballé, l’œil torve.
— Je vais leur faire peur. Pour les faire bouger.
— Comment ?
Les yeux dorés de Malko pétillaient. L’idée lui plaisait.
— Je vais les menacer de les faire chanter. Leur réclamer de l’argent pour ne pas les dénoncer. Leur dire que je suis au courant de leur marché avec le Lesotho. Mais il va falloir sérieusement veiller sur ma modeste personne.
Al Katz eut un geste d’apaisement.
— Vous allez être si bien gardé qu’il faudrait une armée entière pour vous tuer.
Malko avait déjà entendu ça quelque part. Mais Al Katz avait déjà le téléphone en main.
— Certains de mes amis ont demandé à vous connaître, dit-il. Ils pourront vous être utiles. Nous déjeunons ensemble demain. Sans compter nos amis Chris Jones et Milton Brabeck. Ils sont à l’Américana depuis ce matin. Sur les instructions de David Wise. Vous avez confiance en eux, non ?
— S’il y a une bataille rangée, oui, dit Malko. Mais de nos jours, cela arrive rarement dans les pays civilisés.
À eux deux les gorilles de la CIA avaient le cerveau d’un canari adulte et la puissance de feu d’un porte-avion géant. Ce n’était pas l’idéal pour l’action en souplesse. Heureusement que Krisantem était là.
— J’appellerai Jada ce soir, à l’Hippopotamus, dit Malko. D’après ce qu’elle m’a dit, elle y est tous les soirs. Je préfère ne pas utiliser les découvertes du FBI.
— Je veux vous voir, insista Malko.
À l’autre bout du fil, la Noire soupira d’impatience.
— Je n’ai pas beaucoup de temps. Téléphonez-moi la semaine prochaine. En plus, vous étiez ivre mort, il a fallu que je vous ramène chez vous.
— La semaine prochaine, ce sera trop tard.
N’ayant jamais pratiqué le chantage, Malko ignorait comment procèdent les maîtres chanteurs pour affoler leurs victimes. Apparemment il était doué, car une pointe d’inquiétude passa dans la voix de Jada.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Je ne peux pas vous l’expliquer par téléphone, dit Malko, mais cela vous concerne directement.
Il se tut quelques secondes puis laissa tomber :
— Je sais pourquoi vous avez donné beaucoup d’argent à John Sokati.
Il y eut un très long silence à l’autre bout du fil. Malko entendait le bruit de la musique au fond. Puis, Jada dit, très lentement :
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
Malko fabriqua un très beau ricanement machiavélique.
— Je ne vous raconte pas d’histoire, vous feriez mieux de me croire. Parce qu’il y a des gens qui me croiraient si je vais les trouver. Le FBI, par exemple. Je vous attendrai chez P.G. Clarks demain vers sept heures. Nous bavarderons.
Il raccrocha. Les dés étaient jetés. À quitte ou double. Si Jada venait au rendez-vous, c’est que les pires craintes du FBI et de la CIA étaient justifiées. Il y avait bien un complot pour truquer les votes à l’Assemblée générale.
L’immeuble au coin de Lennox Avenue et de la 117e Rue ouest, en plein Harlem, aurait fait reculer une assistante sociale chevronnée. Le colonel Tanaka, après avoir payé son taxi, contempla la façade avec méfiance, puis vérifia l’adresse qu’il avait notée sur le New York Post. C’était bien l’endroit où Lester lui avait donné rendez-vous. Au sixième étage. Apparemment, le jeune chef des Mad Dogs allait d’une cachette à une autre, pour dépister le FBI. Toujours dans des endroits minables.
Le Japonais entra en retenant son souffle. Un gros rat fila dans la pénombre du couloir. Ils étaient des dizaines à hanter le hall. Il y avait un ascenseur, mais il ne fonctionnait pas. Les boîtes aux lettres étaient déchiquetées, la serrure de la porte d’entrée avait été arrachée. Le téléphone du hall pendait au bout de son fil, cassé.
L’image du colonel Tanaka se refléta en huit morceaux dans la glace du hall. Les murs étaient couverts de graffiti obscènes, de taches étranges, et le Japonais prit bien soin de ne pas les effleurer. Plus il montait, plus la cage d’escalier était étroite. Enfin, il arriva au sixième et frappa à la porte, en sueur.
Il entendit les craquements successifs de trois verrous et la tête hirsute de Lester apparut dans l’entrebâillement de la porte, retenue par une grosse chaîne. Il la referma et la rouvrit aussitôt pour laisser entrer le Japonais.
La pièce était nue à l’exception de deux posters, d’un bureau où était posé un colt 45 automatique et plusieurs chargeurs et d’un lit étroit recouvert d’un madras. La fenêtre était ouverte sur les toits de Harlem, avec la multitude des antennes de télévision.
— On a des ennuis, fit Lester en jouant avec un des chargeurs. Avec le gars que vous n’avez pas voulu qu’on liquide.
Les jambes coupées, le colonel Tanaka s’assit sur le lit, maudissant en silence les Mad Dogs. Si ces imbéciles n’avaient pas mélangé la politique et le maniement des explosifs, tout irait bien. Il sentait sa raison vaciller. Il écouta le récit de Lester attentivement.
— Qui est cet homme ? demanda-t-il.
Lester cracha son chewing-gum.
— Jamais vu. J’ai demandé à Jada de venir vous parler. Elle le connaît. Va arriver tout de suite.
Ils restèrent silencieux tous les deux. Tanaka, plongé dans de profondes réflexions. Enfin, il y eut un bruit de pas dans l’escalier, on frappa et Lester ouvrit. C’était Jada, en pantalon et chemisier vert assorti, les cheveux retenus par un foulard. Le colonel Tanaka se leva et s’inclina. Jada avait bien dix centimètres de plus que lui. Elle alla poser son sac sur le bureau, et le Japonais ne put s’empêcher de remarquer sa croupe extraordinaire. Il dut faire un effort pour se concentrer.
— Que pensez-vous de cet homme blond ?
Elle secoua la tête, ennuyée.
— Franchement, je n’en sais rien. N’a pas l’air d’un flic. Pourtant, il sait se battre, ne perd pas facilement son sang-froid et n’était pas après moi pour me sauter. C’est tout ce que je peux dire avec certitude. Il habite un quartier cher.
— Comment a-t-il pu savoir ?
— Le mieux à faire, c’est de le liquider, fit Lester avant que Jada ait eu le temps de répondre.
Tanaka sursauta : ils allaient mettre la ville à feu et à sang, s’il les laissait faire. Il fallait vraiment qu’il soit dévoué à son empereur pour travailler avec des zozos pareils !
— D’abord, demanda-t-il sévèrement, prenez-vous toutes les précautions nécessaires ? Ce rendez-vous, aujourd’hui. Si vous étiez suivis ?
Lester cracha par la fenêtre.
— Nous sommes à Harlem. Ici, les flics ne sont pas chez eux.
— Allez au rendez-vous, dit Tanaka. Avant de faire quoi que ce soit, il faut savoir qui il est, ce qu’il veut. Ce qu’il sait.
Le Noir ricana.
— C’est un mariolle qui veut se faire un peu de doush.[4]
— Ou le FBI, dit Tanaka froidement.
En bon professionnel, il envisageait les pires hypothèses. Comme il avait hâte que cette semaine soit écoulée ! Il regarda Lester, soupçonneux.
— Vous êtes sûr que le reste va marcher bien.
Lester claqua de la langue.
— Sûr.
Le colonel Tanaka chercha un peu de réconfort.
— Donnez-moi les détails.
Lester les lui donna. Le Japonais ponctuait ses explications de petits hochements de tête approbateurs. En principe, si le FBI ne remontait pas la filière, tout marcherait bien. Il eut une bouffée de fierté. Lui, l’obscur officier de l’armée japonaise, allait mettre en échec la puissante Amérique. C’était un autre Pearl Harbor.
Il se sentit soudain plein d’indulgence pour le Noir, avec ses cheveux étranges et son air de loup affamé. Et pour cette trop belle fille à l’expression farouche.
— Comment cet homme a-t-il pu être au courant de nos projets ? répéta-t-il.
Jada hocha la tête.
— John a pu se vanter. C’est peut-être simplement un Pig qui a envie de gagner facilement un gros tas de dollars. Un maître chanteur.
— Si c’est le cas, dit Tanaka, nous devons nous en débarrasser. Il sera moins dangereux mort que vivant. Mais il faudrait que sa mort puisse passer inaperçue pendant une dizaine de jours au moins. Pouvez-vous…
— Cela va coûter cher, objecta Lester.
Le colonel Tanaka tiqua, agacé :
— Je ne devrais pas vous donner un sou. Tout est de votre faute.
— Eh bien, allez le bousiller vous-même, fit méchamment Lester.
Tanaka encaissa, choqué, fronça les sourcils et demanda :
— Combien ?
— Cinq mille.
Le Japonais poussa des hauts cris. Quand il s’agissait de l’argent de son pays, il était plus avare qu’Harpagon. Il continuait à vivre chichement, à manger dans les cafétéria et à ne prendre des taxis que lorsque c’était indispensable. Les chiffres du carnet noir lui faisaient tourner la tête. Il avait beau se dire que l’enjeu était fantastique, il n’arrivait pas à investir de bon cœur.
— Marchons pour quatre mille, dit-il.
C’était toujours cela de gagné.
Ils arrêtèrent quelques détails pratiques, puis le Japonais quitta le premier l’appartement. Lester lui cria dans l’escalier :
— Ne traînez pas dans Lennox, ou vous allez vous faire couper votre jolie petite gorge. Il y a une station de taxis au coin de la 119e.
Malko, après une matinée passée à traîner dans les couloirs de l’ONU, rejoignit Katz dans une cafétéria de la Première Avenue au coin de la 54e Rue, fréquentée surtout par des homosexuels. À midi, c’était assez calme. Lorsqu’il se glissa dans le box, il y avait déjà deux femmes avec l’Américain. Deux Chinoises. Une ravissante, qui avait l’air d’une poupée, et l’autre, laide comme les sept péchés capitaux, un visage de pomme séchée, avec un chignon de cheveux gris tirés en arrière, et le visage sévère d’une institutrice.
Instinctivement, Malko s’assit près de la plus jolie. Al Katz, qui en était à son second J and B fit les présentations.
— Voici le prince Malko. Il travaille sur le problème qui nous intéresse.
Les deux femmes saluèrent d’un petit signe de tête. Katz s’inclina vers la plus âgée.
— Mme Tso travaille comme calligraphe à la section chinoise. Elle est également en liaison avec les Services de sécurité de Taipeh. À ce titre, votre mission la concerne au premier chef.
Élégante façon de dire que Mme Tso était une calligraphe barbouze.
Les petits yeux noirs disséquaient Malko avec la précision d’un microscope. Son sourire éteint découvrit des dents jaunâtres et mal entretenues.
— Nous suivons votre enquête avec beaucoup d’intérêt, dit-elle dans un anglais parfait. Il va de soi qu’un vote négatif à l’Assemblée générale aurait des conséquences incalculables. (Elle répéta le mot en se gargarisant.) Incalculables.
Ce n’était un secret pour personne que le « Lobby chinois » était extrêmement puissant à Washington. Et que le vieux Tchang Kaï-chek avait arraché des concessions exorbitantes au State Department en échange de l’utilisation de Formose comme base américaine. Dans le genre non-reconnaissance de la Chine rouge tant que son gouvernement existerait.
Malko affirma que le sort de Formose était au premier plan de ses soucis. Avant même la réfection de son château. Poliment, Mme Tso l’interrogea sur sa marotte, s’extasia d’une telle continuité, lui offrit de visiter Formose. Malko demanda perfidement :
— Mademoiselle est votre fille ?
L’impassibilité orientale est un mythe parce qu’il crut que la sévère Mme Tso allait lui sauter à la gorge.
— Mlle Lo-ning travaille comme guide aux Nations Unies. Elle fait également partie de nos services. À titre contractuel.
Lo-ning inclina la tête humblement, mais envoya un coup d’œil malicieux à Malko. Apparemment, elle avait le sens de l’humour.
Katz mit ses gros sabots dans le plat :
— Mlle Lo-ning veillera désormais sur vous quand vous serez dans l’enceinte des Nations Unies.
Malko contempla la ravissante Tanagra assise près de lui.
— À moins que Mlle Lo-ning ne possède des armes secrètes, fit-il, je vois difficilement comment elle pourra me protéger.
Mlle Lo-ning pouffa dans son assiette, à l’asiatique. Pincée, Mme Tso précisa :
— Miss Lo-ning sera toujours en liaison avec nous. Nous vous protégerons.
Katz insista :
— Côté protection, vous n’aurez rien à envier au président lui même.
— Le FBI se déplace rarement pour les maîtres chanteurs. Pour l’instant, dites à Chris et à Milton de se cacher derrière leurs gros pistolets. Je préfère miss Lo-ning. C’est plus discret.
Miss Lo-ning pouffa de nouveau.
— Eh bien, admit la vieille Chinoise, j’espère qu’elle remplira bien sa mission.
Que dirait Alexandra ? Entre les call-girls de Jet Set et miss Lo-ning, il y avait largement de quoi remplir les journées et les nuits d’un honnête homme.
Katz laissa passer un homosexuel aux cheveux mauves tenant en laisse un caniche assorti et se pencha sur la table.
— Voici notre plan.
Malko avait choisi chez P.G. Clarks, le bistrot à la mode de la Troisième Avenue, dernier vestige d’un immeuble démoli, la table complètement au fond, celle où Aristote Onassis et sa nouvelle épouse daignaient parfois venir s’asseoir. Encastrée dans un renfoncement, elle offrait un maximum d’intimité.
Jada était en retard. Dix minutes. Dans l’obscurité de la salle, on n’y voyait goutte. Malko commençait à s’ennuyer. Il avait donné quartier libre à Krisantem. Pour l’instant, il ne risquait rien.
Pas encore.
Mlle Lo-ning lui avait très gentiment laissé son numéro de téléphone personnel. Pour qu’il se sente protégé. Le Turc avait graissé son lacet et son pistolet et fait connaissance avec les supermarchés du quartier. Lorsque Malko lui avait dit que Chris et Milton étaient en ville, Elko Krisantem avait un peu viré au gris. Ils ne s’aimaient pas beaucoup.
Jada apparut enfin, se faufila entre les tables, superbe avec une mini-robe orange et des bas assortis, le visage très maquillé. Lorsqu’elle s’assit, trois tables purent s’assurer de visu qu’elle portait un minuscule slip, également orange, sous son collant.
Même chez P.G. Clarks, où les mannequins et les cover-girls pullulaient, elle ne passait pas inaperçue. Le gnome qui filtrait à l’entrée les clients de la salle du fond en avait encore les lunettes embuées d’émotion.
La Noire regarda le grand tableau noir où le menu était inscrit, commanda un London Broil, une salade et un Pepsi, alluma une cigarette et fixa Malko.
— Que voulez-vous ?
Elle avait posé la question brutalement, sans aucune féminité. Malko en fut mal à l’aise. Vraiment, il n’arrivait pas à se mettre dans la peau d’un maître chanteur.
— De l’argent, dit-il.
En demandant moralement pardon à ses ancêtres.
Jada tordit sa belle bouche et le dévisagea avec infiniment de mépris. Puis son expression s’adoucit et elle posa sa main pleine de bagues sur le bras de Malko.
— Pourquoi parlez-vous ainsi ? Je n’aurais jamais cru cela de vous. D’abord, pourquoi vous donnerais-je de l’argent ?
Malko parvint à s’extirper un sourire ironique.
— Parce que je sais des choses qui peuvent vous faire beaucoup de tort. Ce que vous avez proposé à John Sokati avant sa mort. Et ce qu’il avait accepté.
La cigarette de Jada se consumait sur le cendrier, mais elle ne quittait pas Malko des yeux, comme si elle avait voulu l’hypnotiser.
— Et que lui avais-je proposé ?
— De changer son vote lors de la motion sur le rétablissement des droits de la République populaire de Chine.
Ses yeux dorés étaient plantés dans ceux de Jada. Celle-ci trempa ses lèvres dans son Pepsi-Cola avant de répondre :
— Je vois que vous êtes bien renseigné, dit-elle lentement. Comment avez-vous appris cela ?
Malko eut du mal à cacher sa joie. Ainsi, il était sur la bonne piste. Mais la partie n’allait pas être facile à jouer.
— Cela ne vous regarde pas, dit-il abruptement. Êtes-vous disposée à me payer pour que je me taise ?
— Combien ?
— Dix mille tout de suite.
Il avait jeté le chiffre comme cela, pour voir.
Jada sourit ironiquement.
— Dans une ville où l’on vous tue pour une dime, je ne me promène pas avec dix mille dollars. Mais vous pouvez les avoir demain.
Malko secoua la tête, faussement déçu.
— Je pensais que vous aviez compris que je voulais de l’argent maintenant.
— Ne faites pas l’enfant, fit sèchement Jada. Voyons-nous demain. L’argent sera là. De toute façon, ce n’est pas moi qui vous le donnerai.
Malko était inquiet. Jada avait accepté trop facilement. Cela sentait le piège à plein nez. À moins que les Mad Dogs et ceux qui étaient derrière eux ne soient complètement affolés.
— Venez chez moi, proposa-t-il.
Elle eut un rire sans joie.
— Pour que tout soit enregistré ! Non, je vous attendrai devant le grand cimetière de voitures, en face de la Harlem River, à la 207e Rue. Vous connaissez ma voiture ?
Elle ne dit plus un mot tandis qu’elle mangeait son London Broil. Après avoir bu jusqu’à la dernière goutte de son Pepsi-Cola, elle adressa un sourire froid à Malko et se leva.
— À demain. Neuf heures du soir. Soyez exact.
Lorsqu’elle s’éloigna, il admira une fois de plus la croupe somptueuse. Même un jeune pédé se retourna. Malko demanda l’addition. Cela marchait presque trop bien. Mais il serait plus tranquille le surlendemain matin. En attendant, il n’était pas le client rêvé pour une assurance sur la vie.
D’où venait l’argent de Jada ? Les Mad Dogs n’étaient pas si riches. Il y avait quelqu’un derrière. Jada dansait, mais ce n’était pas elle qui avait écrit la musique. La CIA avait raison d’être inquiète.
Pourtant, tous les sinologues étaient unanimes : Pékin n’agirait jamais de cette façon. Les Chinois tenaient trop à une victoire éclatante et indiscutable.
Ce n’était qu’un mystère de plus.