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LE ROYAUME DÉVASTÉ ET RENAISSANT


1328-1515


14.

Le ciel s'obscurcit vite au-dessus du royaume de France lorsque meurt en 1314 Philippe IV le Bel.

Pourtant, la France est l'État le plus peuplé, le plus riche, le plus puissant de la chrétienté.

Aucune autorité temporelle, pas plus un autre roi que l'empereur germanique, ne peut imposer sa loi au roi de France, souverain de la fille aînée de l'Église.

Le pape lui-même n'y parvient pas.

Un Capétien est maître comme Dieu en son royaume.

Et il n'est pas une seule ville qui puisse rivaliser avec sa capitale.

Paris est la ville des étudiants et des clercs, des bourgeois, des marchands, des maîtres de métier et des théologiens.

Tous ceux qui pensent et écrivent en Europe – donc tous ceux qui prient – rêvent de séjourner quelques années à l'ombre de Notre-Dame et sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève, dans ce Quartier latin où l'on étudie et ripaille.

Et cependant l'orage approche, dont on entend les grondements. Aucun des trois fils de Philippe IV le Bel n'a eu de descendant mâle. Seule la fille du roi, Isabelle, a donné naissance à un fils ; mais il a été couronné roi d'Angleterre.

Cet Édouard III possède les terres immenses de Guyenne. Il est le descendant lointain de Henri Plantagenêt, l'Angevin, duc de Normandie, qui, en 1154, avait épousé Aliénor d'Aquitaine, devenant ainsi le grand vassal du roi de France, et roi d'Angleterre pouvant prétendre à la couronne à Paris.

Mais les légistes français argumentent. Ils sont déjà imprégnés de ce sentiment national qu'on a vu sourdre au xiiie siècle. Les barons, les princes, ne veulent pas, eux non plus, être soumis à l'Anglais.

Certes, dans les vignobles, sur les quais du port de Bordeaux, là où l'on charge dans les navires les barriques à destination de l'Angleterre, on soutient la prétention d'Édouard à être aussi roi de France, puisqu'il est le fils de la fille de Philippe IV le Bel.

Les légistes contestent la valeur de cette ascendance : « Mais, écrivent-ils, si le fils d'Isabelle avait quelque droit à alléguer, il tenait ce droit de sa mère ; or, à cause de son sexe, sa mère n'avait aucun droit. Il en allait donc de même du fils. »

Le moine chroniqueur ajoute : « Les Français n'admettaient pas sans émotion l'idée d'être assujettis à l'Angleterre. »


On va donc sacrer à Reims, le 29 mai 1328, le comte de Valois, fils d'un des frères de Philippe IV le Bel. Et à sa mort, en 1350, lui succédera son fils, Jean le Bon.

La chaîne dynastique des Valois va se dérouler durant deux siècles et demi.

Mais qui peut croire qu'Édouard III acceptera, lui, roi d'Angleterre, d'être le vassal du roi de France alors qu'il se sent par le sang plus proche de Philippe le Bel que ce Valois sacré à Reims, célébré dans sa Cour, la plus brillante de la chrétienté ?

Qui peut croire qu'il ne trouvera pas d'alliés parmi ces barons et ces princes, français, certes, mais demeurés des féodaux que le poids d'une administration royale commence à irriter ? Ils se veulent vassaux, mais non sujets.

L'un d'eux, Charles de Navarre – Charles le Mauvais –, fils d'une petite-fille de Philippe le Bel, descend directement du roi capétien. Il faudra bien compter avec lui, qui possède Normandie, Picardie, Flandre, Champagne, Lorraine !

Et puisque s'exacerbent au sommet du royaume de telles rivalités, comment ces bourgeois de Paris, ces riches marchands que le fisc royal s'évertue à pressurer, ne joueraient-ils pas leur partie, se servant de l'un ou l'autre prétendant et des querelles entre rois pour acquérir puissance et influence ?

Ainsi s'annonce le temps des conflits, d'une guerre qui peut durer cent ans.


Il suffit de quelques années pour que le beau, le grand, le saint royaume de France soit dévasté.

Nul ne saurait l'envisager quand, après le sacre de Reims, Philippe VI de Valois préside, après avoir touché les écrouelles, les réjouissances. On y dévore 82 bœufs, 85 veaux, 289 moutons, 78 porcs, 13 chevaux ; on y met en perce des centaines de tonneaux de vin.

Trois mois plus tard, en août 1328, Philippe VI rétablit l'ordre dans les Flandres, terre de l'un de ses vassaux, et au mont Cassel, guidés par le roi, les chevaliers français, à coups d'estoc et de taille, massacrent les milices piétonnes des villes flamandes toujours rétives.

Point de quartier pour ces gens du commun, ces ouvriers tisserands !

Les barons et jusqu'à Édouard III sont enchantés de ce souverain de France, chevalier courageux, fidèle à l'ordre aristocratique.


En fait, cette victoire sur les « ongles bleus » flamands, cette tuerie de gueux qui, un temps, semble recréer l'unité de la chevalerie contre les marchands, les artisans, les ouvriers, les villes, ne peut effacer les contradictions.

Les rivalités entre grands, entre monarques, sont trop fortes, et, derrière elles, se profile le conflit entre deux nations qui s'affirment : la France et l'Angleterre.

Il suffit d'une dizaine d'années (1337-1347) pour que la guerre devienne la gangrène de ce xive siècle. Elle le sera pour « cent ans ».

Philippe VI a voulu s'emparer de la Guyenne. Édouard évoque avec mépris un « soi-disant roi de France ». La flotte anglaise détruit la française, censée transporter les troupes pour l'invasion de l'Angleterre (bataille de L'Écluse, 24 juin 1340). À Crécy (26 août 1346), les archers anglais déciment la chevalerie française. Et le 4 août 1347, les bourgeois de Calais livrent les clés de leur ville à l'Anglais, qui s'en empare pour deux siècles.


Ainsi, un conflit aux origines dynastiques et féodales se transforme en guerre entre nations, chacune d'elles gardant la cicatrice de ces premiers affrontements qu'a suscités une naissance commune.

Le Français est le cousin de l'Anglais, et l'un et l'autre sont les plus anciens ennemis.

L'Anglais affirme sa supériorité militaire. Il détruit la flotte d'invasion – naissance d'une tradition ! Il tue méthodiquement les chevaliers français qui combattent comme autrefois et que le « soldat » anglais perce de ses flèches ou égorge au coutelas.

Face à l'Anglais, l'âme française éprouve un sentiment d'admiration et d'impuissance. Les Anglais l'emportent toujours. Après la mort de Philippe VI, en 1350, c'est son fils Jean le Bon qui, avec ses chevaliers, est battu à Poitiers en 1356, fait prisonnier, gardé à Londres, délivré contre forte rançon. Par le traité de Brétigny-Calais en 1360, il sera contraint d'abandonner à l'Anglais plus du tiers de son royaume avant d'aller mourir à Londres, où – noble chevalier – il est allé remplacer l'un de ses fils prisonnier, qui s'était enfui.

En dépit de la prise de possession par Philippe VI du Dauphiné (1343), de Montpellier (1349), puis de l'affirmation de la suzeraineté royale sur la Bourgogne, ce milieu du xive est, pour le royaume de France, un abîme où il s'enfonce.

Pour la toute jeune nation, c'est l'un de ces « malheurs exemplaires » qui blessent son âme et vont se répéter tout au long de son histoire.


Car le sol du royaume de France n'est pas seulement jonché des corps des chevaliers percés de flèches ou égorgés par les archers et les « routiers » anglais à Crécy puis à Poitiers. Les dix ans – 1346-1356 – qui séparent les deux défaites françaises voient s'amonceler les cadavres.

La peste noire a commencé de faucher en 1347-1348. Qu'elle soit bubonique ou pulmonaire, elle tue souvent un habitant sur deux, et la totalité de ceux de certains villages sont enfouis dans des fosses communes ou entassés sur des bûchers.

Au début du xive siècle, la population du royaume était devenue si abondante que la disette – parfois la famine –, après des décennies de récoltes suffisantes, étaient réapparue.

La peste noire vide les campagnes sans faire disparaître la famine. Et les survivants tuent ceux qu'ils jugent responsables de l'épidémie.

On dit que les juifs empoisonnent les puits et les sources. On les traque et on les brûle. Ceux qui le peuvent se réfugient à Avignon, où le pape Clément VI les protège, excommuniant ceux qui les persécutent. Mais des milliers périssent, comme si l'épidémie de peste noire réveillait une autre maladie endémique, l'antijudaïsme, comme si celui-ci était caché au plus profond d'un repli de l'âme de la France et se tenait prêt à l'infester si les circonstances s'y prêtaient, s'il fallait désigner un bouc émissaire responsable des malheurs du temps.


Dans le désarroi et la terreur provoqués par la peste noire, des milliers de chrétiens se flagellent, « batteurs » fouettant leurs corps jusqu'au sang, zébrant leurs torses et leurs cuisses en hurlant, longues processions ensanglantées parcourant des campagnes appauvries.

D'autres paysans – ces « jacques » – affamés se rebellent. Quand la jacquerie devient menaçante, on la taille en pièces – ce que fait Charles le Mauvais en 1358, massacrant plus de vingt mille jacques après avoir, par traîtrise, capturé puis décapité le chef (Guillaume Carle, en Beauvaisis) que ces paysans se sont donné.


Sur fond de peste noire – et donc de « grande peur », comme on dira en 1789 –, de disette, de jacqueries – donc de violences – se met en place une « mécanique » sociale et politique qui caractérisera souvent l'histoire nationale.

Le pouvoir royal est affaibli : le Dauphin Charles, fils de Jean le Bon, réunit les états généraux (1357).

On voit surgir des « réformateurs » parmi lesquels s'imposent le prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel, l'évêque de Laon, Robert le Coq, du parti de Charles de Navarre.

Cet engrenage – querelles dynastiques, jacqueries, états généraux, volonté de réforme, rôle des « bourgeois » de Paris – « invente » un assemblage qui se recomposera à maintes reprises au cours de l'histoire de France.

À Paris, une foule en armes massacre les « mauvais conseillers » du roi (22 février 1358).

Étienne Marcel pénètre dans les appartements du Dauphin et ordonne la mise à mort des « maréchaux » de Champagne et de Normandie, qui incarnent la chevalerie incapable de remporter des victoires militaires contre les Anglais et opposée aux réformes.

Le Dauphin Charles assiste au massacre de ses proches, qu'il est contraint d'approuver. Étienne Marcel le prend alors sous sa protection, le coiffant d'un chaperon rouge et bleu, couleurs de la bourgeoisie parisienne !

On pense ici à Louis XVI qui, le 20 juin 1792, face aux sans-culottes qui ont envahi le palais des Tuileries, est contraint de « boire à la santé de la nation » et de coiffer le bonnet rouge. C'est comme si les émeutiers rejouaient, quatre siècles plus tard, la scène de février 1358 !

Les peuples ont une longue et fidèle mémoire. Les souvenirs jaillissent, ressuscitent des gestes inscrits dans l'inconscient collectif comme si, au cours des temps, s'était élaboré une génétique de la nation.


Ces mécanismes politiques et psychologiques vont s'inscrire dans l'âme de la France, où s'affirme le sentiment national.

Les partisans d'Étienne Marcel se retournent contre lui – en juillet 1358 – quand le prévôt des marchands, devenu l'allié de Charles le Mauvais, sera rendu responsable de l'entrée dans Paris de troupes anglaises.

Il est assassiné à la porte Saint-Antoine après que Jean Maillart, qui a été l'un de ses soutiens, a refusé de lui remettre la clé de la porte, et a fait au contraire appel au Dauphin, qui va pouvoir rentrer dans Paris.


On mesure ici combien la question « nationale » est intriquée avec les questions de politique « intérieure ».

Charles le Mauvais, rival du Dauphin, et Étienne Marcel, le réformateur, ont recours aux Anglais. Car ceux-ci sont certes des étrangers, mais aussi issus de la même origine « française ». Dès lors, rechercher leur appui, est-ce prendre le parti de l'étranger ? On peut d'autant plus se poser la question que le système féodal – vassalité – enserre encore le royaume.

Cependant, choisir l'Anglais pour allié, c'est déjà être, aux yeux de Français de plus en plus nombreux, du « parti de la trahison ».

Et c'est cette coalition des féodaux avec l'étranger, de Charles le Mauvais avec les Anglais, qui est défaite à Cocherel, le 16 mai 1364, par le capitaine breton Bertrand Du Guesclin.

Le Dauphin Charles, dont le père Jean le Bon vient de mourir prisonnier à Londres, peut sortir de Paris et se rendre à Reims pour s'y faire sacrer avec son épouse Jeanne de Bourbon, le 19 mai 1364.

L'abîme ne s'est pas refermé sur le royaume de France et ses souverains.


15.

En 1364, après l'avènement et le sacre de Charles V, le peuple espère que les souffrances, la disette, la peste noire, mais aussi ces compagnies de routiers, de soudards, de pillards, d'Anglais qui, entre deux batailles, écument le pays, vont s'éloigner.

Charles V n'est-il pas de « sainte lignée » ? Ne dit-il pas qu'il veut placer sa couronne sous la protection du « bienheureux Louis, fleur, honneur, bannière et miroir, non seulement de notre race royale, mais de tous les Français » ?

Il déclare que le roi « doit seigneurier au commun profit du peuple ». Il incarne la figure du souverain français tel qu'on le rêve, soucieux du sort de son peuple. Et donc ne le pressurant pas fiscalement, supprimant même certaines impositions – ce qui attire à lui les seigneurs gascons auxquels l'Anglais réclame des taxes. Un roi qui s'entoure d'hommes sages, légistes, professeurs, théologiens, lecteurs d'Aristote et de saint Thomas d'Aquin – Nicolas Oresme et Philippe de Mézières –, qui accumule dans une tour du Louvre plus de mille manuscrits, autant qu'en possède le pape. Et ses propagandistes écrivent, et on recopie leur Traité du Sacre, le Songe du Vergier, dans lesquels ils exaltent les caractères du monarque, mystique et divin, de la royauté française, tout en affirmant son indépendance vis-à-vis de la papauté.


Ce souverain-là ne veut conduire qu'une guerre victorieuse. Assez de Crécy et de Poitiers ! Ses chefs de guerre, Bertrand Du Guesclin et Olivier de Clisson, sont de prudents hommes d'armes, non des chevaliers téméraires et écervelés, cibles des archers anglais. Du Guesclin et Clisson conseillent de ne combattre les Anglais que s'ils sont en mauvaise posture : c'est ainsi seulement qu'on doit « prendre un ennemi ».

Et prudemment, de manière retorse, Charles V se réapproprie le Poitou, la Saintonge et l'Angoumois.

En 1380, à sa mort, l'Anglais ne possède plus qu'une bande de terre entre Bordeaux et Bayonne, et les villes de Calais, Brest et Cherbourg.

Le royaume reprend son souffle après des temps où la peste, la disette et la guerre l'étouffaient.

On peut semer et moissonner. On peut vendre son grain en échange d'une monnaie – un franc d'or – que de trop rapides changements de teneur en métal précieux ne dévaluent pas d'une saison à l'autre. Et à Paris on peut s'imaginer que l'ordre et la sécurité vont régner.

Charles V entreprend de renforcer les défenses de la ville. Une nouvelle enceinte est construite, englobant les nouveaux quartiers.

Il protège ainsi sa résidence de l'hôtel Saint-Paul, immense bâtiment qui possède sept jardins, une ménagerie, une volière, un aquarium. Il poursuit la construction du donjon de Vincennes et commence à ériger, à la porte Saint-Antoine, une Bastille qui comportera huit donjons reliés par un mur de vingt-quatre mètres de hauteur.

Aucune ville chrétienne ne recèle une telle forteresse. Mais Paris n'est-elle pas la plus grande ville de la chrétienté ?


Ainsi, tout au long du règne de Charles V (1364-1380), se dessine et se précise dans l'âme française le modèle du « bon souverain », lettré (on dira de Charles V qu'il est « le Sage »), entouré de conseillers dévoués – savants eux-mêmes –, prudent mais courageux défenseur du royaume, soucieux du bien commun, et, comme l'écrit sa biographe Christine de Pisan, fille d'un médecin conseiller du roi, « désireux de garder et maintenir, et donner exemple à ses successeurs à venir que par solennel ordre doit se tenir et mener le très digne degré de la haute couronne de France ».

Roi administrateur veillant à la bonne gestion du royaume, il promulgue de Grandes Ordonnances afin d'organiser sa succession – son fils Charles n'a que douze ans en 1380 – en créant un conseil de régence, mais est tout aussi préoccupé de veiller au sort de la forêt française, cette richesse du royaume dont une ordonnance, à compter de 1376, fixe les règles d'exploitation.


Ce souverain-là sait écouter son peuple.

Quand des émeutes urbaines – à Montpellier, notamment – et des jacqueries – celles des tuchins qui se mettent sur la touche (1379) – soulèvent le peuple contre le fisc, il réprime mais diminue les impôts. Et, peu avant sa mort, il annonce la suppression des impôts directs, les fouages (calculés par « feux »).

C'est le roi juste et sage, celui que recherchent tout au long de leur histoire les Français, et qui, parce qu'il y a eu Saint Louis et Charles V – puis d'autres, plus tard, de cette « sainte lignée » –, ne surgit ni d'un rêve ni d'une utopie. C'est celui qu'on attend dans les temps sombres, et qu'on regrette après sa mort.

« Au temps du trépassement du feu roi Charles V, l'an 1380, les choses en ce royaume étaient en bonne disposition et avaient fait plusieurs notables conquêtes. Paix et justice régnaient. N'y avait fait obstacle, sinon l'ancienne haine des Anglais... »


Il n'y a pas que l'Anglais.

Le chroniqueur Jean Juvénal des Ursins oublie que l'étranger, dans un royaume comme la France, ne peut rien s'il ne bénéficie de la complicité, de l'alliance d'une partie des grands.

Or l'œuvre de rétablissement accomplie par Charles V est minée par les privilèges, les apanages qu'il a accordés à ses trois frères : Jean de Berry, Louis d'Anjou et Philippe de Bourgogne. Ce sont eux qui vont composer le conseil de régence, puisque, à la mort de Charles V, son fils Charles VI n'a que douze ans.

Et lorsque Charles VI trépasse à son tour, en 1422, le royaume de France est plongé au plus profond des abîmes de son histoire.

Charles VI a déshérité son fils, l'a banni, l'accusant d'« horribles crimes et délits ». Il a marié sa fille Catherine au roi d'Angleterre, Henri V de Lancastre, qu'il a légitimé comme « son vrai fils et héritier ». Et le traité de Troyes conclu en 1420 a stipulé que la couronne de France est échue à Henri V et pour toujours à ses héritiers.

Il n'y a donc plus qu'une double monarchie : le roi d'Angleterre est roi de France.

Aussi, quand en 1422 Charles VI et Henri V décèdent et que le fils de l'Anglais ne peut régner, puisqu'il n'a que dix mois, c'est le duc de Bedford qui devient régent d'une France occupée par les Anglais ; quant au fils de Charles VI, qui l'a déshérité, il peut bien prendre le titre de Charles VII il est celui que, par dérision, on surnomme « le roi de Bourges » !

C'est le duc de Bedford qui a présidé à Saint-Denis aux obsèques de Charles VI, et le héraut s'est écrié : « Vive le roi Henri de France et d'Angleterre ! »

Était-ce le royaume de France que l'on portait en terre ?

« Chacun vit mourir là rien que plus qu'il aimât », écrit un témoin.


Ainsi, en l'espace de quarante-deux années, le royaume est-il retombé au fond d'un abîme bien plus profond que celui d'où Charles V le Sage avait réussi à l'arracher.

En 1422, dans ce pays occupé, le seul espoir gît dans cette blessure intime de chaque Français qui souffre de la présence anglaise, de la perte de souveraineté du royaume, gouverné au nom de Henri VI par le duc de Bedford.

Or cela fait quatre décennies que le peuple subit le malheur.

Peste, disette, famine, violences des Grandes Compagnies, pillage par les Anglais, châtiment à la moindre rébellion.

Les oncles de Charles VI, maîtres du conseil de régence, massacrent les jacques, ou les bourgeois quand ils protestent contre la levée d'impôts trop lourds, ou bien quand ils ont la disgrâce de figurer dans le camp de l'un des princes et que celui des autres est vainqueur.


Car les oncles du roi sont divisés.

Le plus puissant est Philippe de Bourgogne, opposé à ses deux frères, Louis d'Anjou et Jean de Berry.

Et l'Anglais, entre ces rivaux, peut jouer l'un ou l'autre. Il est d'autant plus fort que le royaume est appauvri, que sa population n'a jamais été aussi réduite – à peine une douzaine de millions d'habitants.

Marchands, artisans, jacques, manouvriers, bourgeois de Rouen, de Paris ou d'Orléans ont le sentiment que les oncles du roi dilapident les biens du royaume et remplissent les coffres avec des impôts de plus en plus lourds.

Dans les villes et les campagnes, on s'insurge. On massacre les percepteurs, on pourchasse les juifs (ils seront expulsés du royaume en 1394), on ouvre les portes des prisons.

À Paris, les émeutiers s'emparent, à l'Hôtel de Ville, des deux mille maillets de plomb que le prévôt avait fait entreposer là pour servir en cas d'attaque des Anglais.

Ces mouvements populaires échappent aux riches bourgeois qui voudraient les utiliser pour faire pression sur les oncles du roi.

Ceux-ci répriment. Les têtes roulent, les corps se balancent aux gibets. Mais le calme ne revient dans le royaume qu'au moment où le roi, en 1388, met fin au gouvernement des princes, et, avec l'aide des « sages » conseillers de son père Charles V, règne effectivement.


Court moment d'apaisement. C'est le temps des fêtes. Charles VI a vingt-deux ans, son épouse Isabeau en a dix-neuf, son frère Louis d'Orléans, dix-huit. Danses, jeux, déguisements. Louis d'Orléans guide le roi son frère et la reine Isabeau dans les labyrinthes du plaisir. La tragédie n'est jamais bien loin. Des travestis vêtus en sauvages, la peau enduite de poix et couverte de poils, meurent brûlés vifs à un bal donné à l'hôtel Saint-Paul.

Ce bal des Ardents est le symbole de cette période : Paris brille des milliers de feux d'une fête qui attire artistes et artisans. Louis d'Orléans « ne gouverne aucunement à son plaisir et fait jeunesses étranges ».

Le pouvoir entre les mains des oncles du roi était divisé ; il est maintenant débauché sans que cessent les rivalités. Et le peuple continue de souffrir.

Seule la présence du roi légitime empêche la désagrégation du royaume.

Mais, le 5 août 1392, dans la forêt du Mans, il suffit de la rencontre d'un mendiant, mauvais présage, et du choc bruyant d'une lance sur un casque pour que Charles VI bascule dans la démence.


Ce roi fou, Charles VI, qui dans ses périodes de lucidité sombre dans la dépression ou est influencé – manœuvré – par son entourage, va « régner » ainsi entre démence et prostration trente ans durant.

Le royaume de France s'enfonce dans l'abîme parce que son roi a sombré dans la folie et que les grands s'entre-déchirent, peu soucieux du sort du royaume.

Ce pays commence à découvrir un trait majeur de son histoire : qu'il pourrit toujours par la tête. C'est le cas avec la guerre civile entre le frère du roi, Louis d'Orléans, et son fils, Charles d'Orléans, marié à la fille du comte d'Armagnac, d'une part, et, de l'autre, Philippe de Bourgogne et son fils Jean sans Peur.

Ces deux factions – Armagnacs et Bourguignons – sont les deux fauteurs de guerre civile. Assassinats et massacres, utilisation des éléments les plus violents du peuple, sont de règle.

Jean sans Peur, le Bourguignon, fait assassiner en 1407 Louis d'Orléans, frère du roi, l'Armagnac. Dès lors, les Bourguignons traquent dans Paris tous les Armagnacs.

« On n'avait pas plus de pitié à tuer ces gens-là que des chiens : c'est un Armagnac. »

Les Bourguignons contrôlent le roi fou, s'appuient sur de « méchantes gens, tripiers, bouchers et écorcheurs, pelletiers, couturiers et autres pauvres gens de très bas état faisant de très inhumaines, détestables et très déshonnêtes besognes ».

L'un d'eux est Simon Caboche (1413), qui, avec les siens – les cabochiens –, fait régner la terreur dans Paris. Le monarque est terré dans sa folie. On impose une « ordonnance cabochienne », mais l'anarchie qui s'installe, les meurtres qui se multiplient, isolent les Bourguignons et poussent les marchands, la bourgeoisie parisienne, à changer de camp. Jean sans Peur quitte Paris, qui devient Armagnac avec Charles d'Orléans.

Que fait le camp perdant dans une guerre civile ? Il devient le parti de l'étranger. Le prince bourguignon s'allie alors avec l'Anglais.


Une pratique française se confirme : la division au sommet de l'État provoque la crise du royaume et la guerre civile dont l'étranger tire profit.

Le nouveau roi d'Angleterre, Henri V, est un souverain remarquable, grand chef de guerre, fin politique et homme pieux. Il entend se réapproprier l'héritage des Plantagenêts.

Son armée débarque en Normandie, gagne les pays de la Somme.

Les chevaliers français sont entassés sur le plateau d'Azincourt. Le sol est boueux, ce 25 octobre 1415. L'armure pèse au moins vingt kilos. Si l'on tombe à terre, on ne peut se relever. Alors on charge les archers anglais sans attendre qu'arrive la piétaille des gens d'armes. Les chevaux se heurtent, renversent leurs cavaliers, qu'il ne reste plus aux Anglais qu'à égorger, car Henri V a ordonné qu'on ne fasse prisonniers que les grands et qu'on tue tous les autres.

Ils seront trois mille chevaliers, barons, baillis, grands officiers de l'administration du royaume à être ainsi massacrés.


Charles d'Orléans, prisonnier, est transféré en Angleterre, où, de prison en prison, il passera vingt-cinq années à se morfondre et à rimer :

En regardant vers le pays de France

Un jour advint à Douvres sur la mer

Qu'il me souvint du doux plaisir

Qu'en ce pays je trouvais

Et mon cœur commença à soupirer

Mais à mon cœur amer

Voir la France faisait grand bien.

Cette nostalgie charnelle du royaume perdu, cette souffrance et cette humiliation, il n'est pas besoin d'être prisonnier en Angleterre pour les ressentir.

On souffre de la guerre civile : les Bourguignons massacrent encore les Armagnacs à Paris en 1418 ; Jean sans Peur le Bourguignon est assassiné à Montereau le 10 avril 1419 – est ainsi vengé Louis d'Orléans, qu'il avait fait tuer le 23 novembre 1407.

On souffre de l'avancée des troupes anglaises, armée d'occupation qui prend possession sans ménagements du royaume de son roi, imposant à Rouen un siège impitoyable, remontant la Seine : « Les Anglais font autant de mal que les Sarrasins. » Mais on en veut aussi au Dauphin Charles, devenu lieutenant général du royaume en 1417.

On désire la paix.


On approuve donc le traité de Troyes (20 mai 1420). Henri V de Lancastre épouse la fille de Charles VI et devient, de fait, fils et héritier du roi de France.

Charles le Dauphin n'est plus qu'un banni.

Le 1er décembre 1420, Henri V, Charles VI, le pauvre roi fou, son épouse Isabeau et Philippe le Bon, le nouveau prince bourguignon, entrent dans Paris.

« Jamais princes ne furent reçus à plus grande joie qu'ils furent. »

La capitale du royaume de France est aux mains des Anglais, mais la foule assoiffée de paix applaudit.

Après la mort de Henri V et celle de Charles VI, en 1422, le duc de Bedford est régent du royaume au nom de Henri VI de Lancastre.

Malheureux Charles VII, roi de Bourges !


Un pouvoir divisé, une guerre civile, un parti de l'étranger, un peuple exsangue et désorienté, la souffrance d'une âme française humiliée, bafouée, niée : tel est l'abîme où a chuté le royaume de France.

Quelle providence ou quelles circonstances, quels héros pourront-ils lui permettre de resurgir au grand jour de l'unité et de la souveraineté nationales ?


16.

Où s'est réfugiée l'âme de la France, puisque le territoire du royaume est partagé et que celui qui se proclame roi de France, ce pauvre Charles VII, n'a pas même été sacré à Reims, qu'il tient sa Cour à Bourges et qu'Orléans est assiégée par l'Anglais ?

Car le roi anglais, Henri VI de Lancastre, est roi de France, lui aussi, fort de la légitimité que lui confère le traité de Troyes. Et à Paris, qu'il contrôle, les bourgeois, les maîtres de l'Université, les marchands, les évêques, « collaborent » avec le régent anglais, le duc de Bedford.

D'autant plus que l'Anglais a pour allié Philippe le Bon, le Bourguignon, le plus fastueux des princes de la chrétienté, qui possède trois capitales : Lille, Bruges et surtout Dijon. Riche, il l'est par les vignobles de Beaune – on construira dans cette ville, en 1443, un magnifique hôpital –, par les voies commerciales qu'il contrôle, par les Flandres ou cliquètent les métiers mécaniques à tisser.

Il attire peintres, artistes, sculpteurs.

Le duc de Bretagne, à l'autre extrémité du territoire, est lui aussi l'allié de l'Anglais.

Ainsi, cette « France anglaise » dispose de presque tout le pays au nord et à l'est de la Loire, et il faut encore y ajouter la Guyenne.

Telle est ainsi brisée l'ancienne unité française liée à la « sainte lignée » des rois de France.

Et lorsque les chevaliers du roi de Bourges tentent une fois encore de bousculer les archers anglais, ceux-ci, comme à Crécy, Poitiers, Azincourt, les massacrent de leurs flèches et de leurs coutelas, le 17 août 1424, à Verneuil-sur-Avre.


Charles VII doute aussi de lui, de ses droits. Hésitant, il songe parfois à se retirer en Dauphiné, à renoncer à la reconquête du royaume, qui lui paraît si difficile qu'elle en devient improbable.

Cependant, les provinces qu'il contrôle sont riches – les pays de Loire, notamment –, elles ont été peu touchées par les ravages de la guerre. Il a autour de lui non seulement les membres du vieux parti Armagnac, mais ceux qui sont restés fidèles à la dynastie capétienne.

Sans doute certains membres de sa Cour sont-ils tentés par des rapprochements avec les Bourguignons, et lui-même, miné par l'incertitude, n'est-il pas capable de prendre la tête de la résistance à l'Anglais, de se faire le héraut du royaume de France.


Élites collaborant avec l'occupant, pouvoir royal impuissant, armée défaite : l'âme de la France réside encore et résiste dans son peuple humilié et exploité par l'Anglais.

« Toujours le régent Bedford enrichissait son pays de quelque chose, et quand il en revenait il n'en rapportait rien qu'une nouvelle taille », écrit un témoin.


En Normandie, où l'Anglais, de Rouen à Caen, s'est fortement implanté, on se rebelle contre les impôts nouveaux. Et l'occupant réprime, sévit, pend, décapite.

Un patriotisme populaire naît de cette résistance. Il s'exprime partout, l'Anglais agissant partout selon son intérêt.

On murmure même à l'université de Paris, quand les professeurs y apprennent que Bedford veut créer une université à Caen afin d'y former des « administrateurs » au service des Anglais.

On mesure l'âpreté et la rapacité anglaises. Dans les années qui suivent le traité de Troyes, un témoin écrit : « Les Anglais ont détruit et gâté tout le royaume, et tant de dommages y ont fait au temps passé et de présent que si tout le pays d'Angleterre était rendu et mis à deniers, on n'en pourrait pas recouvrer la centième partie des dommages qu'ils ont faits audit royaume de France. »


L'âme de la France se forge ainsi dans la défaite et l'occupation étrangère. Un « parti français » s'affirme au sein du peuple.

Jeanne la Pucelle, fille de « labours aisés » et fille du peuple – analphabète, donc –, est l'une de ces Françaises qui, au nom de Dieu, protecteur du royaume de France, répondent à l'appel de ces voix – celle du Seigneur, celles du peuple – qui les incitent à se lever pour sauver le royaume.


Jeanne, qui est née entre la Champagne et le Barrois, est l'incarnation de ce mouvement surgi des profondeurs nationales.

Mais il y avait aussi Péronne, de Bretagne, et Catherine, de La Rochelle. Et combien de femmes et d'hommes agenouillés prient pour que soit sauvé le royaume et sacré le roi français ? La foi chrétienne enflamme le sentiment national. Jeanne est portée par cette croyance qui l'« oblige » à agir, lui insuffle la force de conviction bousculant les hésitations.

Le représentant du Dauphin, Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, bien que sa terre relève du duc de Bourgogne, va l'aider, lui permettre de rejoindre Chinon. Elle y reconnaîtra le Dauphin et s'imposera aux chefs de guerre après avoir été reconnue pucelle.

C'est une vierge qu'on attendait, puisqu'une débauchée, la reine Isabeau, avait corrompu le roi Charles VI et perdu le royaume.

Jeanne convainc les théologiens chargés de l'interroger : « Au nom de Dieu, les gens d'armes batailleront et Dieu donnera la victoire. »

De Blois elle prévient le roi d'Angleterre : « Je suis venue ici de par Dieu le Roi du Ciel pour vous bouter hors de France. »


En trois mois, Jeanne va changer la donne de cette guerre de cent ans en révélant la force du patriotisme populaire.

De la Bourgogne à la Normandie, de la Bretagne à l'Aquitaine, et à Paris même, on va rapidement savoir qu'une pucelle, menant au combat Dunois le Bâtard, demi-frère de Charles d'Orléans, La Hire, le duc Jean d'Alençon, et ses capitaines de compagnie, a, le 8 mai, fait lever le siège d'Orléans, et, le 18 juin, remporté la victoire de Patay.

Le Dauphin peut enfin, l'étreinte anglaise desserrée, se rendre à Reims et s'y faire sacrer le 7 juillet 1429.

Il est désormais le roi de France légitime.

« Gentil roi, dit la Pucelle, ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que levasse le siège d'Orléans et que vous emmenasse en cette cité de Reims recevoir votre Saint Sacre, en montrant que vous êtes vrai Roi de France et celui auquel le royaume de France doit appartenir. »


Victoire miraculeuse, née du peuple patriote et de la foi en Dieu.

Victoire décisive et pourtant gaspillée.

Charles VII et sa Cour n'agissent pas, veulent d'abord se réconcilier avec le duc de Bourgogne. Le roi laisse Jeanne, sans appui, tenter de prendre Paris (elle y est blessée), La Charité-sur-Loire. Elle entre dans Compiègne qu'assiège une armée bourguignonne. Mais elle ne connaît pas la fortune des armes comme à Orléans. Elle est faite prisonnière le 24 mai 1430 et vendue pour 10 000 écus aux Anglais.

Elle est jugée hérétique et schismatique à Rouen suivant une procédure inquisitoriale. Les clercs sont français (l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon) ; les soldats, anglais. Condamnée, elle est brûlée vive le 30 mai 1431, place du Marché, à Rouen : « Elle fut arse cestui jour. »


Rien n'avait été tenté par Charles VII pour arracher celle que les Anglais et les juges ecclésiastiques à leur service tenaient pour une sorcière, et qui avait tiré le royaume de France de l'abîme.

Mais Jeanne la Pucelle n'allait pas être oubliée, devenant dans l'âme de la France, le symbole du patriotisme, et, pour les chrétiens, la preuve que la Providence veille sur le royaume.

Son procès en réhabilitation aura lieu en 1456. Mais la Pucelle continue de chevaucher tout au long de l'histoire nationale : patriote revendiquée par la IIIe République, béatifiée en 1900, elle est canonisée en 1920 par Benoît XV. Et le 8 mai fut proclamé fête nationale.


« Lance au poing et dans son étui de fer aussi claire que le soleil d'avril à sept heures,

« Voici Jeanne sur son grand cheval rouge qui se met en marche contre les usurpateurs [...]

« Et maintenant écoutez, Messieurs les hommes d'État, et vous tous, Messieurs les diplomates, et vous tous, Messieurs les militaires...

« Jeanne d'Arc est là pour vous dire qu'il y a toujours quelque chose de mieux à faire que de ne rien faire...

« Cette Pucelle et cette patronne et cette conductrice au plus profond de la France arrachée par l'aspiration du Saint-Esprit... »


On peut refuser cette vision mystique de « sainte Jeanne » et de la France qu'exprime Paul Claudel, mais, après son « passage » – « Cette flamme déracinée du bûcher ! elle monte ! » –, tout change. Comme si le patriotisme populaire et la foi qu'il exprime obligeaient les « élites » à constituer ce « parti français » qui fait de l'Anglais l'ennemi dans tout le royaume, et Charles VII, sacré à Reims, le seul roi de France.


Une paix est conclue entre Bourguignons et Armagnacs (Arras, 1435). Charles VII entre le 12 novembre 1437 dans un Paris ruiné où errent les loups, mais c'est sa capitale. Elle est à l'image d'un royaume dévasté, parcouru par les Grandes Compagnies. Les campagnes sont vides d'habitants ; de rares paysans affamés y sont guettés par les « écorcheurs », les routiers en maraude, ou frappés par les retours de la peste noire (ainsi en 1438).

De tout le royaume monte vers le roi le désir de le voir agir.

« Il faut que vous vous éveilliez, car nous n'en pouvons plus », lui lance Jean Juvénal des Ursins.

Charles VII acquiert de la détermination. Il se montre combatif et volontaire. Il affiche ses maîtresses – Agnès Sorel –, et le Dauphin Louis supporte mal cette autorité nouvelle. Le futur Louis XI s'éloignera de ce père devenu, pour les vingt dernières années de son règne, un vrai roi de France.


Charles VII réforme. Par les ordonnances de mai 1445, à partir de ces routiers, de ces écorcheurs, de ces soldats désœuvrés entre deux batailles, il crée une armée soldée par le Trésor royal et donc permanente. Ces « Compagnies de l'Ordonnance du Roi » sont logées en forteresse ou chez l'habitant, et complétées par des « francs archers » à raison d'un par cinquante feux. Le franc archer, dispensé d'impôts, doit s'entraîner au tir à l'arc ou à l'arbalète.

Le roi tire enfin la leçon des défaites de la chevalerie française en créant cette « infanterie à l'anglaise ».


Pontoise (1441), Le Mans (1448), Rouen, Caen, Cherbourg (1449) sont reconquises. Et, avec ces villes, le prestige royal.

L'entrée de Charles VII à Rouen est solennelle. Ce 10 novembre 1449, il est accueilli par l'archevêque Raoul Roussel, par les évêques qui furent les acteurs du procès de Jeanne d'Arc et par les témoins de son supplice.

Mais, après avoir été les alliés intimes des Anglais, les dignitaires s'inclinent désormais devant Charles VII, qui avance sous un dais, précédé par un cheval portant le sceau aux trois lis.

La fonction royale est séparée du corps du roi.


La victoire de Castillon, en Guyenne – le 17 juillet 1453 –, clôt la guerre de Cent Ans.

Trois cents bouches à feu ont écrasé la chevalerie et l'infanterie anglaises dans cette Aquitaine liée à l'Angleterre depuis trois siècles.

Tant de batailles perdues sont ainsi vengées.


Le pouvoir a toujours besoin de gloire. Dans l'histoire nationale, depuis les origines, ce sont les glaives et les armées qui l'ont apportée.

Le chevalier, le soldat – et le clerc – sont en France, plus que les marchands, faiseurs de prestige. L'argent, le commerce, plient devant le pouvoir. Et Charles VII fait emprisonner Jacques Cœur (1451), grand argentier et grand marchand. L'argent n'est jamais une fin, pour un roi de France, au contraire de la gloire.

Ce n'est qu'un indispensable moyen.


Quand, le 22 juillet 1461, Charles VII s'éteint, le royaume de France a recouvré une part de sa puissance, de sa gloire et de sa richesse.

Est-ce par une attention de la Providence ?

Celui qui n'avait jamais été qu'un « gentil Dauphin », Charles VII, est devenu, grâce à Jeanne la Pucelle, grâce à tous les Français, attachés à leur nation, et aux conseillers qui l'ont à sa Cour assisté, Charles VII le Bien servi.


17.

« Je suis France », dit Louis XI.

Il vient enfin, à trente-huit ans, de succéder à son père, Charles le Bien servi.

Voilà près de vingt ans qu'il attend, plein d'impatience et même de rage. Il a quitté le royaume de France pour se réfugier chez le Bourguignon, Philippe le Bon. Il a conspiré contre son père, organisé complots et même prises d'armes.

Enfin Charles VII est mort.

Le 13 août 1461, Louis entre dans la cathédrale de Reims : cérémonie fastueuse dont les détails et la magnificence ont été voulus par le duc de Bourgogne ; c'est d'ailleurs lui qui a posé la couronne sur la tête de Louis XI.

C'est à ses côtés qu'il entrera dans Paris, le 31 août.

« Je suis France », dit alors Louis.

Manière d'affirmer qu'il sera souverainement roi de France, donc prêt à secouer toutes les tutelles qu'on voudrait lui imposer. Et d'abord celle de l'héritage de Charles VII. Il renvoie les conseillers de son père : vingt-cinq baillis et sénéchaux. Et il suffit de quelques semaines pour que l'on comprenne que ce souverain au visage de fouine, d'une piété superstitieuse, remuant entre ses doigts des médailles saintes comme s'il s'agissait d'amulettes, est un monarque déterminé et autoritaire.

Il se méfie des grands, donc en tout premier lieu du duc de Bourgogne, le plus puissant. Il préfère s'entourer d'hommes simples mais dévoués corps et âme – Tristan L'Hermite, Olivier Le Daim, l'évêque Balue, bientôt disgracié et emprisonné sans procès –, le chroniqueur Commynes, corrompu, et Francesco Sforza, venu de l'Italie de Machiavel et des Médicis.

Ainsi, pour la première fois dans l'histoire nationale, un souverain esquisse un pouvoir « absolutiste » en s'appuyant non plus sur ses vassaux, les grands, mais sur des hommes liés à lui par un lien de « service », serviteurs du roi et donc de l'État.

Gouvernement impitoyable : le roi réprime avec sauvagerie – pendaisons, mutilations, bannissements – la « tircotterie » d'Angers et la « mutemaque » de Reims, des émeutes antifiscales.

Car ce pouvoir qui se ramifie a besoin d'argent. Il multiplie par quatre la taille. Il resserre les rouages de l'État, contrôle les villes, le clergé. Il renforce l'armée des compagnies d'ordonnances. Il favorise les cités marchandes. Il crée une quatrième foire à Lyon, ce qui fait de cette ville un centre d'attraction pour les banquiers et marchands italiens. De nombreuses routes sont pavées et les « chevaucheurs » du roi, qui transportent les plis officiels, trouvent aux relais des montures fraîches.

Et à sa manière autoritaire, en renforçant l'État, le roi exprime les souhaits du peuple, de ce « parti français » né dans la guerre contre le « parti de l'étranger », et qui, même s'il en craint la violence, approuve un souverain affirmant : « Je suis France. »


Avec Louis XI surgit ainsi un nouveau type de souverain français, de pouvoir national, peu respectueux des « règles » et de la morale – les conseillers de Louis XI sont des hommes de police, et même, à l'occasion, des bourreaux –, comme si le service du royaume autorisait – au nom de Dieu aussi, car le roi est pieux, il invoque saint Michel – l'emploi de toutes les habiletés et de toutes les violences.

Parce que la ville d'Arras a résisté en 1479, tous les habitants en sont chassés, remplacés par d'autres, et la ville, débaptisée, devient un temps « Franchise ».

Mais ce pouvoir est national. Louis XI se rend en pèlerinage à l'abbaye du Mont-Saint-Michel, il crée l'ordre de Saint-Michel parce que, dix ans durant – 1424-1434 –, la place a résisté au siège des Anglais, parce que Jeanne d'Arc a invoqué saint Michel qui allait l'aider à terrasser l'Anglais comme il avait terrassé le dragon.

Et les premières imprimeries qui se créent à Paris à partir de 1470 – il y en aura neuf, contre quarante en Italie – diffusent à des centaines d'exemplaires, peut-être même à un ou deux milliers, ces invocations à saint Michel et ces apologies du roi de France. Les grands qui ont montré contre les Anglais leur impuissance, leur désir de collaborer avec l'occupant et de constituer un parti de l'étranger, et les chevaliers qui ont donné la preuve de leur incapacité à vaincre les archers anglais voient ainsi leur pouvoir réduit au bénéfice de celui du roi et de l'État.

Au contraire, comme jamais, les marchands, les bourgeois, les manouvriers, considèrent que le pouvoir royal est le garant de leur prospérité :

Et quand Anglais furent dehors

Chacun se met en ses efforts

De bâtir et de marchander

Et en biens superabonder.

Ce « parti français », ce peuple « patriote », n'est évidemment pas conscient de la politique que conduit Louis XI, mais, lorsqu'il est averti de ce qui se trame, il soutient l'« universelle aragne » qui tisse sa toile pour réduire les ducs et les princes à l'impuissance et les dépouiller de leurs possessions au profit du royaume.

Tel est l'axe de cette politique française de Louis XI, qui parfois trébuche sur les propres pièges qu'elle tend à ses adversaires.


Les grands ont jaugé la menace. Ils mènent dès 1465 une guerre ouverte contre Louis XI. Le duc de Bourgogne, Philippe le Bon et son fils Charles le Téméraire, le duc de Bretagne, ont formé ce qu'ils appellent la ligne du Bien Public et ont enrôlé dans leurs rangs le propre frère du roi.

Après la bataille incertaine de Montlhéry (16 juillet 1465), les ligueurs menacent Paris. Louis XI négocie (traité de Conflans, 1465), mais sa détermination ne faiblit pas. Il incite les Flandres à se soulever contre Charles le Téméraire, et prend le risque de se rendre à Péronne, défier le duc de Bourgogne et négocier avec lui en dépit de l'insurrection des Liégeois, que, l'accord une fois intervenu, on réprimera (1468).

Ce souverain bavard, retors et superstitieux, auteur de plus de sept volumes de lettres, a une vision claire des dangers qui menacent le royaume. Il doit briser le duché de Bourgogne, empêcher que Charles le Téméraire ne conquière l'Alsace et la Lorraine, réunissant ainsi territorialement la Flandre et la Bourgogne. Et il doit plus encore empêcher que se renoue l'alliance anglo-bourguignonne.

Or Édouard IV débarque en 1475 une armée de 25 000 hommes à Calais. Pour le faire renoncer, il faut lui verser 75 000 écus plus 50 000 écus de rente annuelle.

Le peuple approuve cette politique. Les villes ont résisté aux Bourguignons (ainsi Jeanne Hachette à Beauvais). Il se félicite de l'accord intervenu entre Louis XI et Édouard IV d'Angleterre (à Picquigny, 1475) :

J'ai vu le Roi d'Angleterre

Amener son grand ost

pour la Française terre

Conquérir bref et tost

Le Roi voyant l'affaire

Si bon vin leur donna

Que l'autre sans rien faire

Content s'en retourna.

Ce roi réussit. Charles le Téméraire, qui a repris la guerre, meurt devant Nancy (1477), et en jouant des successions, en mêlant habile diplomatie et menaces, Louis XI agrandit le royaume de France du Roussillon, de la plus grande partie de la Bourgogne (duché), de la Picardie, de l'Anjou, du Maine et de la Provence.

Avec Marseille, le royaume s'ouvre ainsi sur la Méditerranée et recouvre les limites de la Gaule romaine.

Certes, il a fallu accepter que Marie de Bourgogne – fille de Charles le Téméraire – épouse l'empereur Maximilien d'Autriche. Les Habsbourg sont aux portes du royaume de France. Mais Louis XI a obtenu que la fille de Marie de Bourgogne épouse le Dauphin Charles, et elle apporte dans sa dot la Franche-Comté, l'Auxerrois, le Mâconnais et l'Artois.


Au sud, Isabelle de Castille a épousé Ferdinand d'Aragon, et ces Rois Catholiques vont reconquérir toute l'Espagne, en chasser les musulmans.

Ces modifications portent en germe une nouvelle géopolitique de l'Europe occidentale. Le royaume de France ne peut qu'y être directement impliqué.


Le 30 août 1483, quand meurt Louis XI à Plessis-lès-Tours, le royaume de France n'est plus l'État exsangue de la première moitié du xve siècle.

L'âme du pays a été trempée par la guerre. Elle se sait et surtout se veut française.

Au lent processus d'agrandissement et d'unification du royaume, Louis XI, en vingt-deux ans de règne, a apporté une contribution majeure.

Dans le fonctionnement du pouvoir, il a tout subordonné au succès de la politique qui sert la gloire et les intérêts du royaume tels que le roi les conçoit.

Ceux qui ne partagent pas cette vision doivent être brisés. Le royaume de France ne doit compter que des sujets soumis au pouvoir royal.

L'âme de la France se souviendra de l'« universelle aragne ».


18.

La mort a saisi Louis XI et c'est un enfant de treize ans qui est sacré roi de France. Point de conseil de régence pour Charles VIII : le défunt roi a choisi deux tuteurs, sa fille Anne et son époux, Pierre de Beaujeu, un Bourbon dont il sait qu'ils continueront sa politique avec ténacité et prudence. « Anne, disait-il, est la femme la moins folle du monde. »

Et, précisément, elle doit faire face avec Pierre de Beaujeu à la « Guerre folle » que mènent contre ces deux tuteurs les princes qui veulent dominer le roi, retrouver leur influence. Parmi eux, il y a le cousin du souverain, Louis d'Orléans, fils du poète Charles d'Orléans, retenu si longtemps prisonnier en Angleterre. Vaincu par les troupes royales, Louis d'Orléans passera trois années en prison (1488-1491) avant de devenir, à la mort de Charles VIII (1498), Louis XII, roi de France.

Et, revêtant les habits du souverain, il combat à son tour les princes. Il peuple son Conseil de roturiers, comme l'avaient fait Louis XI et Charles VIII. Il écoute les avis de cet « humaniste » – un des hérauts de la révolution culturelle qui, portée par l'imprimerie, bouleverse des valeurs réputées immuables – nommé Guillaume Budé (1467-1540), dont Charles VIII avait fait son secrétaire.

Fini le temps des chroniqueurs à la Commynes. Charles VIII les a renvoyés.


Avec le roturier progresse l'esprit profane.

La Sorbonne admet les studia humanitatis – études profanes. Un Robert Gaguin publie pour Charles VIII les Commentaires de César, et une Histoire française qui se donne Tite-Live pour modèle.

Les imprimeries se multiplient à Paris et à Lyon. En 1514, Louis XII dispensera les livres de taxe à l'exportation. Les librairies disposent en réserve de plusieurs dizaines de milliers de volumes à eux tous.

On imprime, on réimprime François Villon, sa Ballade des dames du temps jadis :

Où est la très sage Héloïse

Pour qui châtré fut et puis moine

Pierre Abélard à Saint-Denis [...]

Et Jeanne la bonne Lorraine

Qu'Anglais brûlèrent à Rouen [...]

Mais où sont les neiges d'antan ?

La nation naît de cette langue qui s'affine, se crée en forgeant des mots neufs, en exprimant une sensibilité nouvelle et en donnant à des milliers de lecteurs la conscience forte d'appartenir à une communauté nationale. Le chant profane, les livres, la poésie, tous ces textes qui commencent à circuler constituent une mémoire collective, une légende et une mythologie partagées.

La France commence à vivre en chaque Français grâce au pouvoir des mots :

Frères humains qui après nous vivez

N'ayez les cœurs contre nous endurcis [...]

Mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre !

Heureusement, entre le moment où Villon écrit cette Ballade des pendus – vers 1461 – et la fin du siècle (Charles VIII : 1483-1498 ; Louis XII : 1498-1515), la mort recule.

Les grappes de pendus au gibet de Montfaucon sont moins serrées.

La peste noire et la disette frappent encore au début du règne de Charles VIII, mais le pays se repeuple ; les étrangers sont admis sans avoir à payer le droit d'aubaine pour obtenir la « naturalité ».

Castillans et Italiens arrivent nombreux dans les villes, dont la population augmente (Paris : 250 000 ; Lyon, Nantes, Rouen, Toulouse : entre 25 000 et 50 000).

Les défrichements reprennent, les villages abandonnés retrouvent vie.

À Lyon, à Troyes, à Paris, du tissage à la fabrication de papier pour l'imprimerie, les ateliers se multiplient, en même temps que des modes nouvelles, venues d'Italie, répandent le goût du luxe, des tissus en soie, de la joaillerie.

En deux décennies, la France a retrouvé sa richesse. Elle est la plus vaste des nations – 450 000 kilomètres carrés –, la plus peuplée – 20 millions d'habitants –, celle dont l'organisation étatique, la plus élaborée, permet de recouvrer les impôts avec le plus d'efficacité.


Ainsi s'inscrit dans la mémoire nationale l'expérience à la fois du malheur exemplaire et du redressement miraculeux qui remet la France à sa place : au premier rang.

Le passage de la dévastation provoquée par la guerre – civile et étrangère – à ce renouveau, cet éloignement des temps de malheur, sont des éléments déterminants dans l'élaboration de l'âme de la France.

Hier, c'était la peur qui étreignait les campagnes menacées par les routiers des Grandes Compagnies.

À la fin du xve siècle, Claude de Seyssel publie Louange au Roi Louis XII, et il décrit une France paisible, gouvernée par un « Père » :

« Tous, dit-il, labourent et travaillent, ainsi avec les gens croissent les biens, les revenus et les richesses. »

La croyance s'enracine qu'il existe un miracle français, que la Providence veille sur le royaume.


Mais, rassurés, satisfaits, les souverains et leur entourage – et, naturellement, les grands, soucieux de recouvrer leur influence – ne réalisent pas que la France ne regarde pas vers l'Atlantique, où Portugais, Espagnols et Italiens s'aventurent (1492 : Christophe Colomb aborde les terres américaines), et qu'ainsi le royaume de France ne participera pas à ce partage du monde – et de l'or ! Les souverains français préfèrent chevaucher en Italie, qui, émiettée, sans État, est cependant le grand pôle économique et financier de l'Europe avec les Flandres.

S'il ne peut être question de conquérir ces dernières, l'Italie, elle, semble facile à saisir.


C'est le mirage de la monarchie française. Pour le matérialiser, on veut avoir les mains libres.

On rend le Roussillon à Ferdinand d'Aragon, l'Artois et la Franche-Comté aux Habsbourg. Une « politique étrangère » française se dessine, où l'illusion, le souci de la gloire, l'emportent sur la raison. Et dans laquelle on sacrifie le gain sûr, réalisé, au rêve.

Charles VIII entre dans Naples en février 1495, vêtu du manteau impérial et de la couronne de Naples, de France, de Jérusalem et de Constantinople.

Car le roi de France entend aussi libérer ces deux dernières villes (Constantinople a été conquise en 1453 par les musulmans). Mais il lui faudra rebrousser chemin devant la coalition italienne qui se forme, et quitter l'Italie malgré la furia francese victorieuse à Fornoue (5 juillet 1495).

Mêmes difficultés pour Louis XII, qui se heurte à une Sainte Ligue animée par le pape Jules II, peu soucieux de voir le grand royaume de France dominer l'Italie.


De cette aventure italienne resteront le renforcement d'un courant d'hommes et d'idées, et l'influence dominante de la création artistique italienne dans le royaume de France.

D'un côté, les hommes d'armes (Charles VIII est entré en Italie à la tête de près de trente mille hommes) ; de l'autre, les peintres, les musiciens, les architectes, les théologiens, les philosophes, de Savonarole à Machiavel.

D'un côté le roi, de l'autre le pape.

Un lien ambigu est ainsi noué entre l'âme de la France et celle de l'Italie, qui, quelles que soient les circonstances – incompréhensions, rivalités, conflits –, ne sera jamais tranché.


C'est que les libres décisions des hommes sont orientées par des logiques enserrées dans des structures qui posent les termes d'une équation que, par leurs choix, les acteurs auront à résoudre ou à compliquer.

Le royaume de France n'a, en matière de politique extérieure, le choix qu'entre une expansion vers le nord-est (la Flandre, les Pays-Bas), l'est (au-delà du Rhin), le sud-est (l'Italie) et le sud (l'Espagne).

L'Italie est le seul territoire qui, par son morcellement et sa richesse, attire les convoitises. Et il en sera ainsi jusqu'à ce qu'il soit unifié.


À l'intérieur du royaume, le pouvoir royal est aussi confronté à des problèmes qui ne sont jamais définitivement résolus, puisqu'ils font partie de la nature même de la société française.

Que faire des grands ?

Les tuteurs de Charles VIII ont brisé leur « Guerre folle ». Et, comme Louis XI avant lui, comme Louis XII après lui, Charles VIII s'appuie sur des « roturiers », des « bourgeois » qui deviennent ses conseillers.

De même, comme Charles VII – qui avait, dans la Pragmatique sanction de Bourges, affirmé en 1438 la nécessaire obéissance du clergé français au roi de France et non au pape, sauf en matière théologique –, Charles VIII favorise l'indépendance du clergé français.

Reste le troisième ordre (après l'aristocratie et le clergé), représenté au sein des états généraux, qui reflètent l'ensemble de la nation.


Charles VIII réunit les états en 1484 et leur annonce... une réduction des impôts (de la taille).

Quant à Louis XII, il les assemble à Tours en 1506 pour leur faire rejeter le projet de mariage entre l'héritière du duché de Bretagne – sa fille Claude de France – et le petit-fils de Maximilien d'Autriche, Charles de Habsbourg... futur Charles Quint !

Quel roi de France et quels représentants des Français eussent accepté de voir le royaume pris en tenailles par les Habsbourg, écrasant l'Ile-de-France entre leurs possessions de l'Est et de l'Ouest ?

C'eût été retrouver, en pis, la situation qui avait donné naissance à la guerre de Cent Ans.

En 1514, Claude de France épouse François de Valois et apporte en dot le duché de Bretagne.


Lorsque, le 1er janvier 1515, Louis XII, « Père du Peuple », meurt sans héritier mâle, c'est son cousin, François de Valois, qui monte sur le trône sous le nom de François Ier.

Des temps nouveaux commencent, dont on pressent qu'ils sont porteurs de bouleversements majeurs dans l'ordre des valeurs – mais l'âme de la France est déjà si forte, si structurée, qu'on ne pourra la nier.



CHRONOLOGIE I


Vingt dates clés (des origines à 1515)

35 000 avant J.-C. : L'homme de Cro-Magnon, aux Eyzies-de-Tayac-Sireuil (Dordogne)

15 500 avant J.-C. : Grotte de Lascaux

620 avant J.-C. : Fondation de Marseille

500 avant J.-C. : Début des invasions celtes

58-52 avant J.-C. : Jules César en Gaule

177 : Martyrs chrétiens de Lyon

498 : Baptême de Clovis

800 : Charlemagne empereur

843 : Partage de Verdun

910 : Fondation de Cluny

987-996 : Hugues Capet

1096-1099 : Première croisade

1180-1223 : Philippe Auguste

1244 : Prise de Montségur, citadelle cathare

1285-1314 : Philippe le Bel

1348 : Épidémie de peste noire

1429 : Jeanne d'Arc délivre Orléans (8 mai), est suppliciée à Rouen le 30 mai 1431

1461-1483 : Louis XI

1495 : Entrée de Charles VIII (1483-1498) à Naples

1511 : Sainte Ligue (pape, Angleterre, Espagne, Venise, Suisse) contre la France de Louis XII (1498-1515)

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