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L'ÉCHO DE LA RÉVOLUTION


1815-1848


46.

Quel régime pour la France ?

Cette nation qui, en 1792, a déchiré le pacte millénaire qui en faisait une monarchie de droit divin réussira-t-elle, maintenant que l'« Usurpateur » n'est plus que le prisonnier d'une île des antipodes où tous les souverains d'Europe sont décidés à le laisser mourir, à renouer le fil de son histoire après un quart de siècle – 1789-1814 – de révolutions, de terreurs et de guerres ?

Ou bien le pouvoir n'apparaîtra-t-il légitime qu'à une partie seulement de la nation, et la France continuera-t-elle d'osciller d'un régime à l'autre, incapable de trouver la stabilité institutionnelle et la paix civile ?


C'est l'enjeu des trente-trois années qui vont de 1815 à 1848, longue hésitation comprise entre le bloc révolutionnaire et impérial et la domination politique de Louis Napoléon Bonaparte qui va durer vingt-deux ans, de 1848 à 1870.

C'est comme si, de 1815 à 1848, des répliques – en 1830, en 1848 – du grand tremblement de terre révolutionnaire venaient périodiquement saper les régimes successifs, qu'il s'agisse de la restauration monarchique – drapeau blanc et Terreur blanche, fleur de lys et règne des frères de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, renversée en juillet 1830 – ou bien de la monarchie bourgeoise – drapeau tricolore et roi citoyen, Louis-Philippe d'Orléans, fils de régicide, combattant de Jemmapes, balayé lui aussi par une révolution, en février 1848, donnant naissance à une fugace deuxième République qui choisit pour président un Louis Napoléon Bonaparte élu au suffrage universel !


Parmi les élites de cette France de la Restauration, puis de la monarchie orléaniste dite de Juillet, il existe des « doctrinaires » libéraux.

Après les « dérapages » révolutionnaires et la dictature impériale, ils voudraient voir naître une France pacifique et sage gouvernée par une monarchie constitutionnelle, retrouvant ainsi les projets des années 1790-1791.

Ces hommes – Benjamin Constant, François Guizot… – sont actifs, influents ; ils seront même au pouvoir aux côtés de Louis-Philippe d'Orléans.

Comme Constant, ils affirment : « Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées, et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances... Par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité » (1819).

Guizot inspire les lois de 1819 sur la presse, qui précisent dans leur préambule que « la liberté de presse, c'est la liberté des opinions et la publication des opinions. Une opinion quelle qu'elle soit ne devient pas criminelle en devenant publique. »

Les journaux peuvent désormais paraître sans autorisation préalable. Les jurys d'assises sont seuls juges des délits de presse.


Après les années de censure et de propagande napoléoniennes, ainsi surgissent, en pleine Restauration, des journaux d'opinion qui vont peser sur la vie politique. Et la bataille pour la liberté de la presse devient dès lors un élément majeur du débat public. Un tournant est pris à l'initiative des libéraux :

« La liberté de la presse, c'est l'expansion et l'impulsion de la vapeur dans l'ordre intellectuel, écrit Guizot, force terrible mais vivifiante qui porte et répand en un clin d'œil les faits et les idées sur toute la face de la terre. J'ai toujours souhaité la presse libre ; je la crois, à tout prendre, plus utile que nuisible à la moralité publique. »


Ce mouvement que les pouvoirs vont tenter d'entraver est cependant irrésistible, parce que l'aspiration à la liberté, après la discipline militaire d'un Empire engagé en permanence dans la guerre, est générale.

C'est ainsi que le romantisme, qui marquait par de nombreux aspects une rupture avec l'esprit des Lumières et le triomphe de la Raison, et donc un retour à la tradition, à la sensibilité, rencontre le « libéralisme ».

L'évolution de Victor Hugo, poète monarchiste en 1820 – il célèbre le sacre de Charles X en 1825 –, le porte à écrire dans la préface de Cromwell, en 1827 :

« La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques. Nous voilà sortis de la vieille formule sociale. Comment ne sortirions-nous pas de la vieille formule poétique ? »

Phénomène générationnel : en 1827, les deux tiers de la génération nouvelle sont nés après 1789, et la majorité du corps électoral (100 000 notables) avait moins de vingt ans lors de la prise de la Bastille.


Cependant, ces « libéraux », ces « modernes », qui ont un projet politique clair, des convictions arrêtées, ne parviennent pas, malgré leur proximité du pouvoir et l'influence qu'ils exercent, à l'emporter.

Un Bonaparte va sortir vainqueur de l'épisode 1815-1848.

Un empire va succéder à une monarchie qui s'était voulue « constitutionnelle » et à une république « conciliatrice ».

Des « journées révolutionnaires se sont succédé, renversant des régimes en juillet 1830 et en février 1848, ou provoquant des heurts sanglants en 1831, 1832 et juin 1848.

Cet échec des « libéraux », cet écho de la révolution répercuté tout au long du xixe siècle, marquent profondément l'âme du pays et orientent son histoire.

De 1815 à 1848, la France n'a pas pris le tournant libéral, mais est restée une nation partagée en camps qui s'excluent l'un l'autre de la légitimité.

On le voit bien de 1815 à 1830. Les doctrinaires libéraux, les partisans de la prise en compte des conséquences politiques, sociales, économiques et psychologiques de la Révolution, sont constamment débordés par les ultraroyalistes sans obtenir pour autant l'appui des révolutionnaires « jacobins » ou des bonapartistes.

Une fois encore, la France élitiste, celle des « notables » du centre, est écrasée par les « extrêmes » qui les excommunient tout en se combattant, selon la règle : « Qui n'est pas avec moi totalement est contre moi ! »


Le réaliste Louis XVIII et les libéraux ont d'abord accepté, en 1814-1815, que la Terreur blanche massacre, que des bandes royalistes – les Verdet – se comportent en brigands, qu'on proscrive et qu'on assassine les généraux Brune et Ramel, qu'on fusille le maréchal Ney et le général de La Bédoyère.

Il faut peser les conséquences de cette politique terroriste de revanche et de vengeance royaliste, appliquée alors que le pays est encore occupé – jusqu'en 1818 – par des troupes étrangères.

Elle achève de « déchirer » le lien entre le peuple et les Bourbons.

Ils apparaissent comme la « réaction », la « contre-révolution », le « parti de l'étranger ». Certes, le monde paysan (75 % de la population) reste silencieux, mais, dans les villes et d'abord à Paris – 700 000 habitants –, la rupture est consommée entre une grande partie de la jeunesse des « écoles » et le camp « légitimiste ».

Durant la Restauration, ce dernier joue son avenir.

Plus profondément encore, le retour en force du clergé catholique et d'associations secrètes liées à l'Église qui contrôlent l'esprit public – Chevaliers de la foi, Congrégation – dresse contre le « parti prêtre » une partie de l'opinion.

L'Université, placée sous l'autorité du grand maître, monseigneur de Frayssinous, bientôt ministre des Cultes, est mise au pas.

Les Julien Sorel grandissent dans ce climat politique d'ordre moral, de surveillance et de régression.

L'âme de la France, déjà pénétrée par les idées des Lumières, se rebiffe contre cette « conversion » forcée que pratiquent « missions » et directeurs de conscience.

L'anticléricalisme français qu'on verra s'épanouir dans la seconde moitié du siècle trouve une de ses sources dans ces quinze années de restauration et de réaction.


Cette politique ultra ne peut changer qu'à la marge (dans la période 1816-1820) sous l'influence du ministre Decazes, qui a la confiance de Louis XVIII.

Les ultraroyalistes la condamnent, pratiquent la politique du pire : « Il vaut mieux des élections jacobines que des élections ministérielles », disent-ils.

Ils favorisent ainsi l'élection du conventionnel Grégoire, ancien évêque constitutionnel, partisan de la Constitution civile du clergé.

Or « jacobins » et bonapartistes se sont organisés en sociétés secrètes (sur le modèle de la Charbonnerie, ou dans la société « Aide-toi, le Ciel t'aidera »). Ils complotent.

Le 13 février 1820, le bonapartiste Louvel assassine le duc de Berry, fils du comte d'Artois, seul héritier mâle des Bourbons.


La France se trouve ainsi emportée dans un cycle politique où s'affrontent tenants de la réaction, ultraroyalistes et révolutionnaires. À peine entr'ouverte, la voie étroite de la monarchie constitutionnelle se referme.

Quand il déclare, parlant de Decazes : « Les pieds lui ont glissé dans le sang », Chateaubriand exprime l'état d'esprit ultra, mettant en accusation les « modérés », les royalistes tentés par le libéralisme.

« Ceux qui ont assassiné monseigneur le duc de Berry, poursuit-il, sont ceux qui, depuis quatre ans, établissent dans la monarchie des lois démocratiques, ceux qui ont banni la religion de ses lois, ceux qui ont cru devoir rappeler les meurtriers de Louis XVI, ceux qui ont laissé prêcher dans les journaux la souveraineté du peuple et l'insurrection. »


La mort de Louis XVIII en 1824, le sacre de Charles X à Reims en 1825, creusent encore le fossé entre les « deux France ».

La répression des menées jacobines et bonapartistes (exécution en 1827 des quatre sergents de La Rochelle qui ont comploté contre la monarchie), les nouvelles lois électorales – un double vote est accordé aux plus riches des électeurs –, révoltent la partie de l'opinion qui reste attachée au passé révolutionnaire et napoléonien.

Elle ne peut accepter le gouvernement du duc de Polignac, constitué en août 1829, au sein duquel se retrouvent le maréchal Bourmont et La Bourdonnais.

Une nostalgie patriotique l'habite. Elle a été émue par la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, le 5 mai 1821.

Elle lit le Mémorial de Sainte-Hélène, publié en 1823, qui connaît d'emblée un immense succès. À gauche, l'historien Edgar Quinet peut écrire :

« Lorsque, en 1821, éclata aux quatre vents la formidable nouvelle de la mort de Napoléon, il fit de nouveau irruption dans mon esprit... Il revint hanter mon intelligence, non plus comme mon empereur et mon maître absolu, mais comme un spectre que la mort a entièrement changé... Nous revendiquions sa gloire comme l'ornement de la liberté. »

Et Chateaubriand de noter lucidement :

« Vivant, Napoléon a manqué le monde ; mort il le conquiert. »


Dans ce climat, le ministère Polignac-Bourmont-La Bourdonnais apparaît comme une provocation ultraroyaliste.

Il manifeste la fusion qui s'opère dans les esprits entre les Bourbons, l'étranger et donc la trahison, et, réciproquement, entre leurs adversaires et le patriotisme. Dès lors, le pouvoir royal n'est plus légitime, et rejouent toutes les passions de la période révolutionnaire.

Le Journal des débats écrit ainsi : « Le lien d'amour qui unissait le peuple au monarque est brisé. »

Quelques jours plus tard, Émile de Girardin ajoute : Polignac est « l'homme de Coblence et de la contre-révolution ». Bourmont est le déserteur de Waterloo et La Bourdonnais, le chef de la « faction de 1815, avec ses amnisties meurtrières, ses lois de proscription et sa clientèle de massacreurs méridionaux »... « Pressez, tordez ce ministère – Coblence, Waterloo, 1815 –, il ne dégoutte qu'humiliation, malheurs et chagrins ! »

Bertin l'aîné, propriétaire du Journal des débats, sera condamné à six mois de prison pour la publication de ces articles.

La réaction se déploie : la pièce de Victor Hugo, Marion Delorme, est interdite, et une commission examine les cours donnés par Guizot et Victor Cousin.

L'affrontement avec le pouvoir est proche.


Le 3 janvier 1830, Thiers, Mignet et Armand Carrel fondent le journal Le National.

On mesure alors combien le patriotisme est le ressort de l'opposition.

C'est la question nationale qui met l'âme française en révolte.

Mais la confrontation est en fait limitée à Paris.

La France paysanne reste calme, presque indifférente à ces déchaînements politiques qui, s'ils vont prendre la forme de journées révolutionnaires – les 27, 28 et 29 juillet 1830 –, et, à ce titre, s'inscrivent dans la « mythologie révolutionnaire », marquent davantage un glissement de pouvoir qu'une profonde rupture.

Les acteurs de ces journées de juillet ne sont en effet qu'une minorité, une nouvelle génération romantique (la « bataille » d'Hernani est de 1830, et c'est cette année-là que Stendhal écrit Le Rouge et le Noir). Les inspirateurs politiques sont des « libéraux » (Thiers, La Fayette, Guizot) qui vont réussir à imposer leur candidat au trône : Louis-Philippe d'Orléans.

Ils réalisent ainsi avec le fils ce que d'autres « modérés » (déjà La Fayette) avaient tenté, en 1790-1791, avec le père, Philippe Égalité.

Ils veulent instaurer une monarchie constitutionnelle qui arborera les trois couleurs. Le monarque sera un roi citoyen.

Le peuple, utilisé et dupé, doit se contenter de cette mutation politique qui ne change rien à sa condition.


Après ces « trois glorieuses » journées de juillet 1830, Stendhal écrira :

« La banque est à la tête de l'État, la bourgeoisie a remplacé le faubourg Saint-Germain, et la banque est la noblesse de la classe bourgeoise. »

Et le banquier Laffitte de conclure : « Le rideau est tombé, la farce est jouée. »

Mais, dans la mémoire de la nation – dans l'âme de la France –, ces journées de 1830 sont l'un des maillons qui confortent et enrichissent la légende de la France révolutionnaire dont Paris, qui s'est couvert de six mille barricades, est le cœur.

Une source qui n'est pas tarie peut jaillir à nouveau avec d'autant plus de force qu'elle a été détournée, contenue.


47.

Dans ce deuxième tiers du xixe siècle, l'histoire de France semble bégayer.

Paris a pris les armes en juillet 1830 pour chasser Charles X et les légitimistes, mais en février 1848 les émeutiers parisiens contraignent les orléanistes et Louis-Philippe, vainqueurs en 1830, à l'exil.

Par leur éclat symbolique – Paris se couvre de barricades, Paris s'insurge, Paris compte ses morts et les charge sur les tombereaux, allumant partout dans la capitale l'incendie de la révolte –, ces journées révolutionnaires qui voient surgir puis disparaître la monarchie bourgeoise de Louis-Philippe marquent l'importance, pour le destin français, de ces dix-huit années.

Car ce qui s'est scellé, entre 1830 et 1848, c'est le sort final de la monarchie.


Les journées de 1830 ont signé l'échec du retour à l'Ancien Régime, tenté avec plus ou moins de rigueur par Louis XVIII et Charles X.

Mais la France ne veut ni d'une charte octroyée, ni d'un roi sacré à Reims, ni d'un drapeau à fleurs de lys cachant sous ses plis le tricolore de Valmy et d'Austerlitz.

Les monarchistes partisans d'une royauté constitutionnelle l'ont compris. Ce sont eux qui provoquent, puis confisquent, les journées révolutionnaires de juillet 1830.

Ces idéologues – des historiens (Guizot, Thiers, Mignet) et des banquiers (Laffitte, Perier) – veulent renouer avec la « bonne Révolution », celle des années 1790-1791, quand les modérés espéraient stabiliser la situation et instaurer avec Louis XVI une monarchie constitutionnelle.

Leur grand homme, le garant militaire de leur tentative, leur glorieux porte-drapeau, c'était La Fayette, et c'est encore lui qui, en juillet 1830, présente à la foule le « roi patriote », Louis-Philippe.

Cette monarchie-là se drape dans le bleu-blanc-rouge.

Si elle parvient à s'enraciner, alors le sillon commencé avec la fête de la Fédération en 1790, puis interrompu par la Terreur et détourné au profit de Bonaparte, pourra enfin être continué.

Thiers, Guizot, qui gouverneront si souvent de 1830 à 1848, rêvent de ce pouvoir à l'anglaise, avec des Chambres élues au suffrage censitaire, un roi qui règne mais ne gouverne pas.

Malheureusement pour eux, Louis-Philippe veut régner et ne joue pas le jeu du Parlement.


Certes, le « roi citoyen » rompt avec l'idée d'un retour à l'Ancien Régime. Cela suffit d'ailleurs à dresser contre lui tous les monarchistes légitimistes.

Mais, naturellement, les républicains et les révolutionnaires qui découvrent que leur héroïsme de juillet 1830 n'a servi qu'à installer sur le trône un monarque, à la place d'un autre, le haïssent.

On essaiera – des régicides issus de toutes les oppositions – à six reprises de le tuer. Et on visera aussi son fils, le duc d'Aumale.

On ignorera les réussites d'une monarchie qui conclut une entente cordiale avec l'Angleterre et ne se lance dans aucune aventure guerrière.

Elle achève de conquérir l'Algérie et de la pacifier.

Elle jette les bases d'un empire colonial.

Elle unifie le pays en créant soixante mille kilomètres de chemins vicinaux, 4 000 kilomètres de voies ferrées, qui contribuent à renforcer la centralisation de la nation.

Paris est la tête où tout se décide, où tout se joue.

Les campagnes restent soumises à leurs nobles légitimistes, méprisants envers ce roi boutiquier, inquiets de voir Guizot exiger des communes qu'elles créent une école primaire, et de certains départements, qu'ils bâtissent une école normale d'instituteurs.

Cet enseignement n'est encore ni obligatoire, ni gratuit, ni laïque, mais il ouvre le chemin à l'Instruction publique.


Cependant, la monarchie constitutionnelle reste une construction fragile, et son renversement en février 1848 clôt, dans l'histoire nationale, le chapitre de la royauté.

On ne confiera jamais plus le pouvoir à un souverain issu de l'une ou l'autre des branches de la dynastie, qu'il arbore les fleurs de lys ou les trois couleurs.

Ce que le peuple de France rejette depuis 1789, ce n'est point tant le gouvernement d'un seul homme – Napoléon fut le plus autoritaire, le plus dictatorial des souverains – que l'accession au trône par filiation héréditaire.

Même le fils de Napoléon ne peut accéder au trône. Le roi de Rome n'est que le sujet d'une pièce mélodramatique qui sera écrite beaucoup plus tard.

Ce ne sont plus ni les liens de sang ni le sacre qui légitiment le pouvoir, mais l'élection.

En 1848, quand Louis-Philippe part en exil, alors que Paris ignore que le roi a abdiqué en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, une nouvelle période de l'histoire de France commence.

Les nostalgies monarchiques – légitimistes ou orléanistes – pourront bien perdurer, susciter d'innombrables manœuvres politiques, elles ne donneront plus naissance qu'à des chimères et à des regrets.

Des quatre modèles politiques qui ont composé la combinatoire institutionnelle de la France à partir de 1789 – monarchie d'Ancien Régime, monarchie constitutionnelle, empire, république –, il ne restera plus, après l'échec de la monarchie constitutionnelle, que les deux derniers.


C'est dire l'importance du sort de cette monarchie louis-philipparde pour l'orientation de toute l'histoire nationale à partir des années 1830-1848. En fait, se mettent alors en place de nouvelles forces sociales et politiques, des manières de penser – des idéologies – qui coloreront l'âme de la France durant le dernier tiers du xixe siècle et tout le xxe.

De nouveaux mots apparaissent : socialisme, socialistes, communisme, prolétaires.

Surtout, s'opère la fusion entre ces « prolétaires », ces ouvriers, et le mouvement républicain. On se souvient de la conspiration des Égaux de Babeuf, du Comité de salut public.

Pour les notables, les propriétaires, ce sont là des « monstruosités » dont il convient d'éviter à tout prix le retour.

Pour d'autres – les républicains révolutionnaires –, c'est un exemple, une voie à prolonger. Au bout, il y a la république sociale fondée sur l'égalité.

L'un de ces idéologues – Laponneraye – écrira en 1832 : « Il s'agit d'une république où l'on ne connaîtra point la distinction de bourgeoisie et de peuple, de privilèges et de prolétaires, où la liberté et l'égalité seront la propriété de tous et non le monopole exclusif d'une caste. »

Dans les campagnes, chez les idéologues libéraux, on craint ces « partageux ». Et ce d'autant plus qu'on a pu mesurer en 1830 la force révolutionnaire de Paris.

Un notable libéral, Rémusat, avouera : « Nous ne connaissions point la population de Paris, nous ne savions pas ce qu'elle pouvait faire. »

On s'inquiète de la prolifération des sociétés secrètes, de la liaison entre « républicains déterminés » et prolétaires.

En 1831, les canuts lyonnais se révoltent. Les « coalitions » (grèves) se multiplient.

La condition ouvrière est en effet accablante : « Le salaire n'est que le prolongement de l'esclavage », résume Chateaubriand. La misère, le chômage, la faim, l'absence de protection sociale, le travail des enfants et la mortalité infantile sont décrits par toutes les enquêtes. Un christianisme social – Lamennais, Lacordaire – se penche sur cette situation insoutenable.

Ces foules « misérables », entrant en contact avec les républicains, modifient la donne politique. Cette rencontre entre le social et la République est encore une exception française.

Après la révolte des canuts, on peut lire sous la plume de Michel Chevalier : « Les événements de Lyon ont changé le sens du mot politique ; ils l'ont élargi. Les intérêts du travail sont décidément entrés dans le cercle politique et vont s'y étendre de plus en plus. »


Cette présence ouvrière et sa jonction avec les républicains terrorisent les notables, les modérés, les propriétaires – et, à leur suite, la paysannerie.

« La sédition de Lyon, écrit Saint-Marc de Girardin dans Le Journal des débats, a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas. Notre société commerciale et industrielle a sa plaie, comme toutes les autres sociétés : cette plaie, ce sont ses ouvriers. Les barbares qui menacent la société sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ; c'est là qu'est le danger de la société moderne. Il ne s'agit ici ni de république, ni de monarchie, il s'agit du salut de la société. »

Et Girardin de lancer un appel à l'union :

« Républicains, monarchistes de la classe moyenne, quelle que soit la diversité d'opinion sur la meilleure forme de gouvernement, il n'y a qu'une voie portant sur le maintien de la société ! »


Mais ce discours d'ordre, d'intérêt, de raison, prônant l'unité de tous ceux dont les intérêts sociaux convergent, même si leurs préférences politiques divergent, se heurte à la passion républicaine, à la nostalgie révolutionnaire ravivée par la misère, la répression, l'autoritarisme d'un pouvoir qui ne réussit pas ou ne tient pas à s'ouvrir, à concéder des avantages aux classes les plus démunies, mais qui, au contraire, avec Guizot en 1836, s'insurge contre les revendications des « prolétaires » :

« Nous sommes frappés de cette soif effrénée de bien-être matériel et de jouissances égoïstes qui se manifeste surtout dans les classes peu éclairées. »

Ce sont en fait, selon les mots de Victor Hugo, les « misérables » qui « meurent sous les voûtes de pierre » des caves des villes ouvrières.

Et Guizot, pour contenir cette révolte qui couve, de suggérer :

« Croyez-vous que les idées religieuses ne sont pas un des moyens, le moyen le plus efficace, pour lutter contre ce mal ? »


Cette attitude répressive et aveugle du pouvoir, que les « scandales » et la corruption délégitiment un peu plus, favorise l'amalgame entre républicains, mouvement, revendications sociales et même anticléricalisme. C'est là un trait majeur de notre histoire.

Et puisque les revendications partielles ne sont pas entendues, que le souvenir de la Révolution revient hanter les mémoires, le « mouvement » remet en cause toute structure de la société, comme le perçoit bien Tocqueville, qui note en janvier 1848 :

« Il se répand peu à peu, dans le sein des opinions des classes ouvrières, des idées qui ne visent pas seulement à renverser telles lois, tel ministère, tel gouvernement, mais la société même, à l'ébranler des bases sur lesquelles elle repose aujourd'hui. »

Et d'ajouter :

« Le sentiment de l'instabilité, ce sentiment précurseur des révolutions, existe à un degré très redoutable dans ce pays. »


Si la situation est à ce point menaçante en janvier 1848, c'est que, tout au long de ces dix-huit années, le mouvement républicain, social et révolutionnaire s'est renforcé.

D'abord, les émeutes parisiennes – mais la révolte des canuts de 1831 a déjà fissuré à elle seule la société – naissent du sentiment que les protagonistes des journées de juillet 1830 ont été bernés, spoliés de leur victoire.

Cette manipulation politique réussie par Thiers, La Fayette et Louis-Philippe conforte l'opinion « avancée » dans l'idée que les « élites » trompent le peuple et se jouent de lui. Qu'à l'hypocrisie de la politique il faut opposer la brutale « franchise » de l'insurrection armée.

En 1831, 1832, 1834, puis en 1839, des groupes d'insurgés dressent des barricades à l'occasion de l'enterrement d'un général républicain (Lamarque, juin 1832) ou pour tenter de s'emparer de l'Hôtel de Ville de Paris en 1839 (Blanqui et Barbès).


Paris est le creuset où, émeute après émeute, se perpétue et se forge la légende révolutionnaire.

C'est le temps de la « grandeur de l'idéologie » (Fourier, Proudhon, Pierre Leroux), de l'alliance des révolutionnaires avec certains écrivains (Sue, Hugo, Sand, Lamartine).

Les opinions sont radicales : « La propriété c'est le vol », décrète Proudhon. Mais le mouvement insurrectionnel et politique reste faible. La répression conduite par Thiers ou Guizot est implacable : un « massacre » est perpétré rue Transnonain, le 14 avril 1834, par Bugeaud, qui plus tard sera gouverneur de l'Algérie (1840).

On voit ainsi s'entrelacer en des nœuds complexes mais serrés les traditions révolutionnaires, le recours à la violence, le rôle de Paris, la liaison entre républicains et ouvriers (surtout parisiens). Et, malgré le recours à la force armée, la monarchie constitutionnelle paraît de plus en plus incapable de contrôler une situation qui inquiète les possédants.


Depuis 1836, un Bonaparte s'est campé dans le paysage politique. Ce Louis Napoléon, neveu de l'Empereur, a tenté un coup de force à Strasbourg (1836), un autre à Boulogne (1840). Emprisonné, il s'évade du fort de Ham en 1846.

On voit ainsi réapparaître l'un des quatre modèles institutionnels de la France du xixe siècle. Louis Napoléon Bonaparte propose en effet une « synthèse » :

« L'esprit napoléonien peut seul concilier la liberté populaire avec l'ordre et l'autorité », dit-il.

Il publie De l'Extinction du paupérisme (1844) :

« La gangrène du paupérisme périrait avec l'accès de la classe ouvrière à la prospérité », y affirme-t-il.

S'esquisse là, adossé à la légende napoléonienne, un « national-populisme » autoritaire, incarné mais recherchant le sacre du peuple et non d'abord la légitimité par la filiation dynastique, même si elle tient lieu de point d'appui essentiel.


La situation du pays est incertaine.

« Il se dit que la division des biens jusqu'à présent dans le monde est injuste..., que la propriété repose sur des bases qui ne sont pas des bases équitables, note Tocqueville. Et ne pensez-vous pas que quand de telles opinions descendent profondément dans les masses, elles amènent tôt ou tard les révolutions les plus redoutables ? »

Or, pour y faire face, le national-populisme autoritaire n'est-il pas mieux armé que la monarchie constitutionnelle ?

On se souvient de Bonaparte brandissant le glaive de la force et de la loi contre tous les fauteurs de désordre, garantissant les fortunes à la fois contre les partisans de l'Ancien Régime et les jacobins.

Ainsi resurgit de la mémoire française cette solution « bonapartiste », puisque la monarchie constitutionnelle est un système « bloqué », freiné sur la voie parlementaire par l'autoritarisme du monarque – ce qui déçoit ses partisans modérés – et incapable de se doter d'un soutien populaire.

Il n'y a plus alors que deux issues : la république ou le bonapartisme.


La crise que provoque le doublement du prix du pain à la suite des mauvaises récoltes de 1846 est donc essentiellement politique : face à la montée des oppositions, le pouvoir refuse d'ouvrir le « système », de faire passer le nombre des électeurs de 240 000 à 450 000.

Il se coupe ainsi de ceux (Thiers) qui souhaitent élargir la base de la monarchie constitutionnelle pour la préserver, cependant que ses adversaires républicains et révolutionnaires, de leur côté, se renforcent. Presse « communiste », troubles dans les villes ouvrières, émeutes de la misère : les signes de tension se multiplient.

Des anciens ministres sont accusés de concussion. Un modéré – Duvergier de Hauranne – peut écrire :

« Tous ces scandales, tous ces désordres, ne sont pas des accidents, c'est la conséquence nécessaire, inévitable, de la politique perverse qui nous régit, de cette politique qui, trop faible pour asservir la France, s'efforce de la corrompre. »


Dès le mois de janvier 1847, une « campagne de banquets » mobilise l'opinion modérée sur le thème des « réformes ». L'un de ces banquets, prévu à Paris le 14 février 1848, est interdit. Un manifeste réformiste est lancé.

Il ne s'agit pas de renverser Louis-Philippe, mais de le contraindre à renvoyer Guizot, à élargir le corps électoral, à donner vigueur et perspective à la monarchie constitutionnelle.

Mais Paris, quand il voit les corps des manifestants tués au cours d'une fusillade avec la troupe, s'enflamme.

La ville est celle des minorités révolutionnaires. Ce sont elles qui agissent, débordant les réformistes.

L'Hôtel de Ville est envahi. Lamartine et les manifestants proclament la république le 24 février.


Ce qui avait été manqué en juillet 1830 réussit en février 1848. Par un bel effet d'éloquence, Lamartine parvient à faire écarter le drapeau rouge que les manifestants voulaient d'abord imposer à « leur » république. Elle restera « tricolore ». Mais on mesure, à l'ambiguïté et à la complexité de ces événements, que rien n'est tranché.

La révolution de Février n'est qu'une émeute de plus qui a réussi. Ce succès est dû au fait que la France rurale est restée passive, que les forces de l'ordre ont été hésitantes, et que l'assise sociale et politique du pouvoir s'est divisée.

Dans le même temps, cette « révolution » entre dans le légendaire national. La république et la révolution sont associées dans la reconstruction de l'événement. Dans cette « imagerie », il a suffi au peuple de se révolter, de dresser des barricades dans Paris, pour l'emporter sur le pouvoir.


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Quel peut être le destin de cette république officiellement proclamée le 26 février 1848 et née d'une révolution ambiguë ?

Elle est la deuxième, et elle fait resurgir tous les souvenirs de la Grande Révolution et de la Ire République, celle de 1792. Mais son sort sera scellé avant la fin de l'année, puisque le 10 décembre 1848 Louis-Napoléon Bonaparte en sera élu président par 5 434 000 voix.

Les autres candidats, – Cavaignac, Ledru-Rollin, Raspail et Lamartine – rassemblent respectivement 1 448 000, 371 000, 37 000, et, pour le dernier, Lamartine, le héros de Février, celui qui a réussi à maintenir le drapeau tricolore... 8 000 voix !


C'est une période charnière que ces dix mois de l'année 1848.

Ils dessinent une fresque politique qui sera souvent copiée dans l'histoire nationale, parce qu'elle met en jeu des forces et des idées qui resteront à l'œuvre durant le reste du xixe et tout le xxe siècle.

Au cours de ces dix mois, les illusions de Février sont déchirées.

Deux mesures capitales permettent ce retour à la réalité.


D'abord, sous la pression populaire, et parce qu'il faut bien satisfaire ces ouvriers, ces partisans de la république sociale qui, armés, manifestent, le gouvernement crée pour les chômeurs des ateliers nationaux.

Les chômeurs y percevront un salaire.

L'État prend ainsi en charge l'assistance sociale, en même temps que des lois fixent la durée quotidienne maximale du travail à dix heures à Paris, à onze heures en province, puis à douze heures sur l'ensemble du territoire national.

Il faut payer ces « ouvriers » qu'on n'emploie guère et qui deviennent une masse de manœuvre réceptive aux idées « socialistes » ou bonapartistes.

C'est en même temps un abcès de fixation. Il suffira de le vider pour que soit brisée l'avant-garde, écho de ce « printemps des peuples » qui fait souffler le vent de la révolution sur l'Europe entière.


La seconde mesure, décisive, est l'instauration, le 5 mars 1848, du suffrage universel (masculin).

Le droit de vote est accordé à tous les Français dès lors qu'ils ont atteint vingt et un ans.

Innovation capitale qui va devenir le patrimoine de toute la nation.

Mesure anticipatrice, comparée aux régimes électoraux en vigueur dans les autres nations européennes.

Au lieu de 250 000, la France compte désormais dix millions d'électeurs, dont les trois quarts sont des paysans et plus de 30%, des illettrés.


Les « révolutionnaires », les « républicains avancés », qui se proclament l'« avant-garde », comprennent que le suffrage universel va se retourner contre eux.

Ils connaissent le conservatisme des campagnes, le poids des notables sur les paysans, le rôle qu'y joue l'Église.

Ils manifestent donc à Paris pour tenter de faire reculer la date des élections.

Paradoxe : le peuple est craint par ceux qui prétendent défendre ses intérêts.

Le suffrage universel devient l'arme des « conservateurs » contre les « progressistes » !

Les élections sont fixées au 25 avril 1848, malgré les manifestations des « révolutionnaires ». Et les « modérés » peuvent brandir devant les électeurs rassemblés le « spectre rouge », la menace des « partageux », celle de la dictature et du retour de la Terreur, comme en 1793-1794.

L'Assemblée constituante élue ne compte qu'une centaine de « socialistes » sur près de neuf cents sièges. La République a accouché d'une Assemblée conservatrice et orléaniste. Le pouvoir exécutif se donne pour chef le général Cavaignac, et des scrutins complémentaires permettent la désignation de Thiers, de Proudhon et de... Louis Napoléon Bonaparte.


Cette Assemblée régulièrement élue au suffrage universel représentant, contre les minorités révolutionnaires, le « pays réel », peut, maintenant qu'elle détient le pouvoir légal, supprimer les ateliers nationaux – pourquoi verser un franc par jour à des chômeurs ? –, viviers de la contestation, symboles d'une république sociale dont la France ne veut pas.

L'annonce de la fermeture des ateliers – les ouvriers n'ont le choix qu'entre le licenciement, le départ vers la Sologne pour assécher les marais et l'engagement dans l'armée – provoque l'émeute.


Ces journées de juin 1848 – du 22 au 26 – sont une véritable guerre sociale, opposant l'est de Paris, qui se couvre de barricades, et le Paris de l'Ouest, d'où partent les troupes de ligne.

Celles-ci vont perdre un millier d'hommes, contre 5 000 à 15 000 chez les insurgés, fusillés le plus souvent. Quinze mille prisonniers seront déférés à des conseils de guerre, déportés en Algérie (5 000), les autres étant emprisonnés au terme de ces « saturnales de la réaction » (Lamennais).

« Les atrocités commises par les vainqueurs me font frémir », écrit Renan.

En même temps, les libertés – accordées en février – sont rognées : « Silence aux pauvres ! » lance encore Lamennais.


Pourtant, en août, on vote – toujours au suffrage universel – pour élire les conseils généraux, d'arrondissement et municipaux.

Le peuple s'exprime, apprend à choisir, à peser par le scrutin sur les décisions.

Ambiguïté de cette République qui massacre ceux qui veulent aller au-delà des limites fixées par les notables, mais qui apprend au peuple les règles de la démocratie !

Ainsi se façonne l'âme française.


Les « prolétaires », les révolutionnaires, mesurent que la république aussi peut être conservatrice et durement répressive. Leur méfiance envers le suffrage universel s'accroît. Ils découvrent le Manifeste du parti communiste, publié par Marx et Engels à Londres le 24 février 1848.

Ils vont se persuader que les « avant-gardes » doivent choisir pour le peuple, y compris même contre les résultats du suffrage universel.

Et ce d'autant plus que, aux élections du 10 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte écrase tous les autres candidats, à commencer par le général « républicain » Cavaignac, qui a conduit la répression de juin.


En un tiers de siècle, de 1815 à 1848, les Français ont donc vu se succéder à la tête de la nation une monarchie légitimiste, une monarchie constitutionnelle, une république dont le président est un Bonaparte, neveu de l'empereur Napoléon Ier !

Les Français ont voulu ces changements ou les ont laissé faire. Ils ont usé de la violence ou du bulletin de vote pour les susciter.

Mais ceux qui ont pris part aux journées révolutionnaires n'ont représenté que des minorités.

Rien de comparable au mouvement qui avait embrasé le pays en 1789 et l'avait soulevé en 1792.

Peu à peu, acquérant une expérience politique qu'aucun autre peuple au monde ne possède à un tel degré, et qui fait de la France la nation politique par excellence, la majorité des Français aspire en fait à la paix civile.

Dans ses profondeurs, le peuple a découvert que le vote peut être un moyen pacifique de changer les choses, lentement et sans violences.


Ainsi, cette nation révolutionnaire qui périodiquement dresse dans Paris des barricades est aussi désireuse d'ordre.

Elle continue d'osciller, comme si après la gigantesque poussée révolutionnaire de 1789 elle n'avait pas encore recouvré son équilibre. Les journées d'émeutes – les révolutions – se répètent, les régimes se succèdent, mais, dans le même temps, elle ne souhaite plus retomber dans les violences généralisées.

À Paris, grand théâtre national, elle met en scène la révolution comme pour se souvenir de ce qu'elle a vécu.

Puis elle interrompt le spectacle et sort du théâtre aussi vite qu'elle y est entrée.

Elle veut, au fond, vivre tranquillement, jouir de ses biens, de son beau pays.

C'est cette réalité contradictoire qui caractérise, au mitan du xixe siècle, l'âme de la France.

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