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L'IMPUISSANCE RÉPUBLICAINE


1944-1958


64.

Combien de temps ceux qui parlent au nom de la France – de Gaulle, les représentants des partis politiques et des mouvements de résistance – resteront-ils unis ?

Dès août 1944, le regard qu'ils portent sur les « années noires » les oppose déjà.

Chacun veut s'approprier la gloire et l'héroïsme de la Résistance, masquer ainsi ses calculs, ses ambiguïtés, ses lâchetés et même ses trahisons.


Les communistes du PCF font silence sur la période août 1939-22 juin 1941, quand ils essayaient d'obtenir des autorités d'occupation le droit de faire reparaître leur journal L'Humanité. N'étaient-ils pas alors les fidèles servants de l'URSS, partenaire des nazis ?

En 1944-1945, alors que la guerre continue (Strasbourg sera libéré le 23 novembre 1944, les troupes de Leclerc entrent à Berchtesgaden le 4 mai 1945, la capitulation allemande intervient le 8 mai et le général de Lattre de Tassigny est présent aux côtés des Américains, des Russes et des Anglais : victoire diplomatique à forte charge symbolique), les communistes se proclament le « parti des fusillés » – 75 000 héros de la Résistance, précise Maurice Thorez, déserteur rentré amnistié de Moscou et bientôt ministre d'État.

Le tribunal de Nuremberg dénombrera 30 000 exécutés.


Ce qui se joue, c'est la place des forces politiques dans la France qui recouvre son indépendance. Le comportement des hommes et des partis durant l'Occupation sert de discriminant. On réclame l'épuration et la condamnation des traîtres, des « collabos », avec d'autant plus d'acharnement qu'on ne s'est soi-même engagé dans la Résistance que tardivement.

La magistrature, qui a tout entière – à un juge près ! – prêté serment à Pétain et poursuivi les résistants, condamne maintenant les « collabos ».

On fusille (Laval), on commue la peine de mort de Pétain en prison à vie. Il y a, durant quelques semaines, l'esquisse d'une justice populaire, expéditive, comme l'écho très atténué des jours de violence qui marquèrent jadis les guerres de Religion ou la Révolution, qui tachent de sang l'histoire nationale. Les passions françaises resurgissent.

En 1944, vingt mille femmes, dénoncées, accusées de complaisances envers l'ennemi, sont tondues, promenées nues, insultées, battues, maculées.

Des miliciens et des « collabos » sont fusillés sans jugement. On dénombre peut-être dix mille victimes de ces exécutions sommaires.

Dans le milieu littéraire, le Comité national des écrivains met à l'index, épure, sous la houlette d'Aragon.

Robert Brasillach est condamné à mort et de Gaulle refuse de le gracier malgré les appels à la clémence de François Mauriac.

Drieu la Rochelle se suicidera, prenant acte de la défaite de ses idées, de l'échec de ses engagements.

Jean Paulhan – un résistant – critiquera, dans sa Lettre aux directeurs de la Résistance, ces communistes devenus épurateurs, qui n'étaient que des « collaborateurs » d'une espèce différente : « Ils avaient fait choix d'une autre collaboration. Ils ne voulaient pas du tout s'entendre avec l'Allemagne, non, ils voulaient s'entendre avec la Russie. »


C'est bien la question de la Russie soviétique et des communistes qui, en fait, domine la scène française.

Ceux-ci représentent en 1945 près de 27 % des voix, et vont encore progresser.

Avec les socialistes (SFIO) – 24 % des voix –, ils disposent de la majorité absolue à l'Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945.

Mais les socialistes préfèrent associer au gouvernement le Mouvement républicain populaire (MRP, 25,6 % des voix), issu de la Résistance et d'inspiration démocrate-chrétienne.

Ainsi se met en place un « gouvernement des partis » : d'abord tripartisme (MRP, SFIO, PCF) puis « Troisième Force » quand le PCF sera écarté du pouvoir à partir de 1947.


En 1944-1945, c'est encore l'union, mais déjà pleine de tensions.

De la résistance victorieuse, passera-t-on à la révolution ?

En août 1944, un Albert Camus le souhaitera. Mais la révolution, est-ce abandonner le pouvoir aux mains des communistes ?

Le risque existe : des milices patriotiques en armes, contrôlées par ces derniers, sont présentes dans de nombreux départements.

Le Front national, le Mouvement de libération nationale, sont des « organisations de masse » dépendantes en fait du PCF.

On peut craindre une subversion, voire une guerre civile, en tout cas une paralysie de l'État républicain soumis au chantage communiste.

La première bataille à conduire doit donc avoir pour but d'affirmer la continuité de la République et de l'État.

De Gaulle s'y emploie en déclarant aux membres du CNR qui lui demandent de proclamer la République, le 26 août 1944 : « La République n'a jamais cessé d'être... Vichy fut toujours nul et non avenu. Moi-même, je suis président du gouvernement de la République. Pourquoi vais-je la proclamer ? »


Attitude radicale et lourde de sens.

Si Vichy a « été nul et non avenu », sans légitimité, les lois qu'il a promulguées, les actes qu'il a exécutés, n'ont aucune valeur légale. Ils n'engagent en rien la France.

Les lois antisémites, la rafle des 16 et 17 juillet 1942, ne peuvent être imputées à la nation.

La France n'a pas à faire repentance. Ce sont des individus – Pétain, Laval, Darnand, Bousquet… – qui doivent répondre de leurs actes criminels, et non la France.

La France et la République étaient incarnées par de Gaulle, la France libre et le Conseil national de la Résistance.

Les vilenies, les lâchetés et les trahisons sont rapportées à des individus, non à la nation.

L'âme de la France ne saurait être entachée par les crimes de Vichy.

Pirouette hypocrite ?

Décision raisonnée pour que le socle sur lequel est bâtie la nation, qui doit beaucoup au regard que l'on porte sur son histoire, ne soit pas fissuré, brisé, corrodé.


Mais, dans cette France dont l'histoire ne saurait être ternie, en sorte qu'on puisse continuer à l'aimer et donc à se battre pour elle, à assurer son avenir, l'État ne peut être affaibli.

Or la principale menace vient des communistes, adossés à l'URSS, dont l'ombre s'étend sur l'Europe.

Ils sont forts de leur engagement dans la Résistance – fût-il tardif et plein d'arrière-pensées –, des « organisations de masse » qu'ils contrôlent et de leur poids électoral. De Gaulle, dont la personnalité et l'action, en 1944, ne peuvent être contestées, exige et obtient le désarmement des milices patriotiques, l'enrôlement des résistants dans l'armée régulière, le rétablissement des autorités étatiques (préfets, etc.). Il refuse aux communistes les postes gouvernementaux clés – Affaires étrangères, Intérieur, Armées – et met sa démission en jeu pour imposer cette décision.

En même temps, il applique le programme économique et social du CNR, et répète que « l'intérêt privé doit céder à l'intérêt général ».

Les nationalisations – des houillères, de l'électricité, des banques –, la création des comités d'entreprise, sont les bases d'une « République sociale » dans le droit fil des mesures prises par le gouvernement de Front populaire, mais en même temps relèvent de la tradition interventionniste de l'État dans la vie économique, inscrite dans la longue durée de l'histoire nationale, de François Ier à Louis XIV, de la Révolution aux premier et second Empires.

La France de 1944-1946 retrouve ainsi les éléments de son histoire que la collaboration avait – mais non sur tous les plans – voulu effacer, s'affirmant comme l'expression d'une autre tradition : non pas 1936, mais 1934, non plus l'édit de Nantes, mais la Saint-Barthélemy ; non plus la Ligue des droits de l'homme et les dreyfusards, mais la Ligue des patriotes et les antidreyfusards.


Cette « restauration » de l'État centralisé, issu de la monarchie absolue, mais aussi des Jacobins et des Empires napoléoniens, se retrouve dans la politique extérieure.

Il s'agit d'assurer à la France sa place dans le concert des Grands.

De Gaulle a réussi à imposer la présence d'un général français à la signature de l'acte de capitulation allemande.

Il obtient une zone d'occupation française en Allemagne, à l'égal de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'URSS.

Avec cette dernière, il a signé un traité d'amitié (décembre 1944), manière d'affirmer l'indépendance diplomatique de la France alors que s'annonce la politique des blocs.

En même temps, la France reçoit un siège permanent – avec droit de veto – au Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies. Paris est choisi comme siège de l'Unesco. La France a ainsi retrouvé son rang de grande puissance, et quand on se remémore l'effondrement total de 1940 on mesure l'exceptionnel redressement accompli.

Le fait que la France ait été capable, dans la dernière année de la guerre, de mobiliser plusieurs centaines de milliers d'hommes (500 000) engagés dans les combats en Italie et sur le Rhin, puis en Allemagne, a été la preuve de la reconstitution rapide de l'État national et a favorisé la réadmission de la France parmi les grandes puissances.


Elle est l'un des vainqueurs.

Le plus faible, certes, le plus blessé en profondeur, celui qui commence déjà à subir en Indochine et en Algérie – à Sétif, le 8 mai 1945 – les revendications d'indépendance des nationalistes des colonies.

Mais elle peut à nouveau faire entendre sa voix, envisager une entente avec l'Allemagne.

Depuis 1870, entre les deux nations, c'est une alternance de défaites et de revanches : 1870, effacé par la victoire de 1918 ; celle-ci gommée par l'étrange défaite de 1940, annulée à son tour par la capitulation allemande de 1945. Se rendant cette année-là à Mayence, de Gaulle, face à cet affrontement toujours renouvelé et stérile entre « Germains et Gaulois », peut dire :

« Ici, tant que nous sommes, nous sortons de la même race. Vous êtes, comme nous, des enfants de l'Occident et de l'Europe. »

Ces constats ne peuvent devenir les fondations d'une politique étrangère nouvelle que si le régime échappe aux faiblesses institutionnelles qui ont caractérisé la IIIe République.

Ainsi se pose à la France, dès la fin de 1944, la question de sa Constitution.

De Gaulle a obtenu par référendum, contre tous les partis, que l'Assemblée élue le 21 octobre 1944 soit constituante.

Mais, dès les premiers débats, les partis politiques choisissent de soumettre le pouvoir exécutif au pouvoir parlementaire, le président de la République se trouvant ainsi réduit à une fonction de représentation.

On peut prévoir que les maux de la IIIe République – instabilité gouvernementale, jeux des partis, méfiance à l'égard de la consultation directe des électeurs par référendum – paralyseront de nouveau le régime, le réduisant à l'impuissance.


De Gaulle tire la conséquence de cet état de fait et démissionne le 20 janvier 1946 en demandant « aux partis d'assumer leurs responsabilités ».

C'est la fin de l'unité nationale issue de la Résistance. Dès le 16 juin 1946, le Général se présente comme le « recours » contre la trop prévisible impotence de la IVe République qui commence.


La France unie a donc été capable de restaurer l'État, de reprendre sa place dans le monde. Mais les facteurs de division issus de son histoire, avivés par la conjoncture internationale (la guerre froide s'annonce, isolant les communistes, liés perinde ac cadaver à l'URSS), font éclater l'union fragile des forces politiques. Les partis veulent être maîtres du jeu comme sous la IIIe République. L'exécutif leur est soumis. Il ne peut prendre les décisions qui s'imposent alors que, dans l'empire colonial, se lèvent les orages.


65.

De 1946 à 1958, durant la courte durée de vie de la IVe République, la France change en profondeur. Mais le visage politique du pays s'est à peine modifié. Le président du Conseil subit la loi implacable de l'Assemblée nationale. Il lui faut obtenir une investiture personnelle, puis, une fois le gouvernement constitué, il doit solliciter à nouveau un vote de confiance des députés.

L'Assemblée est donc toute-puissante, et le Conseil de la République (la deuxième chambre, qui a remplacé le Sénat) n'émet qu'un vote consultatif.

Dès lors, comme dans les années 30, l'instabilité gouvernementale est la règle. Chaque député influent espère chevaucher le manège ministériel. Mais ce sont le plus souvent les mêmes hommes qui se succèdent, changeant de portefeuilles.

Ces gouvernements, composés conformément aux règles constitutionnelles, sont parfaitement légaux. Mais, question cardinale, sont-ils légitimes ? Quel est le rapport entre le « pays légal » et le « pays réel » ?

Il n'est pas nécessaire d'être un disciple de Maurras pour constater le fossé qui se creuse entre les élites politiques et le peuple qu'elles sont censées représenter et au nom duquel elles gouvernent.


Cette fracture, si souvent constatée dans l'histoire nationale, s'élargit jour après jour, crise après crise, entre 1946 et 1954, année qui représentera, avec le début de l'insurrection en Algérie, un tournant aigu après lequel tout s'accélère jusqu'à l'effondrement du régime, en mai 1958.

La discordance entre gouvernants et gouvernés est d'autant plus nette que le pays et le monde ont, pendant cette décennie, été bouleversés par des changements politiques, technologiques, économiques et sociaux.


À partir de 1947, la guerre froide a coupé l'Europe en deux blocs. Les nations de l'Est sont sous la botte russe.

Le « coup de Prague » en 1948, le blocus de Berlin par les Russes, la division de l'Allemagne en deux États, la guerre de Corée en 1950, la création du Kominform en 1947, de l'OTAN en 1949, auquel répondra le pacte de Varsovie, le triomphe des communistes chinois (1949), tous ces événements ont des conséquences majeures sur la vie politique française.

Le 4 mai 1947, les communistes sont chassés du gouvernement. L'anticommunisme devient le ciment des majorités qui se constituent et n'existent que grâce à une modification de la loi électorale qui, par le jeu des « apparentements », rogne la représentation parlementaire communiste.

Le PCF ne perd pas de voix, au contraire, mais il perd des sièges. En 1951, avec 26 % des voix, il a le même nombre de députés que les socialistes, qui n'en rassemblent que 15 % !

La « troisième force » (SFIO, MRP et députés indépendants à droite) est évidemment légale, mais non représentative du pays.


Elle l'est d'autant moins qu'autour du général de Gaulle s'est créé en 1947 le Rassemblement du peuple français (RPF), qui va obtenir jusqu'à 36 % des voix.

De Gaulle conteste les institutions de la IVe République, « un système absurde et périmé » qui entretient la division du pays alors qu'il faudrait retrouver « les fécondes grandeurs d'une nation libre sous l'égide d'un État fort ».

Même s'il dénonce les communistes, qui « ont fait vœu d'obéissance aux ordres d'une entreprise étrangère de domination », de Gaulle est considéré par les partis de la « troisième force » comme un « général factieux », et Blum dira : « L'entreprise gaulliste n'a plus rien de républicain. »


En fait, l'opposition entre les partis de la « troisième force » et le mouvement gaulliste va bien au-delà de la question institutionnelle. Certes, inscrites dans la tradition républicaine, il y a le refus et la crainte du « pouvoir personnel », le souvenir des Bonaparte, du maréchal de Mac-Mahon, et même du général Boulanger, la condamnation de l'idée d'« État fort ». L'épisode récent du gouvernement Pétain – encore un militaire ! – a renforcé cette allergie.

La République, ce sont les partis démocratiques qui la font vivre. L'autorité d'un président de la République disposant d'un vrai pouvoir est, selon eux, antinomique avec le fonctionnement républicain.

Mais, en outre, le « gaullisme » est ressenti comme une forme de nationalisme qui conduit au jeu libre et indépendant d'une France souveraine.

Or, la « troisième force », c'est la mise en œuvre de limitations apportées à la souveraineté nationale, la construction d'une Europe libre sous protection américaine (l'OTAN).

La Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) est constituée en 1951. Elle doit être le noyau d'une Europe politique de six États membres, et doit déboucher sur une Communauté européenne de défense (CED) dans laquelle l'Allemagne sera présente et donc réarmée.


L'homme qui, par ses idées, sa détermination, son entregent et son activisme diplomatique, est la cheville ouvrière de cette politique européenne a nom Jean Monnet.

Dès 1940, il s'est opposé au général de Gaulle. À chaque étape de l'histoire de la France libre, il a tenté de faire prévaloir les points de vue américains, pesant à Washington pour qu'on écarte de Gaulle et nouant des intrigues à Alger, en 1942-1943, pour parvenir à ce but.

Or il est le grand ordonnateur de cette politique européenne qui trouve sa source dans la volonté d'en finir avec les guerres « civiles » européennes – et donc de parvenir à la réconciliation franco-allemande –, mais ambitionne d'être ainsi un élément de la politique américaine de containment de l'Union soviétique, ce qui implique la soumission des États nationaux fondus dans une structure européenne orientée par les États-Unis.

Sur ce point capital, la « troisième force » dénonce la convergence entre communistes et gaullistes hostiles à l'Europe supranationale. Elle se présente comme l'expression d'une politique démocratique opposée aux « extrêmes » qu'elle combat.

Le général de Gaulle se trouve ainsi censuré, puisqu'il est devenu le chef du RPF.

Quant aux communistes et au syndicat CGT qu'ils contrôlent, leurs manifestations sont souvent interdites, dispersées, suivies d'arrestations.

Les grèves du printemps 1947 – prétexte à l'éviction des communistes du gouvernement –, puis celles, quasi insurrectionnelles, de 1948 sont brisées par un ministre de l'Intérieur socialiste, Jules Moch, qui n'hésite pas à faire appel à l'armée.

En 1952, les manifestations antiaméricaines du 28 mai pour protester contre la nomination à la tête de l'OTAN du général Ridgway, qui a commandé en Corée, donnent lieu à de violents affrontements ; des dirigeants communistes sont arrêtés.

Mais, face à ces ennemis « de l'intérieur », le système politique tient. En 1953, le RPF ne recueille plus que 15 % des voix. Ses députés sont attirés par le manège ministériel, et de Gaulle continue sa « traversée du désert » en rédigeant ses Mémoires à la Boisserie, sa demeure de Colombey-les-Deux-Églises.


Si les oppositions au « système » ne réussissent pas à le renverser, c'est que, de 1946 à 1954, le fait qu'il soit « absurde et périmé » (selon de Gaulle) ne perturbe pas le mouvement de la société.

Car si la vie politique ressemble de plus en plus à celle des années 30 et 40 – instabilité gouvernementale, scandales, « manège ministériel » –, le pays, lui, subit des bouleversements profonds que le système politique ne freine pas, mais tend même à favoriser.

C'est la période des « Trente Glorieuses », de la modernisation économique du pays, de la révolution agricole, qui transforme la société française par la multiplication des activités industrielles et du nombre des ouvriers, l'exode rural, la croissance de la population urbaine.

Cette période est certes traversée de mouvements sociaux – grèves en 1953, par exemple, dans la fonction publique pour les salaires –, du mécontentement de catégories que l'évolution marginalise – artisans, petits commerçants –, sensibles aux discours antiparlementaires d'un Pierre Poujade.

On proteste contre le poids des impôts. Mais, dans le même temps, Antoine Pinay, président du Conseil et ministre des Finances, rassure par sa politique budgétaire, la stabilisation du franc. Le niveau de vie des Français croît.

La voiture, l'électroménager, la vie urbaine, modifient les comportements. Une France différente apparaît. Les mœurs changent. Les femmes ont le droit de vote, elles travaillent. Et un véritable baby-boom – préparé par les mesures natalistes de Paul Reynaud en 1938, puis de Vichy – marque ces années 1946-1954 et confirme la vitalité de la nation. L'« étrange défaite » ne l'a pas terrassée.


Cet après-guerre illustre ainsi la capacité qu'à toujours eue la France, au long de son histoire, à basculer dans les abîmes, à connaître les débâcles, à sembler définitivement perdue parce que divisée, dressée contre elle-même, envahie, « outragée », puis à se ressaisir, renaître tout à coup et reprendre sa place parmi les plus grands.


Autre caractéristique de l'histoire nationale : les crises qui mettent en cause l'âme du pays sont celles qui associent les maladies internes du système politique et les traumatismes nés de la confrontation avec le monde extérieur.

C'est presque toujours dans ses rapports avec les « autres » que la France risque de se briser. Comme si, trop narcissique, trop enfermée dans son hexagone, trop persuadée de sa prééminence, elle pensait depuis toujours qu'elle l'emporterait sur ceux qui osent la défier.

Simplement parce qu'elle est la France.

Cette France « que la Providence a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires [...] n'est réellement elle-même qu'au premier rang... La France ne peut être la France sans la grandeur » (de Gaulle).

Elle ne « voit » pas les autres tels qu'ils sont, y compris ceux qui participent, quoique différents et éloignés de la métropole, à l'Union française, nom donné par la IVe République à l'empire colonial.


C'est sur ce terrain que le système politique va affronter les crises les plus graves.

Le jeu politicien, qui peut être le moyen de régler avec habileté une crise sociale – on élargit sa majorité, on renverse un président du Conseil, on accorde quelques satisfactions aux syndicats –, ne suffit plus.

C'est d'insurrection nationale – et communiste – qu'il s'agit, en 1946, en Indochine. Paris a réagi en faisant bombarder Haiphong.

L'année suivante, la rébellion de Madagascar est noyée dans le sang, comme l'a été, le 8 mai 1945, l'émeute algérienne de Sétif.


Or ces répressions ne résolvent pas le problème posé.

Et le système, prisonnier de ses indécisions, va conduire, de 1946 à 1954, une « sale guerre » en Indochine, ponctuée de défaites, de scandales, de protestations – « Paix en Indochine ! » crieront les communistes.

Des milliers de soldats et d'officiers tombent dans les rizières.

À partir de 1949, la victoire communiste en Chine apporte au Viêt-minh une aide en matériel qui rend encore plus précaire la situation des troupes françaises.

Les chefs militaires jugent que le « système » refuse de leur donner les moyens de vaincre. Le 7 mai 1954, lorsqu'il sont défaits à Diên Biên Phu, dans une bataille « classique », ils le ressentent douloureusement et mettent en cause le régime. Cette défaite ébranle la IVe République.


Pierre Mendès France, combattant de la France libre, radical courageux, est investi le 18 juin 1954. Président du Conseil, il veut incarner, porté par un mouvement d'opinion, une « République moderne » apte à rénover le pays et dont le chef soit capable de prendre des décisions.

C'est un nouveau style politique qui apparaît avec « PMF ».

Il cherche le contact direct avec l'opinion. Un journal est lancé – L'Express – pour le soutenir.

L'homme, vertueux, récuse le soutien des députés communistes. Il ne veut pas des voix des « séparatistes ».

Le 20 juillet 1954, il signe un accord de paix avec le Viêt-minh sur la base de la division provisoire de l'Indochine à hauteur du 17e parallèle. Après ce succès, Mendès France évoque à Carthage un nouveau statut pour la Tunisie.

Pour les uns, la « droite conservatrice », il est celui qui « brade » l'empire.

Pour les autres, la gauche réformatrice et certains gaullistes, il est l'homme politique qui peut rénover la République.

Mais, dans le cadre des institutions existantes, il est à la merci d'un changement de majorité, de la défection de quelques députés.

On lui reproche de ne pas s'être engagé dans la bataille à propos de la Communauté européenne de défense contre laquelle se sont ligués communistes, gaullistes et tous ceux qui sont hostiles au réarmement allemand.

La France rejette la CED le 30 août 1954. Une majorité de l'opinion a refusé d'entamer la souveraineté nationale en matière de défense.


La position de Pierre Mendès France est en outre fragilisée par les attentats qui se produisent en Algérie le 1er novembre 1954, et qui, par leur nombre, annoncent, quelques mois après la défaite de Diên Biên Phu, qu'un nouveau front s'est ouvert.

PMF déclare : « Les départements d'Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps, et d'une manière irrévocable. »

Et son ministre François Mitterrand de préciser : « L'Algérie c'est la France ! »

Malgré ces déclarations martiales, Pierre Mendès France est renversé le 5 février 1955.


Au-delà même des désaccords politiques qu'on peut avoir avec le président du Conseil, il est dans la logique même du système de ne pas tolérer, à la tête de l'exécutif, une personnalité politique qui s'appuie sur l'opinion et peut ainsi contourner les députés. Le régime d'assemblée peut laisser un chef de gouvernement tenter de régler à ses risques et périls un problème brûlant, la guerre d'Indochine. Mais sa réussite même implique qu'il soit renvoyé pour ne pas attenter, par son autorité et son prestige, aux pouvoirs du Parlement.

Ce régime a besoin de médiocres. Il se défait des gouvernants trop populaires.

Or Pierre Mendès France l'était.

Mais ce système ne peut fonctionner et durer que si les crises qu'il affronte sont aussi « médiocres » que les hommes qu'il promeut. Or, le 1er novembre 1954, l'Algérie et la France ont commencé de vivre une tragédie.


66.

En une dizaine d'années, de 1945 à 1955, la France a repris le visage et la place d'une grande nation.

L'abîme de 1940 semble loin derrière elle, mais, sous ses pas qui se croient assurés, le sol s'ouvre à nouveau.

L'armée est humiliée après Diên Biên Phu.

Et voici qu'on s'apprête à abandonner Bizerte, la grande base militaire de la Méditerranée, parce qu'on accorde l'indépendance à la Tunisie.

On a agi de même au Maroc.

Or on commence déjà à égorger en Algérie. Un Front de libération nationale (FLN) s'est constitué. En août 1955, dans le Constantinois, il multiplie les attentats, les assassinats.

Va-t-on abandonner à son tour l'Algérie ?


Elle est composée de départements. On y dénombre, face à 8 400 000 musulmans, 980 000 Européens.

Les officiers, vaincus en Indochine, soupçonnent le pouvoir politique d'être prêt à une nouvelle capitulation, bien qu'il répète : « L'Algérie c'est la France. »

Le chef d'état-major des armées fera savoir au président de la République, René Coty, que « l'armée, d'une manière unanime, ressentirait comme un outrage l'abandon de ce patrimoine national. On ne saurait préjuger de sa réaction de désespoir. »

Ce message émane, au mois de mai 1958, du général Salan, commandant en chef en Algérie.


Si ce mois de mai 1958 marque le paroxysme de la crise, en fait, dès janvier 1955, tout est en place pour la tragédie algérienne.

Lorsqu'il publie un essai sous ce titre, en juin 1957, Raymond Aron a clairement identifié les termes du problème : la France ne dispose pas des moyens politiques, diplomatiques et moraux pour faire face victorieusement aux revendications nationalistes.

L'attitude de l'armée, l'angoisse des Français d'Algérie – les « pieds-noirs » –, l'impuissance du régime et le contexte international sont les ressorts de cette tragédie.

De Gaulle – toujours retiré à Colombey-les-Deux-Églises, mais l'immense succès du premier tome de ses Mémoires (L'Appel, 1954) montre bien que son prestige est inentamé – confie en 1957 :

« Notre pays ne supporte plus la faiblesse de ceux qui le dirigent. Le drame d'Algérie sera sans doute la cause d'un sursaut des meilleurs des Français. Il ne se passera pas longtemps avant qu'ils soient obligés de venir me chercher. »


Seuls quelques gaullistes engagés dans les jeux du pouvoir – Chaban-Delmas sera ministre de la Défense, Jacques Soustelle a été nommé par Pierre Mendès France, en janvier 1955, gouverneur général de l'Algérie – espèrent ce retour de De Gaulle et vont habilement en créer les conditions.

Mais la quasi-totalité des hommes politiques y sont, en 1955, résolument hostiles, persuadés qu'ils vont pouvoir faire face à la crise algérienne. Ils ne perçoivent ni sa gravité, ni l'usure du système, ni le mépris dans lequel les Français tiennent ce régime.

Il a fallu treize tours de scrutin pour que députés et sénateurs élisent le nouveau président de la République, René Coty !

Aux élections anticipées de janvier 1956, le Front républicain conduit par Pierre Mendès France l'emporte, mais c'est le leader de la SFIO, Guy Mollet, qui est investi comme président du Conseil.

Déception des électeurs, qui ont le sentiment d'avoir été privés de leur victoire. D'autant que Guy Mollet, qui se rend à Alger le 6 février 1958 afin d'y installer un nouveau gouverneur général – Soustelle a démissionné –, est l'objet de violentes manifestations européennes, et que le général Catroux, gouverneur désigné, renonce.


Cette capitulation du pouvoir politique devant l'émeute algéroise – soutenue à l'arrière-plan par les autorités militaires et administratives, et par tous ceux qui sont partisans de l'Algérie française – ferme la voie à toute négociation.

Elle ne laisse place qu'à l'emploi de la force armée contre des « rebelles » prêts à toutes les exactions au nom de la légitimité de leur combat.

Des populations qui ne rallient pas le FLN sont massacrées, des soldats français prisonniers, suppliciés et exécutés.


Ainsi l'engrenage de la cruauté se met-il en branle, et derrière le mot de « pacification » se cache une guerre sale : camps de regroupement, tortures afin de faire parler les détenus et de gagner la « bataille d'Alger » – printemps-été 1957 – par n'importe quel moyen et d'enrayer la vague d'attentats déclenchés par le FLN. Et « corvées de bois » – liquidation des prisonniers. On peut aussi administrer la mort dans les formes légales en guillotinant les « rebelles ».


C'est une plaie profonde, une sorte de gangrène qui atteint l'âme de la France.

Des écrivains – Mauriac, Malraux, Sartre, Pierre-Henri Simon –, des professeurs (Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant, Henri-Irénée Marrou) s'élèvent contre la pratique de la torture par l'armée française.

On les censure, on les poursuit, on les révoque.

Face à eux se dressent d'autres intellectuels, des officiers qui n'entendent pas subir une nouvelle défaite. Ils estiment qu'il faut, dans ce type d'affrontement, pratiquer une « guerre révolutionnaire » inéluctable si l'on veut éradiquer une guérilla, neutraliser les terroristes.

Le débat touche toute la nation à partir de 1956.

Le gouvernement Guy Mollet – qui obtient les pleins pouvoirs – rappelle plusieurs classes d'âge sous les drapeaux, envoie le contingent en Algérie, prolonge de fait le service militaire jusqu'à vingt-neuf mois. Deux millions de jeunes Français ont ainsi participé à cette guerre.

Des manifestations de « rappelés » tentent de bloquer les voies ferrées pour arrêter les trains qui les conduisent dans les ports d'embarquement.

Des écrivains se rassemblent dans un « Manifeste des 121 » pour appuyer le « droit à l'insoumission » (Claude Simon, Michel Butor, Claude Sarraute, Jean-François Revel, Jean-Paul Sartre) en septembre 1960.

Mendès France, ministre d'État, démissionne le 23 mai 1956 du gouvernement Guy Mollet afin de marquer son opposition à cette politique algérienne.


La France vit ainsi de manière de plus en plus aiguë, à partir de 1956, un moment de tensions et de divisions qui fait écho aux dissensions qui l'ont partagée tout au long de son histoire.

On évoque l'affaire Dreyfus. On recueille, à la manière de Jaurès, des preuves pour établir les faits, identifier les tortionnaires, condamner ce pouvoir politique qui a remis aux militaires – le général Massu à Alger – les fonctions du maintien de l'ordre en laissant l'armée agir à sa guise, choisir les moyens qu'elle juge nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

La « gangrène » corrompt ainsi le pouvoir politique et certaines unités de l'armée dans une sorte de patriotisme dévoyé.

Certains officiers s'insurgent contre cette guerre qui viole le droit : ainsi le général Pâris de Bollardière, héros de la France libre. D'autres tentent de faire la part des choses afin de conjuguer honneur et efficacité.

Le responsable de ce chaos moral est à l'évidence un pouvoir politique hésitant, instable et impuissant.


En 1956, outre l'envoi du contingent en Algérie – choix d'une solution militaire à laquelle on accorde tous les moyens, et les pleins pouvoirs sur le terrain –, il a tenté de remporter une victoire politique.

Violant le droit international, le gouvernement a détourné un avion de ligne et arrêté les chefs du FLN.

Puis, en octobre-novembre 1956, en accord avec le Royaume-Uni et l'État d'Israël, la France participe à une expédition militaire en Égypte afin de riposter à la nationalisation du canal de Suez décidée par les Égyptiens. Mais, pour Guy Mollet, s'y ajoute l'intention de frapper les soutiens internationaux du FLN en abattant au Caire le régime nationaliste du colonel Nasser.


Le moment paraît bien choisi : les Russes font face à une révolution patriotique en Hongrie.

Les États-Unis sont à la veille d'une élection présidentielle.

Guy Mollet espère aussi obtenir un regain de popularité dans l'opinion, satisfaite d'une opération militaire réussie – et qu'on exalte –, et favorable au soutien à Israël.

Mais Russes et Américains vont dénoncer conjointement cette initiative militaire, et les troupes franco-britanniques seront rapatriées.

Cet échec scelle une nouvelle étape dans la décomposition de la IVe République et annonce celle du Parti socialiste.

Il confirme que la « tragédie algérienne » domine la politique française.


Des événements lourds de conséquences – le traité de Rome, qui crée la Communauté économique européenne et Euratom en 1957, la loi-cadre de Gaston Defferre pour l'Union française, ou même l'attribution d'une troisième semaine de congés payés – sont éclipsés par les graves tensions que crée la guerre d'Algérie.

Le sort de la IVe République est bien déterminé par elle.

Il est scellé au mois de mai 1958, en quelques jours.


Paris et Alger sont les deux pôles de l'action.

À Paris, le 13 mai, Pierre Pflimlin, député MRP, est investi à une très large majorité (473 voix contre 93, les communistes lui ayant apporté leurs suffrages). Président du Conseil, on le soupçonne d'être un partisan de la négociation avec le FLN.

À Alger, depuis plusieurs mois, des gaullistes veulent se servir des complots que trament les « activistes », décidés à maintenir l'Algérie française avec l'appui de l'armée, pour favoriser un retour du général de Gaulle.

Le 13 mai, des manifestants envahissent les bâtiments publics – le siège du Gouvernement général – et les mettent à sac.

Le général Massu prend la tête d'un « Comité de salut public » qui réclame au président de la République la constitution d'un « gouvernement de salut public ».

En même temps, des éléments de l'armée préparent une opération « Résurrection » dont le but est d'envoyer en métropole des unités de parachutistes.

La perspective d'un coup d'État militaire est utilisée par les gaullistes pour lancer l'idée d'un recours au général de Gaulle, seul capable d'empêcher le pronunciamiento.


À Paris, de Gaulle, le 19 mai, au cours d'une conférence de presse, se montre disponible. Tout en n'approuvant pas le projet de coup d'État – qu'il ne désavoue cependant pas –, il affirme qu'il veut rester dans le cadre de la légalité en se présentant en candidat à la direction du pays.

Ce double jeu réussit, avec la complicité du président Coty, qui entre en contact avec le Général et le désigne en fait pour assurer la charge suprême.

Pflimlin démissionne le 27 mai.

La gauche manifeste le 28, dénonçant la manœuvre, répétant que « le fascisme ne passera pas », marchant derrière Mitterrand, Mendès France, Daladier et le communiste Waldeck Rochet.


Mais les jeux sont faits : un accord a été passé avec Guy Mollet et les chefs des groupes parlementaires. Mitterrand seul l'a refusé.

Le 1er juin, la manœuvre gaulliste, utilisant la menace de coup d'État mais demeurant formellement dans le cadre de la légalité, a abouti : devant l'Assemblée nationale, de Gaulle obtient 329 voix contre 224.

Il dispose des pleins pouvoirs.

Le gouvernement – qui comprend notamment André Malraux, Michel Debré, Guy Mollet, Pierre Pflimlin – est chargé de préparer une Constitution.


Le 4 juin, de Gaulle se rend en Algérie. Il est acclamé et lance : « Je vous ai compris » et « Vive l'Algérie française ! »

L'ambiguïté demeure : de Gaulle a été appelé pour résoudre le problème algérien. Par la négociation ou par une guerre victorieuse ? En satisfaisant les partisans de l'Algérie française, ou en inventant un nouveau statut pour l'Algérie, voire en lui accordant l'autodétermination et l'indépendance ?

De Gaulle a les moyens d'agir.

La Constitution, qui est à la fois présidentielle et parlementaire, mais donne de larges pouvoirs au président élu par un collège de 80 000 « notables », permet à l'exécutif d'échapper aux jeux parlementaires, même si le gouvernement doit obtenir la confiance des députés.

Avec l'article 16, le président dispose en outre d'un moyen légal d'assumer tous les pouvoirs et de placer de facto le pays en état de siège.


Le 28 septembre 1958, par référendum, 79,2 % des votants approuvent la Constitution.

La IVe République est morte. La Ve vient de naître.

Le 21 décembre, de Gaulle est élu président de la République par 78,5 % des voix du collège des « grands électeurs », où les élus locaux écrasent par leur nombre les parlementaires.

Le 9 janvier, Michel Debré est nommé Premier ministre.


L'impuissance de la IVe République a donc conduit à sa perte.

La crise, qui pouvait déboucher sur une guerre civile, s'est dénouée dans le respect formel des règles et des procédures républicaines. Mais le passage d'une République à l'autre s'est déroulé sous la menace – le chantage ? – d'un coup d'État.

Aux yeux de certains (Pierre Mendès France avec sincérité, Mitterrand en habile politicien), là est le péché originel de la Ve République. Selon eux, la Constitution gaulliste ne pourrait donner naissance qu'à un régime de « coup d'État permanent ».


En fait, le pays apaisé a choisi l'homme dont il pense qu'il peut en finir avec la tragédie algérienne.

Mais de Gaulle voit plus loin :

« L'appel qui m'est adressé par le pays exprime son instinct de salut. S'il me charge de le conduire, c'est parce qu'il veut aller non certes à la facilité, mais à l'effort et au renouveau. En vérité, il était temps ! »

Est-ce, en germe, la manifestation d'un malentendu ?

Le pays et les hommes politiques appellent ou acceptent de Gaulle pour régler un problème précis. De Gaulle, lui, est porté par une ambition nationale de grande ampleur.


Quoi qu'il en soit, la IVe République était condamnée :

« Quand les hommes ne choisissent pas, écrit Raymond Aron en 1959, les événements choisissent pour eux. La fréquence des crises ministérielles discréditait le régime aux yeux des Français et des étrangers. À la longue, un pays ne peut obéir à ceux qu'il méprise. »

Surtout si ce pays a l'âme de la France.

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