Et me revoici à Saint-Cloud, prêt à me rendre au rancard fixé à la môme des télécommunications.
Auparavant, je passe embrasser Féloche et changer de limouille. J’ai pour habitude d’aller à mes rendez-vous revêtu d’une pelure fraîche, dûment lotionné et coiffé. Dans ma chambre, j’avise Salami écroulé sur ma descente de lit, la truffe dans le fion. Il n’a pas perdu de temps !
— Mon cher, lui dis-je, je crois que vous devriez rester at home afin de récupérer une fois pour toutes. Ma mère va vous préparer à dîner.
Il ronronne, ouvre un œil et bat le plancher de sa flamberge.
Paré pour un éventuel examen prénuptial, je moule la casa et fonce au Panier Fleuri. C’est le genre brasserie de banlieue quiète. Le juke-box n’est pas à ébullition et la jeunesse dorée y consomme des boissons de bonne tenue.
Ayant remisé ma tire à quelque encablures, je me dirige pédérastement (Béru dixit) vers l’établissement. J’aperçois l’objet de ma convoitise « en terrasse ».
Elle a voulu se mettre en frais, comme toujours, les frangines qu’on sort. Le trente et un, tu penses ! Joli tailleur orange avec un chemisier bleu, collier d’or massif fourbi au Miror. Elle en jette ! D’autant qu’elle n’a pas lésiné sur le maquillage. De loin, elle ressemble à un masque de carnaval, et de près, à une réclame pour un fabricant de peinture. Mais son conditionnement du soir ne s’arrête pas là : c’est surtout le parfum qui est agressif. Un truc pas possible qui te fait éternuer à vingt pas. Même chez les fourreurs assurant la garde d’été des manteaux, ça renifle avec moins de véhémence. Moi qui ai tendance à l’allergie olfactive, ça va être joyce ! Je risque de jouer le nain Atchoum en la tirant.
T’as déjà été en proie à une attaque de rhume des foins pendant que tu calçais une sœur, toi ? Ah ! dis donc, la maison Dégode se met de la partie. Je me rappelle une petite escaladeuse de pafs que je grimpais en danseuse, un aprème, dans une chambrette cretonnante de l’Hôtel Beauvallon, en Touraine. Les murs disparaissaient sous les glycines en fleur. En pleine euphorie sexuelle, v’là que me biche une série d’éternuements longue durée. Et pas des minces ! À chacun de mes spasmes je déjantais.
La petite médème poussait un cri de détresse dès que mon pollux déjaugeait. J’avais beau tenter de me retiendre, ma poire explosait littéralement et je la vaporisais à tout berzingue. La gerce d’un huissier ! Une petite brune style mijaurée qui devait se servir d’une pince à sucre quand elle recevait, et aussi, pourquoi pas, d’un manche à gigot en argent.
J’ai libéré une salve de huit ou dix « ternuages ». Croyant la crise terminée, j’ai remis mon panoche à tremper car il conservait encore une consistance dont se serait régalée l’épouse d’un avocat-conseil. Et puis patatras ! Me revoilà à éternuer à m’en faire éclater le blair et l’os frontal. Dès lors, finita la furia amoureuse ! Je brandeloquais du cigare !
À la longue, la dadame en a eu quine d’une partie de jambons aussi foireuse. Elle s’est rafraîchi la moulasse, au trot, a réintégré sa culotte et ensuite l’étude de son connard. Une rifouille monstre m’a biché ; je continuais d’éternuer en me marrant. Franchement, on est peu de chose. Et même moins que ça !
— Vous avez l’air tout joyeux ? remarque la belle au tailleur tango.
— Le bonheur de vous revoir, ma douce tentation. Au fait, quel est votre petit nom ?
— Muguette.
— Ravissant.
— Vous voulez aussi mon nom de famille ?
— Oh ! non ; il appartient à votre époux, restons corrects. À ce propos, vous n’avez pas eu de mal à prendre votre soirée ?
— Je fais partie d’une chorale mixte, et ce soir est précisément celui de la répétition hebdomadaire.
— Vos partenaires risquent de s’inquiéter de votre absence ?
— C’est monnaie courante, vous savez.
Je pige que ce groupe vocal sert à fournir des alibis aux conjoints disjoints.
Albert, le serveur que je connais, s’enquiert de ma commande.
— Une forteresse volante ! réponds-je.
— Ça consiste en quoi ? demande Muguette.
— Mettez-en deux ! dis-je au loufiat.
Puis, à ma conquête :
— Une gorgée de la chose vous en apprendra davantage qu’une heure d’explication.
Elle me poche avec l’eau bouillante de son admiration, comme l’a écrit Jean-Jacques Rousseau dans Y a pas le feu au lac.
Après tout, son parfum n’est pas aussi dramatique que je le redoutais. À preuve, il ne me provoque pas de crise respiratoire. Mon cocktail la comble ; il peut. J’en donne ici la composition à l’intention de mes lecteurs appartenant au cercle des « peinturlurés de l’intérieur » : 1/4 de cointreau, 1/4 de liqueur de mandarine, 1/4 de vodka, 1/4 de chartreuse verte ; ajouter quelques gouttes de crème de banane et servir glacé.
Cette mixture ayant l’heur de lui plaire, nous en buvons deux verres coup sur coup avant de lever l’ancre.
Ma Ferrari est source d’émerveillement pour cette jeune femme simple, habituée aux pipes dans des véhicules de série. Ses accélérations fulgurantes la médusent, aurait assuré Géricault.
Nous sortons de notre chère cité et, nonobstant les interdits multiples, je lui fais déguster un bol de grande vitesse aux effets immédiats (une main glissée dans sa culotte m’en fournit la preuve).
— Où m’emmenez-vous ? pâmoise-t-elle.
— À l’Auberge de Faon de Chichoune !
L’endroit est réputé, et même étoilé par la vigilance des éditions Michelin.
— Oh non ! fait-elle. C’est trop luxueux, je serais gênée.
Tant de modestie m’émeut ; je m’apprête à partir à l’assaut de ses scrupules d’ancienne vierge, lorsqu’elle me contre-propose :
— Allons plutôt chez ma grand-mère, à Louveciennes.
De saisissement, j’en aurais perdu mon dentier si j’en avais porté un, mais les prothèses ne sont pas mon genre.
Grande première. Jamais encore une gerce ne m’avait invité à se faire mettre chez son aïeule.
— Il s’agit d’un restaurant ? je bredouille.
— Mais non ! Je vous parle de ma mémé. Nous y serons tranquilles et pourrons y faire la dînette. Elle confectionne des foies gras divins : elle est alsacienne.
— Je ne voudrais pas importuner cette digne personne…
— Au contraire, elle sera ravie.
Berlué à outrance, je la laisse guider nos tours de roues et, vingt minutes plus tard, nous arrivons chez Mme Rosine-Charlotte Dubuissont. Cette dernière possède une maisonnette en meulière, avec des entourages de faïence verte autour des ouvertures. Un coquet jardinet agrémenté d’une pièce d’eau, dont le glouglou filerait envie de pisser à un mec en pleine crise d’urémie, agrémente la construction.
Une femme d’un roux blanchissant, au visage attaqué par la couperose des viveurs, vient ouvrir.
Regard bleu pâle, sourire en fesses de bébé.
— Muguette ! s’écrie-t-elle avec, effectivement, un fort accent alsaco, je te sentais !
Bisouilles, présentations. La dame paraît trouver naturelle ma présence auprès de sa petite-fille.
Elle nous fait l’honneur de son pavillon, lequel n’est pas sans rappeler le nôtre. Mêmes odeurs de bon frichti, d’encaustique et d’eau de Javel. C’est plus petit que chez nous, mais tout aussi feutré. J’avise un énorme matou dans un fauteuil d’osier. Ce greffier doit attraper davantage d’indigestions que de souris. Ils sont probablement castrés depuis plusieurs générations dans sa famille ; il pèserait douze kilos que je n’en serais pas surpris.
— Je cuisais un lapin à la moutarde, justement, dit la brave femme. On commence par mon petit foie gras au genièvre, naturellement. Vous aimez le vin rouge d’Alsace ? J’ai un pinot d’ottrot extra.
— On mange à quelle heure, mémé ? s’informe ma conquête.
— Dans une demi-heure, répond la vioque ; vous avez le temps de tirer un petit coup avant de vous mettre à table, ça vous ouvrira l’appétit !
Voilà une grand-mère à la page, il me semble.
Ma gentille copine me drive dans une chambre du rez-de-chaussée attenante à la salle à manger.
Au début, je suis intimidé par la proximité de mémère, mais ma partenaire est à ce point détendue que je l’oublie.
Bon, on se dessape. Préliminaires classiques. Reptation d’un félin à tête rouge dans la jungle de son pubis. Elle aime. Ensuite le doigt de cour avant-coureur, bien évidemment. Suivi du jumelage médius-index, lesquels partent pour une reconnaissance partielle des lieux. Ils obtiennent un fort succès d’estime. Je transforme cet essai par une tyrolienne à clapet dont l’intensité la fait grimper en mayonnaise.
Elle beugle si fort que tu croirais au déferlement d’un trente tonnes dans la rue. Des cris à lui en craquer les cordes vocales kif des tamis de raquettes. Si tant tellement que sa brave mémé survient.
Dans la clameur, son arrivance me passe inaperçue. C’est seulement quand elle monte à la tribune que je la perçois (ou l’aperçois). Elle est chaste comme la statue de sainte Gudule. Les mains croisées sur son ventre, l’œil allumé de l’intérieur.
Profitant de ce que sa petite-fille baisse le niveau sonore, elle parle :
— Pour bien bouffer, vous bouffez bien, chapeau ! Vous me rappelez mon cher Hermann, sauf que lui il ne me mettait pas les doigts dans le cul : bien trop délicat pour ça. Cela dit, dans le mouvement, ça ne doit pas être négligeable ; néanmoins il se trouvait moins bien membré que vous. Il l’avait longue, mais sèche comme un saucisson de Toulouse au poivre. Si le cœur vous en dit, le repas est prêt ; vous serez toujours à même de reprendre la séance ensuite, d’autant que vous aurez des forces neuves. Ne vous donnez pas la peine de vous rhabiller : il fait chaud dans ma cuisine.
La chère aïeule nous drive jusqu’au sein des seins.
— Attendez ! dit-elle avant que nous ne prenions place. Je vais vous chercher un coussin, pas que vous vous coinciez les testicules sur ces chaises de bois. C’est ça le danger pour l’homme, quand il a posé son slip : il devient fragile. Je me rappelle un ami de mon mari qui passait me voir parfois, quand ses livraisons l’amenaient dans la région. Figurez-vous qu’il s’est assis, un après-midi, sur mon fer à repasser que, dans ma précipitation, j’avais laissé sur l’escabeau, à l’envers et branché… La peau de ses roustons est restée collée après ! Il n’est jamais plus revenu !
J’ai droit à un superbe coussin de soie sur lequel elle a brodé un chaton blanc.
Son foie gras est savoureux, l’ottrot également, qu’elle a l’excellente idée de servir frais, tel du bouzy. Depuis le four de la cuisinière des odeurs ensorceleuses nous font bien augurer de la suite.
Ma gentille Muguette me caresse le chibroque en continuant d’exhaler des soupirs capiteux.
— Écoutez-la ! Écoutez-la ! fait mémé. On voit qu’elle est méridionale par son père : quand ça les tient, ces gens du Sud, il faut qu’ils fassent profiter les autres de leur pied.
À peine a-t-elle proféré ces paroles qu’une formidable explosion retentit, ébranlant la maison et réduisant les vitres en leur sable originel.