ÉPILOGUE

C’est le Vieux qui a insisté.

« — Mon cher, m’a-t-il dit au téléphone, vous ne pouvez pas refuser cela au signore Coglione. C’est lui qui m’a offert Salami. Il l’a obtenu à la suite de savants croisements et en a fait ce que vous savez. Actuellement paralysé, il agonise dans une clinique de Rome. Sa volonté suprême est de revoir son chien. Est-il concevable que nous le privions de cette dernière joie ? »

J’ai répondu :

« — Vous avez raison, boss. »

Et me voilà dans la Ville Eternelle, flanqué de mon pote, à grimper un perron de marbre blanc.

Je suis intercepté dans le hall par une infirmière si jolie que j’accepterais de retourner à Paris en marchant sur les mains, si j’avais la possibilité de bouffer sa chatte à l’arrivée. Je lui explique la raison péremptoire de mon basset en ce lieu aseptisé. En tant qu’Italienne, elle comprend ce cas de force majeure et me laisse gagner la chambre 26.

Le signore Coglione est un homme d’une soixantaine d’années, dévasté par la maladie. Il gît sur sa couche, le teint plombé, les yeux mi-clos, la respiration saccadée.

Je m’incline sur ce qui, dans quelques heures, sera sa dépouille.

— Je vous amène Salami, lui fais-je doucement.

Cette annonce semble lui redonner un peu de vie. Il écarquille ses vasistas, amorce un mouvement de la nuque pour essayer d’apercevoir mon compagnon.

— Sainte mère du Dieu tout-puissant ! chuchote-t-il. Donnez-le-moi, que je caresse ce bien-aimé !

— Montez ! enjoins-je-t-il au quadrupède.

Celui-ci hésite, puis saute sur les jambes du malade, lequel se met à pleurer à chaude pisse en touchant son pelage du bout de ses doigts fanés.

Signore, me dit-il, j’aurai pu, grâce à votre diligence, le revoir avant de m’éteindre ; soyez-en remercié. Dieu vous récompensera. Puisque vous êtes ici, ultime visiteur de mon étrange vie, je vais soulager ma conscience.

Je lui objecte que je ne suis pas prêtre.

— Cela vaut mieux pour recevoir ma confession, assure le moribond.

Il démarre sans plus attendre :

— La mère de Salami s’appelait Pavana. Elle était pathétique, avec ses grands yeux bleus, comme ceux d’Ophélia. Je ne parvenais pas à me séparer d’elle, ni pendant le jour, ni au cours de la nuit. Elle partagea ma couche, si bien que ce qui devait se produire arriva : je devins son amant. Ah ! mon ami ! Quelle volupté infinie ! Quel bonheur, coupable certes, mais incommensurable ! J’ai cru mourir d’amour ! Trois mois plus tard, Salami naissait. Voilà ma confession, ami de France. Désormais, je vais pouvoir partir en paix.

Fectivement, le père Coglione ferme les yeux avec, j’en suis convaincu, la ferme volonté de ne jamais les rouvrir.


De retour sur la large voie romaine ensoleillée, je demande au chien ce qu’il pense de ces surprenants aveux.

Il trottine, songeur.

Soudain il stoppe et tourne la tête vers moi.

— J’espère que vous n’avez pas attaché le moindre crédit aux divagations de ce vieux fou ! me dit-il. Moi, un enfant d’homme ! Mais qu’on me traite carrément de con pendant qu’on y est !

FIN
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