6 L’INSTINCT DE FLIC

C’est drôle, l’instinct de flic. Dès le premier coup de grelot capté fortuitement, j’ai deviné du pas banal. Au fond de ma pomme, y avait comme un pressentiment. Je respirais à pleins naseaux de la cacaterie de haut niveau. Eh ben voilà : c’est fait.

Je contemple la vieille dame zinguée, avec un mélange d’incrédulité et de répulsion, qu’écriraient des confrères à moi. Toujours, un mélange de ceci et de cela : leur manière de littérater.

Salami est resté dans l’encadrure des chiches. Sa queue ne trompette plus mais demeure rectiligne, position logique puisqu’elle est le prolongement de son épine dorsale.

La dadame porte une montre au poignet dont je ne t’évalue pas le prix, vu que le boîtier est serti de diamants et le bracelet en jonc. Son (ou ses ?) agresseur (s) n’a (n’ont) pas songé à la lui engourdir, la fauche artisanale n’étant pas le motif du murder.

Quel âge peut avoir la victime ? Elle septuage ou octage, selon l’angle de prise de vue. Ressemble à cette merveilleuse actrice, pas laubée lerchouille, qui s’appelait Bette Davis et t’arrachait la peau du cœur tant tellement elle jouait bien. Indiscutablement, une femme de classe, issue d’un milieu à pedigree.

J’avise six douilles sur les carreaux mosaïqueux du couloir. Elle a été refroidie au pistolet 7,65, le calibre classique. Le tireur ne s’est pas donné la peine de ramasser ses épluchures.

Je quitte les gogues, enjambe les douilles vides et continue mon explorance des lieux.

Une chambre, toujours style japono-scandinaveton, avec des meubles en bois rouge, des tableaux mords-mon-paf, des sculptures qui ne ressemblent à rien mais valent chérot. Le plumard est certes moins vaste que le Parc-des-Princes, mais on pourrait néanmoins y organiser les finales de la Coupe d’Europe de partouzettes sur gazon.

Tout est en ordre. À l’évidence, il s’agit d’un appartement parfaitement tenu. Une seconde chambre, rigoureusement inhabitée, un office ultramoderne que jouxte un coin repas, complètement le logement.

Je note alors que la fenêtre américaine de la cuisine est relevée. M’en approche et m’y penche. Classique : une échelle de laveur de vitres, large du bas, étroite du haut, est appuyée contre le mur, côté parc. L’agresseur (ou les) est (ou sont) venu(s) par là, très peinardement, personne ne pouvant le (ou les) voir…

Je reviens dans le salon où j’ai aperçu le téléphone. Turlute à la Casa Pébroque. Demande le Mastard. N’est pas venu marner ce morninge biscotte Berthe a été hospitalisée d’urgence. Je le sentais qu’elle filait du mauvais coton, la Rombiasse.

— Passez-moi Mathias !

On.

Le Rouquemoute, affairé, m’apprend qu’il part ce jour même en vacances avec sa tribu. L’emmène sa horde dans les Antilles. Je lui dis qu’à quoi bon puisque les carottes ne bronzent pas. Il rit jaune : normal !

Il consent à faire un crocheton par Saint-Cloud, mais fissa, sinon il l’a dans le rectum, avec ses biftons en pex. Il va se pointer flanqué de Pinaud, mes autres zélés interprétant « Tournez manège » dans les hostos et maternités du Bassin Parisien.

En attendant les renforts, j’inspecte très à fond le délicat apparte. Je cherche des tuyaux sur la mystérieuse « Éléonore » qui entame sa part d’éternité dans les chichemanes. Drôle de raison sociale. Ça peut être n’importe quoi : une maison de couture ou un clandé. Un secrétaire de laque noire à coins de laiton va probablement me fournir la chiave de l’énigme.

En fait, il est vide. Ne recèle ni papiers d’identité, ni correspondance. Pas même ces fafs inhérents à tous logis, qu’ils fussent huppés ou non, tels que quittances de gaz ou d’électricité, bordereaux fiscaux, correspondance personnelle ou administrative, ordonnances médicales, que sais-je ? Cependant, ça existe, une habitation, ça vit. Même les « meublés » pour étreintes passagères ont des manifestations d’existence sociale.

De guerre lasse, comme disait Mlle Mata-Hari, décédée à Vincennes à la fleur de l’âge, je me résous à appeler la mairie de Saint-Cloud dont le secrétaire général est une bonne relation au fils unique de ma maman chérie. Je l’obtiens illico.

— Monsieur Machemoule, lui dis-je après m’être nommé, connaissez-vous ce charmant petit immeuble neuf situé rue du Bonze Hydrophobe, non loin de la gare ?

— Si fait, si fait, me répond-il en roulant les « r » par défaut, car il est tarbais.

— Auriez-vous la bonté de m’y rejoindre au plus vite ? Il s’agit d’une affaire délicate.

— Mais bien volontiers, accepte l’éminent fonctionnaire.

Ne me reste que d’attendre, certain que ce ne sera pas long. Là-dessus, comme y en a qui disent, bien à la légère, Salami attire mon attention par quelques-uns de ces légers aboiements dont il a le secret.

Il s’est planté devant moi et me fait signe de le suivre. Ce dont je. Le brave cador m’entraîne à la cuisine et se met à plat ventre (mouvement qui ne lui demande pas un gros effort) devant un tabouret muni de quatre marches renversables le transformant accessoirement en escabeau. Mon sauciflard passe une patte entre les montants du meuble dans l’espoir d’atteindre une chose brillante gisant sur le carreau.

— Laissez faire l’homme ! lui dis-je.

Je m’accroupis et m’empare d’une boucle d’oreille ronde, en or, piquetée de diamants et de saphirs qui créent une impression de voie céleste. Je l’examine, puis la glisse dans une pochette de plastique, comme le font les détectives américains sur les « lieux du crime »…

Salami me défrime, mécontent. J’aurais dû lui montrer l’objet.

— Descendons attendre nos invités ! déclaré-je.


Le soleil arrose le petit parc.

Je contourne l’immeuble afin de rallier l’échelle plaquée sur l’appui de la fenêtre donnant sur l’office. Sa partie inférieure est plantée dans le gazon rêche comme un tapis-brosse.

— Vous devriez m’aider à repérer d’éventuels indices, fais-je à mon « bandonéon ».

Il s’y colle, examinant l’endroit scrupuleusement, sans pour autant produire un bruit fouisseur de chien truffier, car il a de l’éducation. Il tournique autour de l’échelle, s’éloigne entre les arbres.

Je le file à distance. Nous atteignons alors le parc communal jouxtant la propriété.

Salami s’excite toujours sur sa piste (si tant est que cela en soit une). Il va plus rapidement, sûr de son odorat. Il se régale, l’animal ! Son pied, il chope ! S’immobilise en regardant dans ma direction, aboie pour me héler.

— J’arrive, mec !

Son excitation est justifiée par quelques superbes traces de pas dans la terre meuble ; ils s’inscrivent entre des rosiers nains.

Bono ! comme disait mon ami Trabadja.

— Joli travail, Salami, le complimenté-je. Maintenant retournons là-bas, j’attends de la compagnie : des spécialistes prendront des moulages tout à l’heure.

La queue en anse de panier, qu’il se met, mon hound. Ses longues étiquettes font les frivoles et sa grosse bitoune de maréchal-ferrant sonne le tocsin contre ses flancs.

Juste qu’on regagne la résidence chicos, je vois surviendre M. Machemoule. Saboulé édile Troisième République : costard trois-pièces, chaîne de montre sur le burlingue, décoration des Palmes académiques sur son revers en feuille de bette. C’est le bon fonctionnaire français dans toute sa grâce : socialo vieille école, frère trois-points rigoureux, de père en fils.

— Si je pensais vous voir en exercice dans notre charmante ville, qu’il me dit, Machemoule. Qu’y a-t-il ?

Je pousse la porte de l’immeuble.

— Montons au premier étage, cher ami.

L’est tout intrigué, intimidé également. Voudrait me questionner, mais son asthme et son accent rocailleux l’en dissuadent.

Précédés de Salami, nous parvenons devant la lourde perforée des chiches.

— Je vous préviens que ce n’est pas agréable à voir, fais-je en poussant la porte.

Il est parfait, Machemoule, courageux, calme dans l’épreuve.

— Mais c’est Mme Maubec de Pré-Bénit, la propriétaire d’en dessous, dit-il.

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