36 BOUQUET FINAL

Voilà.

On s’est installés de la façon suivante dans la partie « détente » de mon bureau : ma pomme dans un des deux fauteuils club, Béru l’endommagé, dans l’autre, Pinaud sur une chaise garnie de cuir. M. Blanc est assis en tailleur sur le tapis, tandis que Hanoudeux le Clermontois se tient à genoux, les miches sur les talons. Salami reste entre mes jambes, le dard bandant.

Au début de cet aréopage, le Gros a déclaré que si le clébard demeurait avec nous, lui s’en irait car, désormais, ce serait la haine à vie. Il a même « loyalement prévenu » qu’il donnerait sa démission et deviendrait représentant en vins dans le Beaujolais. Justement, le frère de Bernard Pivot, viticulteur en renom, était prêt à le prendre comme « pubis relaxation » dans son entreprise.

J’ai eu un mal inouï à arroser de ma raison le brasier de sa fureur. J’ai demandé à Salami de faire amende honorable et de présenter des excuses à sa victime. Il a cédé d’assez bonne grâce et s’est approché du Mastard, la patte tendue. Vaincu, ce gros brave homme a fini par la serrer. Devant tant de magnanimité, le hound lui a filé une langue sur les couilles, à travers son pantalon, gracieuseté qui a touché Alexandre-Benoît.

C’est donc en toute harmonie que se déroule notre récapitulatif final.

Malgré Pinuche, qui en sait un peu plus davantage que ses collègues, c’est moi qui me farcis les explications.

Dur-dur, dans une affaire criminelle de cette envergure, se doublant d’une histoire d’espionnage. Démarrer par quoi ? La fin ou le commencement ? Il t’est arrivé de pêcher à la ligne, técolle ? Et d’enchevêtrer ton fil jusqu’à l’inextricable ? Une « perruque », il appelait ça, papa. Ben pour le fameux Tantonio, c’en est une superbe qu’il a à débrouiller. Une perruque à côté de laquelle celle du Roi-Soleil aurait eu l’air d’une chatte d’adolescente.

On l’a vu, Éléonore qui avait le goût de l’aventure, s’encanaille dans la Ville Eternelle avec une fameuse équipe de méchants pour lesquels tuer, dynamiter, torturer n’est que broutilles, farces et attrapes de 14 Juillet. La superbe fille qui jouit d’une excellente situation devrait s’en contenter. Elle possède tout : un père riche, une carrière de rêve ; elle est courtisée, adulée, régnante. Mais le démon est là. Il lui faut exister dangereusement. Devenir une Walkyrie.

De mœurs éclectiques, je crois vous l’avoir appris, mes chers Sacaburnes, elle marie sa collègue-maîtresse-complice à son vieux papa déjà gâtochard. À quoi correspond une pareille démarche ? Probablement à un besoin de se créer une parentée officielle. Le dabe parti, elles resteront ensemble, ces petites chéries, avec la possibilité de s’amuser à papa-maman jusqu’à la fin de leurs jours.

Seule ombre au tableau de famille : la frangine adultérine qui semoule au manoir. Ne l’oublie pas, cette malheureuse, car elle va jouer un rôle, muet certes, mais indépourvu d’intérêt…

Examinons maintenant les autres protagonistes de ce livre absolument surprenant, que tu devrais acheter à un grand nombre d’exemplaires car sa cote, je te le parie, ne fera que grimper. Tu seras heureux de pouvoir le distribuer à tes enfants quand ils se mettront à leur compte, parce que ça, mon pote, crois-le : c’est pas de l’emprunt russe !

Qui avons-nous à mettre sous notre loupe ?

Before tout : Mme Maubec.

Alors ça oui, c’est DU personnage. Pas de la frimante de troisième zone, mais de la vieille héroïne blanchie sous le harnois, comme on dit chez les glandus, voire même chez moi quand j’ai omis de prendre mes granulés au phosphore. Figure sortie de l’épopée ! Grande dame mâtinée d’aventurière, elle aussi. Là-dedans, les femmes ont des couilles, et pas seulement celles de leurs julots. Je serais père d’une jouvencelle, je ne la laisserais pas passer le véquende avec ces nanas, tellement je craindrais qu’elles la foutent enceinte. Il faut savoir, camarades, que la veuve de Casimir Maubec est l’épicentre de l’affaire.

Cette femme d’action indomptable dirigeait après guerre un Service de renseignements particulier. Elle avait constitué un dossier sur tous les grands de ce monde détenant « un cadavre dans leur jardin ». Vous avez entendu parler, il y a quelque temps, de cet ancien ministre des armées françaises, soupçonné d’avoir été un agent de l’Est ? Il ne s’agit pas là d’un cas exceptionnel. Nombre de personnages occupant un poste suprême traînent des charognes plus ou moins décomposées. Les répertorier c’était devenu chez la mémé une sorte de sport : une marotte dont le côté explosif ne vous échappe pas. Si elle l’avait voulu, elle aurait foutu la merde sur les cinq continents en même temps.

Je vais chercher une boutanche de château-l’angélus dans ma réserve, la débouche à l’aide d’un tire-bouchon à air comprimé et la fais circuler parmi mes apôtres. Chacun s’en télégraphie une chouette rasade dans les canalisations. Foin de componction vineuse. On lichetrogne à la cantonnier. Je laisse boire Bérurier en dernier, sachant que le flacon ne survivra pas à ses coups de glotte.

Ce gorgeon de pichtegorne grand luxe met une heureuse ponctuation dans mon récit. Sagement, j’attends que le Mastard feule avant de reprendre, ce qui ne tarde pas à se produire, soulevant les longues étiquettes de Salami.

Je poursuis mon exposé :

— Derrière la Maubec, tu as les Panoche. Curieusement, je ne les aurai pas rencontrés au cours de l’enquête. Ils seront restés en retrait. Cependant, le mandataire a un rôle important, puisque c’est lui qui prêtait sa maison de campagne isolée aux maîtres du crime ayant besoin d’un coin à l’ombre pour commettre une « élimination » et faire disparaître les corps. Une sorte de Sire de Gambais, ce seigneur de Pompechibre !

« Je gage que cette monstrueuse complicité devait lui rapporter un max. Peut-être le tenait-on par d’autres affaires clandestines ? L’enquête l’établira. Mais il n’a pas attendu les conclusions de la Justice et s’est gazé avec son brancard devant un calandos et du picrate. L’épopée des Halles !

Dernier protagoniste notoire : Piere Cadoudal, l’attaché de presse. Mon avis ? Un connard amoureux de Valériane de la Liche et se laissant prendre dans ses rets (ou par sa raie ?). Elle s’en est servie à sa guise, l’a manœuvré, puis supprimé bassement le moment venu.

« La conclusion est là : Mlle de la Liche apprend que sa voisine du dessous a eu recours à un procédé qui connut son heure de gloire : le micro-film. Tu peux photographier la Bible de manière à ce qu’elle tienne sur quelques millimètres carrés. On a trouvé encore mieux depuis, mais la chère dame en est restée à ce procédé. Elle dispose, pour planquer ces documents explosifs, d’une cachette à toute épreuve : son œil de verre ! Le plus extraordinaire de cette aventure, c’est que la vieille femme a raconté dans un livre de souvenirs intitulé « Mes missions » que sa prothèse oculaire lui avait servi à passer des documents au nez et à la barbe des Allemands, après son opération.

« Éléonore avait reçu ce livre de sa voisine elle-même, à l’issue d’un thé pris chez celle-ci. Coupable imprudence d’une héroïne amollie par les ans ! La découverte de ce que son organisation cherchait depuis tant de temps a grisé Valériane. Ce micro-film dans le creux de la main, elle s’est sentie puissante. Elle possédait tout à coup un pouvoir terrifiant et une fortune sans fin… »

— Si bien qu’elle a décidé de garder sa trouvaille ? exprime l’officier de police Hanoudeux.

— Gagné ! Ricane l’Hénorme. Tu continues ?

Ces échanges stériles, vagues considérations de cabaret, ne sont proférés que par besoin de détente, mais ils ne font pas évoluer la situation ; c’est pourquoi je renoue avec mon récit sans plus attendre…

— Donc, enchaîné-je, la fille agit avec précision et rapidité. Comme en état second, préciserait un con. Elle reçoit chez elle sa vieille voisine et lui administre, par spray, un soporifique. Profite du léger temps d’absence mentale de la dadame pour lui ôter son œil bidon et y prélever le microfilm. Remet la prothèse à la va-vite, sans se rendre compte qu’elle est à l’envers.

« Revenue à elle, la mère Maubec, toute chavirée par son étourdissement provoqué, réclame les gogues. Éléonore l’y conduit. La mémé s’y enferme d’un geste naturel. Elle se regarde machinalement dans la glace, en digne fille d’Ève. Elle aperçoit son œil à l’envers, constate qu’il est vide et se met à gueuler au charron. Lors, le mannequin prend son arquebuse d’aventurière et seringue l’autre à travers la lourde…

« Ensuite ? Ben je dois imaginer, n’ayant point encore recueilli les aveux de la meurtrière. J’ai le sentiment, pourtant, qu’elle avait dûment mijoté son coup. À cause de quoi ? Des croquenots d’homme qu’elle a passés pour opérer sa mise en scène. À qui les a-t-elle empruntés ? Proviennent-ils de son exploitation viticole du Sud-Ouest ? Toujours est-il qu’elle les chausse et part à travers le parc, non sans avoir préalablement dressé l’échelle d’un jardinier contre la fenêtre de sa cuisine. Elle va les jeter dans la fosse à compost, remet ses propres souliers et s’enfuit en direction de la gare.

« Accaparée par cet emploi du temps chargé, elle ne s’est pas aperçue qu’elle avait perdu l’une de ses boucles d’oreilles dans la cuisine. Si ce genre d’étourderie n’existait, les flics n’auraient plus qu’à se reconvertir dans la moule de Bouchot. »

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