32 LA MEILLEURE FAÇON DE MARCHER…

… C’est de mettre un pied devant l’autre et de renouveler l’opération jusqu’à ce qu’on soit arrivé à destination.

Je m’en fais la réflexion en arquant rue du Faubourg Saint-Honoré en direction du boulevard Haussmann. Je vais d’un pas léger, savourant cette déambulation dans Pantruche après la grosse poussée circulateuse du soir. Dans mon job, il est rare qu’on se déplace à pincebroque. On a toujours le prose sur une banquette de bagnole, ce qui ne fait travailler que les muscles fessiers.

Guilleret, saboulé prince charmant : grimpant beurre-frais, veston de lin chocolat, limouille crème à col ouvert (une vraie laiterie à moi tout seul !), mocassins de daim souple, je crois que j’en jette ! Les regards des gerces et des mistounes m’informent mieux que les miroirs des vitrines. Je ratisse large : les dames mûrissantes aux regards de vaches rêveuses, les gosselines délurées qu’impertinent de la prunelle et hydratent du slip, les mornes doudounes convoyeuses de chiares que leurs julots vergent en pensant au tiercé-quinté plus ou à Paris-Saint-Germain ; même des ados tout juste « grandes filles » qui me croisent en supputant la longueur de ma queue. Le grand concert des sens, du sexe, des désirs à fleur de chatte. Moments rarissimes pour moi qui vis à deux cents à l’heure.

Flâneur ; quel beau métier ! Le Flaneur salarié qu’il a écrit le pauvre Béraud, fils de boulanger à monocle ! Haïsseur d’Anglais sous l’Occupe ! Fallait-il être jobastre ! Martyr qui flanquait la gerbe ! Que reste-t-il de tout cela ? Dites-le-moi !

J’arpente, léger comme Mercure aux pinceaux ailés, oblique en direction des Ternes…

Salami entendait m’accompagner, mais je lui ai expliqué qu’allant limer une sœur, sa présence était inopportune. Valait mieux m’attendre dans la guinde du père Pinuche. Il a accepté d’assez bonne grâce.

Avisant un fleuriste encore ouvert, j’emplette un bouquet d’orchidées dans les tons violet veiné de jaune, enveloppé d’un délicat papier-dentelle. Montrer à la femme du viticulteur qu’on a des usages et quelques moyens, dans la Rousse.

Tout fringochard, je me pointe à la réception de l’Hôtel des Sirènes Bleues, dont l’enseigne est justifiée par un superbe motif en mosaïque, signé Dutruc et Pelluchard, représentant deux naïades blondes, dans l’onde d’azur, pourvues de loloches rose jambon.

Un Italien appelé Florian (il est affable) m’indique que Mme la Liche occupe l’appartement 1918, ce qui aurait fait plaisir à Georges Clemenceau. Il m’annonce en admirant mes orchites (comme dit le Mammouth). Un ascenseur feutré me hisse au septième ciel dans un majestueux ronron.

La lourde de la friponne est ouverte et la dame m’attend, très sobrement dévêtue d’un déshabillé mauve, presque transparent, en totale harmonie avec mes fleurs. Elle les prend, les serre contre ses seins luxurieux et me tend sa bouche par-dessus le bouquet. J’y vais d’une pelle à gâteau d’une extrême voracité.

Sachant vivre, elle a sucé de la menthe en m’attendant, histoire de se faire une bouche. Attention délicate s’il en est, car il m’a été donné de croiser la langue avec des personnes venant de fumer, ou de manger du saucisson à l’ail, toutes choses extrêmement désagréables et qui ne se prêtent guère à l’entreprise d’étreintes ardentes.

Trop de nos compagnes ignorent encore combien une haleine chargée ou un con mal fourbi sont pernicieux en amour. Les hommes délicats, auxquels j’ai, ma vie durant, tenté d’appartenir, ne peuvent se livrer totalement à l’acte sexuel que débarrassés de ces malencontreusités que certaines de nos partenaires ont tort de juger négligeables ou vénielles. Le total assouvissement ne s’opère que dans un climat de détente absolue.

Pour ma part, amies lectrices, il m’est arrivé de passer de l’érection triomphale à la carence éperdue, pour de sordides histoires de poils de cul équivoques ou de fumets suspects. D’où mon penchant pour les dames d’un niveau social élevé. Il ne répond pas à des sentiments politiques, grand Dieu non, mais à une recherche exacerbée de l’hygiène. Cela ne veut pas dire que la femme du peuple ne se lave pas le fion, Seigneur non ! Mais ne disposant pas toujours du matériel ablutionnaire requis, la pauvrette connaît des manques entraînant chez les chichiteux de mon espèce des renâclages dramatiques.


Foin de cette digression à l’eau de bidet inchangée. Comme annoncé plus haut, Hélène est plus clean qu’une pierre de torrent et plus comestible qu’une pomme épluchée.

Perdons la turpide habitude de nous raconter nos coups de verge par le détail. Sache brièvement que notre embrasement est total, que je m’empare d’elle urbi et orbi, avec une fougue proche de la frénésie, allant jusqu’à la visiter en des régions peu fréquentées (du moins le crois-je) de sa personne. Qu’elle perd pied à trois reprises, le prend à sept, crie grâce à cinq (mais je ne tiens pas compte de ces suppliques trop haletantes pour être sincères), et qu’enfin elle atteint à une apothéose sensorielle dont l’Hôtel des Sirènes Bleues se souviendra longtemps, et qui me vaut une salve d’applaudissements lorsque je repars, après avoir juré à ma comblée de revenir dans le courant de la nuit pour une sérénade sans doute moins physique, mais tout aussi ardente.

* * *

Pinuche et Salami m’attendent à deux mètres dix de l’établissement. En ce mois de juillet suave, on peut se garer presque n’importe où.

Lorsque je suis monté, le Rolls driver qui m’a tenu la porte ouverte demande :

— Où dois-je conduire monsieur le directeur ?

— À Villacoublay, réponds-je. L’aérodrome.

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