22 ŒUFS — RAIE — CAS

Tout est mouvance. Ça fait penser à ces viscosités en couleurs qui tournent à l’intérieur d’un bocal. La matière est toujours pareille, mais le mouvement la modèle sans cesse différemment.

De retrouver le petit immeuble des deux dames mortes (Éléonore et sa voisine du dessous) me flanque un sentiment bizarre ressemblant tellement à de la tristesse que ce doit être au moins de la mélancolie. On a apposé les scellés. Rien qui fasse plus sinistre. Maison du crime, tu vois ?

Je grimpe au premier pour faire sauter ceux du mannequin. Bérurier me suit en bâillant. Quant à mon clébard, il a foncé à l’extérieur et je l’entends japper d’allégresse. Son hérédité de chasseur qui le survolte.

L’apparte recèle une vilaine odeur douceâtre. Il sent « la mort refroidie ». C’est fade et gerbant.

La lourde des chiches, démantelée, est restée entrouverte. Je la pousse pour pénétrer dans les tartisses. Les deux traces de balles sur le mur. L’impact a fait sauter des éclats de plâtre.

Nouvelle inspection, faite d’un œil neuf. Allons voir si la vieille a utilisé les vécés. Pas songé à les examiner. Et ça se prétend policier émérite, ce faux camelot du calembour !

Attends que je ranime les tisons de ma mémoire, comme dit si joliment Mme Bernadette Chirac dans le livre qu’elle projette d’écrire. J’évoque Mme Maubec sur son trône. Sa tête dévastée dont le temporal gauche s’appuie contre le mur. Elle… Oui, ça y est : elle est assise sur l’abattant des chichewomen. Donc elle est venue se planquer dans cette dérisoire cachette. Un soudain danger l’y a contrainte. Mais ça n’a servi à rien puisque elle a été seringuée à travers le chétif panneau.

Je soulève le couvercle de la cuvette, cette dernière est clean. Au moment de le rabattre, j’avise un morceau de papier à lettre collé contre la paroi du conduit d’évacuation.

— Béru ! appelé-je.

Le Mammouth se pointe.

— C’ qu’y a ? s’informe-t-il.

— Tu veux bien repêcher le fragment de faf bleu, au fond de l’eau ?

Docile, il s’agenouille, retrousse sa manche et se met à tâtonner dans les abysses goguemuchards. Finit par récupérer l’humble objet de ma convoitise, et le dépose sur la tablette du lavabo voisin.

— Pourquoive t’ l’as pas attrapé toi-même ? bougonne-t-il.

— Parce que, contrairement à ma pomme, tu as des rapports privilégiés avec la merde, mon bon.

Le Mastard se fâche :

— Y en a qui s’ croivent réell’ment sortis d’ la cuisse d’ Gulliver. Et qu’aiment humilier leur monde ! Quelle journée pourrie : mon épouse qui n’meurt pas, mon supérieur hiéraltique qui m’oblige à jouer au gandousier ; j’sus réell’ment un mec maudit !

Et tu ne sais pas ?

Il se met à pleurer.

Insensible à sa peine, j’examine le lambeau de lettre qu’il vient de récupérer. L’encre s’est en grande partie diluée, cependant on parvient à déchiffrer les quelques mots qu’il comporte : Ce qui serait dramatique et aurait des consé… C’est tout ! Laisse voguer ton imaginaire, mon San-A.


Aboiement de Salami, désireux de me voir. Je mate par une fenêtre. Il von karajanne de la queue, l’air triomphant.

— Vous désirez, Maître ? lui lancé-je.

De la tête, le clébard m’enjoint de redescendre. T’avoueras que c’est le monde renversé ! Pourtant, je cède à son invite.

— Vous avez découvert quelque chose, cher ami ? lui demandé-je quand je l’ai rejoint.

— Vouahi !

Il m’indique que je dois l’escorter. Nous nous éloignons du délicat immeuble pour gagner le jardin public proche. Le hound va précautionneusement, l’air réfléchi. Je comprends qu’il piste les traces de l’agresseur précédemment relevées.

— Nous avons déjà accompli ce parcours, dis-je à mon mentor.

Il m’accorde un court regard où je crois distinguer une lueur de mépris.

Les traces sont plantureuses dans la terre meuble des massifs de rosiers nains. Nous nous arrêtons pour les examiner de re(tu sais quoi ?) chef ! Derechef. Pointure 44 ont estimé les confrères scientifiques. Au-delà de cette zone fleurie, on retrouve l’herbe rase, vierge de toute trace.

— Rien de nouveau ! fais-je au clebs.

Il imperturbe et poursuit sa route tranquille.

— Où diantre m’embarquez-vous ? protesté-je.

Indifférence souveraine de mon guide. Sa conduite commence à me briser les testicules.

— Pensez-vous que je vais vous filocher jusqu’à la Saint Trou-de-balle, laquelle coïncide avec la vôtre ! fulminé-je d’un ton rendu puissant par l’abus d’oligoéléments auquel je me livre.

Il s’arrête, jappouille un vague truc d’une voix cassante, me gratifie d’un vent cinglant et réitère son mouvement de tête du début.

Avec un soupir de destroyer touché par une mine, je continue de le suivre. Ma patience prend de plus en plus de la gîte. Comme s’il voulait en rajouter, le basset force l’allure. Ses membres ont beau ne mesurer qu’une quinzaine de centimètres, quand il se met à tricoter, il bouffe de la lande, mon camarade !

N’importe : je lui garde ma confiance. Le talonne.

Il franchit tout le parc et stoppe devant une fosse à compost située dans un angle du mur isolant le jardin public d’un lotissement voisin. Mon valeureux collaborateur saute dans cette réserve d’humus et de déchets organiques et se met à creuser énergiquement. Il gratte des antérieures, s’excite, grogne, ronchonne et finit par extraire un godillot à laçage semblable à celui qu’a immortalisé Van Gogh dans un célèbre dessin au crayon.

Le cher cador me l’apporte.

— Êtes-vous en train de m’expliquer, excellent Salami, qu’il s’agit là d’une des chaussures de l’assassin ?

Il me vote un jappement qui, traduit du basset, signifie :

« Pourquoi croyez-vous que je me crève le cul, connard ? »

Et il retourne fouiller afin de m’obtenir la paire !

* * *

— Du quarant’-quatr’ ! grommelle Béru. Y s’en faut d’ trois pointures qu’ j’eusse eu pu les garder par la sute. Là, é sont terrereuses, mais décrottées et cirées, tu peuves les mett’ pour une noce.

Je présente sa trouvaille à Messire Toutou. Lui dis d’un ton de rêvassement :

— Nous avons trouvé leurs traces de départ, pas celles d’arrivée.

Il s’assied, me considère d’un air pénétré, sa grosse bite traînant sur la moquette.

Reprenant notre langage convenu, il déclare :

« Je me suis déjà fait la réflexion, mon cher maître. C’est pourquoi j’ai couvert, en zigzag, tout le trajet de l’immeuble au parc. Je me dois de vous apprendre que je n’ai trouvé qu’un seul cheminement d’ici au fond du parc. Il semble donc que votre assassin soit parti de la maison sans y être arrivé. »

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