Ils attendaient dans le burlingue directorial de Carmen, en ce lieu où, pour la première fois, le célèbre Béru avait accepté de montrer son paf surdimensionné à l’éminente femme.
Elle leur avait fait servir des alcools par sa secrétaire, une très ravissante jeune fille devant laquelle le ténor du zob avait fait tilt. Il échafaudait déjà, l’Insatiable, de rares combinaisons amoureuses et se promettait de convaincre Carmen Abienjuy d’intégrer sa sublime collaboratrice à leurs prochains ébats. En parfait metteur en scène de ballets érotiques, Alexandre entrevoyait d’aimables figures au cours desquelles chacun trouverait son compte.
Le directeur de la police, heureux d’avoir levé l’hypothèque « motard flasheur », faisait des projets roses. Elle prendrait un mois de vacances pour accompagner en France ces deux singuliers policiers qui faisaient presque autant pour le prestige défaillant de leur pays que M. Roland Dumas, leur ministre des Affaires étrangères. Lorsqu’elle rentrerait, elle prendrait en charge la police de Buenos Aires mais, parallèlement à ses activités professionnelles, s’organiserait une vie sexuelle intense, forte de l’entraînement qu’elle viendrait de subir.
La jolie secrétaire : taille en goulot de carafe, seins furieusement dressés, presque agressifs, regard d’un bleu tirant sur le vert, cheveux châtain foncé coupés très court, entra et annonça que le señor Luis Ramona venait livrer les résultats de ses travaux. Il s’agissait d’un des éléments précieux de la police de Mardel, spécialisé dans les écoutes. Carmen lui avait confié le pauvre petit magnéto de Pinaud et le technicien apportait les fruits de son travail. C’était une espèce de sosie du président Carlos Menem, mais un Menem négligé, mal rasé, plein de pellicules, aux fringues râpées et aux yeux trop cernés de masturbé encéphalique.
Il se mit à parlementer avec Carmen et, pour finir, lui tendit plusieurs feuillets dactylographiés en gros caractères.
Elle traduisit à ses amis :
— Ramona a eu beaucoup de mal à transcrire cette bande. Il n’y est parvenu que par bribes et assure que, pratiquement, seuls les propos de l’homme sont parfois audibles. Il a écrit ce qui est discernable.
Elle amena les feuillets dans la lumière intense de son réflecteur de bureau et en prit connaissance, les traduisant en français au fur et à mesure. Ce qui donna ceci :
L’homme : … ces deux types ridicules font ici ?…
La femme : (réponse indistincte).
L’homme : … serait dommage… fonctionné… tout gâcher… Si Miguel… seconde partie programmée… de revenir en arrière… argent ?
La femme : … australs mais… dollars.
L’homme : … O.K… agir sinon…
La femme : (longue phrase inaudible).
L’homme : Partirai tôt…
La femme : … peur… Et si…
L’homme : … cune inquiétude… plus parler…
La femme : (inaudible)
L’homme : … ton bonheur… (bruits de baisers)…
Fin de la transcription.
Carmen Abienjuy sourit au faux Carlos Menem.
— Merci, Ramona. Je pense que vous nous êtes très utile.
Il frémit, la lécha moralement de fond en comble et sortit à reculons et à ressort.
Elle était devenue flic jusqu’au fond de sa petite culotte festonnée, étudiait le document.
— Essayons de combler les blancs, fit-elle enfin.
Elle lut, d’un ton marmonneur :
— Qu’est-ce que ces deux types ridicules font ici ?
— Merci pour eux, grommela Béru.
Mais elle n’y prit garde et continua :
— La femme répond quelque chose qui, sûrement, exprime l’ignorance, mais aussi le doute puisqu’il assure que ce serait dommage. Qu’est-ce qui serait dommage ? Que votre intervention fasse échouer un projet alors que tout a bien fonctionné jusque-là. Il ne faudrait pas que les deux imbéciles (pardon mes amis) viennent tout gâcher. Si Miguel (c’est-à-dire le señor del Panar) avait des doutes, cela pourrait compromettre la seconde partie du programme. Il doit être impossible maintenant de revenir en arrière. A-t-elle réuni l’argent nécessaire au, financement de cette seconde partie ? A quoi Mme del Panar répond qu’elle l’a réuni en australs mais qu’il pourra convertir la somme en dollars. Son frère est satisfait, son O.K. le montre. Toutefois, il émet une réserve, voire un avis. Il dit, vraisemblablement, qu’il est indispensable d’agir, sinon il ne répond de rien. Sa sœur doit proférer des recommandations. Il lui répond, en conclusion, qu’il repartira tôt le lendemain. Là, elle continue de formuler des craintes et parle de peur. Elle émet des hypothèses fâcheuses : et si… En bon frère, il la rassure. Qu’elle n’ait aucune inquiétude, dans peu de temps elle n’entendra plus parler de rien. On ne sait si elle est réconfortée ou si son inquiétude demeure. Toujours est-il qu’il lui promet de ne vouloir que son bonheur. Puis il l’embrasse.
Carmen lâche les deux feuillets.
— Correct ? demande-t-elle à ses interlocuteurs.
— Rais’n’ment royal et insub’mersible ! déclare catégoriquement Béru.
Le directeur décroche le téléphone.
— Passez-moi la police de Santatampax ! ordonne-t-elle. (Elle ajoute :) Et faites-moi préparer un hélicoptère pour quatre passagers. Qu’il attende sur l’aire d’envol de l’hôpital voisin.
Pinuche et Béru sont impressionnés par la calme détermination de leur « consœur ». Une vraie pétroleuse soudain, dure, implacable, autoritaire !
Elle va à un placard, l’ouvre, décroche un holster contenant un revolver et en ceint son saint sein. Puis désigne l’intérieur du meuble aux Français :
— Venez vous charger, mes hommes ; on ne sait jamais !
Là-dessus, le biniou tinte : c’est la police de Santatampax. La cheftaine se met à baragouiner avec ses collègues de la Pampa. Elle leur parle froidement, d’un ton cassant qui ne laisse pas place aux tergiversations. Quand elle raccroche, elle déclare :
— Le frère d’Hildegarde del Panar avait sur lui une somme en australs équivalant à cent mille dollars.
Elle sonne sa secrétaire et lui ordonne de prévenir le sergent Alonzo Gogueno qu’il va partir immédiatement en opération avec elle et « ces messieurs ». Qu’il s’arme et se munisse de deux talkies-walkies de portée maximale. Rendez-vous sur l’héliport de l’hôpital dès qu’il entendra survenir un appareil !
Rompez !
Béru suit avec nostalgie la croupe onduleuse de la secrétaire.
— Dis-moi, ma poule, fait-il à Carmen, t’as jamais eu envie d’y mignarder la craquette, à cette gosse ? T’sais qu’un’ p’tite dégustation d’coquillage, dans la foulée, ça n’mange pas d’ bread ! On devrerait l’inviter à une corrida d’ sommier un d’ces quat’. J’sus certain qu’ell’ tiendrait sa place la tête haute. J’t’ voye parft’ment lui tond’ l’gazon pendant que j’t’enfourche levrette. J’te parille qu’sa chattoune a l’goût d’verveine. C’est franco du moule à pafs, à c’t’âge-là ! Et pis ell’ a l’r’gard salingue. E connaît p’t’êt’ pas les trente-six poses, mais y doive pas lu en manquer beaucoup ! Ell’ d’mandrerait qu’ça, la salope ! La banane glissante, t’as rien à lu apprend’. Vraiment, un peu d’sirop d’miches, ça t’ dit rien ?
Carmen Abienjuy hausse les épaules.
— Je ne suis pas hostile à l’idée, mais pas avec les inférieurs.
Le Mahousse ricane :
— Si c’est toi qu’est d’ssus, y t’restent inférieurs, les inférieurs, grosse pomme !
— J’l’voye ! jubile Bérurier : j’ai un œil d’ larynx. Là-bas, su’ la droite, on aperçoive la grange derrière l’ bosqueteau, et l’ camion en rideau.
Ils regardent tous et conviennent.
— Donc nous arrivons à temps, se félicite Carmen. Vous avez tout bien compris, Alonzo ? Tout, directeur !
C’est un jeune beau gosse, avec des favoris bas, taillés carré, des cheveux noirs brillant comme une toile d’araignée givrée, la mâchoire carrée aussi. Béru se dit que la Carmen se l’embourbera probable, maintenant qu’elle est « libérée ». Il fera partie de sa prochaine charrette amoureuse. Elle voudra se faire calcer à la langoureuse sur le coin de son bureau, sans s’être déloquée, la culotte simplement tirée sur le côté et elle la maintiendra écartée, pas qu’il surchauffe du membre, le beau sergif.
L’appareil se pose à peine. Le sergent Alonzo Gogueno saute, courbé en deux, comme on fait instinctivement lorsqu’on se trouve sous les pales d’un hélicoptère.
Le zinc paraît faire un plongeon à l’envers et bondit dans le ciel. Ils voient Alonzo s’amenuiser et se glisser sous le camion.
L’hélico décrit un vaste arc de cercle d’environ cinq kilomètres de diamètre et va atterrir derrière une colline au bas de laquelle coule un ruisseau enchanteur. Le pilote stoppe le moteur. Les oreilles des passagers retrouvent une sérénité qu’ils croyaient à jamais perdue. Ils se détachent et mettent pied à terre. L’endroit sent bon l’herbe fraîche, les fleurs des champs. Le Gros annonce que le coinceteau est propice à une sieste. Pinaud fait chorus.
Voilà les deux aminches allongés à l’ombre de noisetiers. Carmen essaie le talkie-walkie et appelle le beau sergent (qui risque fort de devenir lieutenant avant longtemps). Ça fonctionne aux petits pois. Un instant de félicité bucolique, presque paradisiaque les submerge. Le silence n’est troublé que par le « roi mage des oiseaux », comme dit Béru. Le soleil est tiède, la nature infiniment belle. Béru ronfle bientôt, bruit grondant de torrent fougueux s’engouffrant dans les profondeurs de la terre. Pinuche se joint à lui, mais ses ronflades sont menues, sifflantes, flûtées, avec des brisures d’asphyxié qui, pourtant, ne le réveillent pas.
Le pilote s’est également allongé dans l’herbe rase. Un homme d’une quarantaine d’années, précocement gris, avec des traits craquelés par la vie au grand air.
— Vous permettez ? murmure Carmen Abienjuy.
Elle se couche perpendiculairement à lui et prend le ventre du pilote comme oreiller. Il en est pétrifié d’émotion et n’ose bouger, même pas respirer à sa faim. Comme il a bouffé du chili à midi, ses intestins gargouillent et il a honte. Carmen dissipe son humiliation en lui taillant une petite pipe sans histoire, du genre pique-nique.