SUITE (Épique)

La soirée se prolonge. Marinette annonce que, par suite d’un malaise, Paquito (le partenaire de Paquita) ne pourra accomplir d’autres prestations chorégraphiques ce soir. Murmures de désappointement. Pour calmer les esprits, elle ajoute que Paquita se produira seule. Applaudissements. Excepté quelques tantes, les clients de La Tour Eiffel sont beaucoup là pour la grâce féline de la danseuse.

Cela fait deux plombes qu’Alonzo Gogueno a quitté les lieux, lorsqu’il réapparaît, un léger sourire aux lèvres. Il reprend sa place entre les deux aminches. Pinuche s’est endormi sur la table, le front dans le creux de son coude replié ; son bada est cabossé comme un carton tombé sur une route à grande circulation.

— J’ai les renseignements, annonce-t-il. La voiture est bien devant le bar. Elle appartient à Veronica Trabadjabueno, la fille d’un gros importateur de Buenos Aires. Cette souris a donné et donne encore bien du souci à sa famille. Très jeune, elle a eu des difficultés avec la police : drogue, vols de voitures, et même attaque à main armée d’une banque de province. L’argent et les hautes relations du vieux sont parvenus à lui éviter la prison : on a mis sur le compte d’une déficience nerveuse ce qui est, en réalité, un fort instinct criminel. Elle a effectué plusieurs séjours dans des cliniques spécialisées pour « cacher la merde au chat », comme nous disons en Argentine, mais ses parents vivent dans les transes. Elle passe ses nuits avec des amis douteux, dans des endroits comme celui-ci, claquant un argent fou qui ne provient pas de son père, celui-ci lui ayant coupé les vivres…

Béru donne une tape dans le dos de son confrère argentin. Alonzo en fait une quinte de toux.

— Beau travail, fils. J’voye clair’ment c’dont y s’agite : un’ fille à papa cinoquée. Elle a formé une bande pour d’rire. C’est moins l’oseille qu’ l’aventure qui la fait mouiller. Vise-la, là-bas, avec ses potes : des plombes qu’elle chuchote. Ces criminels amateurs sont les pires. Rien n’les arrête parce quy JOUENT à êt’ des criminels, comprends-tu-t-il, mon p’tit Alonzo ?

— Que comptez-vous faire ? murmure Gogueno.

Alexandre-Benoît branle tu sais qui ? Le chef !

— Ils ont raté l’coche, la nuit dernière, et les v’là excités comme des poux ; alors y complotent pour r’froidir l’gamin d’une aut’ manière. C’s’rait intéressant d’avoir l’magnéto à Pinuche placardé au-dessus d’ leur tab’.

Il produit son effort cérébral le plus intense depuis que l’homme a marché sur la Lune et d’un ton de médium déclare :

— J’voye un’ soluce, mec ! J’voye…

Dévotionneux, Alonzo attend.

— Ces aristos d’merde, poursuit le Gros, faut les coiffer à la brutale. T’sais c’ qu’y craindent, tous ? Les gnons, mon frère ! Les big tartes aux pommes dans la tirelire ! Quand tu leur confectionnes une tronche au carré, là, y s’affalent. C’est des coquins, des rusés, des fortiches, mais des douillets. La douilletterie, v’là leur point faib’, leur étalon d’Achille !

— Vous ne pouvez pas aller les massacrer de but en blanc !

— Non. Faut qu’j’les coinçasse dans un endroit discret.

— Admettons que vous y parveniez, vous ne serez pas en mesure de les contrôler tous ! Car, n’oubliez pas, monsieur l’officier de police, que je n’ai pas le droit d’intervenir. Je suis là à titre préventif, non à titre exécutoire. Protéger le fils del Panar, vous trouver le propriétaire d’une plaque minéralogique, voire des renseignements sur quelqu’un, d’accord. Mais côté action, tant qu’un flagrant délit n’aura pas été enregistré, il ne faut pas y compter, les instructions de la señora directeur sont formelles !

— Pétasse ! rumine Béru.

Il réagit :

— N’importe, j’opérerai avec Pinaud !

Marinette circulant entre les tables, il la hèle d’un geste.

— Ecoute-moi, la Grosse, faut qu’on cause.

Elle s’assoit sur le genou qu’il lui propose, ainsi que le font les taulières de la tradition bordélique.

— Pour en r’v’nir su’ not’ converse d’ t’à l’heure, j’ai envie qu’on fasse un estra av’c mon zob, môme !

— Ah ! tu t’décides ?

— Tes clilles, sous l’estrade, la Veronica et ses aminches, t’es en bons termes av’c z’eux ?

— Tu parles : des années qu’j’ les pratique !

— C’t’à eux qu’tu vas proposer d’mater ma membrane, Cocotte ! Raconte-z’y c’qu’tu voudreras, comme quoi tu viens d’ dégauchir l’plus beau manche du monde. Un Français pafé comme un’ bourrique. La pièce d’collection à n’pas rater. Çui qu’a pas vu ça, n’sait rien d’la bite ! Si, comme j’l’espère, y sont branchés, tu leur annonces qu’ je prends cinq cents dollars pour l’esposer et, au b’soin, la laisser manipuler. Deux cents dollars d’mieux pour fourrer les d’moiselles intéressées ; par cul, naturellement ! Si y veuillent, tu leur racontes comme quoi j’ai pas d’local et qu’y m’emmènent où ça leur chante. Banco ?

Marinette, bonne fille, se lève.

— T’es un sacré loustic, Alexandre ! J’aimerais savoir ce que tu as derrière la tête…

N’empêche qu’elle gagne la table de Veronica Trabadjabueno. Elle s’accroupit au milieu du groupe et se met à parler à ses bizarres clients.

— J’sens qu’ça va jouer, annonce le Gros. Mon instincte s’goure jamais. Si c’est O.K., tu t’casses et t’attends not’ décarrade au volant d’ ta tire. Ton rôle s’ra d’nous filocher, qu’au moins tu suces où qu’on gît, si ça tourne mal !

Il réveille Pinaud.

— Rambouillet ! lui crie-t-il à l’orée de la feuille. Tous les voiliageurs descendent d’ voiture !

César revient au monde immense et radieux. Il remue ses lèvres comme un que ses profondeurs taquinent mochement.

— Je crois que tu avais raison, murmure-t-il.

— A quel propos ?

— Au sujet des chorizos. Voilà que je reprends mal au ventre !

— T’es pas voiliageable ! s’emporte Béru. Si tu sens qu’ ça foire, va à l’hôtel, ça r’pos’ra la lit’rie d’ la mère del Panar !

Marinette vient annoncer que les blousons blancs acceptent d’enthousiasme. Elle leur a fait une telle description des charmes discrets du Mastar qu’ils veulent absolument s’offrir ce délicat spectacle.

Alonzo Gogueno se brise sans plus attendre. Là-bas, les quatre se lèvent. Marinette leur adresse un signe et ils s’approchent de la table du phénomène.

Ecce homo ! leur fait-elle, en montrant Béru. Puis, désignant Pinuche : son manager.

Le quatuor examine Béru avec un étonnement non feint. Ces jeunes, superbes et beaux, s’imaginaient que le détenteur d’un paf de légende devait être un mâle ardent, baraqué Tarzan. Et qu’ont-ils devant eux ? Un gros poussah cradingue et mal rasé, qui pue la porcherie.

— Il trompe son monde ! plaide Marinette qui devine leur scepticisme. Laissez-lui tomber son pantalon et alors vous vous croirez sur une autre planète !

— On va voir ! décide la Veronica.

Elle leur fait signe de les suivre.

Son copain noir et elle font grimper les deux Franchouillards à l’arrière de la Volvo. La fille se place au volant et se met à rouler comme une perdue dans les rues de Buenos Aires. Ses amis la filent à bord d’une Porsche gris métallisé. Ils traversent la place de Mayo à une allure de missiles.

— Ça me reprend ! larmoie Pinaud à l’oreille de son ami. Je ne vais pas pouvoir me retenir longtemps !

— Faudrait qu’ tu bouffes du riz, déclare le Gros.

Il se retourne. La Porsche exceptée, il n’aperçoit pas de troisième charrette. La petite 5 CV Renault du sergent Gogueno n’a pas pu soutenir ce train d’enfer et a été larguée d’entrée de jeu.

Fataliste, le Mammouth en prend son parti. « On fera sans lui », se dit-il.

L’agglomération de Buenos Aires est très étendue et la course infernale n’en finit pas. Ces écervelés jouent à la roulette russe, enquillant les carrefours sans lever le pied, se contentant d’un appel de phares, ou d’un coup de klaxon quand se présente un danger précis.

Bérurier, relaxe, entonne une chanson que chantait son grand-père dans les banquets : Roule, roule, train du malheur… C’était probablement inspiré de la Bête humaine d’Emile Zola, puisque ça racontait l’histoire d’un mécanicien de locomotive et de son soutier qui se battaient et tombaient de la machine. Le train fou, privé de conduite, se ruait vers la catastrophe inévitable, emportant aux abîmes son chargement de voyageurs joyeux. Mais ça, je t’en ai déjà causé il y a lurette. Les classiques ne meurent jamais.

Enfin, ils arrivent à destination.

La destination c’est le « Tigre », à trente bornes au nord de la ville, soit le delta du Rio Paraná, dont les deux bras débouchent, l’un dans le Rio de la Plata, l’autre dans le Rio Uruguay. Le Tigre est un archipel de petites îles luxuriantes, séparées par une chiée de minuscules canaux. La Venise argentine, en somme.

Les conducteurs ralentissent pour franchir des ponts et finissent par emprunter un chemin à travers un boqueteau. La nature sent fort et bon. Odeur végétale d’eau et de plantes. Bientôt, les deux voitures se rangent côte à côte devant une maisonnette basse, au toit d’ardoise, qui évoque la Bretagne.

Veronica délourde et donne la lumière. Béru découvre un living en contrebas, comme creusé dans le sol ; il faut descendre deux marches pour y accéder.

Tout autour de la dénivellation, des canapés sont aménagés. Au fond, une vaste cheminée en demi-cercle, à la hotte de cuivre sombre. Au centre, quelques tables basses et beaucoup de tapis. Pas sale, le repaire de la bande des snobs !

L’importance du salon et la relative exiguïté de la maison donnent à penser qu’il y a peu de chambres : deux ou trois, et pas grandes !

Les six s’installent au gré de leur fantaisie. Pinaud se tient courbé en avant, ses deux avant-bras comprimant son pauvre cher ventre en panique.

Veronica, qui parle un excellent français, demande à Bérurier s’il souhaite boire un verre « avant ».

— J’ai jamais r’fusé un gorgeon, ma jolie ! rétorque l’homme à l’appendice caudal extravagant.

Il a droit à un whisky. Souate ! Pas contrariant. C’est un tout-terrain de la bite et du gosier, le Plantureux !

Les autres éclusent également. Pinaud refuse en geignant. Alexandre-Benoît se dit que ses compagnons ont des drôles de frimes. Ils sont bien saboulés, clean de partout, mais de vilaines lueurs font briller leurs châsses. Des reflets cruels, si tu comprends ça ? Une malfaisance endémique les anime. De la mauvaise herbe, quoi ! Généralement, elle pousse dans les sales banlieues ; dans leur cas, elle a grandi dans des crèches de luxe. Une sorte de revanche du sort, quoi ! Pas toujours aux mêmes à porter le bitos ! La canaillerie se développe aussi à l’ombre des nurses et sur les banquettes des Rolls.

Tout en gambergeant, il fomente, Alexandre-Benoît. Quatre personnes à neutraliser. Et pas des enfants de chœur.

Il ne suffirait pas qu’il dégaine son feu pour les faire tenir tranquilles : ce sont des coriaces. Et l’endoffé de Pinuche qui est bon à nib avec sa chiasse décidément chronique !

S’il pouvait les anesthésier avec son membre ! Les gonzesses, déjà. Ensuite il opérerait les bonshommes à coups de crosse. Con de Pinuche !

Alonzo Gogueno perdu corps et biens ! La couille ! Oh ! merde ! Il se sent un coup de flou artistique dans l’âme, Béduglas. Cherche sa bonne étoile à travers les vitres cernant le salon, mais on est dans l’hémisphère Sud et sa bonne étoile ne fréquente pas la région. Elle se pavane dans l’autre partie de la Voie lactée, la garce !

— Eh bien, dit Veronica, vous nous montrez votre… différence, cher ami ?

Le Gros ne perd pas le sens des affaires :

— Alors allongez le grisbi, ma jolie. Vous connaissez nos tarifs ?

Elle secoue la tête.

— Pas avant d’avoir constaté qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise !

— C’est contraire z’aux z’usages, assure le Placide. Quand t’est-ce on grimpe un’ pute, on la cigle avant l’embroque !

— Pas nous, gros sac ! Allez, sors ta queue qu’on se marre ! fait le copain blond à la Porsche.

— J’me plaindrerai à Marinette, avertit Béru, ell’ m’a branché su’ du mond’ qu’y sont pas corrèques !

Mais le blouson blanc n’en a cure ; tout ce qu’il fait, c’est de rigoler.

A ce moment de la scène tendue, le téléphone retentit. Veronica décroche, écoute et pousse un hurlement victorieux, onomatopée argentine qui exprime l’enthousiasme.

Elle se retourne vers les autres pour leur apprendre une very good nouvelle. Ils marquent à leur tour un vif contentement et, pour l’instant, oublient les deux Français pour s’abandonner à leur liesse.

— T’as compris c’dont y s’passe ? demande le Mammouth à Pinaud.

— J’ai bien peur, chevrote le chiasseux. Je crois qu’ils se sont emparés du fils del Panar et qu’ils vont l’amener ici !

— Mais y avait un garde à son ch’valet, bordel !

— Que racontez-vous, tous les deux ? demande Veronica, méfiante comme une hyène (où y a de la hyène y a pas de plaisir).

— On cause, répond le Gros.

— Ouvre ta boutique, goret !

Le Mastar hoche la tête.

— D’ac, j’vas déballer l’zoziau, mais t’as tort d’me causer su’ c’ ton, biscotte il est dans ses p’tits souliers au lieu d’épanouir comme un parasol. Moi, j’aim’ l’ montrer en pleine forme ! N’ serait ce qu’ par coquett’rie.

En rechignant, il se défroque. Son bénouze lui choit sur les pompes. Il descend son slip des deux pouces conjugués. Mister Dunœud apparaît. Non dans toute sa gloire, mais très intimidant tout de même. Genre tuyau de pompe à essence. Il pend et, cependant, tu enregistres des promesses dans le frémissement qui le galvanise.

Veronica brandit son pouce pour féliciter le phénomène et lance un quolibet humiliant à ses deux copains mâles. Ils font la gueule. Et pas qu’un peu ! Puis elle se tourne vers la potesse du blond et lui jette un ordre. C’est vraiment elle qui dirige la troupe. L’interpellée regarde son ami. Très pâle, il acquiesce pour confirmer l’ordre. Alors la gonzesse s’agenouille devant le Vigoureux et entreprend de lui choyer le mandrin. Béru, tu le connais ? Une petite secouée mutine, un coup de langue sur la collerette à Julot, et voilà son instrument qui requinque à tout berzingue, prend son essor et se met à diriger la Cinquième comme un vrai chef.

C’est commotionnel comme effet. Un qui ne connaît pas, qu’il soit homme ou femme, est toujours frappé de saisissement à la vue de ce sauciflard dantesque.

Ils matent silencieusement.

— Corrèque ? demande l’Hénorme à la ronde. Alors aboulez l’osier, m’sieurs-dames, avant qu’nous allassions plus loin dans les démonstrations.

— Viens ! fait Veronica en lui tendant la main.

Béru se lève. Pour pouvoir se laisser guider, il enjambe son pantalon et son slip tire-bouchonnés. Le voilà parti sans eux, tel un petit garçon que sa gentille maman entraîne à l’école. Son énorme cul nu, poilu et crevassé de cicatrices, est d’un effet certain sous le veston. De même, ses chaussettes dépareillées et ses godasses complètent harmonieusement le pittoresque de la silhouette.

Le couple sort. Le Noir n’a pas l’air joyce. L’exhibition de ce gros Français tourne mal pour son prestige à lui. Après cette séance, il aura à tout jamais l’air d’un connard aux yeux de sa gonzesse.

Ils se taisent. Le grand blond vêtu de blanc file une mandale à sa poule pour avoir turluté le bâton à un bout de Messire Bigzob. Elle comprend, ne proteste pas.

Veronica referme au verrou.

La chambre, comme l’a laissé entendre l’auteur de ce pur chef-d’œuvre, est minuscule : un plumard, un placard mural, un fauteuil.

— Allonge-toi sur le lit ! enjoint la fille.

Tu sais ce qu’il pense à cet instant, l’Obèse ?

Que cette pétasse est celle qui a fait dégorger l’ami Alfred et l’a plongé dans les noires manigances qui lui valent d’être au trou. S’il s’écoutait, il lui décollerait la tronche d’une mandale. Il en pratique de vraiment meurtrières, parfois. C’est la terreur des cervicales, Béru ! Une bielle de loco lancée à toute vibure est comme anémiée, comparée à sa droite.

Il s’étend, nez en moins, et attend.

Elle le contemple avec un rire mauvais.

— Tu n’es pas un phénomène, tu es un monstre ! fait-elle. Tu es sale, grossier, grotesque, puant. Ton énorme membre est une anomalie de la nature.

L’Hénorme se contient.

— P’t’êt’, admet-il. N’empêche, poupée, qu’ si tu l’morfles dans la casemate, tu d’viens tout’ chose du réchaud. T’as la craquette qui part à dame ! La bouche d’en bas qui bave des rondelles d’ sauciflard ! L’ minou qui déjante ! L’ nénuphar de culotte qu’épanouit ! J’ai tringlé des milliers d’sagouines, espère, à part trois-quat’ qu’étaient trop z’étroites du chaudron et trois ou quat’ zaut’ qui cramaient du frigounet après la séance, j’ai eu qu’ des compliments, des suppliances à recommencer, des pâmades qu’en finissaient pas. Pose ta culotte si t’en as une, c’qu’est pas certain v’nant d’une greluse comme toi, et grimpe-moi en danseuse, ma poule ! C’qu’en découl’ra, tu l’oublilleras jamais. Tu s’ras au paradis. Et encore, j’ai idée que les zélus du paradis doivent s’plumer un peu la banane à s’gratter l’trou du luth.

Contrairement à l’estimation, Veronica porte une culotte. Et même une culotte classique, de bon ton.

Elle la décarpille.

Juste comme elle l’envoie dinguer à travers la pièce du bout de son pied mutin, on tambourine à la porte. Elle va ouvrir. Le négro, son pote, pénètre comme un fou dans la chambre, les lotos dégoulinant sur ses joues sombres.

Il fulmine :

— Ecoute, Véro, tu as envie de te le taper, bon ! Mais je te préviens que quand ce sera terminé, je lui couperai la queue !

Et de sortir un lingue dont il fait jaillir la lame d’une poussée.

— Qu’est-ce y veut, c’gorille ? questionne le Gravos.

Elle lui traduit. Alors Mister Bérurier fils, qui se trouve également être Bérurier père (et même Bérurier paire) se dit que le moment d’agir est idéal étant donné que le quatuor se trouve divisé en deux duos.

Il cueille l’oreiller par-dessus sa tête et le lance dans le portrait de l’énergumène. Le temps que celui-ci ait exécuté la parade, Alexandre-Benoît est déjà debout et lui file sa tatane gauche dans le service trois-pièces. Le méchant lâche sa lame pour sles frangines et tombe à genoux en geignant. Béru l’assaisonne d’un second coup de latte dans le temporal. Le black se fait (également) dans l’esprit du jaloux. Out ! Flegmatique, Mister Cognedur ramasse le ya, fait rentrer la lame dans le manche et le glisse dans une de ses chaussures.

— Escuse-moive pour ton petit copain, mais j’ supporte pas les m’naces.

Il empoigne le groggy par sa ceinture pour le coltiner, telle une valoche, jusqu’au placard mural penderie dans lequel il le bouclarde.

La Veronica est confondue.

— Dis donc, tu n’as pas froid aux yeux ! admire-t-elle.

Bigbraque flatte son zob de la main, comme s’il s’agissait d’un animal familier :

— T’as déjà vu un gonzier avoir froid aux châsses, avec un ardillon commak dans sa musette ?

Conquise, elle lui noue ses beaux bras de femelle autour du cou.

— Tu es un salaud excitant ! avoue-t-elle.

— V’là comm’ y faut m’causer, gazouille le Mastodonte, j’raffole les mots tendres.

Et de la bicher par les miches pour la balancer sur le paddock.

— Allez, ouv’ ton brancard, ma bien chère sœur, j’vas t’entr’prend’ à la papa pour débuter. Faut doser les efforts, ma Colombine. N’à quoi bon t’ démonicher à coups de braque ? J’sus un monstre délicat. Je décarre dans la Chantilly, moi ! Tiens : une minouchette d’ reconnaissance, manière d’baliser l’entrée des catacombes. T’aimes la lichouille d’ broussailles, mignonne ? Pas triste, hein ? Ça réveille ? Ça t’met le fion en état de siège, pas vrai ? Oh ! mais mam’zelle crache pas dessus. Ell’ s’fait brouter l’gazon à ses moments perdus, j’sens. Bouge pas qu’j’opérasse un bout d’espertise dans la case trésor. Un, deux, trois, quat’ doigts ! Salutations, marquise ! T’as la babasse confortab’. Faut pas t’présenter d’l’agace-frifri, ta pomme ! T’as la pointure grenadier. C’est pour ça qu’tu t’ paies un Noirpiot ! Les colored sont chopinés d’ première.

« Bon, on va pouvoir passer à l’œuvre n’après c’ te préambulation. J’voye pas pourquoi on début’rerait pas par une bioutifoule levrette à injection dirèque. Pour c’la faut qu’tu t’mettes les seins à plat ventre su’ l’ pieu et n’ensute qu’tu t’remontes l’valseur un max. Bravo ! T’as tout compris. On peut obtiendre un meilieur écartage des jambons, Miss Senorita, plize ? Parfait ! Déjà, j’peux t’annoncer qu’ c’est gagné. Quand t’as la babasse d’une frangine qui t’fait des baisers à vide, tu peux bien inaugurer d’la sute, ma chérie.

« Attends, j’glaviote un chouïa su’ la tronche du monstre, mett’ tous les atouts dans not’ jeu, et c’est l’appareillage du Normandie dans l’port du Havre ! Au départ, bouge pas, assur’ s’l’ment ta position pour éviter les dérapages. T’ent’ras dans la danse une fois la mise en place fectuée. Voilà ! J’l’avais dit : du v’lours ! Oh ! mais dis, c’t’une partie d’plaisir. L’embarqu’ment pour Citerne, comme dit l’Antonio. Venez, Margot, dans ma nacelle ? M’man qui chantait ça quand elle était joyce. Ma parole, t’vas z’êt’ obligée d’marner d’la collerette pour m’emmitoufler l’ Pollux. On aura tout vu ! »

Ils s’escriment en grande fougue d’amour. Le bonheur que ressent Béru est nouveau. Il le stupéfie. Bibendum ne parle plus. Il besogne à âme et biroute que veux-tu, soucieux de prodiguer un ineffable plaisir, lui qui travaille ordinairement en force, sans trop se soucier du capiteux.

C’est une chevauchée éperdue, avec des périodes de valse lente, et d’autres de jerk endiablé. Il y a des arrêts haletants qu’ils respectent, souffle à souffle, collés par la sueur. Des redémarrages langoureux qui durent longtemps avant de trouver le rythme éternel.

Ça se prolonge que tu peux pas savoir combien, et moi non plus, et Bérurier non plus.

A un moment, Veronica a un léger hoquet. Elle chuchote à l’oreille du Surbraqué :

— Oh ! je t’aime…

Et tu sais quoi ? Tu sais vraiment quoi ?

— Moi z’aussi, lui répond Béru !

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