Le dadais, Béru pige que ça va être fastoche de le protéger. Quand il a la révélation que ses jours sont en danger, il se liquéfie et joint ses pestilences intimes à celles de Pinaud. Faut le voir verdir sous ses bubons plus ou moins juvéniles, le branleur ! Faut l’entendre claquer des ratiches pour donner un récital de castagnettes. Il pleure, dit qu’il a peur. Il veut qu’on le préserve de tous les dangers. Qu’on le mette dans une pièce blindée avec des tireurs d’élite, un gilet pare-balles.
L’Eminence, ça commence à lui pomper l’air, ces simagrées, ces miasmes épouvantables. Il se dit qu’interpréter un rôle de prélat dans un bouquin de Santantonio, merci bien de la corvée ! Il est tombé chez un romancier à la con, impertinent, scato, mal embouché ! Alors il joue cassos après avoir distribué quelques bénédictions. On ne le reverra plus. Envoie-lui un baiser, j’en ai plus besoin.
Pendant que Rosita del Panar le raccompagne à la lourde, Béru fait signe à Pinaud de se lever, saisit la banquette de deux mètres et la retourne. Il était temps : l’auréole tournait en flaque. Une diarrhée, tu peux jamais prévoir ses conséquences.
— Que vais-je faire ? lamente le Débris.
— On prendra tes mesures et on enverra la vieille bonniche t’acheter deux ou trois grimpants et quat’ ou cinq slips.
Au retour de la Répudiée, Béru exige un état des lieux. L’appartement, outre la partie réception, se compose de cinq chambres dont quatre en rang d’oignons. Celle du bout appartenait à Conchita, la suivante est une chambre-à-donner, puis vient la plus vaste : celle de la daronne, contiguë à celle du petit dernier. La cinquième est plutôt un débarras pourvu d’un vasistas, elle jouxte la cuisine et, tu l’as déjà compris, c’est la servante naine qui l’occupe. Le Maître réfléchit sous les regards conjugués de ses hôtes.
— Bon, tranche-t-il, faucon modifille tout ça. Le gamin va s’installer dans la piaule d’la p’tite vioque, moive et Pinaud, on va prend’ la sienne et la nainte s’rabattrera su’ la chamb’ d’aminches.
Salvador étudie le français comme seconde langue au lycée ; il parvient à piger l’organisation du Gros.
— Faut qu’tu vas m’comprend’, p’tit gars : la turne d’l’esclave donne sur rien pisqu’ell’ a pas d’fenêt. Le vasistas, pas même un macaque pourrait y passer et j’vais l’clouer n’en plus. Nous, dans ta carrée, on est aux premières loges pour si les r’quins donneraient l’assaut. Donc, concernant la maison, ça baigne. Jusqu’à la nouvelle ordre, tu quittes pas l’ gratte-cierge. On va faire courir l’bruit qu’t’es malade. Ta mère appel’ra vot’ docteur, ira au pharmacien, tout bien. Et on attendrera. Le père Lapine musardrera dans l’secteur pour r’tapisser si des mecs surveillent l’immeub’. Il a un œil magistral concernant la détectance des planqueurs. C’t’un don d’naissance, chez lui. Y r’père illico ceux qu’a pas d’raison d’se trouver là.
« T’as bien pigé, La Trouillasse ? No couechetiones ? Parfait. Maint’nant faut quj’te d’mande un renseignement capital, mecton : est-ce qu’ la jaffe est-elle bonne, chez vous ? Pour moi, c’t’un’ condition signée canon. Quel genre d’plats elle mijote, la nambotte ? Par exemple, just’ pour dire ? Du lapin sauté à la tomate ? Moui, comme hors-d’œuvre ça peut z’êt’ plaisant. Et aut’ment, Dudule ? Hein ? Cause plus fort ! De ?… De l’humita ? Ça consiste en quoice ? Purée de maïs, oignons, poivrons ? Et c’est tout ? Pour accompagner une côte de bœuf, j’insurge pas, mais pris nature, c’t’un plat d’hosto. Faut qu’nous causassions à Miss Trois-pommes ; quand on vit en communauté, on a intérêt à mett’ les poings sur les ouïes d’emblée ! »
Naturellement, Pinaud déféqua au lit cette nuit là. Le damné de la théière souffrait mille angoisses préfiguratrices d’un vilain trépas. Il réveilla son compagnon de lit pour lui faire constater la situation et, au besoin, lui dicter ses ultimes volontés. Il avait des hoquets insalubres, des gargouillis tout plein rigolos qui ressemblaient à la bande sonore d’un dessin animé dont on ne perçoit pas les paroles. La chose se manifestait d’abord dans la chambre d’échos de l’estomac, puis s’assourdissait pour suivre le vilain serpentin des intestins avant de débouler, tonitruante, sur le drap de dessous de Rosita del Panar, lequel n’en pouvait plus. Cela s’opérait par salves, ou par vagues, l’une ou l’autre expression convenant à la situation.
Le Gros sauta du lit, à peine éveillé, et évalua le désastre.
— J’croive qu’t’es bonnard pour entrer en clinique, vieux peigne ! décréta Alexandre-Benoît. Rester dans l’grand monde en sulfatant de l’oigne av’c c’te violencerie, on peut plus tolérer, j’vais préviendre la mère Tartempion.
Justement, un rai de lumière filtre sous sa porte. Bérurier frappe doucement. On ne lui répond pas, alors il tourne le loquet et entrouvre. Il voit la malheureuse mère agenouillée sur un prie-Dieu devant la statue de la Vierge Marie. Les yeux fermés, la tête dans les épaules, elle récite à toute volée un chapelet à gros grains. Elle est en chemise de nuit de soie. Elle a dû se gratter le dargeot car sa limouille est retroussée et enfoncée dans la raie culière. Le Gros, brusquement, trouve la vieille chouette intéressante, vue de dos. Elle possède un pétard comme il les raffole : en forme de potiron, des cuisses blanches et pas abîmées par les varices ou la cellulite. La taille contrebasse à cordes. Ses cheveux déchignonnés tombent bas dans son dos. Voilà le taureau normand allumé instantanément par ce paysage.
Il se racle la gargane. La daronne sursaute. Confuse d’être surprise en prière comme d’autres le seraient dans la fantasia d’un coït en levrette.
— Escusez-moi si j’vous pardonne, balbutie le Mahousse. J’ai vu du feu, alors je m’aye permis d’ viendre.
— Mon fils ? égosille la pauvre dame.
— Non, non, d’c’côté tout baigne. C’est rapport à mon collègue qu’est malade.
Ils ont beau s’exprimer chacun dans sa langue maternelle, étrangement, voilà qu’ils se comprennent.
Il explique l’affaire du maté, jointe à la nourriture viando-féculencière qui a ravagé l’intérieur de cet être délicat qui ne tolère que des mets discrets.
Elle est bonne, la Rosita. Généreuse dans ses malheurs. Elle va prévenir la naine de se manier le cul pour changer la literie. Inutile d’alerter le corps médical, elle possède des remèdes contre les grandes chiasses d’équinoxe. Il va croquer deux dragées et ses « ennuis » s’arrêteront, Pinaud. Elle ne s’est toujours pas aperçue du gag de sa chemise remontée et bloquée entre ses miches. Béru arrive pas à se rassasier l’œil.
De devant, elle est pas triste non plus, Rosita. Vu que son vêtement de nuit est tiré, ça lui dessine la moulasse comme si on y était. Cet amateur éclairé de Béru, ce taste-chaglattes, ce pourfendeur de frifris, tu penses s’il le repère, le triangle des Bermudes de la mère Panar ! Elle s’offre un tablier de sapeur grand format, mémère ! La pilosité guenon ! Lui, il peut pas résister devant ce déferlement de poiluches ! C’est trop animalesque pour qu’il lutte longtemps contre ses bas instincts. Seulement, dis, charger une dame en grand deuil, c’est malséant, faut convenir. Une éperdue en dévotion qui tient encore son chapelet de compétition à la main, y a qu’un goujat qu’oserait s’y risquer !
Ils sont là, soucieux de part et d’autre pour des motifs complètement différents. Et puis s’opère alors quelque chose d’entièrement nouveau : Rosita qui n’avait jusqu’alors regardé que le visage de son interlocuteur, baisse les yeux d’un mètre. C’est la secousse électrique haute tension ! N’ayant pas de pyjama, Béru dort avec son tricot de corps à grille et son slip. Je t’ai causé déjà de l’extrême extensibilité de ce dernier. Il est lâche de partout, et sa poche kangourou ne contient même plus ses formides roustons ! Comme la présence de la dabuche l’excite à outrance, y a déjà lulure que son camarade pafosky a opéré sa perestroïka. Il est sorti à droite du rideau de scène et salue le public.
Dame Panar méduse, incrédulise. C’est chaque fois la pareille, je vais pas me faire suer les glandes à te décrire la stupeur d’une dame prieuse, en arrêt devant ce sexe molosse comme un setter irlandais devant le terrier d’un renard. Elle a rougi, violi, pâli, bleui, verdi. Sa bouche s’est béantée, ses narines de toucan se sont pincées, ses yeux tournent comme les boules d’une loterie dans leur sphère. Même ses oreilles qui bougent, tu te rends compte, vicomte ?
Béru qui la voit tomber pâle se précipite et la saisit de ses bras musculeux.
— Vous défaillassez, marquise ? il balbutie.
Il la porte en travers du lit, lui donne des petites tatapes sur les joues.
— Evanouissez-vous pas, ma gentille. Y a pas d’danger. Tant qu’ j’ s’rai là, votre crevard ne craignera rien, foie de Béru ! Oh ! mais elle va aux quetsches, la pauvrette ! Seigneur Jésus, c’qu’elle est bathouze, av’c son nich’mard et ses bayonnes à l’air lib’. E s’ferait raboter l’nez et ôter ses salop’ries de verrues, é deviendrerait presque bioutifoule. Oh ! merde, du temps qué vadrouille dans l’potage, faut qu’j’ lu mate la cressonnière, l’occase est trop belle !
« Montrez voir un peu l’panorama, nob’ dadame ! Pile c’qu’ je croiliais voir ! Dieu de Dieu, c’te forêt à mazonière ! Faut défricher la broussaille pour atteignir la grotte merveilleuse ! J’en aye vu, des bas-vent’ en friche, mais à c’tel point, jamais ! Comme c’est noir et brillant, et soilieux ! Attends, darlinge, qu’j’te peigne la mollusque av’c les doigts. Où qu’elle s’cache, la clairière d’amour, Baby ? Ah ! la v’là. Y la déplanque ! Oh ! c’clito, ma poupée ! Tu dirais l’corail’d’une coquille Saint-Jacques. Et puis ça possède du fumet ! Tu parles : des années de bouteille, prude comm’ v’là maâme ! Un p’tit coup d’menteuse pou’ le remett’ en condition. Just’ su’ le pourtour !
« Tiens, on dirait qu’a frémi ? Mais oui, pas d’erreur, dans son sub’, la jolie chérie ressent du bonheur. Tu parles : un’ p’tite langue fourrée princesse après ces années d’exil, ça réveille l’sensoriel ! C’est comme j’y f’rais les soins intensifs, la respireration artificieuse. Tu veux parier qu’é va r’muer du prose, doucettement, sans s’l’ment s’en aperc’voir ? Tiens, qu’est-ce j’disais. La nature qui cause, quoi ! Qui r’prend ses doigts ! A preuve, médème porte la main à sa choucroute. Ell’ garde les yeux fermés, mais é s’mignarde la case trésor. C’est la vie, qu’veux-tu ! Insurger s’rait con. Elle est à bout, c’te pauv’ créature. Son concerto d’cramouille, ell’ peut plus l’retiendre. L’heure esquise qui la grise !
« Attends, lâche ton chapelet, mon cœur c’s’rait pas corrèque d’limer av’c. Voilà, maint’nant oublille tes misères, l’bon Dieu t’accorde un moment d’répit avec Mister Queue-d’âne. Rate pas le coche et take ton fade ! Comm’ une lett’ à la poste, ma belle ! Occupe-toi d’rien, j’ai les billets. Allez, la mère, on démarre dans les tendresses. Ça crée l’ moileux ! Le confortab’ ! Assure bien tes marques pour après, quand on aura franchi l’mur du son. Chique plus à l’évanouisse, ma poule. Faut avoir l’courage de ses sens. Le cul, chagrin, pas chagrin, quand y t’biche, tu peux pas lutter. »
A cet instant décisif, la soubrette naine vint annoncer que le señor malade venait d’être changé. On avait placé une alèse sous lui, répandu du déodorant et il avait pris les dragées salvatrices.
Elle s’interrompit en découvrant les lentes gesticulations auxquelles se livrait sa patronne. Comme dans sa famille on était vierge de mère en fille, elle crut à quelque exercice chargé de développer les abdominaux.
Dans un sens, c’était assez bien vu.