Tu voyes, dit Béru à Pinaud, c’t’une bagnole commak dont il t’ faudrait. Quand t’est-ce t’embugnes un gus, c’est sa tire qu’est plein d’bosses, toi tu continues ta route en père turbable.
Il désigne un stand où sont présentés en forme de trèfle trois monstres américains, hauts sur pattes et bardés de pare-chocs dits anti-buffles.
Comme la Vieillasse hoche la tête, Sa Majesté reprend sa plaidoirie avec plus de véhémence :
— Ta Rolle-Rosse, j’veux bien pour draguer les péteuses qu’ont jamais traîné leur p’tit cul pommé d’dans, mais en cambrousse, elle vaut pas tripette ! Pour ta propriété d’Touraine, c’t’un carrosse textuel qu’y t’faut. Rends-toive compte d’ce qu’tu peux trimbaler avec. J’te prends pour préparer l’réveillon d’ Noël, sans aller plus loin — les dindes, le boudin blanc, le champagne, les bûches. Et n’en plus tu peux tirer une gonzesse à l’arrière si tu rabattrais la banquette.
— Tu crois ? s’allume la Vieillasse, soudain alerté.
— J’te parie une pipe au bois d’Boulogne. Tu vas voir !
Il s’approche d’un minuscule salon aménagé près des véhicules où une hôtesse en uniforme rouge délivre des catalogues aux possibles clients.
— Escusez-moi si j’vous d’mande pardon, mad’m’selle, l’aborde-t-il. Puis-je-t-il vous solliciter un service démonstratif ?
— Mais je vous en prie ! s’empresse la préposée, une fausse blonde avec peu de nichons mais un rutilant sourire de pute.
Le Gravos lui désigne l’un des véhicules.
— Si vous voulassiez bien transformer l’arrière en braque…
La fille s’active, ploie la banquette, la fait basculer contre le dossier de l’autre. Un fort volume se propose alors.
— J’veux prouver quéqu’chose à mon ami, déclare Alexandre-Benoît. Cela vous ennuierait de vous allonger su’ la moquette ? Comme ell’ est toute neuve, vous risquez pas d’vous salir.
Docile et bien « formée » à sa besogne, la donzelle obéit. Béru escalade alors le hayon et s’agenouille entre ses jambes.
— Tu t’rends compte d’la margelle d’action qu’tu prédisposes, César ? lance-t-il à Baderne-Baderne. Moi, c’te ravissante, j’pourrerais même la tirer en levrette, lui faire 69, la grimper à la due Dos-au-mâle, que savais-je encore !
Tout en parlant, il s’est déganté le Pollux. La « démonstratrice » qui commence à trouver l’expérience douteuse va pour se redresser, mais le braquemard effarant du Gros la sidère.
— Soye charitab’, vieux ! bredouille Bérurier. Ferme l’arrière et va amuser l’vendeur, pas qu’y ramène sa fraise.
Ayant dit, avec cette fougue, imparable et cette dextérité qui n’appartiennent qu’à lui, il arrache d’une secousse le mignon slip de la fille et se met en batterie en chuchotant :
— Pas d’panique, Baby, j’ t’fais une grand’ première : la troussée cosaque en plein salaud de loto, j’veuille dire : en plein salon de l’auto ; tu m’troubes !
— C’est de la démence ! crie la môme.
— Non, ma poule : c’est la vie. Un esploit pareil, quand tu le raconteras à tes copines, elles voudront jamais l’croire. Et pourtant, qu’est-ce qu’est en train d’ s’enquiller ma grosse tête chercheuse ? Comme dans du beurre, Chouchou ! C’est rare qu’une gonzesse m’reçusse cinq sur cinq d’entrée d’jeu ! Dis donc, ta babasse, c’t’une fosse d’orchestre ! En tout cas, ça c’est d’la bagnole. Haute pareillement et les vitres teintées, on peut s’donner du bonheur sans qu’ça soye télévisé. T’apprécies la bonne marchandise au gars Sandre, Poupette ? C’est pas tous les jours qu’t’as droit à une ration travailleur d’force, avoue !
« C’t’une combien d’cylind’ cette calèche ? Huit ? En tout cas, pour ce dont il est des amortisseurs, chapeau ! Tu sens comme on opère dans le moileux ? Un vrai v’lours. Faut dire que tu lubrifies d’première, ma gosseline. J’ai rarement calcé une frangine aussi opérationnelle du frifri. Sans manigances prélavables ! Directo du producteur au consommateur ! T’es un don du Ciel ! Faut dire qu’t’aimes grimper en mayonnaise, ça se sent. Tu prends ton goume en pure vorace ; pas d’chichis à la con : t’es une vraie femme, quoive ! Attention, lève pas tes cannes à la verticale que tes paturons vont s’voir d’l’estérieur. Tu veux que j’attaque un canter ? Ouais, t’as raison, on peut pas s’éterniser. Bon, cramponne-toi, je sprinte. Pique de mes deux ! C’est chouette, ma darlinge ? T’sais qu’j’te baratte à mort !
« Hé ! vous, l’bonhomme qui vient de vous asseoir au volant, cassez-vous : v’voiliez bien qu’le véhicule est à l’essai ! Oh ! l’voyeur ! V’là qu’y s’taille une plume d’accompagnement ! Ah ben, il a de la présence d’esprit, c’gnaf ! Vous parlez d’un sans-gêne ! Qu’est-ce tu gazouilles, ma colombe ? C’est bon ? Tu parles ! J’veux que c’est rider ! Allez, on va au fade, chérie : y a du monde qui s’intéresse, ça va d’viendre gênant. Et l’aut’ croquant qui s’astique la membrane comme un babouin ! C’est lui qu’a attireré l’intention générale ! Bon, t’es parée, ma Douceur ? On y va de not’ lâcher d’ballons ? C’est parti ! »
Après ça, ils descendent. La « démonstratrice » est rouge et froissée. Elle courbe l’échine sous les quolibets. Heureusement que Béru est magnanime. Il brandit sa brème de police en braillant :
— Circulez, y a plus rien à voir, sauf les voitures !
Le vendeur est aux prises avec Pinuche. C’est un jeune con, chauvassu du dessus, avec un blazer et la certitude d’appartenir à l’élite.
— Ah ! bon, ça y est, murmure Pinaud en apercevant son pote. (Il ajoute :) En « attendant », j’ai acheté la voiture.
— T’as bien fait, c’t’un emplac’ment d’père d’ famille, rassure le Magnifique.
— Où étiez-vous passée, mademoiselle Latouffe ? demande le chauvard blazéreux à l’hôtesse.
Elle chuchote :
— Aux lavabos, monsieur Legay-Ridon.
César dédicace un chèque plein de zéros. Le vendeur continue de le baratiner quant aux performances de la bagnole. Le Débris n’en a rien à secouer ; tout ce qu’il sait des voitures, c’est qu’elles ont quatre roues, un volant et qu’il faut mettre de l’essence dans leur réservoir. Mais le marchand veut lui en donner pour son argent. Il le traîne au véhicule, lui fait la courte échelle pour lui permettre de se jucher derrière le volant.
Il se sent éperdu, César, sur ces hauteurs. Se croit conducteur de bus à la R.A.T.P. Il panique un chouille, le pauvret. Hèle le Mastar, toujours si avantageux, fier de soi et dominateur.
— Tu viens ? lance-t-il à son compagnon.
Le Mammouth se hisse, côté passager. Dans son rétablissement, il craque le fond de son bénoche. C’est le genre de pépin qui l’affecte fréquemment, avec son cul majuscule et ses fendards toujours en retard de deux tailles sur son obésité montante. Quand il renouvelle sa garde-robe, il prend du deux tailles au-dessus, ce qui lui assure quelques mois de tranquillité, puis les calories reprennent inexorablement l’ascendant !
Malgré tout, le voilà assis auprès de la Vieillasse pinulcienne. D’en bas, M. Legay-Ridon continue ses commentaires élogieux relatifs à la V 8. Quatre × quatre, verrouillage central multifonctionnel, vitres athermiques, lunette arrière chauffante, verre feuilleté, colonne de direction à réglage électrique, ADS, airbag pour conducteur et passager avant.
Il a pas le temps de nomenclaturer davantage. Pinuche a actionné la clé de contact sans se gaffer qu’une vitesse se trouvait enclenchée. La voiture bondit, il veut freiner. Las ! son pied inexpérimenté enfonce le champignon d’accélération ; dès lors, l’énorme tank se rue hors de son stand, sa portière demeurée ouverte frappe la gueule du vendeur qui valdingue. Pinaud ne sait plus quoi faire. Il a complètement perdu les pédales, c’est le cas de le dire.
Son acquisition récente traverse l’allée centrale sans blesser personne, heureusement. Elle pénètre sur le stand Ferrari, emplâtre une Testa Rossa qu’elle accordéonne de première. L’airbag joue illico et deux énormes ballons, en un éclair gonflés, sont les brusques vis-à-vis des deux compères. Rien de plus puissant qu’un V 8 de ce tonneau, gavé de super. Il passe de chez Ferrari chez Porsche où il télescope une Carrera bleu clair métallisé, puis chez Peugeot où il fait une moisson d’aimables 205.
Dans le Salon, c’est la panique. On croit à un attentat terroriste, les visiteurs refluent (et même refluxent) vers les sorties. Peureux, donc charognards, ils se piétinent allégrement. Se bousculent, se tentaculent, se dérobent leurs sacs à main, se glissent des mains aux fesses, jouent les presse-bites, gueulent au secours !
La V 8 satanique a rasé le stand des merguez et des décalitres d’huile bouillante cascadent sur les marches. Elle continue de foncer inexorablement, dépiaute, ce qui n’est pas grave, des tires japonaises qu’était en train de visiter Son Excellence Yamamoto Kékassé, ambassadeur du Japon à Andorre.
Toujours à fond la caisse, le char d’assaut de Pinuche percute une surface vitrée qu’il réduit en miettes et se retrouve sur l’esplanade de la porte de Versailles où il poursuit sa course folle. Il traverse le boulevard Victor, écornant un bus, défonçant un kiosque à journaux, broyant une Fiat Panda, saccageant la terrasse d’une brasserie qu’il franchit de part en part avant d’embugner un galandage séparant la salle des toilettes où un certain Albéric Lenécreux est en train de déféquer en lisant Paris-Turf. Ses pronostics hippiques et ses tribulations intestinales sont ensevelis sous des gravats.
Un silence de cataclysme succède. Puis nos deux amis sortent indemnes du tank.
— T’as compris pourquoive j’te conseillais d’ach’ter c’te chignole ? demande Alexandre-Benoît à son ami. Mate-la, mec : pas une gratignure. T’iras faire ça av’c une voiture française, mon pote ?
Il s’approche du comptoir, nonobstant l’effervescence et lance :
— Deux grands blancs gommés, plize !
Pinuche se pointe, flageoleur.
— On a eu d’la chance, bredouille-t-il.
M. Legay-Ridon, le concessionnaire, arrive, la gueule ensanglantée en hurlant putois.
Béru le biche par la cravtouze.
— Eh ! calmos, l’artisse. V’ d’vreriez nous lécher l’anus, pour la pube dont on vient d’vous faire. V’ vrendez-vous compte qu’tous les journaux vont numérer l’nomb’ de guindes et d’murailles qu’on a disloquées sans qu’ait la moind’ rayure su’ vot’ carriole ! Si j’recevrais pas une forte gratification d’vot’ marque, j’en croirerais pas mes yeux !
Interdit, le chauvasse se rend à l’évidence, entrevoit le parti à tirer de la mésaventure. Il va demander qu’on vienne photographier la voiture perturbatrice dans la brasserie, et puis qu’on reconstitue par l’image sa trajectoire destructrice. Tout le monde va vouloir en acheter une, par ces temps insécurables.
Il hoche la tête, convaincu. Puis, baissant la voix :
— Votre pan de chemise sort de votre pantalon ! confie-t-il.
Le Gravos baisse la tête, avise une étoffe blanche et tire dessus en éclatant de rire.
— C’est pas ma limace, mec, mais la p’tite culotte d’vot’ hôtesse. T’nez, rendez-la la lui ; elle est déchirée, mais p’t’être que bien r’cousue, ell’ pourrera lu faire encore d’ l’usage.
L’autre est vert, du coup.
— La culotte de mon hôtesse ?
— Ouais ! J’peux vous l’confier en camarade : j’y ai filé une p’tite tringlée d’démonstration dans la V 8.
— Mais ! Mais !
— Mais quoive, mon gars ?
— Mlle Latouffe est mon amie !
— Ben j’vous fais mes compliments, rétorque Bérurier sans s’émouvoir. C’t’une p’tite pernicieuse, c’te fille ! J’raffole les gnères qu’ont la babasse comme un’ entrée d’métro. Montrez vot’ pouce. Non, c’est pas vous qu’avez pu lu pratiquer une aire d’ jeu pareille, vous vous payez un’ p’tite affaire de ouistiti ; l’gars qu’a déberlingué mam’zelle, croiliez-moi, y pouvait casser des briques av’c son mandrin ! Mettez un aut’ blanc gommé pour môssieur, garçon, j’sens qu’il a b’soin d’un remontant !
Un peu plus tard, ils arrivent chez Pinaud.
La maîtresse de maison est entre les mains de son masseur, lequel se trouve entre les jambes de sa cliente. Il la besogne les yeux fermés, pas se couper l’envie à cause de sa décrépitude ravalée. C’est un pro, Evariste : masseur-pineur-pour-dames. Les croulantes fortunées se refilent son numéro de bigophe. Ils sont pas mal à sévir sur la place de Paris.
Eux, leur spécialité, c’est l’embrocation avant l’embroquage. Ça leur permet, ces messieurs Bitenfer, de procéder à un état des lieux. Grâce au massage prélavable (comme dit Béru), ils peuvent délimiter les zones praticables et circonscrire celles qui ne sont plus possibles. Telle vieillarde, ils décrètent que « minette », faut plus y songer : trop tari définitivement ; tu perds ta salive pour ballepeau et t’as des haut-le-cœur qui débouchent sur rien. Le pelotage des blagues à tabac, de même, ils déterminent s’il est encore possible la moindre ; mais quand t’as plus que la peau sur la peau, hein ? L’enfournage par l’œil de bronze aussi, c’est délicat, surtout pour la santé de la patiente. Y a des mémés qu’il a fallu hospitaliser d’urgence après un emplâtrage à sec, pour cause d’éclatement des décharnances, voire occlusion intestinale.
La plupart du temps, ça se solde par le calçage classique : grand veneur, à renfort de vaseline ou d’huile d’amandes douces. Quand elles aiment la bouffarde, no problème : le fripon se laisse mâchouiller et déflaque ses produits manufacturés dans la clape à médème. Le danger, chez les Carabosses du fion, c’est l’étouffement. T’as des asthmatiques qui font des collapsus, consécutivement. Alors, en fin de compte, le masseur-pineur-de-dames, il préfère tirer à la papa, en se racontant la Belle au Bois dormant version non expurgée. Les ancêtres, elles sont toutes joyces de la bonne troussée réconfortante. Ça réchauffe leurs bois morts ; les v’là en rupture de cercueil, à se donner l’illuse de ressembler à Vanessa Paradis. Elles redeviennent héroïnes amoureuses, les pauvres chéries.
Dans le fond, ces bons garçons sont des bienfaiteurs, des dieux de la gérontologie. Bravo ! Qu’ils continuent donc d’amidonner les moulasses fripées de nos vieilles indételeuses. N’y voyons pas scandale, mais charité chrétienne, bien qu’elle soit à but lucratif.
Le vit, c’est la vie !
César aperçoit donc madame sur la table pliante du masseur. Lui, orfèvre, se livre à son boulot avec mesure, au point de calcer sa cliente sans ébranler la table. Le fait que la Pinaudère soit sur cette étroite surface de cuir confère un côté clinique à « la chose ». Il lui triturerait les orteils que ça ferait le même effet aux spectateurs, fussent-ils son époux, si l’on peut dire.
— Ça soulage, hein, mon trognon ? lui lance familièrement Béru.
Et les deux arrivants s’asseyent en bordure de la couche démontable.
Le kinési est un gorille musculeux sous sa blouse blanche. Beaucoup de poils, et des vrais : noirs et frisés serré.
Peu de front, le regard con, l’air appliqué. Il tient de ses fortes paluches le maigre dargeot de la patiente et le va-et-viente. Comme un ustensile ; tu croirais qu’il s’applique un cataplasme de pauvre cul autour de la bitoune. Cette dernière est valable. Diamètre estimable, longueur légèrement supérieure à la moyenne, brune de peau, coussin de crins à la base. Il lime masseur. C’est méthodique, sans passion. Travail honnête.
— Ça va, la santé, Alexandre-Benoît ? demande dame Pinuche d’une voix un tantisoit altérée.
— Ça peut pas être mieux, assure cet optimiste.
— La famille se porte bien, aussi ?
— La pêche ! Apollon-Jules est chez Mme Félicie, la mère à l’Antonio, vu qu’ ma Berthe a parti en Normandie soigner sa sœur qui s’est nazé les deux guitares en changeant ses rouleaux d’ papier tue-mouches au plafond. C’te grosse vache qui met un tabouret su’ la table pour grimper dessus. Cent vingt kilos ! Un tabouret à trois pieds !
La Pinaude pinée émet les lamenteries d’usage.
— Si vous pouviez un peu plus fort, Evariste, implore-t-elle, et me soutenir les jambes : je fatigue des jarrets.
Lui, chose payée, chose due. Prestation irréprochable. La cliente est souveraine. Il lui ramasse les cannes de ses deux bras arrondis et pousse les feux.
César regarde, attendri.
— C’est beau, la jeunesse ! dit-il, ému. Si je devais lui faire ça maintenant !..
Le téléphone sonne. Il se lève pour aller répondre. Béru s’empare du gros tube de vaseline posé sur le sol. Il lit la marque. Il demande si ça ne « cuit » pas. Le masseur assure que « pas le moins du monde ». La dame Pinaud confirme.
— Je peux vérifier ? les en prie Bérurier.
Ils sont d’accord. Le masseur décule, Bibendum dégaine son infatigable panoche. Le masseur siffle d’admiration. Il demande comme quoi est-ce que ce monsieur serait d’accord, une bite pareille, de faire des extras avec lui ? Y aurait gros à affurer. La duchesse de Branloche, par exemple, qui est insatiable, paierait une fortune pour être entreprise par un goumi aussi féroce. Le Gros répond « qu’y faut voir » et comble Mme Pinaud à ras bord. Elle gémit. Il pousse. La table ne peut supporter ses assauts et se disloque. Il écrase de son poids la femme de son ami. Le masseur vole au secours ! La table est cassée, Mme Pinaud aussi : un orteil ! C’est peu, mais ça fait souffrir.
Béru déconfite et dégode également. Une mesure pour rien ! Incident de parcours. La vie !
Réapparition de Pinuchet. Soucieux, le front bandonéon. Il a glavioté son mégot. Il ne s’aperçoit même pas du désastre.
— Viens par ici, Alexandre-Benoît, j’ai à te parler.
Béru rajuste sa braguette démoniaque, mais la fermeture reste coincée au tiers du parcours de remontée. Il abandonne, fataliste. Dans le fond, ces endroits-là, plus ils sont aérés, mieux ça vaut ; tout le monde y gagne.
Les voilà au salon. Un luxe ! Le meilleur architecte d’intérieur de Paris : mélange habile d’ancien et de plexiglas, tissus de chez Etamine the must ! Sur les murs, un Botero, un Mathieu et une eau-forte de Rembrandt, juste pour vous dire !
César amène la cave à liqueurs roulante entre leurs deux fauteuils.
Un porto de cinquante ans d’âge ? propose-t-il.
— Banco ! Mais tu m’fil’ras une giclette de marc de Bourgogne dedans pour l’muscler. Alors, qu’est-ce t’as à m’dire ?
— Le coup de fil que je viens de prendre…
— Moui ?
— C’était Berthe.
Le Mastar sourcille.
— Pourquoi qu’é t’appelle, toi ?
— Elle avait quelque chose d’ennuyeux à te dire et elle a préféré que je m’en charge.
— En v’là des mystères, bordel à cul ! Si c’est qu’sa sœur est clamsée, faut pas qu’é s’gêne, j’m’en tartine la prostate !
— Elle n’est pas chez sa sœur.
— Ah ! bon ?
— Elle est en Argentine.
— En quoi ?
— Tu sais où se trouve l’Argentine ?
— C’te connerie : à côté du Maroc !
— Un peu plus loin, de l’autre côté de l’Atlantique.
— Qu’est-ce elle a été foutre là-bas ?
— C’est Alfred qui lui a payé le voyage : il a gagné un million de nouveaux francs au tiercé.
— L’salaud ! Il aurait pu m’emm’ner aussi.
— Il n’a pas dû y penser. Ils sont à Mar de Plata, une station balnéaire en vogue.
— Ah ben, dis donc : elle a une façon d’ r’voir sa Normandie, c’te morue !
— Il y a un os ! bêle Pinaud. Figure-toi qu’Alfred a eu des rapports sexuels avec une cliente de leur hôtel et que, dans une crise de démence, il l’a tuée à coups de couteau !