Dans l’après-midi, ils se rendirent au Sirena Palacio où était descendu le couple infernal et où avait eu lieu l’assassinat de la fille brune. Les journaux étaient encore pleins de ce meurtre et la comtesse de la Fuenta leur avait traduit de longs articles y consacrés. Ainsi avaient-ils appris que le criminel, un coiffeur parisien d’origine italienne, niait toute culpabilité. Il prétendait avoir été « dragué » par la victime, laquelle l’avait convié dans sa chambre. Là, il l’avait régalée (des indices irréfutables attestaient la chose), puis s’était assoupi, vaincu par l’intensité de sa prestation. Des coups à sa porte l’avaient réveillé et il avait ouvert au policier qu’un locataire du palace avait prévenu par téléphone ; ce dernier prétendait avoir entendu des appels au secours. L’accusé reconnaissait que la chambre était fermée à clé de l’intérieur, ainsi que les fenêtres (la pièce était climatisée). Donc, personne ne pouvait s’y être introduit, ni même l’avoir quittée. Le coiffeur, terriblement abattu, affirmait que s’il avait tué la fille, ce ne pouvait qu’être en état second, ce qui faisait bien rigoler les policiers argentins. Autre preuve, et pas des moindres, de sa culpabilité : ses empreintes figuraient sur le couteau.
— Il l’a dans l’fion ! pronostiqua sobrement Béru.
Et comme c’était un brave homme, il eut un peu honte du capiteux plaisir que lui procurait cette certitude.
Le chauffeur en livrée blanche était celui-là même qui les attendait à leur descente du Jet privé. Il s’appelait Pedro Bandalez et riait toujours. Quand il ne riait pas, il fredonnait. L’arrivée des deux compères au palace dans cet équipage provoqua de l’émoi dans la valetaille. On les accueillit avec mille courbettes dont ils n’eurent cure et ils demandèrent séance tenante à parler au directeur. En moins de jouge, on les introduisit dans une immense pièce au centre de laquelle trônait une statue de bronze verdi représentant un militaire frappé en pleine poitrine, soutenu par un camarade compatissant, tandis qu’un autre de ses potes s’efforçait de calmer son cheval ; le tout grandeur nature !
Devant cette admirable fresque, il y avait un large bureau ministre et, derrière le burlingue, un petit mec vêtu de noir, avec des rouflaquettes si pointues que son pommadin devait les lui finir au crayon à sourcils.
Béru et Pinuche lui montrèrent leur carte d’officier de police et prétendirent constituer une commission rogatoire dépêchée par Paris pour connaître de « l’affaire en question ». Le dirlo frétilla du croupion, se cassa en deux, ce qui ne laissa plus grand-chose de lui à regarder et affirma qu’il était à la disposition de ces messieurs.
Ces messieurs déclarèrent qu’ils souhaitaient deux choses seulement, mais qu’ils les souhaitaient ardemment. La première c’était de rencontrer la compagne du meurtrier, la seconde, de visiter la chambre du crime.
Le dirlo répondit, avec un accent pour comédie de Feydeau, que la dame se trouvait dans sa chambre : la 414. Quant à l’appartement du meurtre, il regrettait, mais la justice de Mar del Plata avait apposé les scellés sur la porte.
Bérurier rétorqua qu’il s’en doutait, mais que les autorités lui avaient remis un appareil pour les faire sauter et il montra au directeur, intéressé, son vieil Opinel à manche de bois.
Le petit bonhomme déclara alors que tout était parfait. La chambre du crime était la 612.
Les Laurel et Hardy de la Rousse remercièrent et vaquèrent.
Parvenu devant la porte marquée 414, Pinaud chuchota.
— Pas surprenant qu’ils aient eu la scoumoune : en réalité il s’agit de la chambre 413 puisque la précédente est la 412.
— J’sus t’ému à l’idée d’la r’voir, soupira le Gros. Dans quel triste état é doit être, la pauvrette !
Il repliait déjà son médius pour frapper quand il perçut un rire flûté qu’il reconnut aussitôt. La voix de Berthe retentit, douce et maternelle :
— Mais non, Bijou, tu t’ goures ! Le trou qu’tu t’escrimes, c’est pas ma chatte, c’t’un pli d’ma cuisse !
Alexandre-Benoît tourna le loquet. C’était fermé à clé. Il recula de deux pas et donna de l’épaule droite. La serrure rendit l’âme et le panneau de bois claqua contre le mur, à l’intérieur. Il découvrit — et Pinaud en même temps que lui — son infidèle, à poil sur son lit, en compagnie d’un groom tout de rouge et d’or vêtu qui s’efforçait de la besogner de sa misérable quéquette adolescente !
Le Musculeux porta la main entre son col de chemise et son cou, comme pour les prémices d’une crise cardiaque.
Puis il s’avança tandis que le gamin rentrait Popaul dans sa niche à tout berzingue et caltait comme un garenne.
Berthe se mit sur son formidable séant.
— Mon homme ! Mon homme ! haleta la Baleine. J’étais sûre qu’tu viendrerais ! T’es un homme desception, Sandre, mon amour !
— Toi, c’qu’t’es, j’trouve pas d’mots ! riposta l’époux bafoué. La plus pute et vérolée des putes, c’est la p’tite sœur Thérèse d’ Lisieux, comparée à toi. Faudrait quoi pour t’calmer, saleté ? Qu’on t’enfourne un tomb’reau d’betteraves sucrières dans le fion ? Qu’on t’l’cimente ? Qu’on t’entifle dix litres d’essence av’c un entonnenoir et qu’on y flanque l’feu ? Une vache comme toi, les bras vous tombent ! Madame a marié la plus grosse bite d’France, après celle d’M. Félix, et ça y suffit pas ! Faut qu’elle aille s’faire planter d’l’aut’ côté des océans par un connard comme Alfredo. Et quand ce maboul est enchristé, suite d’assassinat, la v’là qui viole des p’tits groumes qu’ont une cacahuète comme zézette ! Non mais c’est ben la rage du cul, ça ! Tu vas t’envoilier des bourrins, si tu continues ! Des z’éléphants ! L’obélisqu’ d’la Concorde ! Un régiment d’légionnaires ! L’T.G.V. ! La tour Eiffel ! Not’ gosse me ressemblerait pas comme une goutte d’eau, y aurait pas déjà un chibre d’âne, je’croiererais pas qu’il est d’moi !
Berthe s’est assise en tailleuse, si bien que Pinaud n’ose plus s’approcher d’elle pour l’embrasser. Il regarde à distance et pense au tunnel sous la Manche qui nous rend ces cons d’Anglais un peu plus voisins.
La Grosse sait combien cette posture excite son mari. Elle murmure :
— Tombe pas dans l’éguesagération, Sandre. Certes, j’sus une pauv’ femme avec des faiblesses, beaucoup d’faiblesses. J’ai du tempérament, qu’ veux-tu ! Mais la faute à qui ? Qui c’est, l’mec qu’a su m’embraseser l’essence ? Il s’appelle comment est-ce ? Hmm ! Oui : Béru ! Y m’arrive d’papillonner et de prend’ des pafs, mais d’cœur je t’ai resté fidèle. J’t’aye dans la peau, Sandre. J’sus amoureuse de toi pour la vie. Et si tu mourrirais, bien sûr, j’m’ferais encore sauter, mais jme remarierais jamais !
Là-dessus, elle a la belle initiative d’éclater en sanglots.
Complètement retourné, Alexandre-Benoît tombe à genoux et prononce les mots qu’il faut :
— J’t’ d’mande pardon, Berthy, ma pensée a dépassé mes paroles !
Larmes.
Ensuite, le couple turbulent se joint. Berthe se met au bord du lit, les jambes pendantes. Béru enfouit son visage d’agenouillé entre les délectables cuisseaux de sa moitié. Il retrouve avec émotion ce goût subtil de charcuterie bavaroise qui tant l’ensorcelle. Oublie la comtesse, trop parfumée de la chatte pour son robuste appétit.
Devant cette sorte de prière païenne, Pinaud se sent remué par un sentiment profond fait d’admiration, de reconnaissance, de foi profonde en l’humain, si fragile et si fort aussi ! Il va s’asseoir dans un fauteuil et regarde le Gros déguster Berthe avec une tendre voracité. Elle a appliqué ses deux mains de lavandière sur la nuque puissante du taureau fougueux comme pour l’imprimer en creux dans son sexe béant.
Elle a une douloureuse grimace de jouissance, apostrophe Pinuche :
— R’gardez comme il s’y met d’bon cœur, m’sieur César ! Quel ogre ! Y va tout m’disloquer la craquette à ce train d’enfer ! C’t’un bouffeur-né, mon Sandre ! Et vous n’voiliez pas sa menteuse ! Un vrai caméléon ! Il tire un panais gros comme un’ escalope, l’apôtre ! Vous pouvez croire qu’y s’régale. Oh ! Oh ! la la ! Ça me gouzille partout ! Je pâme déjà ! Quel artiste ! Si on organis’rait des championnats d’minette, y gagnerait la coupe ! Ça y est : y m’déclenche, l’sagouin ! Je pars en liqueur, m’sieur César ! Ah ! le gros salingue ! Mais y m’en laissera pas, hein ! y veule tout pour lui, c’goret de merde ! Voui ! Vouiiii ! Sandre : je t’aémaeu !
Elle fade. Le Goulu poursuivant toujours sa manœuvre, elle lui décoche un coup de genou dans la gueule en grondant :
— Mais y va pas lâcher prise, ce con ! Un vrai bulldog, bordel ! Arrête, nom de Dieu ! J’ai donné !
Le Mastar décélère en soufflant fort et dégage une trogne cramoisie et barbouillée du haut lieu où elle s’était encastrée. Il est haletant, ébloui, dévasté par trop de bonheur.
— Berthe, chuchote-t-il, ô Berthy, ma toute petite, mon zoiseau, t’es unique !
Pinaud ramène le trio aux problèmes de l’heure, après cette page d’amour si nécessaire au rétablissement de l’harmonie. Il dit, pendant que Berthe se torchonne la babasse, manière de pouvoir réintégrer sa culotte la tête haute :
— A présent, il faudrait que nous parlions de cette pénible affaire, ma chère amie. Je pense que vous devriez nous raconter par le menu les événements, en commençant par votre arrivée à l’hôtel.
La Vouivre acquiesce.
— Je pourrais-je-t-il vous parler seul à seul, m’sieur César, j’m’sentirerais plus libre.
— Si j’s’rais d’trop, dis-le ! s’emporte le mari. Comme si je pourrerais pas tout entendre ! J’le sais qu’t’as fait la chienne av’c c’criminel d’Alfredo. Et j’t’ai déjà eu vue lu pomper l’nœud ou t’faire embroquer par ce connard ; qu’est-ce tu veux ajouter d’mieux, pétasse ?
Elle rengracie :
— D’accord, j’causais pour ménager ta susceptibilité, Sandre.
— Fais-toi pas d’mouron pour elle, j’sus blindé d’puis l’temps !
Elle hausse les épaules.
— Bon, souate. On est arrivés ici, Freddy et moi, le mardi. Installation.
— Séance de lonche n’à peine les valoches défaites, hein ? grince Sa Majesté encornée.
Et la perfide, se piquant au jeu :
— Avant !
— Salope !
— Alfred est très sensib’ aux chambres d’hôtel.
— Salaud ! Et bien entendu, y s’est hâté d’te pratiquer le « tourniquet japonais » dont à propos duquel y m’casse les couilles ?
— Fectivement !
— Fumier ! Et « la chaise du roi », œuf corse ?
— Testuel !
— Le gueux ! Sans compter le « i grec en folie », j’présompte ?
— Naturellement.
— Le grand jeu, quoi !
— En plein !
— Qu’il crève ! J’espère qu’y z’ont la peine d’mort en Argenterie pour les assassins ! Et, bien sûr, toutes ces saloperies, vous les avez faites habillés ?
— C’est meilleur.
— Tu veuilles qu’j’t’éventrasse à coups d’talon, morue ?
Elle se fait pathétique. Mère Courage ! La Dame aux Camélias dans sa phase bacillaire !
— Si ça peut te soulager, mon pauvre Sandre.
Il repleure.
Pinuche intervient :
— Ecoutez, mes enfants, vous n’allez pas passer le restant de vos jours à vous déchirer pour de menus incidents de parcours ! Nous ne sommes que des êtres vivants lâchés dans le cosmos. Il faut s’aimer, se pardonner, s’aider. Alors arrêtons les frais, question jalousie.
Il est beau comme l’abbé Pierre rasé de frais. Son clope jaune pendouille de sa lèvre inférieure tel une bistougnette de lapereau. De la sanie sort de ses yeux comme de la mayonnaise en tube. Il arbore son tendre et miséricordieux sourire. Il y a de l’évangéliste chez cet homme. Je sais que Dieu l’aime beaucoup.
— Reprenons, chère Berthe. Vous vous êtes donc installés ici. Ensuite ?
— Ben on a commencé les vacances, quoi : la bouffe, des siestes, des bains de soleil, des parties d’ cartes au bar.
— Une vie de con, en somme ! résume l’actif Bérurier.
Elle lui sourit désarmant ; c’est son nouveau style à Berthaga : la coupable qui accepte l’opprobre, joue les martyres résignées. Ça paye !
— Vous connaissiez la personne qui a été trucidée ? reprend le vieil enquêteur chevronné.
— Quand j’ai vu sa photo dans l’journal, j’m’ai rappelé l’avoir entrecroisée pendant not’ séjournement, moui. L’était seule. Une brune, pas beaucoup de formes.
— Alfred lui faisait du gringue ?
— Pensez-vous : ell’ était bien trop maig. Lui, sa régalade, c’est quand y a du répondant sur les miches et les loloches.
— Un dégueulasse, quoi ! résume Béru, hautement qualifié pour porter ce genre de jugement.
— Il y a parfois des exceptions, enchaîne Pinuchet. Il se peut que le coiffeur ait été sensible au charme de cette personne.
— Elle en avait point ! assure catégoriquement la Bérurière. J’ai l’œil. Si Freddy y avait balancé des coups d’saveur, je les eusse eu surpris, n’ayez crainte, m’sieur César. On s’disait même pas bonjour, c’te crevure et nous.
— Pourtant Alfred l’a suivie dans sa chambre. Cela s’est opéré comment ?
Berthe s’assombrit comme un ciel de neige.
— J’en sais rien. On était allongés, moi et lui, su’ l’sable. J’me dorais. La chaleur, moi, ça m’endort. Freddy, j’me rappelle parce que j’m’en souviens, m’chatouillait la moule av’c un fœtus de paille. Ça m’f’sait mouilloter, mais j’dormais d’trop pour réagir vraiment.
« A deux trois mètres devant nous, y avait c’te merderie de gonzesse. N’à un moment donné, y m’semb’ les avoir entendus causer, Freddy et elle. C’t’après coup qu’ça m’est r’venu. Y z’ont parlé un moment, doucement, du ton d’la converse. Et puis plus rien. Jpas si j’ai dormi longtemps, n’ayant pas d’montre su’ la plage n’à cause du sable qui coince les mouvments. J’ai parlé à Freddy, mais y n’m’a pas répondu. Alors j’m’ai assise et j’ai vu qu’il avait écrit dans l’sable comme quoi il était été aux vécés, ce qui l’arrivait fréquemment biscotte la cuisine à l’huile, lui, ça l’détraque ; et pourtant il est italien d’origine, je vous fais remarquer.
« J’ai attendu en m’ faisant bronzer l’dos. J’ai dû me rassoupir. C’qui m’a réagi, c’est des sirènes d’ police qu’arrivaient en trompe à l’hôtel. Vous dire, m’sieur César, y m’a pris comme un pressentiment prémonitoire dû à la prémonition. J’m’ai levée et jété aux nouvelles. J’arrive dans l’hall et vous savez qu’est-ce que j’vois, m’sieur César ? J’vous l’donne en mille ! Freddy qui sortait de l’encenseur entre deux flics, les m’nottes aux poignets. Vous dire ce dont j’ai ressenti ! Pour la grande charité du Christ, des instants pareils, merci bien ! Plutôt mourir ! J’m’ai élancée sur lui en lu d’mandant ce qui se passait. Mais l’était prosterné, si vous voyez ? Hagard, les yeux vides !
« D’autres poulets s’est jetés sur moi et m’ont emballée, voiliant qu’j’étais l’amie du monstre. Y m’ont emmenée à la police, questionnée pendant des heures. Et qui c’était Freddy, d’où qu’y v’nait, c’qu’y f’sait dans la vie ? S’il avait des instinctes sadiques ? Des choses encore qu’j’me rappelle plus, tellement y en avait et tellement c’t’interrogatoire m’semblait sot et grenu. J’voulais savoir ce dont on l’accusait. Mais y n’m’répondaient pas, ces fumiers. J’veuille pas m’vanter, mais y en a un qui me caressait les fesses. Quand j’l’regardais, y m’montrait son paf à travers son pantalon, qu’était très conséquent d’apparence. Y dessinait son volume av’c la main, croiliant m’impressionner, moi, la femme à Béru. Peau d’zob, va !
« Y m’ont r’lâchée en m’annonçant comme quoi y gardaient mon passeport et qu’j’pouvais plus quitter l’pays jusqu’à tant qu’l’instruction serait terminée. C’est en r’venant ici qu’j’ai su ce dont y s’était passé. Alfred qui grimpe av’c la gonzesse brune, qui l’empaffe puis la surine av’c son couteau d’table d’à midi qu’y avait conservé dans son maillot. Alors là, j’insurge, m’sieur César. Alfred portait un maillot très court, v’savez comme y aimait mettre sa bite et ses couilles en valeur chaque fois qu’il en avait l’occasion, vanneur comme y est ! Y n’avait point d’couteau dans le slip d’bain. Juste avant qu’j’m’endormisse, j’lu avais trituré l’guignolo par sympathie. Vous pensez bien qu’un lingue, j’l’aurais senti !
« Enfin, quoi, vous l’avez fréquenté, Alfred, tous les deux. Des défauts, c’est pas c’qu’y lu manque : un Rital, vous pensez ! Mais zigouiller une dame qu’y vient de fourrer, j’peuve pas y croire. V’savez biscotte y s’est fait coiffeur pour dames ? Parce qu’aut’fois, lorsqu’il tenait un salon messieurs, y s’évanouissait quand y f’sait une p’tite entaille de rien aux mecs qu’il rasait. »
— Peut-être a-t-il eu un coup de folie ? suggère César.
— Lui ! L’était bien trop raisonnable pour d’venir fou ! assure dame Béru.
Le Gros caresse ses bajoues d’un air pensif.
— Ecoute, la mère : ton Mirliflor s’trouvait bouclarès avec la morte. L’avait défoutraillé plein les draps et l’y a porté ses empreintes de gitane. Conclusion : personne n’autre a pu commett’ ce meurtre. Donc, si c’est personne n’autre, c’est lui !
Il a un rire méchant qui ne lui va pas très bien parce que c’est un brave mec, le Gros. Un violent, mais bon zig.
La Bérurière secoue ses frisettes qui partent en sucette.
— Pour qu’j’y croive à son crime, faudrait qu’y m’l’avouasse d’visu !
Pinaud réagit.
Allons voir la chambre du drame ! décide-t-il.
Des scellés et un Opinel se livrent un combat singulier dont le bon vieil Opinel sort vainqueur.
Béru et son pote pénètrent dans la « chambre tragique », comme l’appellent les journalistes. Elle sent bizarre : le parfum musqué, plus de vagues remugles fadasses. Ils entrent, referment la porte et attendent un instant, troublés par l’étrange atmosphère. Le silence n’est rompu que par le bruit lancinant d’un robinet, mal fermé qui goutte.
Béru, le premier, s’avance vers le lit. La semence du Rital forme toujours une flaque importante sur le drap du dessous. Cette surabondance le vexe quelque part, sans qu’il puisse s’expliquer trop pourquoi ; cela est du ressort de la jalousie, cette gueuse ! Il contourne le plumard et découvre des traînées de sang séché sur la moquette beige. Se dit que le sang sèche plus rapidement que le foutre, donc, il est moins « vivant » ?
Pinaud suit les mêmes pérégrinations. Il a retrouvé son air frileux, voire malheureux, d’avant sa richesse tardive. Il fait clodo de luxe, veuf inconsolable.
Il s’accroupit pour regarder le plancher, puis s’agenouille et se déplace à quatre pattes dans la chambre. Se rend ainsi à la salle de bains. Au bout d’un moment, comme il ne réapparaît pas, le Gros va le rejoindre. Le trouve assis sur le rebord de la luxueuse baignoire, les mains croisées entre ses genoux cagneux, réfléchissant.
— Tu patauges dans l’tapioca, mec ? demande Béru.
Le Fossile s’arrache à ses méditances.
— Sur le journal, il est bien dit que la femme assassinée était habillée ?
— Voui, pourquoice ?
— Elle a été assassinée ici, et ensuite tramée dans la ruelle du lit, déclare la Vieillasse.
— Où qu’t’as pigé ça ?
César désigne du doigt quelques petits points rouges dans le ciment ayant servi à faire les joints des carreaux.
— Du sang !
Il fait signe à son coéquipier de le suivre dans la chambre.
— Il y a eu des piétinements depuis, mais c’est encore visible.
— Quoi donc ?
— Les deux traces des talons. On a coltiné le corps en le tenant par les bras. Tu vois cette double ligne parallèle dans les poils de la moquette qui est neuve ?
— Moui, et alors ?
— Alors ça, simplement. Poignardée dans la salle de bains, tirée jusqu’au lit. Pour quelle raison Alfred aurait-il agi ainsi ?
— Il avait perdu les pédales, ce sale con !
— Il faudrait vraiment qu’il les eût perdues en effet !
— Il était seulâbre dans la taule : la lourde bouclée à clé de l’intérieur, c’est prouvé, la fenêtre fermaga ! Pas de fenestron dans la salle de bains, juste une grille d’ventilation ! C’est l’mystère d’la chambre close qu’tu veuilles reconstitutionner, l’Ancêtre ?
Pinuche retourne à la salle d’eau, monte sur la partie large de la baignoire pour examiner la ventilation. Il s’agit d’une grande plaque métallique, peinte de la couleur des murs, dans laquelle s’inscrivent deux volets d’aération munis d’une grille. Il essaie de secouer la plaque, mais elle est vissée en ses quatre coins. Bernique !
Mathusalem a un soupir du genre fétide. L’estomac n’a jamais été très performant chez lui. En fait d’haleine fraîche, sa pomme ce serait plutôt la laine des Pyrénées avec son suint.
Il murmure :
— Le mystère de la chambre close…
La réflexion ironique du Gros l’a frappé. Il sent confusément « quelque chose » de pas blanc-bleu et il est convaincu que Bérurier aussi le sent. Ils sont trop authentiquement flics pour ne pas éprouver cette curieuse sensation. Seulement, Alexandre-Benoît est trop de parti pris pour en convenir. Pour l’instant, il rêve d’échafaud.