SUITE

Bon. Alors ils font escale à Dakar, ce qui les réveille. Par les portes béantes du zinc une chaleur moite lutte contre la climatisation de l’appareil. S’y mêle la puissante odeur du kérosène. Une équipe de Noirs nonchalants vient faire le ménage. Pinuche qui, décidément, se montre princier, a pris des first. Les deux compères se pavanent. Béru a posé ses groles et chaussé les pantoufles proposées par Air France. Il a également confié son veston à l’hôtesse, non sans y avoir prélevé son portefeuille. Par contre, il a conservé son bitos, because l’aérateur qui balance dru. Il loufe à tout berzingue et le compartiment des first sent un peu la caserne qu’on vidange. Il est minuit et des. La chef hôtesse a annoncé, avant l’escale, qu’un repas serait servi par l’équipe suivante. Ça rend Béru très joyce, cette perspective. Il proclame qu’il va aller « faire un peu de place » en prévision du réveillon promis par la compagnie.

Pinaud se rendort.

Quarante minutes plus tard, on redécolle.

En l’air ! En l’air ! Tout l’monde aviateur ! comme criaient les forains de la Foire du Trône, jadis.

César se réveille. Il a un coup d’adrénaline en constatant que le siège voisin est vide. Par contre, les croquenots de son pote sont toujours sur le Plancher. Il veut se dresser, mais il a omis de détacher sa ceinture et la sangle lui cisaille l’estomac. Il retombe sur son cul maigrichon, le souffle coupé.

L’appareil navigue dans le velours bleuté de la nuit. A douze mille mètres d’altitude, elle est tellement plus belle que sur terre ! T’es en contact avec les étoiles et la lune te semble moins conne. Les hôtesses se radinent avec leur fourbi à roulettes pour le bouffement promis. Y a des odeurs et des grésillements légers dans la cabine.

Le pauvre Pinaud esseulé se masse la poitrine. Il possède un poitrail de poulet biafrais. Il fait sauter la boucle de sa ceinture, se cramponne au dossier dressé devant lui et parvient à se soulever. Une grande rassurance l’inonde d’un bonheur simple et vrai. Son pote n’est pas descendu à Dakar. Il est bien là, en chair et en graisse. Assis à l’avant gauche auprès d’une dame que, pardon, oh ! la la ! gaffe aux châsses, mettez vos lunettes de soleil ! Elle doit tutoyer la cinquantaine, mais sans dommage, avec brio ! Les cheveux bruns, coupés court, avec de légères mèches bleutées. Le teint bronzé, la bouche écarlate. Il voit pas ses yeux, mais les suppose sensass. Elle porte un ensemble de cuir noir, un chemisier du même rouge que sa bouche. La veste déboutonnée laisse s’épanouir une poitrine mesurée et ferme.

Pinuche sourit autour de son mégot éteint. Incorrigible, le Mastar. Dès qu’il y a de la chair dans les parages, faut qu’il se lance à l’assaut. La Vieillasse se risque d’un pas dans la travée. Il voit une main du Gravos entre les jambes cuivrées de la passagère, l’autre entoure sa nuque et le bout de ses francforts caressent le corsage. Bien parti ! Il va pas se la faire en avion ! Un jour, au cours d’un voyage lointain, il a calcé une vieillarde pendant le vol et, de saisissement, la Carabosse a défunté. Heureusement, l’arrivée de la tortore va lui calmer les ardeurs.

Fectivement, les plateaux repas galvanisent Alexandre-Benoît. Il récupère ses dix doigts pour les consacrer à d’autres joies tout aussi réelles. Le Pinaud rassis se rassied. César n’est pas un bâfreur. Il se contente d’un toast au caviar et d’une demie de Mumm. Un oiseau.

Il y a peu de trèpe en first : les temps sont durs. Outre la « dame du gros » et les deux compères, ne s’y trouvent qu’un très vieil homme du type indien, chenu, de noir vêtu et portant une espèce de chéchia noire, et un tennisman en renom avec sa « fiancée ». Pinaud a vu le sportif à la télé, mais ne se rappelle plus son blaze. Ils ont un petit chien avec eux, une horreur enrubannée qui, de temps à autre, lorsque les hôtesses s’activent au-dessus de ses maîtres, se met à japper.

L’organe de Béru, stimulé par les bons vins, retentit de plus en plus fort. Il balance des madrigaux qui feraient gerber des bonniches portugaises et que sa voisine paraît déguster à la cuiller. César songe que son ami est un être en vie, imperméable à l’adversité. Sa femme vient de faire des galipettes en Argentine avec un pote devenu assassin, mais il conserve sa santé, sa fougue, sa bonne humeur. Quelle leçon d’optimisme !

Le Chétif s’endort. Il ne sent même pas qu’on le débarrasse de son plateau et qu’on redresse la tablette devant lui. En état second, il bascule son siège en arrière, croise ses paluches de curé de campagne sur son ventre.

Après le repas, la compagnie propose un film à ses passagers. Déjà ancien : Victor Victoria, mais excellent.

Pour suivre la partie sonore du film, il faut casquer des écouteurs. Béru fait une tentative, mais il se goure quant au choix du canal et, sur les délicieuses images du film, se fait un documentaire sur la caste dirigeante de la société inca dans l’Amérique précolombienne.

Au bout de pas longtemps, il déclare à sa compagne que cette production est sans intérêt et lui propose d’enlever le large appui-bras qui les sépare. Elle accepte. Le Mammouth profite de la pénombre cinémateuse pour entreprendre sa voisine de palier. Il lui fait le bout des seins, lui lèche les coquilles, lui glisse un doigt de cour ; toutes ces entreprises sont jugées les bienvenues par la dame de cuir dévêtue (il lui a arraché sa veste et entreprend l’écossage du bénouze). Inutile de te chambrer plus avant, ce qui doit arriver se produit. Vers le milieu du film, la dame est agenouillée face au hublot, regardant déferler l’Atlantique Sud blanc d’écume, un genou sur son siège, son autre jambe prenant appui sur le plancher tandis que M. Alexandre-Benoît l’entrelarde de son big, tout en lui massant l’ergot. La passagère en conçoit un tel contentement qu’elle se croit autorisée à le clamer en espagnol.

Une hôtesse vient voir ce dont il s’agit, n’en croit pas bien ses yeux et va appeler ses copines pour qu’elles l’assurent du bon fonctionnement de ses sens. Ce remue-machin sollicite l’intérêt du tennisman. Les gaziers du poste de pilotage, prévenus, mettent les manœuvres automatiques et se pointent à la régalade. S’ensuit un émoi effrayant dans les first. Le sportif se rue sur sa fiancée pour lui montrer sa braguette de pénis. Le commandant de bord touche la chatte de la cheftaine hôtesse, le radio palpe la bite du steward pédoque et le copilote s’en fait tailler une par la plus âgée des hôtesses, une dame frisant la cinquantaine et qui a l’habitude de ramasser tous les pafs à la traîne.

Pour couronner, le yorkshire du champion aboie après le dargif de Béru et lui mord les roustons. Notre ami lâche le clito de sa conquête pour se saisir, par-derrière et à tâtons du teigneux roquet qu’il propulse loin de ses balloches. Le chien emplâtre la frite de l’Indien endormi. Fou de douleur, il se met à lui bouffer la gueule avec acharnement. Le bonhomme glapit en hindi moderne. La potesse de Bérurier, à bout d’endurance, take son foot. Pinaud dort toujours.

En deçà du rideau séparant les first des tourist, le restant des passagers visionnent Victor Victoria ou bien roupillent. Le Jet qui s’autopilote emmerde l’océan. Tout est là, simple et tranquille.

Des couilles se vident. Le film s’achève. Chacun reprend son poste, d’autres des postures. Béru le Grand s’allonge sur sa partenaire dévêtue et se met à pioncer.

Pinaud avait deviné juste : « elle » possède des yeux ensorceleurs, d’un vert profond, cerné de brun clair. Longs cils, pommettes saillantes. Et quel parfum délicat !

— J’t’r’présente la comtesse Dolorès de la Fuenta, une personn’ très agriable et surtout bourrée d’ fric. Elle fait l’él’vage des bêtes z’à cornes en Argenterie, et, espère, c’est pas des escarguinches ! Veuvasse ! Le rêve ! Un coup d’reins dont t’as pas idée. Elle vient t’aussi à Yen-a-Marre-del-Plata où qu’é possède une propriété de mille hectares carrés. E s’occup’rera d’nous. D’puis la mort d’son mec qui s’est planté en coléoptère en sulfatant ses récoltes l’an dernier, ell’ avait pas r’tâté du braque. Et moi qu’j’m’annonce av’c ma chopine féroce, tu parles d’un triomphle ! E veuillait qu’ j’bissasse mon numéro, mais quand on n’a pas franch’ment ses zaizes, c’est d’la confiture aux gorets ! Le pr’mier coup d’tring’ pour dégorger l’plus gros, d’accord. N’ensute, ça d’vient de l’art ! J’lu réserv’ mon enfilade d’gala pour Y-en-a-Marre-del-Plata. Là, j’lui frai grimper aux rideaux d’ la chambre, promis-juré-croix-de-bois-croix-de-fer-je-crache-par-terre !

Tout en causant, il masse le fessier « gainé » de cuir de la personne. Une femme de cul, certes, mais de surcroît femme de tête, ça se sent à son regard intense qui te plonge au fond des bourses déliées. Te doit gérer ses biens avec compétence et énergie, la Dolorès. Faut pas la payer avec des chèques en bois, la comtesse !

— Leur famille est parentée au roi d’Espagne, renchérit Béru. T’vas m’dire qu’on n’en a rien à branler et qu’c’est pas la dame la plus sous-titrée qui baise le mieux, n’anmoins, ça fait plaisir d’savoir qu’on trempe sa queue dans d’la noblesse rigoureus’ment t’authentique. Av’c les sang-bleu t’as moins peur de choper la vérole. Dis, t’as vu ses tétons-de-derrière, à Dolorès ? Malgré ses heures de vol, on dirait du bois ! Faudra qu’j’y en mette un p’tit coup dans l’fournil. Pas vrai, ma grande ? J’parille qu’ton vieux t’a jamais pointée du cadran solaire. J’me goure ? Y t’a eu fait flamboyer l’pétrus ? Non, hein ? Elle est encore vierge du tafanar, la pauvrette ! On va lu réparer c’t’oublille ! Faudra pas pleurer l’huile d’olive pour l’engouffrer d’la pastille, bien prendre mon temps, un espadon comme l’mien ! Chérie, va !

La riche propriétaire parle le français, suffisamment mal pour ne pas réagir aux argotismes du Gros. Béru n’en peut plus de lui ! Dégringoler une personne de cette classe, l’ennoblit par contagion. Il fait le galantin, l’enroulé. Risque des bribes de subjonctifs qui capotent en cours de phrase, mais c’est l’intention qui compte.

Le vol s’achève dans de la Chantilly. C’est onctueux, délectable (de logarithmes). La comtesse, à vrai dire, est joyce de ramener de France la plus grosse queue d’Europe ! S’étant rendue à Paris pour renouveler sa garde-robe de deuil (qui venait de s’achever), elle a déniché, en prime, un zob exceptionnel. Mal porté sans doute, par un gros gonzier sans grâce, mal fagoté et aux manières soudardes, mais si fabuleux, si exceptionnel, qu’on lui pardonnerait d’être accroché au ventre d’un gorille !

Ils se posent à Buenos Aires sans problo. Une heure plus tard, ils s’embarquent pour Mar del Plata, non pas à bord d’un zinc d’une ligne intérieure, mais avec le Jet privé de Dolorès : un coucou de dix places au confort époustouflant.

Pendant le trajet, le Mammouth raconte la situation à son Argentine argentée. Sa femme a accompagné un aminche à Mardel (c’est ainsi qu’on appelle la prestigieuse station en Argentine). Ce mec est accusé d’avoir trucidé à coups de ya une nana en vacances dans leur hôtel. De ce fait, on interdit à l’épouse Bérurier de regagner ses pénates françaises. Elle doit rester à Mardel comme témouine. Dolorès déclare qu’elle est très liée avec le chef de la police de Mardel et qu’elle interviendra en faveur de Berthe. En attendant, elle propose de les loger à son latifundio et de mettre une voiture avec chauffeur à leur disposition. C’est fourmulé avec tant d’empressement que les deux compères acceptent.

Imagine des étendues vertigineuses, presque sans arbres. Culture céréalière et élevage de bovins. Des gauchos habillés en gauchos chevalent à travers l’immensité. L’avion perd de l’altitude et plonge vers une piste privée bordant des enclos où paît en paix le bétail. Au loin, une zone harmonieusement arborisée au centre de laquelle se dresse une somptueuse demeure entourée d’un jardin fleuri.

— Ma maison ! annonce sobrement Mme de la Fuenta.

Le Mastar a une exclamation de circonstance pour traduire son impression :

— Ben, ma vache !

— J’en possède douze mille, révèle la comtesse qui se méprend.

— J’plains l’mec qui trait tout ça ! s’exclame ce fils de fermiers.

Le pilote a prévenu la maison par radio car, à peine a-t-il stoppé les réacteurs, qu’une limousine blanche décapotable surgit et vient se ranger à côté de l’appareil. Un chauffeur guarani, de blanc vêtu, accueille les passagers avec une déférence joyeuse. Une jeep arrive à son tour pour trimbaler les bagages de la comtesse. En route pour la maison ! Avant la décarrade, Béru, pour montrer qu’il sait vivre, glisse une pièce de dix francs français dans la main du pilote éberlué.

— Tu dois pouvoir t’faire tailler un’ p’tite pipe, av’c c’t’auber, confie le Gros ; l’franc français s’maintient mieux qu’ l’franc argentin, d’après c’ qu’on m’a dit !

Et ce fut une installation de rêve dans un univers de rêve ! Dolorès avait un goût exquis et répandait en tous lieux un luxe léger, plein de charme et de délicatesse. Rien d’écrasant, de pompeux ! Meubles Renaissance espagnole sur gros crépi blanc frotté au savon sec ensuite ! Statues baroques en petite quantité. Tableaux rares. Objets délicats. Elle conduisit elle-même ses invités dans leurs appartements. Pinaud eut la priorité de l’âge. Puis ce fut le tour d’Alexandre-Benoît. Quand ils furent entrés dans la grande chambre où tournait, pour le charme du décor, un grand ventilateur superflu, le Dodu referma la porte et tira le délicat verrou de fer forgé, œuvre d’art parmi les autres.

— A présent, on va s’expliquer en grand ! déclara le surhomme. Et pas b’soin d’ flécher l’ parcours !

Il posa sa veste sur un dossier de chaise, dégaina ses croquenots et se mit à dégrafer son pantalon.

Bérurier portait un slip spécial dont l’avant ressemblait à un sac tyrolien. Malgré tout, ce qu’il avait à maintenir arrimé s’échappait de l’étoffe rendue lâche par l’activité de la grosse bébête prisonnière.

La comtesse regardait le strip-tease de son invité avec émotion. Elle sentit vraiment, en présence de ce mâle de rencontre, que son deuil prenait fin.

Загрузка...