SUITE

Il a tout jugé, pesé, défini, Béru : une bande de blousons blancs pervers, privés de sens moral qui, pour les besognes de choc, s’acoquinent à des voyous pur fruit. De sales vermines, tous ! Des pourris naturels, nés gâtés (par leurs parents également). Il sait qu’au point où ils en sont et ayant percé leurs fonctions, à Pinaud et à lui, ils ne voient pas d’autres solutions que de les mettre en l’air. Vont s’en faire un plaisir. Pour eux, le meurtre est un sport de luxe : la catégorie au-dessus du golf et avant le polo ! Alors il va falloir jouer son va-tout ! Et ce con de César qui n’a plus aspect humain. Ce vieux Père la Colique, déjà à moitié scrafé ! Tu parles d’une croix, ce chieur ! Incapable qu’il est de faire autre chose que de déféquer, tu voudrais entreprendre quoi, avec sa pomme ? Sur l’instant, il le hait !

Minute confuse. Le Noir désigne les pistolets en flaques au Gros et dit :

— Ramasse-les et nettoie-les !

Il s’empare de la mitraillette de la fille. Entre les pattes d’un gusman comme lui, l’arme semble encore plus menaçante, plus, redoutable.

Il braque le Mahousse.

— Tout de suite ! Je compterai pas jusqu’à trois !

— O.K. ! O.K. ! s’empresse l’Indomptable, comme s’il était dompté.

Il se penche, paré pour l’action, ayant, dans un éclair (au chocolat), établi son plan.

— Vieux dégueulasse, fait-il à Pinuche en lui virgulant un coup de tatane dans le dossard.

La Pine, propulsé en position précaire, décrit un valdingue de deux mètres dans le living. Ce faisant, il libère la toile cirée de sa modeste présence. C’est ce que souhaite le Mammouth qui a remarqué que son noir antagoniste a les pieds sur l’autre extrémité de la toile. Alexandre-Benoît feint de vouloir ramasser les deux feux, en fait il saisit un bord du rectangle fécalisé et tire de toutes ses forces. Le Noir bascule en arrière. Béru rabat la toile cirée par-dessus sa personne et attrape le canon de la sulfateuse qui dépasse. Le reste de l’arme est bassement souillé, mais Bérurier ne s’arrête pas à ce genre de détail.

— Maintenant, vous m’avez assez suffisamment plumé, les mecs ! tonne-t-il de sa voix de centaure (comme il le dit lui-même). Alignez-vous face au mur du fond, et au moind’ mouvement j’vous vide ce putain d’chargeur dans les poumons. Les valdas, c’est bon pour les bronches !

Ils pigent et obtempèrent.

Béru regarde son compère.

— Hé ! Pinocchio ! lui dit-il, où qu’t’en es ? Tu meurs ou on continue d’faire équipe d’nuit ?

— Je crois que ça y est, lamente le doux Vieilloche, mais comme je me sens faible !

— Bon, cherche la salle de bains et r’fais-toi un cul, Vieille Morve ! Quant à toi, l’môme aux myrtilles, continue c’qu’j’t’avais d’mandé : appelle la flicard’rie !

L’Imberbe réentreprend le cadran du gnoufzingue. Au bout d’un moment, il renonce.

— Il n’y a pas de tonalité, annonce-t-il.

— Et y en avait t’t’à l’heure ?

— Je crois, oui !

Bérurier réfléchit :

— P’t’être qu’a des loustics qu’est v’nus en renfort et qu’ont cisaillé la ligne. Viens m’ remplacer un moment. Naturliche, t’sais pas t’servir d’un’ sulfateuse ? R’garde, mouflet : on tient la bécane d’cette manière. L’indesque su’ la détente. Gaffe des éclaboussages : j’ai r’l’vé l’écran d’ sûr’té, prends pas d’rixes inutil’ment superflus, mon drôlet. Un qui joue au con, t’appuye su’ l’clito d’ l’engin ; pense qu’c’sont ces salauds qu’a buté ta frangine ! Alors, pas d’quartier’ !

Il sort pour aller faire sa ronde de nuit. Mais les abords de la maison sont déserts et silencieux. Il a beau ouvrir grands ses vasistas, le Sandre, il ne décèle rien d’anormal, dans cette riante région du Tigre.

Comme il s’apprête à rentrer, un vacarme se produit dans la taule. Rafale de mitraillette. Ça crache épais : tout le chargeur y passe dans la foulée. Le fracas s’accompagne de cris, de bruits de verreries pulvérisées. Le Mammouth émet son barrissement de guerre et se rue aux nouvelles (en anglais : to the news).

En débouchant dans le salon, il n’en revient pas. Séché, il est, déshydraté du cervelet en plein. Le blond, le Noir, la fille, les autres malfrats gisent sur le sol, criblés de balles, morts ou râlant ; saignants, en tout cas. Le fils del Panar se tient au milieu de la pièce, la mitraillette fumante entre les mains, hagard, les yeux fous, un rictus indicible tordant ses lèvres.

— Qu’est-ce y est arrivé ? bredouille Gargantua.

Pinaud qui est accroupi à l’écart, déféquant de plus rechef, explique :

— Ce qu’on voulait faire, Sandre, il l’a fait.

— De quoi tu causes ?

— Nous voulions leur arracher la vérité par la force. Le môme l’a fait sous la menace. Il était terrible. Il a demandé comment s’était passé l’assassinat de sa grande sœur. Le blond a craqué, il a dit qu’ils avaient engagé le tatoué pour la suriner. C’est lui qui avait dérobé le couteau à viande d’Alfred à la fin du repas. Pendant que Veronica allait draguer notre pote sur la plage, le tatoué a assassiné Mlle del Panar dans la salle de bains de sa chambre, puis il a traîné son cadavre dans la ruelle du lit. Quand la vamp est revenue, tout était fini. Elle a fait l’amour avec le coiffeur puis, comme nous l’avons déterminé ensuite, s’est enfuie par le conduit d’aération. Crime parfait !

Pour ce qui est du môme Salvador, ils l’ont embarqué et ont planqué de la drogue chez lui pour donner à croire qu’il s’agissait d’un règlement de compte entre trafiquants. Leur but, c’était de réclamer beaucoup plus de fric à la seconde femme du père del Panar. Ils comptaient la menacer de libérer le môme si elle ne crachait pas au bassinet.

Le Gros continue de contempler le carnage. C’est le massacre de la Saint-Valentin !

— Pourquoi t’est-ce il a défouraillé ? demande-t-il. Y l’ont menacé ?

— Non.

— Ben, alors ?

— C’est ses nerfs qu’ont craqué. Brusquement, il s’est mis à les arroser en criant : « Assassins ! Assassins ! Ma sœur ! Ma sœur ! »

Le Gros va arracher l’arme vide des mains de l’adolescent.

— J’ai été con d’ t’prend’ pour un homme, p’tit nœud ! Fais pas ces châsses de merlan frit, Ducon !

Il le gifle en deux exemplaires, puissant aller-retour qui imprime la marque palucharde du Gros sur les joues acnéeuses du gamin en faisant éclater quelques-uns de ses bubons.

— La police va se pointer, Branleur, écoute bien la version de m’sieur Pinaud ici présent. V’v’lez bien nous narrerer les faites, qu’v’s’avez assisté, m’sieur Pinaud, j’vous prille ?

— Certainement, s’empresse le cher Délabré. Lorsque vous avez quitté la pièce, la jeune femme s’est approchée de M. del Panar fils, ici présent, et lui a arraché l’arme sans difficulté. Elle a crié aux autres : « C’est de votre faute si nous sommes perdus ! Regardez où nous en sommes ! » Et, saisie d’une crise de démence, elle s’est mise à leur tirer dessus. Ce que voyant, avec un courage stupéfiant, M. del Panar fils a voulu la désarmer. Au risque de sa vie, il lui a arraché la mitraillette à son tour, mais, dans l’échauffourée, des balles sont parties…

— Mouais, apprécie l’officier de police Bérurier, j’voye très bien l’topo. V’s’avez n’entendu, Salvador, ce dont il s’est passé ? Vous v’ souviendierez bien d’ l’aversion d’ m’sieur Pinaud ? Récitez-me-la, qu’ j’m’rendisse compte !

Pinaud revient de la salle de bains, chancelant mais vide et nettoyé. Même, pour te dire : il sent bon, s’étant lotionné copieusement d’eau de toilette. Il dit :

— Qu’est devenue la personne avec laquelle tu t’es isolé pour forniquer, Sandre ?

Bérurier dresse l’oreille, la queue, les paupières et deux ou trois autres parties amovibles de son académie. Puis il fonce à la chambre où se perpétrèrent ses amours inconclues.

Le lit est vide. Il devient donc livide. Des traces de sang, consécutives à la blessure subie par Veronica, se lisent sur les draps blancs. Mais la personne de son cœur a disparu et une profonde meurtrissure laboure l’âme si noble de cet être délicat.

— E s’est cassée, balbutie-t-il. Dieu de Dieu ! elle a enfui en roulant sur la jante, la pauvrette, qu’on n’aura pas fini d’prendr’ not’ pied, moi z’et elle ! Se peut-ce ? Une gonzessse qu’ pour la première fois d’ma vie j’ai z’eu l’coup de foutre ! Mais ell’ va mourir si on n’la sogne pas, la chère chérie ! Ou bien les perdreaux d’ici risquent d’lui défourailler cont’. Faut qu’ j’vais la sauver, l’Amour ! Y la ramèn’rerai dans l’droit ch’min d’abord, en France ensute. J’l’épous’rerai, j’y f’rai des lardons. On r’tourn’ra à Saint-Locdu-leVieux, mon village natal. J’r’prendrerai la ferme à mes vieux et on f’ra l’cochon. Un él’vage modèle. Ça pue l’été, mais ça rapporte. J’prendrai la variété Babylas : les gros roses qu’a la queue noire. On s’ra primés dans les commissures agricoles ! Not’ entreprise, j’la baptiserai « Béru-porc-export ». La Véro, j’la saut’rai à longueur d’jornée : su’ la grand’ tab’ d’ la cuisine, dans la grange, à même l’plancher, dans le tas d’grain du gr’nier et elle aura du blé plein la chatte ! Qu’y faudra vach’ment qu’elle s’injectionne après, pas qu’y en reste, sinon y gerin’raient à l’intérieur, biscotte la chaleur ; y doive régner un’ température d’au moins cent d’grés dans son minou : y m’brûlrait l’Nestor !

Il a le temps de dire tout cela, Alexandre-Benoît Bérurier, en l’espace de peu de secondes. Soucieux mais déterminé, il rabat sur les lieux du carnage.

— Pinuche, fait-il gravement, faut qu’on se quitte un bout d’temps. J’ doive retrouver la gosseline, tu comprends ? C’est ta pomme qui va donc r’cevoir les draupers et leur espliquer l’topo. Veille qu’ ce p’tit glandu tienne l’choc : on doit ça à sa mère, moive du moins ! C’est pas d’sa faute s’il a eu un coup de nervouze après tout c’ qu’y v’nait d’subir. On s’r’trouvra chez lui où l’ami Alonzo doit nous attend’. Tu mettras Carmen au courant des périphéries d’ la noye, qu’elle nous ouvre l’pébroque en grand, n’au cas où ses collègues chican’raient su’ c’tas d’viande froide !

Il pose ses deux pattounes plantigradeuses sur les épaules fuyantes du jeune homme :

— Quant à toi, loupiot, du nerf ! T’en verreras d’aut’ ! Pense à Maradona et d’mande-toi c’qu’il aurait fait à ta place !

Après cette double exhortation, Bérurier tourne les talons et s’enfonce dans la nuit.

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