Pendant que le duc de Guise mettait sur pied près de 400 gens d’armes pour s’emparer d’un seul homme, que devenait le chevalier de Pardaillan, cause involontaire de toute cette émotion?
Pardaillan avait traversé Paris, chevauchant toujours à une quinzaine de pas devant la litière de Fausta. Il était entré dans la Cité et avait fini par s’arrêter devant la sinistre maison à porte de fer. Il sauta en bas de sa monture et tendit le bras pour que Fausta pût s’y appuyer en descendant de sa litière. Et Fausta, en effet, s’appuya quelques instants sur ce bras, puis sauta légèrement sur la chaussée.
Pardaillan alla soulever le heurtoir et ne put s’empêcher de tressaillir au bruit sourd qui se répercuta à l’intérieur. Ce bruit, il le reconnaissait Et cela lui rappelait des souvenirs à tout le moins désagréables. La porte s’ouvrit. Fausta regarda fixement Pardaillan.
– Oserai-je vous prier, dit-elle, de vous reposer quelques instants en mon logis?
Une seconde, Pardaillan fut tenté de pousser la bravade jusqu’au bout; mais décidément le souvenir assez hideux de la nasse en treillis de fer ne lui inspirait que des réflexions de défiance.
– Madame, fit-il avec un sourire qui en disait long, je connais déjà l’intérieur de ce magnifique palais, je ne gagnerais donc rien à une nouvelle visite, et d’ailleurs, depuis certaine aventure qui m’arriva justement dans une maison de la Cité, vous n’avez pas idée comme j’ai horreur d’être enfermé; c’est à un tel point que je passe maintenant mes nuits à la belle étoile…
– Je vous souhaite donc que les étoiles vous soient propices, dit Fausta qui cependant, prêtait l’oreille au loin et ne rentrait pas, comme si elle eût voulu retenir Pardaillan quelques minutes encore.
– Que dois-je faire de ce cheval? dit Pardaillan qui cherchait un moyen de prendre congé.
– Gardez-le! fit vivement Fausta, sinon en amitié, du moins en souvenir de moi.
Pardaillan attacha la bête à un anneau et répondit:
– Hélas! madame, je ne suis qu’un pauvre gentilhomme sans maison ni écurie… J’ai déjà une monture équipée; si j’acceptais celle que vous voulez bien m’offrir, je serai forcé de la laisser mourir de faim. Sur ce, madame, daignez me permettre de prendre congé…
– Je ne vous retiens pas, monsieur, dit Fausta. Adieu, et soyez remercié!…
Pardaillan s’inclina profondément, tandis que Fausta rentrait à l’intérieur de son palais. Tant que la porte ne fut pas refermée, le chevalier s’attendait à quelque attaque soudaine, et se tenait sur ses gardes.
– Allons, je deviens mauvais, murmura-t-il en s’en allant. Pourquoi cette femme que j’ai sauvée aujourd’hui me voudrait-elle du mal?… Je lui ai parlé un peu bien cavalièrement… je ne suis qu’un rustre.
Tout en s’adressant ces reproches qui avaient le mérite d’être sincères, Pardaillan longeait sans hâte les bords du fleuve, et ce fut ainsi qu’il parvint non loin du pont Notre-Dame au moment même où une troupe d’une quinzaine de cavaliers prenait position sur ce pont. De l’endroit où il se trouvait, Pardaillan ne pouvait voir ces cavaliers, la chaussée du pont lui étant masquée par les maisons qui la bordaient. Mais il vit parfaitement qu’on tendait les chaînes.
«Qu’est-ce que cela veut dire? pensa-t-il. Garons-nous à tout hasard.»
Il fit donc un crochet à gauche et parvint dans la rue de la Juiverie, d’où il put constater que le pont Notre-Dame était gardé. Il était d’ailleurs bien loin de supposer que c’était à lui qu’on en voulait; mais dans la situation où il se trouvait, il ne devait nullement souhaiter d’avoir à parlementer avec des hommes d’armes qui portaient le blason de Lorraine.
«J’en serai quitte pour entrer dans l’Université par le Petit-Pont, songea-t-il, et une fois dans l’Université, j’attendrai que les passages soient libres.»
Il fit volte face et, suivant la rue de la Juiverie, se dirigea vers le Petit-Pont. À cent pas il s’arrêta. Là encore, il y avait une troupe de cavaliers, et la chaîne était tendue!
– Diable! fit Pardaillan. Voilà qui va me faire perdre du temps… Et pourtant, ajouta-t-il rudement, je ne veux pas passer ma journée dans la Cité… M. de Maurevert pourrait s’impatienter de ne pas me voir.
Comme on peut le constater. Pardaillan ne songeait guère que ces mesures pouvaient avoir été prises contre lui. À supposer même que le duc de Guise connut sa rentrée à Paris, comment en effet eût-il pu savoir précisément que le chevalier était dans la Cité?
Sans autre inquiétude que celle du temps perdu, Pardaillan se dirigea donc vers la rue de la Barillerie; de ce côté, il pourrait déboucher soit sur le quai de la Mégisserie par le pont aux Changeurs, soit sur la rue de la Harpe par le pont Saint-Michel. Ce ne fut pas sans frémissement que le chevalier vit ces deux ponts également barrés.
Enfin lorsqu’il eut constaté qu’il n’y avait pas davantage moyen de passer par le pont aux Colombes, ni même par les échafaudages des constructions du Pont-Neuf, il dut bien s’avouer qu’il était prisonnier dans la Cité.
Il songea alors à essayer de traverser la Seine, soit en démarrant une barque, soit même à la nage. Mais s’étant approché de la berge à peu près à l’endroit où avait eu lieu le duel de Maurevert avec Lartigues, il constata qu’un singulier mouvement se faisait sur les berges.
Du pont Notre-Dame au pont aux Changeurs, des hommes d’armes s’étaient détachés et s’échelonnaient de façon à former une haie. Pardaillan vit qu’il était entièrement cerné dans l’île.
– À ce moment même, il s’aperçut que de toutes parts, ces troupes pénétraient dans les rues de la Cité… Non seulement il était cerné, mais il allait être reconnu!…
Il était évident qu’on traquait quelqu’un. Une sorte de battue s’organisait. Des bourgeois et des femmes passaient en courant et se hâtaient de regagner leur logis. Pardaillan, dans la rue de Calandre avisa un fripier qui, pris de peur, fermait sa boutique.
– Attendez, dit le chevalier, je vais vous aider…
Et il aida en effet le pauvre homme; mais ce n’était pas simplement par charité que Pardaillan prêtait ainsi le secours de son bras à cet inconnu.
– Que se passe-t-il? lui demanda-t-il.
– Ma foi, monsieur, le diable le sait! Ah! nous sommes bien heureux d’avoir la Ligue et c’est un bien grand honneur pour le peuple de Paris que monseigneur ait chassé Valois et ses suppôts! Mais enfin, ce ne sont qu’alertes continuelles, et moi qui vous parle, monsieur, je ne vis plus! Quant à ma femme, elle en a attrapé la fièvre quartaine…
– Ainsi, fit Pardaillan désappointé, vous ne savez pas pourquoi la Cité est envahie par les troupes de monseigneur que Dieu garde!…
– Que Dieu confonde! maugréa le boutiquier. Je crois, reprit-il tout haut, qu’il s’agit de quelques huguenots qui se seront cachés par ici… On dit aussi que M. le duc en veut fort à messieurs du Parlement…
– Ah! ah! voilà donc l’explication. Merci, mon brave!
– C’est moi qui vous remercie, monsieur, de votre honnêteté… Tenez! les voici qui entrent dans les maisons pour faire perquisition!… Seigneur, ayez pitié de nous!…
Le fripier se hâta de rentrer dans la maison. Et sa terreur était d’ailleurs pleinement justifiée, car les gens d’armes de Guise, toutes les fois qu’ils avaient à perquisitionner, ne se faisaient pas faute de s’enrichir aux dépens du bourgeois.
Tous les passants, d’ailleurs, n’étaient pas aussi effarés que ce digne boutiquier. Une foule s’amassait peu à peu pour voir, saisir et peut-être pendre ou brûler le ou les huguenots recherchés. À cette foule vinrent se mêler des mariniers; des figures louches se montrèrent; des gens empressés à aider les soldats dans leurs perquisitions… et empressés également à faire main-basse sur tout ce qui était facile à enlever, bon à manger, à boire ou à vendre…
Pardaillan marchait, pour ainsi dire poussé par ce flot humain qui montait et débordait. Et ce fut à ce moment qu’il entendit prononcer son nom.
Pardaillan, sans s’arrêter, écouta. Son nom prononcé d’abord par l’un des officiers qui dirigeaient l’opération le fut ensuite par un autre, puis par d’autres encore!…
Pardaillan sentit un frisson le parcourir. C’était lui qu’on cherchait! C’était pour lui que la Cité était envahie, bouleversée, c’était contre lui que retentissaient les cris de mort!…
Il jeta un regard à droite, à gauche, devant et derrière. Devant, c’était une troupe qui s’avançait lentement, s’arrêtant de logis en logis. Derrière, c’était une troupe pareille devant laquelle il fuyait. À gauche, c’étaient les maisons de la rue Calandre, avec des gens penchés aux fenêtres. À droite, enfin, c’était un terrain vague pelé, galeux, à l’herbe rare, au fond duquel se dressait l’arrière-bâtisse du Marché Neuf. Et vers le milieu de ce terrain vague s’élevait une maison solitaire aux fenêtres hermétiquement closes.
Mais de son coup d’œil sûr et prompt, Pardaillan remarqua aussitôt que si les fenêtres de ce logis étaient fermées, il n’en était pas de même de la porte, qui était entre-bâillée… Il s’y dirigea de son pas le plus tranquille. La situation était affreuse… Et de l’effort qu’il faisait pour paraître paisible et ne pas se précipiter, Pardaillan sentait la sueur couler de son front à grosses gouttes… Mais il s’était trouvé déjà à plus d’une aventure de ce genre, et savait conserver une allure et un visage de sang-froid, alors même que son cœur battait la chamade et qu’il se disait:
«Maintenant, c’est la fin de tout! Le diable lui-même ne saurait me tirer de ce mauvais pas, si toutefois le diable consentait à s’occuper de moi…»
Au moment où il atteignait la porte entre-bâillée de cette singulière maison, les gens d’en face le virent de leurs fenêtres et lui crièrent:
– Prenez garde! N’entrez pas!…
Mais Pardaillan n’entendit pas: il poussa la porte, pénétra dans une sorte de vestibule, et ayant tranquillement poussé la porte derrière lui, cria:
– Ne craignez rien, qui que vous soyez qui habitez ce logis…
À son grand étonnement, personne ne répondit. Et sa voix répercuta de sourds échos, comme si la maison eut été déserte. Pardaillan avança jusqu’au fond du vestibule, et avant d’ouvrir la porte devant laquelle il se trouvait alors, cria encore:
– Y a-t-il quelqu’un dans ce logis?…
Aucune réponse ne lui parvint. Alors il se décida à ouvrir; il se trouva dans une pièce assez vaste, garnie de quelques meubles d’aspect sévère; pour tout ornement aux murs, il n’y avait qu’un crucifix.
«C’est le logis de quelque chanoine de Notre-Dame, songea Pardaillan. Si ce brave prêtre entre, je suppose qu’il ne me trahira pas… hum!… j’ai vu dans ma vie bien des chanoines qui n’en étaient pas à une trahison près… Quel qu’il soit, il ne tardera pas à rentrer sans doute, car il avait laissé la porte de son logis ouverte…»
Mais pendant qu’il songeait ainsi, Pardaillan remarqua qu’une épaisse couche de poussière couvrait les meubles. Il y avait d’ailleurs un certain désordre dans cette pièce. Il y régnait une atmosphère de moisi…
«Qui diable peut habiter là?…»
Pardaillan sentait une sorte d’angoisse étreindre son cœur. Il lui semblait respirer du mystère et de l’horreur. Il en arrivait à oublier qu’il était suivi, traqué, et que la grande chasse à l’homme, la grande battue organisée dans toute la Cité comme pour un fauve aboutirait sans aucun doute à sa découverte… à sa mort!…
Enfin, ne pouvant plus supporter cette pesante tristesse qui semblait descendre des murs nus de cette pièce, il se secoua et alla pousser une porte par où il pénétra dans une chambre voisine. Cette chambre était plus claire que la première. En effet, dans la pièce qu’il venait de quitter, les fenêtres fermées ne laissaient filtrer qu’un faible rayon de jour.
Dans celle où il venait d’entrer, il n’y avait pas de fenêtre, mais un œil-de-bœuf placé très haut, et que du dehors on ne pouvait certainement pas atteindre. La lumière entrait par là sans obstacle.
– Ouf! respira Pardaillan. J’ai cru que j’étouffais! C’était sans doute l’oratoire de ce chanoine… ici, au contraire, ce doit être son lieu de récréation…
Comme il murmurait ces mots, son regard tomba sur un certain nombre d’objets qui garnissaient les murs. Car si, dans la première pièce, il n’y avait aux murs qu’un crucifix, dans celle-ci, les murailles étaient très ornées… Mais ces ornements firent pâlir le chevalier.
C’était toute une collection de haches. C’étaient des couteaux d’une certaine forme, larges et effilés comme des couteaux de boucher. C’étaient des masses de fer, hérissées de clous. C’étaient des paquets de corde accrochés en bon ordre. C’étaient enfin de bizarres instruments, des pinces, des tenailles. Tout cela méthodiquement rangé, et d’ailleurs couvert d’une épaisse couche de poussière.
Pardaillan se sentait tressaillir, et un étrange malaise s’empara de lui. Sur une table, au milieu de cette pièce, quelques parchemins étaient demeurés.
À ce moment, ce murmure énorme et confus de la foule, qui ressemble si bien au grondement de la mer, se rapprocha de la maison solitaire, comme si, en effet, elle eût été battue par les flots d’une marée montante… Mais Pardaillan n’entendait rien… Le mystère de cette maison l’oppressait: il lui semblait qu’elle avait un secret à dire, et que sa pesante tristesse venait de ce secret… Il s’approcha de la table poussiéreuse sur un coin de laquelle, en bon ordre, s’entassaient l’un sur l’autre une trentaine de parchemins… Et ayant jeté les yeux sur celui de ces parchemins qui recouvrait les autres, il vit qu’il portait le sceau de la Grande-Prévôté.
Sous la poussière, il put déchiffrer les premiers mots… Et alors il recula, pris d’un frisson… La maison solitaire et triste venait de lui révéler son secret!… Ces parchemins, c’étaient des ordres d’exécution! Ces haches, ces tenailles, ces cordes, c’étaient des instruments de supplice! Cette maison, c’était le logis du bourreau!
Comme il reculait, glacé, frémissant, n’ayant plus qu’une idée: sortir, se trouver au grand air, revoir le soleil, fuir l’horreur ambiante… comme il atteignait le vestibule, des coups violents ébranlèrent la porte d’entrée, et une voix, dehors dominant le tumulte, cria:
– Il est là, monseigneur! Nous le tenons!
Pardaillan reconnut la voix de Maurevert…
– Qu’on cerne cette maison! commanda une autre voix que le chevalier reconnut pour être celle de Guise.
Il jeta un regard d’angoisse sur la porte. Elle était solide, heureusement, bardée de fer à l’intérieur. Il comprit qu’il avait quelques minutes devant lui pour prendre une décision. D’un bond, il fut dans la pièce où il était entré d’abord, courut à la fenêtre, leva le châssis, et par une fente des lourds volets fermés, put voir ce qui se passait dehors:
Guise à cheval, au milieu d’une troupe de cavaliers. Devant la porte, une vingtaine de gens d’armes qui soulevaient un madrier pour s’en servir comme d’un bélier. Maurevert était là!… C’était lui qui dirigeait l’opération.
Près de Guise, Pardaillan reconnut Bussi-Leclerc et Maineville. Derrière cette troupe de cavaliers, c’était la foule, qui ayant appris qu’on poursuivait quelqu’un, s’était rassurée, et sans savoir pourquoi, pour le plaisir de voir tuer sans doute, vociférait.
Ce fut dans les yeux de Pardaillan une rapide vision: le tableau entier entra dans son regard, et dans le même instant il recouvra son sang froid. Les cris de mort, le bruit des coups de madrier sur la porte, les craquements du chêne qui se fendait, la rumeur confuse et violente dont s’emplissait la Cité formaient une de ces formidables musiques auxquelles son oreille et son esprit étaient accoutumés.
Au loin, retentissaient des coups d’arquebuse et des cris perçants de femmes: simples incidents des multiples perquisitions qui avaient lieu dans l’île entière. À chaque instant, on amenait devant Guise des gens déchirés et sanglants…
– Monseigneur, ce doit être le sire de Pardaillan… nous l’avons trouvé sous un lit…
Guise secouait la tête, haussait les épaules, et l’homme était relâché, non sans force bourrades, pour lui apprendre que l’autorité ne perdait jamais ses droits, surtout quand elle se trompait. Mais le duc n’ordonnait pas d’interrompre les perquisitions, bien que le gîte de la bête traquée fut connu: la paye des soldats était fort en retard et il fallait bien les laisser se refaire un peu sur le bourgeois. Il y eut donc des logis dévastés, des hommes roués de coups, quelques morts et de nombreux blessés…
Pardaillan revint dans le vestibule au moment où un grand cri, dehors, saluait un coup de madrier qui venait de fendre la porte de haut en bas.
– Allons, murmura-t-il, c’est la fin! Je vais laisser ici mes os… Et quand je pense que ce Maurevert…
Il s’arrêta court, les poings crispés; une pâleur de désespoir s’étendit sur son visage…
Ayant franchi le vestibule, il parvint dans une étroite pièce qui servait de cuisine à la servante du bourreau, dans le temps où maître Claude habitait ce logis. La cuisine s’ouvrait sur une cour entourée de hautes murailles. Mais contre le mur du fond se dressait une échelle.
Pardaillan monta. De la tête, il dépassa la crête du mur… Il vit alors qu’il dominait une infecte et étroite ruelle, un boyau qui se subdivisait en deux branchements dont l’un faisait communiquer la rue Calandre avec le Marché-Neuf, et dont l’autre, perpendiculaire à ce dernier, s’enfonçait vers Notre-Dame et contournait le parvis pour aboutir à la Seine.
Pardaillan vit tout cela d’un coup d’œil. Mais il vit aussi qu’une douzaine de gens d’armes gardaient la ruelle. Alors il redescendit, rentra dans la maison du bourreau, et quelques instants après, reparut une hache à la main. Presque aussitôt il se trouva de nouveau en haut de l’échelle.
À ce moment dans la rue Calandre, une furieuse clameur s’éleva: la porte était défoncée; les troupes de Guise se ruaient dans la maison… mais Maurevert n’était pas entré!… Derrière lui, Pardaillan entendit les hurlements, le bruit des armes, le tumulte des pas précipités, les vociférations…
– Sus! Sus!… Pille!…
– Tue! Tue!… Au truand!…
– À mort! hurlait la foule en acclamant le duc de Guise.
Pardaillan s’assit sur le mur. Au même instant, il sauta…
– Place! rugit-il en tombant sur ses pieds.
Les gardes postés là, un instant stupéfaits, cherchèrent à se réunir, et déjà Pardaillan se ruait sur le groupe, la hache levée s’abattit encore toute rouge, il y eut des trépignements, des grognements, une trouée se fit, et pareil au sanglier qui avant de mourir fonce à travers la meute Pardaillan passa…
D’un bond il s’écarta, se rua en avant, et se retournant tout à coup, lança sa hache à toute volée… Trois hommes tombèrent, blessés ou morts…
– Alerte! alerte! vociféraient les gardes.
En un clin d’œil, les gens d’armes de la rue Calandre envahissaient la ruelle; du haut du mur de la maison de Claude, d’autres se lançaient… le boyau en quelques secondes fut rempli de gens qui se heurtaient, se pressaient, s’étouffaient…
– Il se sauve!… Arrête! Arrête!…
– Au truand! À la hart! À la mort!…
Pardaillan s’était élancé d’un bon pas. Il avait mis l’épée à la main, et marchait droit devant lui, sans tourner la tête…
De deux ou trois maisons, dans ce parcours, des gens sortirent pour lui barrer la route. Mais sans doute cet homme dut leur paraître terrible; sans doute sa physionomie hérissée, flamboyante les épouvanta… car les uns rentrèrent précipitamment dans leurs trous, et les autres, n’en ayant pas le temps, se collaient au mur en gémissant:
– Grâce, monsieur le truand!
Toujours droit devant lui, toujours poursuivi par la meute hurlante, Pardaillan déboucha tout à coup sur le derrière de Notre-Dame. La meute était sur ses talons, il sentait des souffles rauques sur sa nuque; il se disait:
«Si je fais un faux pas, si je m’arrête, si je me retourne, je suis mort!»
Et pourtant, il fallait que cela finit!… La Cité tout entière était cernée; les berges gardées… où aller?… que faire?… Il n’avait qu’une ressource unique: descendre sur une berge, et passer coûte que coûte, se jeter dans la Seine!… Mais en aurait-il le temps?… Et pût-il même se jeter à l’eau, est-ce qu’il n’y serait pas repris aussitôt!…
Comme il débouchait du boyau dont l’étroitesse même l’avait sauvé, il comprit que sur cet espace plus large il allait être enveloppé par les poursuivants et qu’il allait tomber là, avec cette dernière espérance se faire tuer plutôt que de retomber aux mains de Guise et de Maurevert… Le désespoir l’envahit.
Dans ce suprême regard d’adieu au monde qu’il jetait autour de lui, il se vit devant une maison sinistre à la porte de fer. Le palais de Fausta!… Il était venu mourir devant le palais de Fausta!…
Un éclat de rire insensé gronda sur ses lèvres blanches, et il fit un dernier bond vers l’auberge du Pressoir de fer, escalada les marches, renversa à coup de pommeau quelques buveurs qui lui barraient le passage, et toujours droit devant lui, de pièce en pièce, il fonça… sans savoir, éperdu, enragé de mourir avant Maurevert!…
Dans le même moment, l’auberge fut pleine de tumulte… Les poursuivants s’y jetaient tous ensemble… De pièce en pièce, les hurlements frénétiques poursuivaient Pardaillan; fermer les portes lui était impossible…, déjà, il avait senti les rapières ou les piques des plus avancés le heurter… Une clameur de mort, sinistre, affreuse, emplit ses oreilles… et acculé dans la dernière pièce de l’auberge, continuait sa course éperdue, il vit une fenêtre ouverte, l’enjamba… sauta dans le vide!…
À la fenêtre, des coups d’arquebuse éclatèrent. Quelques instants, l’auberge fut pleine de vociférations, puis toute cette foule reflua, l’auberge se vida rapidement, et tous se précipitèrent au bord de l’eau.
À ce moment arrivait Maurevert, haletant, livide, sa dague à la main. Il jeta autour de lui des regards sanglants, ne comprenant pas ce qui se passait. Mais derrière lui le duc de Guise arriva et gronda:
– Où est le truand? Pourquoi n’est-il pas arrêté?…
– Monseigneur, cria un officier sur les bords de la Seine, le sire de Pardaillan s’est jeté dans la Seine; il est d’ailleurs blessé.
– Qu’on détache toutes ces barques, ordonna Guise; qu’on surveille le fleuve, et dès que l’homme apparaîtra, un bon coup d’arquebuse dans la tête!…
Et se tournant vers Maurevert:
– Je crois que nous le tenons bien, pour le coup!
Maurevert ne répondit pas. Un sourire crispa ses lèvres, et l’un des premiers, il se jeta dans une barque avec trois ou quatre hommes armés d’arquebuses. Quelques secondes après la chute ou plutôt le saut de Pardaillan, la Seine était sillonnée de barques, tandis que sur les rives la foule attendait. Trois ou quatre cents hommes étaient prêts à faire feu sur Pardaillan dès qu’il se montrerait à la surface de l’eau.
Une heure se passa… Pardaillan ne reparut pas. Il fut évident pour tous qu’il s’était noyé et que son corps roulé par le courant avait dû aller se perdre au loin, à moins qu’il n’eût été retenu par le lit du fleuve. Cependant, les recherches continuèrent jusqu’au soir, mais sans aucun résultat.