XXXV LE DERNIER GESTE DE FAUSTA

Fausta, dès le matin, avait pris ses dernières dispositions. Elle avait expédié divers courriers et, entre autres, un cavalier chargé de courir au-devant de Farnèse pour lui dire de hâter sa marche sur Paris, car elle ne doutait nullement qu’Alexandre Farnèse ne fût entré en France depuis plusieurs jours déjà.


Puis elle avait tout fait préparer pour son départ le soir même. En effet, elle avait convenu avec Guise qu’aussitôt après le meurtre du roi, c’est-à-dire dans la nuit même, ils marcheraient sur Beaugency, Orléans, et, de là, sur Paris. Ce devait être une marche triomphale, pendant laquelle le duc de Guise devait proclamer ses droits à la couronne.


À Paris devait avoir lieu le couronnement, et Guise devait, dans Notre-Dame, présenter Fausta comme la reine de France.


C’est sur ce grand acte que se concentrait maintenant tout l’effort de Fausta. Tant que Guise ne lui aurait pas mis la couronne sur la tête, elle pouvait craindre qu’il n’essayât d’éluder ses engagements. Pourtant, ce n’était guère possible. Tout, au contraire, laissait présager à Fausta un triomphe définitif après lequel commencerait une série d’autres triomphes.


Ces derniers ordres donnés, ses derniers courriers expédiés, Fausta attendait donc vers huit heures du matin, dans ce grand salon où le cardinal de Bourbon avait célébré son mariage. Elle attendait que Guise vînt lui dire:


– Tout est prêt, madame, ce soir vous serez reine!


Un vague sourire détendait ses lèvres orgueilleuses. Elle souriait à cet avenir splendide qui s’ouvrait devant elle, et elle portait un défi suprême à la destinée.


Tout à coup, des bruits confus parvinrent jusqu’à elle. Et d’abord, elle n’y prêta pas attention, car les bourgeois criaient souvent par les rues. Puis, brusquement, elle se dressa. Des coups d’arquebuses éclataient. Elle entendait des piétinements de chevaux, des cris de terreur, des hurlements de bataille. Une sueur froide pointa à son front. Que se passait-il? Il lui eût été facile de le savoir en envoyant un valet interroger le premier venu dans la rue. Mais Fausta ne voulait pas savoir.


Elle en arrivait à deviner la vérité, à reconstituer l’effroyable vérité. Mais cette vérité, elle essayait d’en retarder en elle l’explosion. Haletante, pâle comme une morte, à demi penchée, elle écoutait ces bruits de dehors; des paroles lui parvenaient, qui confirmaient la supposition atroce. Elle ne pensait plus; dans sa tête, c’était un vertige, un chaos d’idées entrechoquées; elle frissonnait convulsivement et ses dents grinçaient…


Près de deux heures s’écoulèrent. Les bruits, peu à peu, s’éloignaient… Fausta pressa son front à deux mains et murmura:


– Aurai-je le courage de savoir ce qui se passe!… Quoi?… Est-ce possible?… Un tel effondrement si près du triomphe!… Folie!… Allons… c’est une échauffourée de bourgeois… Guise est en sûreté… ce soir, à dix heures, ce qui doit être sera!…


Elle frappa fortement sur un timbre et un laquais apparut. Et comme elle allait lui donner l’ordre de s’enquérir de la cause de ces bruits qui agitaient la ville, le laquais lui dit:


– Madame, un gentilhomme est là, qui ne veut pas dire son nom et veut parler à Votre Seigneurie.


– Qu’il entre! dit Fausta d’une voix faible, et presque malgré elle. Et à peine eut-elle dit cela qu’elle s’en repentit. La pensée était en elle que ce gentilhomme inconnu allait la lui dire, la cause des bruits, et que cette cause était terrible.


Au même instant, Pardaillan entra dans le salon. Fausta fut secouée d’une sorte de frisson nerveux et fixa sur lui des yeux exorbités par une indicible épouvante. Elle voulut pousser un cri, et sa bouche demeura entrouverte sans proférer aucun son. Elle voulut reculer comme devant une apparition d’outre-tombe, et elle ne put que se cramponner des deux mains au dossier d’un fauteuil. Pardaillan s’approcha d’elle, le chapeau à la main, s’inclina profondément et dit:


– Madame, j’ai l’honneur de vous annoncer que je viens de tuer M. le duc de Guise…


Un soupir atroce gonfla la poitrine de Fausta. Elle se sentait mourir. Et la présence de Pardaillan… Pardaillan vivant! Pardaillan qu’elle croyait au fond de la Seine… cette présence ce combinant, formant un tout avec l’annonce de la catastrophe, l’arrachait au domaine de la réalité pour la pousser dans le fantastique. Elle rêvait… C’était un rêve hideux, inconcevable, mais ce n’était qu’un rêve… Sûrement elle allait se réveiller!


– Madame, continua Pardaillan, il m’a paru que c’était une légitime satisfaction que je me donnais à moi-même en venant vous annoncer ce que j’ai fait. Je vous avais prévenu jadis que, moi vivant, Guise ne serait pas roi, et que vous ne seriez pas reine.


Un sourd gémissement s’échappa des lèvres blêmes de Fausta, et elle put murmurer:


– Pardaillan!…


– Moi-même, madame. Je conçois votre étonnement, puisque, après avoir voulu m’assassiner un certain nombre de fois, vous m’avez livré aux gens de Guise le jour même où je vous arrachais aux griffes de Sixte.


– Pardaillan! répéta Fausta dans un souffle.


– En chair et en os, madame, n’en doutez pas. Tenez, je vais vous dire. Dans l’abbaye de Montmartre, le jour où vous avez crucifié la pauvre petite Violetta, je vous ai vue si courageuse au milieu des traîtres, si orgueilleuse devant la mort, que sans doute ce jour-là, je vous aurais pardonné tout le reste et, par la même occasion, j’eusse pardonné à Guise. Mais vous m’avez obligé à faire un deuxième voyage dans la nasse. Ceci n’était pas de jeu, madame, j’ai compris que vous étiez une force inhumaine, et qu’il fallait vous écraser. Eh bien, je vous écrase, un mot y suffit: Guise est mort, madame! mort quelques heures avant d’être roi et de vous couronner reine. Et c’est moi qui l’ai tué…


Il se tut et considéra Fausta avec cette tranquillité modeste qui était peut-être la plus redoutable des ironies. Fausta, alors, parla, d’une voix basse et pénible, comme si les mots eussent eu de la peine à sortir. Elle dit à peu près ceci:


– Puisque vous vivez, vous, il n’est pas étonnant que je sois écrasée, moi, et que du haut de la plus étincelante destinée entrevue, je sois précipitée dans un abîme de honte et de douleur. Lorsque j’ai entendu crier dans la rue, j’ai vu Guise mort… et je vous ai vu. En vain j’ai repoussé votre image maudite… je savais que vous étiez là!…


Elle s’arrêta, grelottante; une flamme de folie passa dans ses yeux.


– Mon malheur est complet, reprit-elle. J’étais tout. Je ne suis rien. Mais vous qui venez vous repaître de ma douleur, vous qui m’écrasez et trouvez en vous le courage de vous réjouir de l’écrasement d’une femme, vous l’hypocrite qui jouez à la générosité, vous le faux chevalier qui venez insulter à ma misère, sachez-le, vous êtes plus bas que moi. Misérable spadassin, plus vil que le dernier bravo, vous avez mis votre rapière au service de vos vengeances; vous croyez porter l’épée, vous ne tenez qu’un couteau. Que faites-vous ici? Dehors! J’ai voulu vous tuer quand j’ai cru que vous étiez un homme. Vous êtes un laquais qui, par derrière et dans l’ombre, a frappé un maître, et je vous chasse. Dehors! Allez demander à Valois le prix de votre assassinat!


Elle parlait d’une voix rauque et si précipitée qu’à peine elle était intelligible. Son bras tendu vers la porte tremblait. Pardaillan avait baissé la tête, pensif.


Soudain, en la relevant, il vit Fausta qui marchait sur lui le poignard à la main. Elle rugissait. Une mousse légère blanchissait le coin de ses lèvres, et ses yeux noirs brillaient d’un éclat dévorant. Il la laissa s’approcher. Et au moment où elle levait le bras, il n’eut qu’un geste: il saisit le poignet de Fausta et le maintint rudement dans ses doigts.


– Que faites-vous? dit-il. Allons, madame, on ne me tue pas ainsi, moi! Car mon heure n’est pas venue. Tenez, je vous lâche: osez me frapper!


Il la lâcha et se croisa les bras. Fausta le regarda. Elle le vit si calme, si étincelant de bravoure, vraiment plus fort que la mort, et avec une telle pitié dans les yeux, qu’elle laissa tomber son arme; elle recula et éclata en sanglots.


– Madame, dit Pardaillan, avec une grande douceur, la scène de la cathédrale de Chartres est vivante dans mon esprit; vos lèvres ont touché mes lèvres, et c’est pour cela que je suis ici. Que je me sois donné la satisfaction de vous annoncer la mort de Guise, ce n’est pas injuste. Mais vous avez raison, peut-être n’est-ce pas généreux. Laissez-moi donc vous dire qu’en venant ici, j’avais un double but. D’abord, vous dire que vous ne serez pas reine, et après tout, générosité à part, il fallait bien vous prouver que je tenais ma parole puisque dès notre première rencontre, je vous ai dit: «Je ne veux pas que Guise soit roi!…» Ensuite, madame, au château, j’ai vu arrêter sous mes yeux, le cardinal de Guise, et M. d’Espignac, et M. de Bourbon, et d’autres. Et j’ai entendu le cardinal de Guise crier à M. d’Aumont qui l’arrêtait: «C’est une trahison de la Fausta…» J’ai pensé, madame, qu’on viendrait vous saisir, vous aussi, et cette épée qui a brisé votre royaume, je me suis dit que je devais la mettre au service de votre vie et de votre liberté. Car vous êtes jeune et belle. Vous pouvez, vous devez vous refaire une existence, et si vous n’avez pas trouvé le pouvoir, peut-être trouverez-vous le bonheur. À une lieue de Blois, j’ai préparé deux chevaux, un pour vous, un pour quelque serviteur qui vous accompagnera. Hâtez-vous de me suivre, tandis qu’il en est encore temps…


À mesure que Pardaillan parlait, les passions déchaînées dans l’âme de Fausta prenaient un autre cours. Avec l’extraordinaire promptitude de décision qui la rendait si supérieure, elle prenait son parti de l’abominable aventure. Elle s’apaisait. Elle rayait Guise de son esprit, et la souveraineté de ses espérances. Son imagination ardente échafaudait déjà un plan de vie nouvelle.


Vivre! Être heureuse! Renoncer au pouvoir pour chercher le bonheur! Et comme dans la cathédrale de Chartres, c’est dans l’amour qu’elle entrevoyait ce bonheur.


Il ne serait pas juste de dire que sa passion pour Pardaillan se réveillait, car en réalité elle n’avait jamais cessé de l’aimer. Mais qui savait s’il ne l’aimait pas, lui, à présent?… Qui savait si ce n’était pas une jalousie inavouée qui avait armé son bras contre Guise?…


Pourquoi donc venait-il la sauver?… Est-ce que ce n’était pas là un indice de sentiments que peut-être il ignorait lui-même?


Pourquoi lui parlait-il si doucement, avec une telle douceur après qu’elle l’avait trahi? après qu’elle avait tenté de le tuer?… Pourquoi lui disait-il: «Vous êtes jeune et belle…»


Ainsi, une espérance nouvelle battait des ailes, éperdument, dans l’imagination de Fausta… Ainsi, elle se raccrochait à une raison d’être, et son orgueil qui surnageait à son naufrage lui montrait une vie d’amour plus éclatante que toutes les vies d’amour!… Elle laissa tomber ses deux mains qu’elle avait placées sur ses yeux, ses lèvres s’agitèrent, elle allait parler… tout à coup, des coups sourds ébranlèrent la porte du vieil hôtel!


Elle bondit vers l’une des fenêtres qui donnaient sur la cour intérieure. En quelques instants, la porte céda, et une troupe nombreuse envahit la cour, sous la conduite du capitaine Larchant qui cria:


– Qu’on fouille cet hôtel, et qu’on arrête tout ce qui s’y trouve, hommes et femmes!


Fausta se retourna vers Pardaillan qui n’avait pas bougé de sa place.


– On envahit l’hôtel, n’est-ce pas? dit Pardaillan.


– Oui!


– Là! que vous disais-je!…


Elle s’élança vers lui, saisit ses deux mains, et d’une voix ardente murmura:


– Tout à l’heure, je voulais mourir. Maintenant, je veux vivre encore! Pardaillan, sauvez-moi!…


– Moi vivant, nul ne portera la main sur vous, dit Pardaillan.


Mais ces paroles, il les prononça avec une si glaciale froideur, qu’elle sentit le désespoir l’envahir. Puis elle secoua la tête, comme pour écarter les pensées de tristesse affreuse qui l’assaillaient…


– Pouvez-vous monter à cheval? dit Pardaillan.


– Je suis prête! répondit Fausta.


– Où trouverai-je des chevaux?


– Dans l’angle gauche de la cour est l’écurie. Il y a quatre chevaux tout sellés, et une litière attelée.


En effet, Fausta, nous l’avons dit, avait voulu que dès le matin, et en prévision de tout événement, son départ fut préparé. Elle s’était vêtue en cavalier comme elle en avait l’habitude toutes les fois qu’elle prévoyait une expédition où quelque danger pouvait surgir. Ce costume, d’ailleurs, lui seyait à merveille, et elle portait l’épée au côté avec autant d’aisance que n’importe lequel des Quarante-Cinq ou des gentilshommes de Guise. Pardaillan reprit:


– Y a-t-il quelque escalier dérobé qui nous permette de gagner l’écurie?


Elle secoua négativement la tête.


– Soit! fit simplement Pardaillan.


Cependant, la troupe de Larchant pénétrait avec prudence dans l’hôtel; les soldats avaient commencé par visiter le rez-de-chaussée. Ils y avaient trouvé quelques laquais et quelques femmes, notamment Myrthis et Léa, les deux suivantes favorites de Fausta. Femmes et laquais avaient été aussitôt saisis et emmenés hors de l’hôtel. Maintenant, les soldats montaient lentement le grand escalier, Larchant à leur tête.


– Madame, dit Pardaillan, vous allez me suivre. Je vais tenter de faire une trouée parmi ces soudards qui montent l’escalier. Serrez-moi de près. À peine dans la cour, gagnez l’écurie, sortez-en deux de vos chevaux et sautez sur l’un, le reste me regarde. Mais pour Dieu, ne gênez pas mes mouvements en essayant d’estocader [16]. Gardez cette jolie épée au fourreau. Tout votre courage, en cette rencontre, toute votre énergie et votre sang-froid doivent tendre à vous maintenir derrière moi sans qu’on puisse nous couper. Êtes-vous prête?


– Je le suis, dit Fausta.


Pardaillan, de ces gestes rapides qu’ont les gens au moment de l’action, resserra sa ceinture de cuir, assura son chapeau, dégagea un peu sa rapière, et se dirigea sur la porte qu’il ouvrit. D’un coup d’œil, il embrassa l’escalier où une vingtaine de soldats montaient, et le large palier orné d’une banquette, de deux statues de marbre et d’un lampadaire de bronze qui surmontait le tournant de la rampe en fer forgé. À l’apparition de Pardaillan, le capitaine Larchant s’était arrêté, à dix ou douze marches du palier.


– Holà, monsieur, cria Pardaillan, êtes-vous Espagnol et sommes-nous donc en ville conquise? Que faites-vous céans? Et qui vous a donné mandat de briser les portes des maisons paisibles et d’entrer en bande armée?…


– Au nom du roi, monsieur! répondit Larchant. Je viens au nom du roi!…


– Ah! C’est différent. Vous venez au nom du roi?…


– Oui, monsieur, pour arrêter ici une femme rebelle, instigatrice de complot, accusée de haute trahison et tentative de meurtre envers la personne royale. Je vous somme donc, si vous êtes de ses gens, de me rendre votre épée, si vous ne voulez être arrêté comme complice. Je vous somme, au nom du roi!…


– Très bien, monsieur. Et moi, je vous somme de vous retirer à l’instant. Et je vous somme au nom de moi!


– Vous faites donc rébellion au roi! hurla le capitaine.


– Vous faites bien rébellion à moi! répondit Pardaillan.


– Gardes, en avant! vociféra Larchant.


– Gardes, garde à vous! tonna Pardaillan.


En même temps, il saisit dans ses bras puissants la banquette du palier, banquette en chêne massif, longue et large, et pesante; et il la souleva, la mit debout… À l’instant où les soldats, à la suite de Larchant, s’élançaient à l’assaut, Pardaillan imprima une violente poussée à la banquette, et, à toute volée, l’envoya dans l’escalier.


La banquette bondit dans l’espace. Il y eut un hurlement d’imprécations sauvages, des menaces apocalyptiques éclatèrent dans l’escalier où la dégringolade épouvantée des gardes déchaîna un tumulte. Larchant avait bondi en arrière et, aplati contre le mur, avait vu passer à quelques pouces de son visage le formidable engin. Quand le tumulte s’apaisa, il constata que l’un des gardes gisait, le crâne fracassé, et que quatre autres, contus, moulus, se retiraient de la bagarre en gémissant.


Fausta avait assisté à cette débandade avec un étrange sourire. Elle vit les gardes se reformer. Elle entendit le capitaine Larchant hurler furieusement:


– En avant, misérables lâches! En avant, ou je vous étripe!…


Et de nouveau la ruée des gardes à l’assaut remplit l’escalier de vociférations. Alors, elle vit ceci:


Pardaillan se retournait vers l’une des statues de marbre qui garnissaient le palier, statue presque de grandeur nature. Elle représentait Pallas, déesse de la sagesse.


Et Pardaillan empoignait la belle Pallas, la déracinait de son socle, la soulevait dans ses bras, et brusquement, au moment où les gardes allaient atteindre le palier, Pallas décrivait dans l’air une parabole, rebondissait, sautait de marche en marche, et finalement se brisait à grand fracas, parmi les plaintes des éclopés, les rugissements de Larchant, la fuite affolée des survivants…


Pardaillan se pencha. La troupe à demi décimée s’était massée au bas de l’escalier.


– Monsieur le capitaine, cria Pardaillan, voulez-vous nous laisser sortir? Je vous préviens que j’ai encore un Bacchus, un Mercure et un Jupiter à vous briser sur la tête…


Fausta songeait:


«Les erreurs du hasard ont d’incalculables répercussions. Supposons que j’aie rencontré Pardaillan au lieu de Guise, il y a trois ans; aujourd’hui, je serais maîtresse de l’univers chrétien…»


– Monsieur, répondait Larchant, je vais vous charger, et tout ce que je puis faire pour vous en estime de votre courage, c’est de vous prendre mort pour ne pas vous livrer vivant au supplice qui vous attend.


– Allons, rendez-vous! dit Pardaillan avec une tranquillité qui fit écumer le capitaine.


– Par la tête et le ventre! par les tripes! par les cornes! rugit Larchant, il ferait beau voir que quinze gardes se rendissent à un seul homme! Attention, vous autres!


Ivre de fureur, Larchant se mit à ranger ses hommes et leur donna ses instructions. Il finissait à peine, qu’un horrible fracas retentit au-dessus de sa tête; une chose énorme tombait en se heurtant à la rampe… c’était le lampadaire.


Cette magnifique pièce de l’art Renaissance consistait en un fût de colonne supportant sept branches; le fût était vissé au tournant de rampe du palier; et Pardaillan, tandis qu’il parlait au capitaine, s’était mis à dévisser le monstre de bronze.


Au moment où Larchant achevait de ranger ses hommes, Pardaillan imprima une secousse violente au lampadaire qui tomba, s’abattit, pareil à un gigantesque oiseau de mort… et cette fois, ce fut effroyable… Larchant s’abattit, une jambe brisée, trois hommes s’affaissèrent, tués net, quatre autres, blessés, se mirent à hurler et les derniers, après un moment de stupeur épouvantée, reculèrent en désordre jusque dans la cour.


– Suivez-moi! dit Pardaillan d’un ton bref.


Il s’élança, la rapière au poing et Fausta derrière lui. En quelques secondes, ils furent dans la cour.


– Aux chevaux! cria Pardaillan à Fausta.


En même temps, il fonçait sur les dix ou douze gardes rassemblés dans la cour.


– Tue! tue! vociféra Larchant en essayant de se relever.


Fausta bondit jusqu’à l’écurie, en sortit deux chevaux et sauta sur l’un d’eux.


– À sac! à mort! hurlaient les gardes en tâchant d’entourer Pardaillan.


Celui-ci reculait jusqu’au cheval. Sa rapière voltigeait, cinglait, piquait… Tout à coup, il sauta en selle, et piquant des deux, bondit au milieu des gardes.


– La porte! fermez la porte! hurla le capitaine Larchant.


Mais déjà Pardaillan l’avait franchie, en assénant un dernier coup de pommeau à un garde qui saisissait la bride de son cheval. Il s’élança à fond de train, suivi de Fausta. À ce moment, une troupe de quarante hommes d’armes commandés par Crillon en personne et montés sur de solides chevaux apparaissait à un bout de la rue, tandis que Pardaillan et Fausta disparaissaient à l’autre bout.


Crillon, prévenu de la résistance désespérée qui était opposée aux gens du roi dans l’hôtel de Fausta, était accouru. Dans la cour, il vit le désordre des gardes effarés. Dans le vestibule de l’escalier, il vit les morts, les blessés; sur les marches, il vit les débris de marbre et de bronze.


– Un damné, gronda Larchant. Un démon! Un fou furieux! Je crois bien, monsieur de Crillon, que c’est votre protégé!…


– Pardaillan!…


– C’est cela même! Ah! l’infernal truand!… Courez!…


– En voyant ce massacre, dit Crillon, son nom m’est venu au bout de la langue. Voilà un tableau qui ne pouvait être que signé Pardaillan.


– Courez! Mais courez donc! fit Larchant furieux, oubliant qu’il parlait à son chef.


– Bah! fit Crillon, il est loin!…


– Monsieur, dit une voix près de lui.


Crillon se retourna et dit:


– Que vous plaît-il, Monsieur de Maineville?…


– Monsieur de Crillon, fit Maineville, nous sommes vos prisonniers, n’est-ce pas?


– Oui. Après?…


– Vous nous conduisez à Loches?


– Oui. Après?…


– Eh bien, monsieur!, voici M. de Bussi-Leclerc et moi, Maineville, qui avons déjà un vieux compte à régler avec le Pardaillan. Maintenant que notre seigneur le duc de Guise est mort, ce compte devient terrible…


– Après? fit Crillon.


– Laissez-moi courir après le Pardaillan. Nous vous engageons notre parole d’honneur de revenir nous rendre prisonniers et nous vous rapporterons la tête du truand…


– Crillon! Crillon! vociféra Larchant, laissez courir ces gentilshommes. Je me porte caution! Et s’ils ramènent le misérable, je m’engage à obtenir leur liberté du roi.


– Allez, messieurs! dit Crillon d’un ton goguenard, et tâchez de vaincre!


Maineville et Bussi-Leclerc s’élancèrent. Alors, Crillon se baissa vers Larchant.


– Il t’a donc mis à mal? fit-il en riant.


– Une jambe cassée, dit Larchant furieux. Mais en rase campagne, il ne pourra tenir contre ces deux gentilshommes.


– Bon! maintenant qu’ils sont partis, grâce à tes instances, veux-tu que je te dise ce que j’en pense?


– Dites…


– Eh bien, mon vieux compère, ils ne reviendront pas.


– Allons donc! Ils ont donné leur parole d’honneur.


– Oh! je ne doute pas de leur parole; mais s’ils ont le malheur de rejoindre Pardaillan, ils n’auront plus jamais occasion de la tenir… ou, du moins, s’ils reviennent, ils seront fort éclopés, et ne ramèneront qu’eux-mêmes.


– Ah çà! c’est donc un terrible, ce Pardaillan?


– Tu en sais quelque chose, mon camarade! Et maintenant, veux-tu que je te dise mieux encore?


– Parlez…


– Eh bien, si le hasard voulait qu’ils ramènent Pardaillan prisonnier, que comptes-tu en faire?


– Pardieu! le faire pendre haut et court aux créneaux du donjon!


– Diable! Tu veux faire pendre un connétable?


– Çà! devenez-vous fou… ou bien ai-je le délire?… Pardaillan connétable?…


– Oui. Toi, tu veux le pendre. Et le roi le fait chercher pour le créer connétable.


– Et pourquoi? rugit Larchant, dont la tête s’égarait.


– Parce que si le roi est vivant, si le roi est encore roi, c’est à Pardaillan qu’il le doit! Parce que c’est Pardaillan qui a tué le duc de Guise!…


Larchant poussa un rauque soupir comme s’il venait de recevoir sur la tête un lampadaire de bronze ou une Pallas de marbre, et cette fois, écrasé, il s’évanouit. Crillon se mit à rire et donna l’ordre de transporter le capitaine au château.


Cependant, Pardaillan suivi de Fausta s’était élancé vers la porte de la ville qu’il franchit sans obstacle et avait enfilé le pont de la Loire. Fausta, jusque-là, avait galopé en silence, les yeux fixés sur l’homme étrange qui la perdait et la sauvait.


Elle était sombre. Les diamants noirs de ses yeux jetaient des feux d’un insoutenable éclat. Dans le court trajet qu’elle venait d’accomplir, elle avait eu avec elle-même une longue discussion.


Longue parce qu’à certains moments l’esprit pense double… mais courte en réalité, puisque quelques minutes à peine venaient de s’écouler depuis le moment où elle était sortie de l’hôtel.


Quelle était cette discussion? Quelles orageuses et suprêmes pensées se déchaînaient dans l’âme de la terrible vierge? Et quel était cet avenir, qu’avec la prodigieuse activité de son imagination, elle combinait déjà?…


Cet avenir évoluait tout entier autour d’un homme… au sentiment qui fleurissait, comme une fleur somptueuse et sauvage sur les ruines de son passé… un nom qu’elle murmurait de ses lèvres enfiévrées… Pardaillan!


Elle ne vivait plus qu’en lui, elle transposait en lui sa vie… Et sa voix parut âpre, violente, amère, et douce, d’une vertigineuse douceur, lorsque s’arrêtant tout à coup, elle prononça:


– Avant d’aller plus loin, chevalier, écoutez-moi.


Pardaillan s’arrêta. Ils étaient au milieu du pont. Devant eux, de l’autre côté de la Loire, c’était l’espace libre. Derrière eux, la ville de Blois que dominait la masse du château, titan séculaire dont les proportions stupéfient le voyageur et font rêver le poète. Au-dessous deux, la Loire gonflée par les pluies d’hiver, la Loire débordée, fougueuse, fangeuse, roulait ses eaux grises en tourbillons plaintifs.


– Mais, madame, dit Pardaillan, il me semble que nous devons piquer au contraire. On peut nous poursuivre…


– Il faut que je parle avant d’aller plus loin, dit Fausta.


Pardaillan s’inclina, salua et répondit:


– Je suis donc prêt à vous entendre.


Fausta baissa un instant la tête. Sans doute l’instant était suprême pour elle, car Pardaillan la vit frissonner. Tout à coup, cette tête pâle si belle, si orgueilleuse, et en ce moment pleine d’une sorte de sérénité majestueuse, se redressa, et ses yeux noirs se fixèrent sur les yeux de Pardaillan.


– Chevalier, dit-elle, vous aviez préparé, m’avez-vous dit, deux chevaux pour ma fuite?…


– Oui, madame. Et ils vous attendent. Mais ils sont inutiles. Je les garderai donc pour moi.


– Un de ces deux chevaux, reprit Fausta, il y en avait un pour moi, n’est-ce pas?


– Certes, madame.


– Et l’autre? dit Fausta avec un étrange frémissement. L’autre, pour qui était-il, selon vos prévisions?…


– Mais, dit Pardaillan, pour un de vos serviteurs… je vous l’ai dit.


– Ainsi, reprit lentement Fausta, ce cheval n’était pas pour vous?…


Pardaillan tressaillit et regarda fixement Fausta. Une minute, leurs regards se croisèrent. Fausta était pâle comme la mort. Une étrange émotion venue de très loin, des mystérieuses profondeurs de ce cœur humain qui est un abîme insondable; oui, à cette minute solennelle, perverse, tragique et angoissante, Pardaillan sentit cette émotion-là dans son âme.


Quelque chose comme un sourd battement de son cœur l’avertit qu’il subissait une redoutable crise de sentiment. Et dans cette minute, aussi, il reconnut ce qu’il ne savait pas encore, car il n’avait jamais regardé en lui-même, étant la nature la plus simple et la plus impulsive… Il reconnut qu’il était l’homme du sentiment.


Que toute sa vie avait été un acte de sentiment. Que tous les gestes de son bras avaient été des pensées de sentiment…


Il se raidit. Il ne voulait pas se rendre. Il appela à son aide l’horreur que devait lui inspirer Fausta, et en lui-même, il ne trouva plus d’horreur… Pourtant il ne se livrait pas. Il demeurait glacial, un coin de songerie seulement au fond des yeux.


– Monsieur, dit Fausta, d’une voix intraduisible, comme pourrait en avoir une morte, si les morts parlaient, monsieur, plus ne m’est rien, rien ne m’est plus. Je ne suis vivante qu’en vous. M’acceptez-vous telle que je suis dans votre pensée, dans votre cœur, dans votre vie?… Telle que je suis criminelle, peut-être, hideuse, sans doute, capable sûrement d’inspirer l’effroi et l’horreur par mes actes, car mes actes viennent de pensées incompréhensibles. Telle que je suis… c’est-à-dire une passion en marche, car j’ai tout fait, tout pensé, tout agi avec passion. Non responsable, dis-je, de mes gestes extérieurs qui ont pu étonner le vulgaire, niais qu’un homme comme vous peut comprendre… Un mot: m’acceptez-vous? Je vis! Vous écartez-vous de moi? Je suis morte… Un mot! Non! Pas même: un geste. Si je dois vivre, tendez-moi la main…


Pardaillan eut un long frémissement. Sa main s’agita faiblement comme pour se tendre vers la main de Fausta. Puis tout à coup, cette main demeura immobile. Le visage de Pardaillan se fit plus fermé, plus glacial. Cette pensée foudroyante venait de traverser son cerveau:


«Elle ment! Ce n’est pas sa mort qu’elle veut! C’est la mienne…»


Et il ne bougea plus… Fausta poussa un soupir atroce. Elle leva vers le ciel noir et chargé de neige ses yeux profonds. Et au bord de ses paupières, Pardaillan vit scintiller deux larmes, diamants purs qui se volatilisèrent au feu de ses joues enfiévrées…


En même temps, Fausta rassembla les rênes de son cheval. Puis, brusquement, elle frappa la bête d’un coup d’éperon furieux, en la maintenant tête au parapet du pont. Et elle lâcha les rênes. Le cheval se cabra, hennit de douleur, et dans le même instant, franchit le parapet, sauta, tomba dans le vide… Dans la seconde qui suivit, Fausta disparut dans les tourbillons de la Loire…


– Fausta! hurla Pardaillan.


Et ce nom qu’il prononçait ainsi pour la première fois, ce nom retentit en lui-même comme un coup de tonnerre qui suit l’éclair. Or, à la lueur de cet éclair qui incendiait sa pensée, Pardaillan lut dans son esprit ce sentiment qui l’accabla de stupeur et d’épouvante:


«Je ne veux pas qu’elle meure! Je n’ai jamais voulu qu’elle meure!»


Dans le même moment, Pardaillan sauta par-dessus le parapet; en un temps inappréciable, de sa selle, il bondit sur le rebord de pierre, et de là, dans le vide… dans la Loire!… Pardaillan alla d’abord au fond de l’eau… Mais il garda la conscience précise de tous ses faits et gestes.


L’eau grondait à ses oreilles. Il était aveuglé. Ses vêtements le gênaient. Mais d’un vigoureux coup de talon, il remonta à la surface; un remous le prit alors, et pendant quelques instants, il disparut encore sous les eaux grises… puis sa tête se montra, il jeta un rapide regard devant lui, et vit le cheval de Fausta qui, nageant vigoureusement, essayait de se diriger vers le bord…


Mais elle! oh! elle!… il ne la vit pas. Et de cette même voix d’angoisse et de sanglots qui l’avait épouvanté, il cria éperdument!


– Fausta!…


Tout à coup, il la vit!… Elle roulait avec les flots sales de la Loire. Elle se laissait entraîner. On ne voyait en elle aucun de ces gestes instinctifs qu’ont tous ceux qui se noient même quand ils ont voulu fortement la mort. Peut-être était-elle morte déjà…


Pardaillan se mit à nager vers elle, dans une telle ruée, dans une si violente volonté de la rejoindre, qu’il semblait fendre les eaux. Au moment où Fausta allait s’abîmer tout à fait sous les flots, il la saisit par un bras…


Quelques minutes plus tard, Pardaillan prenait pied sur un rivage bas et sablonneux, non loin de l’endroit où le cheval de Fausta venait lui-même de regagner le bord et se secouait. Fausta n’était pas évanouie. Elle venait d’ouvrir les yeux et considérait Pardaillan avec une mortelle expression de désespoir et de reproche. Elle se releva enfin et, durement, demanda:


– Pourquoi? De quel droit m’avez-vous empêchée de mourir?…


– Appuyez-vous sur mon bras, fit Pardaillan avec une grande douceur, avec une voix que Fausta ne lui connaissait pas. Appuyez-vous sur mon bras, et je vous conduirai jusqu’à cette cabane de mariniers… nous nous sécherons.


Il se mit à rire en ajoutant:


– Vous ne nierez pas que nous avons besoin de nous sécher? Ce fut tout. Fausta se mit à pleurer. Elle mit son bras sur le bras de Pardaillan et s’appuya sur lui comme il avait dit. Ils tremblaient tous les deux. En marchant, ou plutôt en se laissant traîner, elle pleurait, et il lui semblait que c’était toute sa vie passée qui s’en allait avec ses larmes. Parfois, elle levait les yeux sur Pardaillan… non plus ses yeux de diamants noirs, mais des yeux où il y avait comme une timidité…


Deux ou trois fois ils se sourirent… Et lorsqu’elle fut convaincue, lorsqu’elle eut compris qu’un grand bouleversement s’était fait dans l’âme de Pardaillan, Fausta, tout à coup, éclata en sanglots, murmura: – Seigneur!… et s’évanouit…


Alors Pardaillan prit dans ses bras ce corps de vierge aux formes si pures… la tête de Fausta retomba sur son épaule, et fermant les yeux avec un long frissonnement, il approcha ses lèvres de son front… Alors, il marcha à la cabane qu’il avait aperçue, déposa Fausta devant le foyer, offrit une pièce d’or aux habitants de la masure, et les pria de faire un grand feu qui bientôt flamba…


Une heure plus tard, Fausta et Pardaillan, complètement séchés, étaient assis devant la haute flamme claire du foyer. Ils n’avaient échangé que peu de paroles – et des paroles indifférentes.


– Il faut que vous partiez, dit enfin Pardaillan. Les gens de Blois pourraient avoir envie de vous poursuivre.


– Où irais-je? demanda Fausta, comme si désormais Pardaillan eût le droit de lui indiquer ses désirs ou sa volonté.


– Ne pourriez-vous m’attendre? fit Pardaillan. J’ai diverses affaires à régler en France.


– Je puis vous attendre en Italie, dit Fausta.


Ils causaient paisiblement. Car toute leur conversation était dans leurs yeux, non dans leurs paroles. Elle reprit:


– Rome est un séjour dangereux pour moi, à cause de Sixte qui ne pardonne pas. Mais j’ai un palais à Florence. Le palais Borgia. Il me vient de mon aïeule. Je vous attendrai là, si vous voulez.


– À Florence, palais Borgia, bien! dit Pardaillan. Mais cette route est longue… ne craignez-vous pas…


Elle l’arrêta d’un sourire. D’ailleurs, elle ne lui demanda pas la promesse de venir: toute l’attitude de Pardaillan était une promesse.


– Oh! fit-il tout à coup. Et de l’argent?…


Elle sourit de nouveau.


– J’ai de l’argent à Orléans, dit-elle; j’en ai à Lyon; j’en ai à Avignon. Une seule chose me gêne. On a arrêté mes deux pauvres suivantes…


– Je les ferai relâcher, dit vivement le chevalier.


– Si cela est, qu’elles me rejoignent à Orléans où je les attendrai cinq jours… elles savent où.


Ils sortirent de la cabane en remerciant leur hôte, – un homme et une jeune femme, de pauvre gens. Fausta fouilla ses poches, et ne trouvant rien, défit la boucle de sa ceinture et la tendit à la femme du marinier stupéfaite… La boucle était en diamants et valait cent mille livres.


– Ma chère, dit Fausta, quand je reviendrai en France, je vous demanderai un service.


– Tout à vos ordres, madame, dit la femme éblouie.


– Ce sera, dit Fausta, de me vendre cette cabane. Je vous la paierai cent mille livres, elle vaut pour moi cent fois cette somme…


Et laissant les pauvres gens stupéfiés, chancelants comme s’ils eussent reçu la visite d’un génie fabuleux, elle se dirigea rapidement vers son cheval qui, après avoir pris terre, mordillait des ronces d’hiver le long d’un champ. Légèrement, elle se mit en selle, laissa tomber un long regard sur Pardaillan, et dit:


– À Florence, palais Borgia…


Pardaillan inclina la tête…


– Oui, répondit-il.


Ils ne se touchèrent pas la main. Elle partit au pas, sans tourner la tête, puis se mit au trot, puis prit le galop et disparut sur la route au loin.


Pardaillan était demeuré à la même place immobile, comme pétrifié… Pendant une heure, il demeura là, en tête-à-tête avec lui-même.


Tout à coup, une main se posa sur son épaule. Pardaillan tressaillit violemment, sortit de son rêve, regarda autour de lui. Et il vit Bussi-Leclerc avec Maineville.

Загрузка...