XX OÙ FAUSTA SE CONTENTE D’UNE COURONNE

Pardaillan, lorsqu’il sauta par la fenêtre de l’auberge, ne se doutait pas qu’elle donnait sur la Seine. En se sentant s’enfoncer dans l’eau, la pensée lui vint qu’il pourrait peut-être essayer de remonter le courant et de prendre pied sur les berges de l’île Notre-Dame (île Saint-Louis).


Mais dans cette rapide seconde où l’eau bourdonnait dans ses oreilles où ses vêtements collés à son corps le paralysaient, et où déjà la nécessité de remonter respirer lui apparaissait imminente et terrible, car remonter à la surface, c’était courir au-devant des balles, dans cette seconde, disons-nous, ses mouvements devinrent désordonnés; de tout son effort, il lutta à la fois contre le courant qui l’entraînait et contre la poussée naturelle de bas en haut; il suffoquait; il tournoyait sur lui-même, pris dans les remous du fleuve venant se briser à cette pointe de la Cité… Bientôt la respiration lui manqua… et il étendit les bras dans un dernier spasme…


Dans cet instant, il éprouva le violent tressaillement de l’homme qui va mourir et qui entrevoit un moyen de salut… En effet, dans ce mouvement suprême que ses bras venaient de faire sous l’eau, sa main crispée venait de heurter quelque chose… il ne savait quoi… c’était un poteau enfoncé dans le fleuve… Ses doigts raidis s’amarrèrent à cette chose, et tout aussitôt, il s’y cramponna… En même temps, il se laissa remonter, se glissant, et grimpant le long de ce poteau ou de cette poutre, et l’instant d’après, toujours cramponné à la poutre, il émergea…


Son premier regard fut pour chercher la fenêtre d’où il s’était jeté et essayer une dernière défense… Mais il ne vit rien au-dessus de sa tête… rien qu’un plancher de bois… Tout autour de lui, c’étaient des poutres qui émergeaient, se croisaient, formaient l’échafaudage qui soutenait ce plancher…


Pardaillan étouffa un rugissement de joie; il comprit que dans sa lutte contre le courant, il s’était jeté sous la prison du palais de Fausta! sous cette pièce où il y avait un trou par où Fausta faisait jeter dans l’eau les cadavres des condamnés! Au même moment, il aperçut le treillis de fer… la nasse où il avait failli périr!…


Pardaillan se hissa le long de la poutre à laquelle il s’était accroché, sortit complètement de l’eau et s’assit sur la première bifurcation de poteaux. Il était sauvé… ou presque!


Du dehors, on ne pouvait le voir… il entendait les cris de ceux qui le cherchaient et à qui, naturellement, l’idée ne pouvait venir de remonter le courant… En effet, peu à peu les cris s’éloignèrent. Pardaillan eut alors un rire silencieux et murmura:


– Il se pourrait bien que je me tire de ce nouveau plongeon… je voudrais bien voir la figure de M. de Guise et de cette digne Mme Fausta, la perle de la reconnaissance…


En prononçant à demi-voix ce nom de Fausta, Pardaillan demeura soudain frappé par une idée qui lui traversait le cerveau.


En effet, il se doutait bien que la Seine allait être surveillée dans son cours et sur ses berges, et qu’il lui serait très difficile de s’éloigner du refuge où il se trouvait. D’autre part, la pensée pouvait parfaitement venir à ceux qui le cherchaient de venir voir ce qui se passait sous ce plancher qui surplombait la Seine. Et comme, chez lui, l’exécution suivait toujours de près la pensée, Pardaillan, de poutre, en poutre, gagna le treillis de fer… la nasse de Fausta.


Il constata que le panneau qui formait ouverture était relevé; il l’était sans doute depuis le jour où on avait ouvert le passage aux cadavres… À ce souvenir, il ne put s’empêcher de pâlir. Mais redescendant le long du treillis avec la fermeté d’une résolution bien arrêtée, il plongea, et bientôt se retrouva dans l’intérieur de la nasse. Alors il remonta jusqu’en haut, jusqu’au plancher même.


Cramponné d’un bras à la poutre à laquelle il s’accrochait, de l’autre bras allongé il parvint à soulever la trappe qui fermait le trou carré. Alors il se suspendit des deux mains aux bords de ce trou, et se souleva par un tour de force musculaire connu en gymnastique sous le nom de «rétablissement». Quelques secondes plus tard, il était dans la pièce où il s’était battu contre les gens de Fausta, dans la salle des supplices… Elle était obscure, silencieuse…


La première pensée de Pardaillan fut de refermer la trappe. Puis il se secoua, s’ébroua, se défit de son pourpoint qu’il tordit, et enfin prit toutes les mesures propres à le sécher autant qu’il était possible de le faire en pareille situation.


Plusieurs heures se passèrent ainsi… Pardaillan rhabillé, à peu près séché, commençait à sentir la faim le gagner. En effet, sorti le matin de bonne heure de la Devinière , il n’avait rien pris de la journée.


La nuit vint. Dans le mystérieux palais, aucun bruit ne se faisait entendre. Pardaillan se rendait compte que cette demeure devait être à peu près déserte, puisque Fausta, le matin même, avait été trahie, abandonnée par tous ceux qu’elle avait amenés à l’abbaye…


Deux plans se présentaient donc au chevalier. Le premier, c’était de profiter de la nuit pour redescendre au fleuve et gagner le bord. Le deuxième, c’était purement et simplement de sortir du palais de Fausta par la porte. S’il ne restait là que quelques domestiques, Pardaillan se faisait fort de les obliger à lui ouvrir cette porte! Il attendit donc deux ou trois heures encore, et ce fut la faim qui le décida à agir. La pensée de s’attabler devant quelque pâté, escorté de quelque volaille et flanqué d’un bon flacon, près du grand feu que Huguette lui allumerait dans la cuisine de la Devinière , cette pensée l’attendrissait, le faisait sourire et claquer de la langue. À ce montent, certes, il ne songeait ni à Guise, ni à Fausta, ni à Maurevert: il ne songeait qu’au bon dîner qu’il entrevoyait, suivi d’un excellent somme… Nous avons toujours dit que Pardaillan était la simplicité même.


Se mettant donc en marche, sur la pointe des pieds, il gagna la porte de la salle des supplices. Elle était ouverte… Pardaillan passa, referma derrière lui et traversa cette pièce que nous avons eu l’occasion de décrire et qui ressemblait à l’avant cachot de la mort… Après quoi, il se trouva dans une galerie qu’il se mit à suivre.


«Le premier que je rencontre, se disait-il, je lui mets la pointe de ma dague sur la gorge, et je lui dis: «Mon ami, je suis égaré comme par hasard dans cette maison. Veuillez donc me conduire jusqu’à la grande porte que vous m’ouvrirez, et vous aurez un bel écu pour votre peine. Sinon, je serai forcé de vous tuer.» Nul doute que le brave homme ne choisisse l’écu…»


Cependant, il était plongé dans une obscurité profonde et marchait vers un vague reflet de lumière qu’il apercevait à une quinzaine de pas devant lui dans la galerie… Lorsqu’il eut atteint ce rai de lumière, il s’aperçut qu’il venait de l’entre-bâillement d’un double rideau de velours qui formait une large baie ouverte à cet endroit. Pardaillan glissa un regard par cet entre-bâillement, et vit une vaste salle éclairée par quelques flambeaux allumés de place en place.


Cette salle, il la reconnut aussitôt… C’était la magnifique pièce aux colonnades, aux statues, aux torchères d’or… la salle du trône!…


– Trône sans souveraine! murmura Pardaillan en hochant la tête avec un singulier sentiment d’ironie où il y avait presque de la pitié pour cette femme qui avait voulu le faire tuer deux ou trois heures après qu’il l’avait sauvée… Car quel autre que Fausta avait pu prévenir Guise?


Pardaillan allait s’éloigner et continuer son excursion, en se disant que, s’il trouvait moyen d’arriver jusqu’à la porte d’entrée sans rencontrer personne, il trouverait bien le moyen de l’ouvrir; il allait donc reprendre sa marche, lorsqu’il demeura cloué sur place… Il lui semblait qu’il venait d’entendre comme un léger bruit de pas.


Ce bruit venait de la grande salle du trône. Pardaillan colla son œil à la fente des rideaux et aperçut une sorte de fantôme vêtu de blanc qui marchait, ou plutôt glissait d’un pas majestueux…


– Fausta! murmura le chevalier.


C’était Fausta en effet, calme, grave, sereine comme à son habitude. Derrière elle venait un homme qui, en entrant dans la salle, laissa retomber le manteau dont il se couvrait à demi le visage.


«Le duc de Guise! fit Pardaillan en lui-même.»


Fausta s’était arrêtée vers le milieu de la salle et, prenant place dans un fauteuil, avait indiqué un siège à Guise, qui s’assit lui-même.


– Voilà donc, gronda Pardaillan dont le visage flamboyait, voilà la femme qui a voulu me tuer à chacune de nos rencontres… et aujourd’hui même! Voici l’homme qui a jeté une meute enragée à mes trousses et a bouleversé la Cité pour me faire assassiner!… Voici l’homme qui a dit que j’étais un lâche parce que je me rendais à lui, parce que je voulais sauver une malheureuse!… Je les tiens là, tous deux… ils sont seuls… Si je me montrais tout à coup, et si, profitant de leur stupeur, je les frappais mortellement l’un et l’autre, ne serait-ce pas mon droit?


Pardaillan tourmentait le manche de son poignard. Mais bientôt, sa physionomie s’apaisa, sa main retomba, et pensif, il murmura:


– Ce serait mon droit peut-être… mais alors j’aurais mérité ce mot dont Guise m’a souffleté rue Saint-Denis… je serais un lâche! Non, ce n’est pas ainsi que je dois me venger… Ce mot, Guise doit en mourir… Il en mourra. Je l’ai juré… mais il faut qu’il sache qu’un Pardaillan ne frappe pas à l’improviste et par derrière!… Attendons… écoutons!…


Et Pardaillan se mit à écouter et à regarder, oubliant ce qu’il y avait d’étrange et de périlleux dans sa situation.


Fausta, au moment où elle avait quitté Pardaillan sur le seuil de son palais, avait pu, à certains signes imperceptibles, à une lointaine rumeur, se douter que Guise avait bien pris ses précautions contre Pardaillan. La présence du messager qui avait porté son billet au duc changea cet espoir en certitude. L’homme lui assura que tous les ponts étaient occupés…


Ce fut pour Fausta une minute de joie, un court répit dans la douleur affreuse qu’elle était parvenue jusque-là à cacher sous un visage immuable. Mais à peine fut-elle enfermée, verrouillée dans sa chambre, seule, et sûre que nul ne pouvait ni la voir, ni l’entendre, sa physionomie se décomposa, ses yeux noirs lancèrent des éclairs, et des imprécations tordirent ses lèvres. Tout ce que la rage et la fureur à leur paroxysme peuvent suggérer à un esprit affolé de blasphèmes, de menaces, de projets hideux, Fausta le hurla dans sa pensée, Fausta le bégaya en paroles rauques.


Elle s’était jetée tout habillée sur son lit, et la tête dans les dentelles des oreillers qu’elle déchirait de ses ongles et de ses dents, elle luttait contre la crise de désespoir qui s’abattait sur elle et la terrassait. Elle eut des sanglots qui ressemblaient à des halètements de panthère prise au piège. Les noms de Sixte, de Rovenni, de Farnèse, de Violetta, de Pardaillan se succédaient parmi des cris inarticulés, des invectives, des larmes, des gestes de folie…


La statue devenait femme…


Fausta payait un terrible tribut aux sentiments qui gouvernent l’esprit humain.


Quelle situation!… Quel effondrement!… Avoir rêvé, organisé, combiné le bouleversement social le plus prodigieux, avoir conquis, séduit, acheté ou terrorisé la moitié des princes de l’Église, avoir tenu dans ses mains la puissance absolue, avoir mis sur sa tête cette tiare qui l’eût faite reine du monde, devant laquelle s’inclinaient rois et empereurs, être parvenue au but, le toucher enfin, avoir tout prévu… tout… sauf la lâcheté et la trahison de quelques comparses!… Avoir dépensé sans compter les millions des Borgia, les trésors qui lui venaient de son aïeule Lucrèce, avoir prodigué le génie d’un diplomate consommé, la force d’un conquérant, s’être haussé à la plus hautaine ambition, et finir misérablement, bassement, dans l’humiliation d’un guet-apens, dans une escarmouche sans gloire, dédaignée au point qu’on la laissait vivre, et que Sixte ne cherchait même pas à la supprimer!… Simplement, d’un geste, on l’écartait!…


Ces gentilshommes qu’elle avait enrichis, qui le matin même tremblaient devant elle, il avait suffi que Sixte apparût, sans pompe, vêtu comme un pauvre bourgeois, pour qu’ils tournassent contre elle les épées qu’elle avait solennellement distribuées en les bénissant!… Ces cardinaux qui s’agenouillaient à ses pieds!… avec quelle lâche ardeur ils avaient entonné le Domine salvum fac Sixtum…


Seule maintenant!… Seule ou presque!… Quelques femmes, quelques domestiques, voilà tout ce qui lui restait de sa cour pontificale!…


Pendant des heures, Fausta pleura, rugit, sanglota, se tordit dans la crise. Puis lorsque son corps abattu, sans forces, demeura inerte en travers du lit, lorsqu’elle eut compris que lentement la tempête s’apaisait, que les idées redevenaient plus claires comme les étoiles qui recommencent à briller dans un ciel lavé par l’ouragan, lorsqu’elle put penser enfin, elle chercha comment avait pu se produire la trahison.


Des détails qu’elle avait dédaignés lui revinrent en mémoire. Elle revit toute l’attitude de Rovenni dans les trois derniers mois, elle pesa ses paroles, mesura ses gestes, et acquit la conviction que Sixte avait acheté Rovenni dès le moment où il était venu à Paris pour reprendre les millions destinés à Guise. Rovenni avait fait le reste, détaché d’elle l’un après l’autre, tous ceux qu’elle avait entraînés…


Et elle comprit qu’elle avait commis une faute d’inexpérience et d’orgueil. Inexpérience, parce qu’elle n’avait jamais envisagé la possibilité humaine, permanente, universelle, de la trahison. Orgueil aussi! parce qu’en voyant des hommes s’agenouiller, se prosterner devant elle, elle avait fini par croire qu’on l’adorait vraiment… que c’était elle qu’on adorait, et non la puissance, les faveurs, les jouissances qu’elle pouvait distribuer.


Et dans ce cœur le fiel s’amassa goutte à goutte.


Fausta redevint plus femme, peut-être, et rejetée du rang des anges, reprit sa place dans l’humanité. Lorsqu’elle remonta de cette descente aux enfers, lorsqu’elle eut éclairé ce passé de trahison avec la torche de la souffrance, Fausta sentit le calme revenir dans son esprit, et elle songea à l’avenir, elle établit la balance de ses pertes et de ses profits, elle jeta sur le champ de bataille de sa vie le coup d’œil de l’imperator vaincu qui cherche s’il doit battre en retraite ou violenter la fortune, et voici ce qu’elle put nettement établir en passant de l’analyse à la synthèse:


Elle venait de subir une défaite: elle perdait du coup toute possibilité de réaliser son rêve. Jamais elle ne serait à Rome la grande prêtresse reprenant la tradition de la papesse Jeanne. Mais si elle ne pouvait être la papesse, et si elle comprenait qu’elle userait en vain ses forces à soulever ce rocher de Sisyphe qui retomberait sans cesse et l’écraserait enfin, elle pouvait, elle devait être reine…


Reine de France, C’était encore un magnifique et rutilant hochet pour une imagination pareille! Reine de France par Guise, roi de France!… Et plus tard, peut-être, reine absolue par la mort de Guise!…


D’abord la mort d’Henri III lui donnant la moitié de la royauté. Puis la mort de Guise lui donnant la royauté tout entière. Et en attendant, c’était la vengeance assurée!… Avec Guise, avec Alexandre Farnèse, elle entreprenait la conquête de l’Italie, enfermait le pape dans Rome; ne lui laissant qu’une puissance illusoire… tout le rêve de Machiavel, de César Borgia, de tant de penseurs et de tant de reîtres conquérants…


Fausta rouvrait ses ailes toutes grandes. Elle s’élançait d’un vol éperdu dans une chimère cette fois réalisable… cette fois réalisée en grande partie; et mathématiquement, elle posait la marche du problème à résoudre.


D’abord la mort de Valois. Puis, le couronnement d’Henri de Guise. La répudiation de Catherine de Clèves, femme du duc. Le mariage de Guise avec la princesse Fausta. La conquête de l’Italie. La mort de Guise. Le règne de Fausta, seule maîtresse de la France et de l’Italie…


Voilà par quels degrés elle se hausserait maintenant à la suprême puissance!… Et le premier échelon de cette progression, c’était un assassinat: tout cet échafaudage était bâti sur une mare de sang. En haut, la couronne. En bas, un poignard. Tout reposait sur le meurtre d’Henri de Valois!… Il fallait donc commencer par tuer le roi de France.


Fausta, ayant ainsi établi la marche nouvelle qui rendait immédiatement nécessaire la mort de Valois, raya de son esprit tout le passé, éteignit d’un souffle son rêve de souveraineté pontificale, convint avec elle-même que si elle ne pouvait régner sur la chrétienté elle devait régner sur les deux plus beaux pays du monde chrétien, et résolut d’agir à l’instant même.


Elle sauta à bas de son lit, s’assit devant une glace, chef-d’œuvre des fabriques de Venise, et pendant une heure, par des lotions réitérées, par le secours des fards auxquels elle recourait bien rarement, s’étudia à effacer de son visage ravagé jusqu’à la moindre trace de larmes, jusqu’au dernier vestige de souffrance, de fureur ou de désespoir.


Lorsqu’elle y fut parvenue, elle écrivit une lettre qui fut aussitôt portée à l’hôtel de Guise. Deux heures plus tard, le duc de Guise était au palais de Fausta.


– Je vous écoute, madame, dit le duc de Guise lorsqu’il eut pris place sur le fauteuil que Fausta venait de lui désigner. Mais avant de commencer ce grave entretien, car à la solennité du lieu où vous m’avez conduit, au ton de votre missive, à l’heure où il vous a plu de m’appeler, à votre physionomie enfin, je pense que d’irrémédiables choses vont se dire ici, avant donc que de commencer, princesse, peut-être serait-il bon que je m’assure… que nous sommes bien seuls.


Et Guise, d’un regard, fouilla non seulement les coins d’ombre amassés au fond de la vaste salle presque funèbre dans sa somptuosité, mais aussi le visage de Fausta.


– Oui, dit celle-ci, vous vous souvenez d’un entretien que vous avez eu avec la reine Catherine où vous vous êtes cru bien seul, où vous avez dit tout ce que vous aviez sur le cœur… et vous pensez que peut-être, moi aussi, j’ai aposté derrière un rideau quelque Sixte qui recueillera vos paroles.


Guise protesta du geste.


– Rassurez-vous, reprit gravement Fausta. Nous sommes ici sous le regard de Dieu qui seul peut nous voir et nous entendre…


– Peste! pensa Pardaillan, me voilà promu au rang de divinité, puisque je suis seul ici à regarder et à écouter!… Eh bien, soit! Jouons de notre mieux le rôle que nous attribue cette noble dame!…


– Monsieur le duc, continua Fausta, lorsque, voici trois ans de cela, vous vîntes à Rome pour implorer l’assistance de Sixte Quint, Sa Sainteté vous donna sa bénédiction… moi je vous donnai deux millions en vieil or un peu bruni par le temps, mais qui n’en avait pas moins cours… Vous me demandâtes alors ce que je voulais en échange et je vous répondis: «Plus tard, vous le saurez!…»


– C’est vrai, dit Guise en s’inclinant, et ma reconnaissance…


– Ne parlons pas de reconnaissance, duc; parlons de nos intérêts, des miens, des vôtres… Je continue. À notre deuxième entrevue, vous m’exposâtes vos espérances, ou du moins, à travers vos réticences, je parvins à comprendre quelle noble et haute ambition vous portiez dans l’esprit, et quel tourment vous rongeait depuis de bien longues années. Vous vouliez être roi!…


Guise pâlit et jeta autour de lui des regards inquiets.


– Nous sommes seuls, reprit Fausta non sans une pointe de dédain et d’impatience. Donc, vous vouliez être roi. Et vous n’osiez pas!… Vous aviez la Ligue, mais la Ligue était faible, la Ligue ne demandait pas un changement de dynastie, mais seulement une autre Saint-Barthélémy… Ce que vous n’osiez pas faire, je l’ai fait!… Tous ces fils ténus de la Ligue je les ai rassemblés. J’ai jeté mes agents sur la France. Pendant un an et demi, je vous ai montré les progrès de l’œuvre qui s’accomplissait, et comment on prépare une tempête capable de broyer un trône. En même temps, je vous montrais ce que coûtait chaque homme, chaque dévouement, chaque pensée acquise; en sorte qu’avec les deux millions que je vous ai remis à Rome, vous savez maintenant que vous m’êtes redevable de dix millions…


– C’est vrai, dit Guise en passant une main sur son front.


– Par dix fois, par vingt fois, vous m’avez demandé ce que j’exigeais en retour. Et je vous ai répondu: «Vous le saurez plus tard!…» Ce long et pénible travail a porté ses fruits, monsieur le duc: la journée des Barricades est mon œuvre. Valois s’est enfui. Et si vous n’êtes pas déjà sur le trône, ce n’est pas ma faute… c’est la vôtre!…


– C’est encore vrai, dit le duc en frémissant.


– Après la fuite d’Henri de Valois, reconnaissant que vous me deviez votre magnificence, votre victoire et votre future couronne, vous m’avez encore demandé quel était mon but et ce que j’attendais de vous. Je vous ai répondu: «Vous le saurez quand l’heure sera venue…» Monsieur le duc, l’heure est venue!


– Ah! ah! fit le duc, tranquillement, d’un air qui voulait dire: «C’est donc devant la créancière que je me trouve? Eh bien, j’aime mieux cela! Car, Dieu merci, je connais l’art d’expédier une dette!»


Fausta comprit peut-être. Mais elle n’en laissa rien voir. Seulement un sourire plus livide glissa sur ses lèvres, pareil à ces reflets de foudre qui, dans la nuit, illuminent parfois les vitres d’une fenêtre. De son côté, le duc de Guise sentit que sa manière d’accueillir l’ouverture de celle qui l’avait tant et si puissamment aidé était peut-être dangereuse, car il reprit, sans conviction:


– Demandez-moi ma vie, madame, je serai heureux de vous l’offrir.


– Votre vie, duc, vous est a vous trop précieuse et me serait à moi de trop peu d’utilité. Gardez-la donc…


Guise se mordit les lèvres.


– Ce que j’ai à vous demander en revanche de tout ce que j’ai fait pour vous, continua Fausta, pourra vous sembler plus difficile à donner que votre vie. Aussi, comme vous pourriez me refuser la seule chose à laquelle je tienne, je vais d’abord vous démontrer qu’il vous est impossible de me la refuser…


– Je vous écoute, madame! dit Guise avec une sourde inquiétude. Mais cette chose…


– Vous avez noblement patienté des mois et des années pour la savoir… vous pouvez bien patienter quelques minutes. Voici d’abord mes preuves. Vous voulez être roi. Pour cela, il faut: d’abord que le roi régnant meure; ensuite que vous puissiez écarter le prétendant naturel et légitime, qui est Henri de Bourbon, roi de Navarre; enfin, que vous puissiez éviter une guerre civile et régner avec l’assentiment des parlements de Paris et des provinces. Tout cela est-il juste?


– Parfaitement juste, madame! dit le duc d’une voix altérée. Vous avez le raisonnement en coup de hache…


Fausta daigna sourire et continua:


– Je vais vous prouver, monsieur le duc, qu’aucun de ces événements ne peut arriver que par mon assentiment exprès et que, si je le veux, vous ne serez pas roi de France; que si je le veux, vous serez traité comme rebelle et soumis au châtiment qui frappe les rebelles en ce beau pays de France…


– Je disais bien, madame, balbutia Guise devenu livide, que vous raisonnez à coups de hache!… Seulement cette fois, c’est à la hache du bourreau que vous en appelez, et elle est à double tranchant, prenez-y garde!


Fausta secoua la tête d’un air de suprême dédain.


– Je reprends point par point, dit-elle de cette voix inflexible et métallique qui justifiait si bien la comparaison de Guise. Nous disons qu’il nous faut d’abord la mort du roi régnant… Eh bien, si je veux, Henri de Valois ne mourra pas. En effet, si je ne leur donne pas contre-ordre, deux cavaliers vont partir à la pointe du jour, l’un pour Blois, l’autre pour Nantes. Je vous le répète, ces deux cavaliers, si je ne les vois pas moi-même cette nuit, si je ne leur retire par leurs missions, seront en route dans quelques heures. Le premier porte au roi de France la preuve que vous le voulez assassiner…


Guise grinça des dents; et si son regard eût pu foudroyer Fausta, elle fût tombée à l’instant.


– Le deuxième, poursuivit Fausta imperturbable, est à destination de Nantes où se trouve le roi de Navarre avec douze mille fantassins, six mille cavaliers et trente canons. Ma dépêche le prévient de vos intentions et lui prouve qu’il n’y a qu’un moyen pour lui conserver la couronne à la mort d’Henri III, c’est de s’unir au roi de France et de marcher avec lui sur Paris. M. le duc, combien avez-vous d’hommes et d’argent pour résister aux deux armées combinées?…


– Forte! très forte! grommela Pardaillan qui ne perdait ni un mot, ni un geste, ni un battement de paupières.


Quant au duc, un abîme soudain ouvert sous ses pieds ne lui eût pas donné le vertige d’épouvante et de rage qu’il éprouvait à ce moment. Il souffla et, péniblement, murmura:


– Mais, madame, en vérité, je crois que vous me menacez…


– Pas du tout. Je vous donne mes preuves. Supposons maintenant Valois supprimé par un de ces accidents que la Providence met parfois sur la route des rois… et des prétendants. Supposons ainsi qu’Henri de Navarre ne bouge pas. Bref, vous n’avez qu’à vous laisser couronner… si toutefois vos droits sont établis…

– Ils le sont! dit vivement Guise en se raccrochant. Ils le sont par les preuves qu’a accumulées François de Rosières dans son livre…


– Livre dont j’ai payé l’impression sur deux cent mille exemplaires, livre qui a été répandu dans tout le royaume par mes agents…


– C’est vrai, madame, balbutia le duc.


– Donc vos droits ont été répandus par deux cent mille exemplaires du livre de l’archidiacre Rosières.


– Que nul ne peut contester!…


– Nul en effet… excepté l’archidiacre lui-même, dit tranquillement Fausta.


Guise pâle comme la mort regarda fixement Fausta. Cette fois le coup était si rude qu’il en chancelait et qu’il n’osait même pas demander l’explication de ces paroles… Fausta, sans se lever, allongea le bras vers une table placée près d’elle et y prit un mince volume qu’elle tendit à Guise en disant:


– Voici, monsieur le duc, un livre nouveau de messire François de Rosières, archidiacre de Toul. Comme vous pouvez vous en rendre compte, le digne ecclésiastique y fait renonciation complète à ses erreurs, demande pardon à Dieu de s’être laissé suborner par vous, et reprenant l’un après l’autre les arguments qu’il a entassés en votre faveur, les détruit… plus facilement, il faut l’avouer, qu’il ne les a échafaudés… Ah! monsieur le duc, il est toujours plus commode de défaire que de créer!…


Guise, plongé dans une stupeur qui tenait de l’épouvante, feuilletait le volume d’une main tremblante.


– Il y a, continua Fausta, trente mille exemplaires de ce livre à Paris, quinze mille à Lyon, autant à Toulouse, cinq mille à Orléans, Tours, Angers, Rennes… partout, monsieur, il y en a partout!… Au total, quatre cent mille exemplaires dans le royaume… Que je dise un mot, et tous ces volumes sortiront des caves où ils attendent le jour… et la lecture.


Guise jeta violemment sur le parquet le livre qu’il tenait à la main, et se levant se mit à marcher à grands pas dans la direction de la baie derrière les rideaux de laquelle se trouvait Pardaillan. Le Balafré était sombre. La cicatrice paraissait sanguinolente dans son visage livide. Et de ses yeux jaillissait une telle flamme qu’il était évident qu’une pensée de meurtre hantait cette tête violente.


– Oh! oh! murmura Pardaillan, je ne donnerais pas un denier de la vie de la belle Fausta… si je n’étais là!… Mais je suis là, et je ne veux pas qu’on me la tue…


À tout hasard, il se prépara et, la dague au poing, attendit le moment d’intervenir.


Pendant cette seconde terrible où Fausta comprit parfaitement que sa vie ne tenait qu’à un fil, elle ne fit pas un mouvement… Elle jouait à cette minute son va-tout. Dompter le duc… ou mourir, il n’y avait pas d’autre alternative pour elle dans la situation désespérée où la plaçait sa défaite du matin. Dans le palais désert, abandonné, quelques femmes… quelques laquais… personne dont elle pût ou voulût attendre un secours.


Guise parvint jusqu’aux grands rideaux de velours, et Pardaillan sentit sur son visage le souffle rauque de cet homme qui débattait en lui-même la mort de Fausta. Mais sans doute le Balafré comprit qu’en tuant Fausta, il se tuait lui-même; car, ayant fait demi-tour, et étant revenu à elle, il s’assit à la place qu’il occupait et gronda:


– Vous me traitez un peu durement, madame, et les précautions que vous avez prises contre moi m’enlèvent tout le plaisir que j’aurais eu à m’acquitter de bon cœur envers vous. Mais venons au fait… que voulez-vous? que demandez-vous?…


– Mes preuves vous semblent-elles suffisantes? dit Fausta. Vous ai-je bien convaincu que si je retire cette main qui vous a guidé, qui seule vous soutient, vous n’êtes pas roi… vous n’êtes plus rien… qu’un rebelle?…


– Oui! frémit le Balafré avec une sorte d’abattement et d’humiliation.


– Bien, duc. Et maintenant que je vous ai montré l’abîme où vous roulerez si vous cessez de vous appuyer sur la main que je vous offre, je vais vous montrer la gloire éblouissante qui vous attend si nous unissions à jamais nos forces… Dès le lendemain de la mort de Valois, Alexandre Farnèse entre en France.


– Farnèse! fit le duc en tressaillant.


– C’est-à-dire l’armée qui devait débarquer en Angleterre et qui, l’Invincible Armada [10] étant détruite, attend des ordres du roi d’Espagne… à moins que je n’envoie, moi, les miens à Farnèse!…


L’œil de Guise étincela.


– Je crois que nous commençons à nous entendre, dit Fausta. Donc, Valois mort, Farnèse vous apporte son épée appuyée de cinq mille lances, douze mille mousquets, dix mille estramaçons de cavalerie, et soixante-dix canons… ce qui, joint aux troupes royales dont vous devenez seul chef, vous constitue l’armée qui vous permet de vous emparer du roi de Navarre. Henri de Béarn pris et… exécuté comme fauteur d’hérésie, vous gagnez les chefs huguenots en leur promettant quelques privilèges… Alors vous êtes à la tête de la plus formidable armée de l’Europe!… Alors vous allez à Reims vous faire couronner dans la vieille basilique!… Alors, par une simple marche triomphale, vous pacifiez le royaume!… Alors enfin vous franchissez les monts. Mantoue, Vérone, Venise, Bologne, Milan, Turin, et enfin Rome tombent en votre pouvoir! Ce que n’ont pu faire ni Louis XII ni François Ier, vous l’accomplissez; un vaste empire devient votre domaine… Puis, par un retour foudroyant, nous traversons la France, nous marchons sur les Flandres et les Pays-Bas… vous êtes un potentat plus formidable que Charles Quint, vous reconstituez l’empire de Charlemagne, et d’un froncement de sourcils vous faites trembler le monde moderne.


Guise haletant, Guise, transporté, ébloui, fasciné, prêt à s’agenouiller devant cette femme qu’il rêvait de poignarder quelques minutes avant, Guise s’écria:


– Pardon!… oh! pardon!… Je vous ai méconnue!… Et pourtant vous avez accompli déjà de grandes choses!… Mais j’avais un bandeau sur les yeux, je ne vous voyais pas comme je vous vois! Vous êtes bien la souveraine non seulement par la redoutable puissance occulte dont vous disposez, mais par le génie, par la pensée, par la volonté qui sont les armes des grands conquérants, comme le poignard est l’arme des simples soldats comme moi!…


À ces mots, le Balafré jeta sa dague, s’agenouilla, courba la tête et dit:


– Ordonnez, je suis prêt à obéir!…


Ce rêve éblouissant que Fausta venait de faire miroiter à ses yeux, il était certes capable de le réaliser s’il en avait les moyens, c’est-à-dire l’armée et l’argent. Il n’avait pas seulement le courage et l’audace, il avait encore sur un champ de bataille la sûreté du coup d’œil, la promptitude de la décision, l’habileté du dispositif. Il avait bien toutes les qualités ou tous les vices du conquistador. Chef d’État, chef d’armée, il eût, dans une ruée à travers l’Europe, égalé ceux que l’histoire appelle des génies conquérants. Seulement, il lui manquait cet État, il lui manquait cette armée. Et il n’était pas capable de se le créer: là s’arrêtait son génie…


Il y a ainsi par le monde des gens à qui il n’a manqué que les cent mille francs de départ pour être de prodigieux remueurs d’argent. Il y a des gens à qui il n’a manqué qu’une armée pour être de grands remueurs de sang. Guise était de ceux-là. Fausta le complétait. Fausta lui ouvrait l’horizon, démolissait la barrière où il était enfermé comme un fougueux étalon, et lui disait: «Tu es libre maintenant de dévorer l’espace en culbutant de ton vigoureux poitrail ceux qui voudraient t’arrêter en route!…»


– Duc, répondit Fausta en acceptant l’hommage du Balafré avec cette sérénité majestueuse qui lui était particulière, duc, ce n’est pas votre obéissance que je vous demande. Je vous ai indiqué les grandes choses que vous pouvez accomplir, je vous ai montré que sans moi vous n’êtes rien, qu’avec moi vous êtes maître de l’Europe…


– Que voulez-vous donc? dit le duc en se relevant.


– Votre nom! répondit Fausta.


– Mon nom!…


– La moitié de votre puissance. La moitié de votre gloire. M’asseoir près de vous sur le trône où vous allez prendre place!… Être enfin la reine comme vous allez être le roi!… Écoutez-moi: vous avez, il me semble, des motifs de répudier Catherine de Clèves… puisqu’elle vit encore!… Il vous faut un mois pour obtenir cette répudiation… Dans les huit jours qui suivent, notre mariage sera célébré. Et c’est moi, duc, qui établirai le contrat que vous aurez à signer…


– Notre mariage! balbutia le duc.


– Le lendemain de notre mariage, continua Fausta, nous partons pour Blois… le reste me regarde… tout le reste me regarde… tout le reste, duc, jusqu’au jour où, placé à la tête de la triple armée de Farnèse, d’Henri III et d’Henri de Béarn, vous prendrez le chemin de l’Italie en laissant la régence à la reine de France couronnée comme vous… sacrée comme vous… à jamais liée à vos intérêts, à votre ambition et à votre gloire!


Fausta s’arrêta un instant, puis acheva sur un ton qui donna le frisson à Guise:


– Duc, je vous donne trois jours pour vous décider…


Le Balafré répondit:


– La réflexion est toute faite, madame!…


Fausta ne put s’empêcher de tressaillir. Car ce mot, elle l’espérait ardemment, Le duc de Guise s’était incliné. Il saisit une main de Fausta, la porta à ses lèvres avec cette grâce altière qui faisait dire qu’il était roi par l’élégance parmi les rois par naissance:


– Duchesse de Guise, dit-il, reine de France, recevez l’hommage de votre époux, de votre roi qui ne veut être que le premier de vos sujets…

– Duc, répondit simplement Fausta, j’accepte l’engagement que vous prenez par ces paroles. Allez donc, et dès le jour venu, prenez vos dispositions pour que vous soyez libre d’unir votre destinée à la mienne.


Étourdi, fasciné… réellement dompté par cette simplicité autant qu’il l’avait été par les menaces et par les promesses, Guise s’inclina de nouveau très bas. Puis, il s’enveloppa de son manteau, et des yeux parut chercher un valet pour le reconduire jusqu’à la porte. Fausta s’était levée; elle saisit un flambeau et se mit à marcher devant le Balafré.


– Que faites-vous, madame? s’écria Guise.


– C’est un privilège royal que d’être éclairé par le maître de la maison, répondit Fausta. Vous êtes le roi: je vous montre le chemin, sire!


Guise enivré se mit à suivre en silence, admirant la dignité, la grâce et la majesté de cette sirène, et il convint en lui-même que jamais le trône de France n’aurait été occupé par une créature plus vraiment reine par la beauté, l’attitude et la pensée.


Mais en accompagnant le duc de Guise, Fausta avait une autre idée que celle de lui rendre un royal hommage. En arrivant dans le vestibule, elle posa son flambeau sur un meuble, fit signe à un laquais d’ouvrir la porte, et se tourna alors vers Guise comme pour prendre congé. Guise tressaillit… il comprit qu’il allait apprendre quelque nouvelle…


– Adieu, monsieur le duc, dit Fausta. Mais avant votre départ, je serais heureuse de savoir ce qu’est devenu l’homme qui a été poursuivi aujourd’hui…


– Pardaillan!…


– Oui!… Pardaillan!…


– Il est mort, dit Guise.


Fausta ne pâlit pas. Aucun signe extérieur ne témoigna chez elle d’une émotion quelconque.


– Cet homme a mérité son châtiment, dit-elle.


Guise franchissait la porte, et déjà faisait signe à ses gens de lui approcher son cheval. Alors Fausta, avec la même simplicité, ajouta:


– Il a d’autant plus mérité la mort qu’aujourd’hui même, sous mes yeux, il a tué d’un coup de dague au cœur une pauvre jeune fille innocente… une chanteuse… une bohémienne nommée Violetta…


Et la porte, à cet instant, se referma!… La porte de fer séparait maintenant ces deux êtres: Fausta et Guise. Mais s’ils avaient pu se voir, peut-être eussent-ils eu pitié l’un de l’autre.


– Pardaillan est mort!


– Morte!… Violetta morte!…


Ces deux pensées de douleur palpitèrent ensemble. Et tandis que Fausta, accablée par cette mort qu’elle avait pourtant voulue, regagnait en chancelant sa chambre à coucher, le duc demeurait devant la maison comme frappé d’un coup de foudre.


– Monseigneur, fit quelqu’un en le touchant au bras.


Un sanglot déchira la gorge du Balafré. Il releva la tête et vit que son escorte s’était approchée. Sans prononcer un mot, il se mit en selle, et prenant la tête de la petite troupe, se dirigea vers l’hôtel de Guise.


À t-on retrouvé le corps de Pardaillan? demanda-t-il à Maineville lorsqu’il eut regagné son appartement.


– Non, monseigneur…


– Tant pis! dit le duc d’une voix étrange.


Et il s’enferma dans son cabinet, pour y travailler, dit-il. Mais lorsque son valet de chambre pénétra chez lui le lendemain, il constata que Monseigneur ne s’était pas couché, qu’il était fort pâle et qu’il avait les yeux rouges.

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