XL LE PALAIS-RIANT

Pardaillan arriva à Florence à la fin d’avril, ce qui prouve qu’il prit le chemin des écoliers – le plus long, mais aussi le plus amusant. Or, Pardaillan, qui ne s’ennuyait jamais nulle part, s’amusait surtout quand il était seul sur les grandes routes, un bon cheval entre les genoux, le ciel sur la tête, l’espace libre devant lui. Il adorait l’imprévu du vagabondage, et sans doute il tenait cela de son père. Il aimait la bonne et la mauvaise fortune des étapes inconnues, le plaisir si précieux d’arriver au gîte et de sécher devant le grand feu le manteau ruisselant de pluie, tandis que la servante dresse le couvert. Enfin, c’était un routier. Voyager, c’était pour lui une joie: se rendre d’un point à un autre n’était que le côté subalterne du voyage…


Par petites journées donc, s’arrêtant ici un jour ou deux, faisant là un crochet conseillé par le caprice, battant l’estrade et faisant en somme l’école buissonnière, Pardaillan avait gagné Lyon, descendu le Rhône et suivi les bords de la Méditerranée, éternel enchantement du voyageur, jusqu’à Livourne, où il s’enfonça dans les terres pour gagner Florence.


Le lendemain de son arrivée, il se rendit au palais que lui avait indiqué Fausta. Il trouva à la porte d’entrée une sorte de suisse qui lui demanda s’il était bien l’illustre seigneur de Pardaillan. Le chevalier, ayant déjà vu la belle Italie, ne s’étonna pas de l’excessive politesse du serviteur et répondit qu’il avait en effet l’honneur d’être le sire de Pardaillan, bien qu’il ignorât qu’il fût illustre. Ce à quoi le brave gardien du palais ne répliqua rien; mais, allant à un meuble qu’il ouvrit, il sortit d’un tiroir une missive cachetée, que le chevalier ouvrit séance tenante. Elle ne contenait que ces quatre mots:


«Rome, Palais-Riant. – Fausta.»


– Ainsi, dit Pardaillan, la signora Fausta m’attend à Rome?


Mais le suisse protesta qu’il était simplement chargé de remettre cette missive à l’illustrissime seigneur de Pardaillan et qu’il n’en dirait pas un iota de plus, quand bien même Son Excellence daignerait lui ouvrir le ventre pour en savoir plus long.


Pardaillan qui, comme nous venons de l’expliquer, était en veine d’école buissonnière, fut d’ailleurs enchanté d’avoir à prolonger son voyage; au fond, il n’était pas fâché de reculer l’entrevue avec Fausta. Le lecteur logique pourra nous faire observer que s’il déplaisait à Pardaillan de se rencontrer avec Fausta, il n’avait qu’à ne pas y aller. Ce raisonnement est si limpide et si naturel qu’il se présenta de lui-même à l’esprit de Pardaillan.


– Que diable suis-je venu faire en Italie? grommelait-il le lendemain en chevauchant le long d’une jolie route embaumée par les premières fleurs et inondée par les rayons du soleil de mai. Quoi! Parce que j’ai eu une minute d’émotion et de pitié lorsque j’ai vu le courage désespéré de cette femme, lorsque, enlevant son cheval d’un coup d’éperon, elle sauta par-dessus le parapet du pont de Blois, je me crois forcé de me trouver à son rendez-vous? Eh!… qui m’empêche de tourner bride et de reprendre le chemin d’Orléans où je serais si bien, l’hiver, les pieds au feu, l’automne à chasser le cerf, et l’été à écrire mes mémoires à l’ombre des grands tilleuls: Tiens! Pourquoi n’écrirais-je pas mes mémoires tout comme monsieur de Thou, le seigneur de Brantôme et le sire du Bartas, et tant d’autres?


Pardaillan se mit à rire à l’idée d’écrire ses mémoires. Il devait pourtant les écrire, pour le plus grand plaisir des lecteurs qui auraient la pensée de les feuilleter, et pour la plus grande joie de l’auteur de ce récit, qui devait y trouver de précieuses pages à démarquer. Car il faut démarquer. Quand on démarque, on cesse d’être un plagiaire: cent auteurs vous l’affirmeront comme nous.


Le chevalier, donc, tout en bavardant avec lui-même, tout en s’affirmant qu’il était bien libre, après tout, de faire décrire à sa monture une demi-volte qui lui tournerait le nez vers la France, n’en continuait pas moins à trotter dans la direction de Rome.


Pardaillan fit son entrée dans Rome par une magnifique soirée du 14 mai de l’an 1589, vers cette heure ineffable où les rayons du soleil couchant incendient d’une gloire triomphale la cité des souvenirs héroïques, la ville aux ruines séculaires, heure mélancolique où tintent les angélus de mille clochers, où l’Aventin, le Cælius et l’Esquilin semblent rayonner au-dessus des lacs d’ombre qui s’étendent sur les vallées.


Pardaillan prit gîte à l’auberge du Franc-Parisien, mots qui, écrits en français sur l’enseigne, lui parurent de bon augure et l’invitèrent à mettre pied à terre devant l’hôtellerie d’accorte apparence. L’hôte, en effet, était Français et demi, c’est-à-dire Parisien de la rue Montmartre; il était établi depuis quinze ans à Rome où il faisait tout doucement fortune en faisant manger aux Romains de la cuisine parisienne, et aux Français qui tombaient chez lui de la cuisine romaine, ce qui, prétendait-il, devait infailliblement amener tôt ou tard une alliance entre les peuples de Paris et de Rome.


Pardaillan dîna du meilleur appétit: puis il s’alla prosaïquement coucher en refusant d’aller contempler Il coloseo au clair de lune, bien que l’hôte lui eût juré que c’était là le premier soin de tout étranger de marque débarquant à Rome.


Le chevalier dormit tout d’un trait jusqu’à huit heures du matin, s’habilla soigneusement, et après dîner s’enquit de la situation du Palais-Riant, où Fausta lui avait donné rendez-vous. L’hôte lui indiqua le chemin à suivre et ajouta:


– Un monument qui a dû être bien beau dans le temps, mais qui tombe en ruines, car il a été saccagé sous le pontificat d’Alexandre VI, et à peine restauré; depuis Lucrèce Borgia, il est inhabité.


Mais déjà Pardaillan était en route et, suivant une rue parallèle au cours du Tibre, il ne tarda pas à se trouver devant le Palais-Riant, magnifique édifice, rutilant et sombre comme un caprice de Lucrèce Borgia, orné de statues et de bas-reliefs qui en faisaient la splendeur, et couvert de poussière, les fenêtres fermées, le grand atrium extérieur ravagé, la porte murée, ce qui lui donnait cette sombre physionomie dont nous parlons.


– Il me semble, murmura Pardaillan, que c’est ici la répétition du Palais de la Cité… Pourvu qu’il n’y ait pas de salle des supplices, ni nasse de fer!…


Et il s’approcha curieusement du vieux palais que nous avons eu occasion de décrire avec soin dans un de nos précédents ouvrages. Comme il était là, assez embarrassé d’y entrer, puisque la porte était murée et qu’il n’avait même pas la ressource d’escalader les fenêtres condamnées, un homme passa près de lui, le toucha légèrement du coude, et murmura:


– Suivez-moi…


– Il paraît que j’étais attendu, murmura Pardaillan qui se mit à suivre sans faire d’observation, mais qui, en même temps, s’assura rapidement que sa dague était à sa place, à sa ceinture.


L’homme enfila une sorte d’étroit passage qui limitait le Palais-Riant sur son côté droit et aboutissait au Tibre. Vers le milieu du passage il disparut par une porte basse, et Pardaillan entra derrière lui. L’un marchant devant et l’autre suivant, toujours silencieux, ils longèrent un long couloir et débouchèrent enfin dans un immense vestibule qui évidemment occupait tout le rez-de-chaussée de la façade. Jadis, tout ce que Rome comptait de grands seigneurs, de princes ecclésiastiques, de poètes, de peintres, d’artistes en renom s’était promené sur la mosaïque de ce vestibule en attendant d’être reçu par Lucrèce Borgia. Maintenant, ce n’était qu’un désert de marbre, peuplé par des statues impassibles qui toutes avaient subi quelque convulsion populaire, car à l’une il manquait un bras, à l’autre la tête. Les fenêtres étaient condamnées, la grande porte murée. Des lampadaires tordus, des corniches ruinées, des colonnes jetées bas, les murs noircis par des traces de flammes semblaient indiquer que quelque drame avait dû dérouler là ses sombres péripéties.


Pardaillan à la suite de son conducteur franchit encore une salle qui était en aussi triste état puis, par une porte de bronze, pénétra dans une partie du palais où se retrouvaient toute la magnificence et tout le faste grandiose dont la princesse Fausta aimait à s’entourer. Il s’arrêta et s’aperçut soudain que son conducteur avait disparu. Il attendit donc, les yeux fixés sur un tableau de Raphaël d’Urbin qui représentait une jeune femme d’une éclatante beauté, à l’œil noir, au sourire impérieux, aux formes à la fois délicates et empreintes de majesté: c’était un portrait de Lucrèce Borgia… l’aïeule de Fausta. Comme il rêvait devant l’image de cette fille de pape, dont la destinée fulgurante avait ébloui le monde, il entendit derrière lui un léger bruit, se retourna, et, dans l’encadrement de velours d’une portière, il vit une jeune femme qui le contemplait; et c’était la même beauté fatale, les mêmes yeux de mystère que la femme du tableau… Pardaillan reconnut la descendante de Lucrèce et s’inclina profondément.


– Vous regardiez mon aïeule? dit Fausta en s’avançant alors sans autre bienvenue qu’une légère inclination de la tête. Par d’autres voies que les miennes, par des moyens plus sûrs, elle a pu pendant quelques années réaliser mon rêve. Par son frère César, elle a dominé l’Italie; par son père Alexandre, elle a dominé la chrétienté. Ce palais qui vous apparaît bien triste et bien abandonné, qui ressemble à la tombe d’une gloire défunte, était alors le centre des plaisirs et de la toute-puissance; la mélodie des violes s’y faisait entendre, une armée de serviteurs animait ces salles désertes, la foule des courtisans, des princes, des ambassadeurs de tous pays, des monarques mêmes, passait sous ces lambris; de cette salle, Lucrèce faisait trembler le monde… que reste-t-il de tout cela? des ombres qui vivent dans mon imagination. Le soir, solitaire, j’aime à parcourir ces pièces immenses où la fille du pape, la sœur de César, plus papesse et plus princesse guerrière qu’ils n’étaient pape et capitaine, promenait sa rêverie somptueuse parmi les parfums des fleurs rares, tandis que les plus illustres, les rois des arts, les génies de la guerre s’inclinaient sur son passage et mendiaient un de ses sourires. Quelle vie enivrante c’eût été là, si j’avais pu, moi aussi, monter au faîte de la puissance, et si, sous la protection d’une épée invincible, d’un homme fort et brave entre les hommes, j’habitais ce palais en souveraine redoutée, non en proscrite qui se cache!…


Fausta, en parlant ainsi avec une sombre mélancolie, avait pris place dans un fauteuil et, d’un signe, avait invité Pardaillan à s’asseoir également.


– Madame, dit le chevalier, il me semblait que les terribles expériences que vous venez de faire au-delà des Alpes avaient dû pour toujours arracher de votre pensée ce levain d’ambition qui vous ronge et vous tuera. La vie si compliquée, si rude, si hargneuse et méchante aux esprits despotiques est au contraire si facile et si douce à ceux qui ont bien voulu s’apercevoir qu’il n’y a rien de bon et de beau hormis le plaisir de vivre, je veux dire de prendre la vie pour ce qu’elle est: un court passage d’un être parmi d’autres êtres. À quoi bon se tant démener pour dominer, c’est-à-dire pour faire le malheur des autres? Je m’arrête, madame: j’aurais l’air de prêcher. De tout ce que vous venez de dire, je ne veux donc retenir qu’une chose: c’est que vous êtes ici, vous cachant, et proscrite… Je croyais que vous aviez fait votre paix avec Sixte?


Fausta secoua la tête avec une amertume désespérée.


– Entre Sixte et moi, dit-elle, c’est un duel à mort. J’ai cru un moment que tout était fini. Chevalier, écoutez-moi bien, car ce sont des paroles définitives que nous allons échanger. Tant que j’ai été en France, donc, depuis Blois, j’ai cru que je marchais à une vie nouvelle. Je me suis dit qu’un abîme s’était creusé entre mon passé et mon avenir. Mais, en mettant le pied sur la terre d’Italie, j’ai compris que j’étais toujours la petite-fille de Lucrèce et que je ne pouvais rien oublier. Vaincue, soit, je l’ai été! Vaincue surtout parce que vous vous êtes trouvé sur mon chemin… Mais si vous n’étiez plus contre moi! Si vous étiez avec moi! Si je pouvais faire passer en vous le feu qui me dévore!… Oh! je recommencerais la lutte… je la voudrais acharnée, impitoyable, et cette fois je serais victorieuse…


Fausta s’arrêta un instant comme pour attendre un mot, un signe d’approbation. Mais Pardaillan demeura glacial. En lui aussi, l’illusion était détruite. Sur le pont de Blois, il avait eu l’impression que Fausta redevenait une femme… et il se heurtait à la statue qui, en s’appuyant sur lui, pouvait l’écraser.


– Quant à Sixte, reprit Fausta, même si j’avais pour toujours renoncé à la lutte, il n’aurait pas, lui, renoncé à sa vengeance. Vous êtes-vous demandé pourquoi je ne vous ai pas attendu à Florence?


– Je ne me suis rien demandé, madame, vous m’attendiez à Rome je suis venu à Rome… j’eusse été au bout du monde.


Si Fausta avait bien connu Pardaillan, cette banale hyperbole lui eût justement démontré la froideur du chevalier. Mais tressaillant de joie, elle continua d’une voix ardente:


– Si ce que vous dites est vrai, je puis espérer encore. Nous pouvons ensemble, accomplir de grandes choses. Mais sachez d’abord que si j’ai quitté Florence où je vous attendais, c’est que j’y étais traquée par les sbires de Sixte. Non, cet homme n’a pas renoncé à la haine que je lui inspire. Sur le bord de la tombe, il songe à m’y entraîner avec lui. À Florence, mon palais a été cerné, j’étais sur le point d’être prise… j’ai fui.


– Et c’est à Rome que vous avez cherché un refuge!…


– Oui, dit simplement Fausta. Je serai cherchée partout excepté dans l’ombre du château Saint-Ange. Sixte jette au loin son regard pour deviner ma retraite, il oubliera de regarder à ses pieds.


– Bien joué! fit Pardaillan qui ne put s’empêcher de rire.


Et pourtant, il éprouvait un exprimable malaise. Cette femme si belle en vérité, cette vierge trop vierge et si peu femme, qui, vaincue, méditai quelque terrible revanche, celle enfin pour qui, sur le pont de Blois, avait senti, ne fût-ce qu’un instant, battre son cœur… Fausta ne lui inspirait maintenant qu’une sorte de répulsion. Il eût beaucoup donné pour n’être pas venu, et il se mêlait une vague terreur aux sentiments qu’il dissimulait soigneusement.


– Chevalier, reprit Fausta avec une douceur qui était comme accablante, lorsque j’ai su que vous aviez tué le duc de Guise, lorsque j’ai compris que vous étiez une de ces forces de la nature contre lesquelles on ne peut rien, j’ai cru que ma destinée était finie. Sur le pont de Blois, j’ai voulu mourir, et vous m’avez arrachée à la mort. Dans cette heure-là, chevalier, il s’est passé entre nous un événement grave… et sur cet événement, j’ai rebâti mon avenir. Je vais donc, comme à mon associé, comme à celui pour qui désormais je ne dois rien avoir de secret, révéler mon plan tout entier… Ne protestez pas, taisez-vous… Quand j’aurai parlé, vous direz oui ou non…


– En ce cas, j’écoute, madame, et, quoi qu’il arrive, vous pouvez compter que vos secrets seront aussi en sûreté dans ma tête que dans votre propre cœur…


Fausta se recueillit une minute, puis fixant son regard de flamme sur le chevalier:


– Voici, dit-elle. J’ai un peu partout, en Italie, des amis puissants. Épars, disséminés, découragés par le triomphe de Sixte, ils deviendront une formidable armée prête à tout entreprendre si je remporte ici une seule victoire. À Rome, deux mille hommes d’armes sont prêts à former le premier noyau de cette armée, et j’ai des intelligences dans le château Saint-Ange même. Que Sixte vienne à mourir…


Pardaillan fit un mouvement.


– Ou simplement que je m’empare de lui, que je le tienne ici prisonnier, et je suis maîtresse absolue de la situation. Chevalier, j’ai compté sur vous pour prendre Sixte dans son Vatican, le faire prisonnier de guerre et me l’amener ici. Ni l’argent ni les hommes ne vous manqueront pour mener à bien cette tentative. Vous paraît-elle possible?


– Tout est possible, madame.


– Bien, dit Fausta, dont l’œil s’illumina d’un éclair. Une fois Sixte pris, avec mes deux mille reîtres, vous tenez Rome, et moi je prends possession du Vatican. Les amis dont je vous parlais se rallient alors et m’amènent chacun leur contingent: au bout d’un mois, nous avons dans la campagne romaine une armée que j’évalue à trente mille fantassins, quinze mille cavaliers et quarante canons. Avec cette armée, chevalier, je puis rentrer en France et y prendre une décisive revanche… mais à cette armée il faut un chef. Ce chef, je l’ai trouvé: c’est vous… Voilà pour le moment. Ce n’est là que le premier plan du tableau que je vous découvrirai tout entier lorsqu’il en sera temps. Que dites-vous de cela?


– Je dis, madame, que tout est possible, répéta Pardaillan, mais cette fois avec une si visible froideur que Fausta se sentit mordue au cœur par un doute effroyable.


Elle demeura quelques instants plongée dans une sombre rêverie. Puis, lentement, elle reprit:


– Tout cet échafaudage est bâti sur un sentiment…


«Nous y voici, attention!» songea Pardaillan.


Fausta se leva. Elle tremblait légèrement. Elle était pâle. Des paroles qu’elle eût voulu dire et qu’elle renfonçait se pressaient sur ses lèvres. Enfin, prenant une soudaine décision:


– Chevalier, dit-elle, tout dépend de la réponse que vous devez me faire. Cette réponse, je ne la veux pas tout de suite. Revenez dans trois jours et je parlerai. Si vous dites oui, mon triomphe et le vôtre sont assurés. Si vous dites non, vous reprendrez le chemin de la France et nous serons à jamais séparés… oh! taisez-vous, maintenant… trois jours… encore trois jours de rêve…


Elle allait se laisser entraîner. Elle se domina, et, plus froidement, ajouta:


– J’ai besoin de ces trois jours pour prendre mes dernières dispositions. Vous en avez besoin, vous, pour réfléchir avant de vous engager… dans trois jours, au moment de la nuit, chevalier… adieu!


À ces mots, elle disparut derrière une tenture, et Pardaillan vit entrer Myrthis qui lui fit signe de la suivre. Il obéit, étourdi de ce qu’il venait d’entendre. Quelques minutes plus tard, il était dans la rue et regagnait l’auberge du Franc-Parisien.


Que diable suis-je venu faire ici? murmura-t-il quand il fut seul et enfermé dans sa chambre. La tigresse est restée tigresse. J’aurais dû m’en douter… Trois jours! Je ferais bien de les mettre à profit pour prendre du champ… Bah! J’aurais l’air de fuir!…


Cependant, Fausta s’était jetée sur un lit de repos, et la tête enfouie dans les coussins, livide de l’effort qu’elle venait de faire pour se contenir, grondait:


– Rien! Rien! Rien! Pas un battement, pas un tressaillement!… Oh! oui, qu’il réfléchisse, car c’est sa vie qui est en jeu! Qu’il réfléchisse et prenne garde! Car maintenant, c’est moi qui le tiens!…


Que se passa-t-il au Palais-Riant pendant ces trois journées? Quels préparatifs y furent faits? Quels ordres donna Fausta?… Dans le courant du troisième jour, d’étranges allées et venues se produisirent au rez-de-chaussée. Le soir venu, les vingt serviteurs qui étaient enfermés dans le palais, hommes ou femmes, en sortirent comme d’un lieu pestiféré, et s’éloignèrent en hâte. Dans le Palais-Riant, il n’y eut plus que Fausta et sa suivante Myrthis.


Environ une demi-heure après le départ des serviteurs, c’est-à-dire au moment où la nuit commençait à étendre ses voiles sur la Ville éternelle, Pardaillan, selon sa promesse, se présenta à la petite porte du passage, et fut introduit par Myrthis. Seulement, cette fois, on lui fit monter un escalier dérobé, et on le conduisit au premier étage. En sortant de son auberge, Pardaillan avait dit à son hôte:


– Préparez-moi ma note, car je partirai demain matin au point du jour.


– Quoi! s’était écrié le Parisien, monsieur nous quitte déjà? Mais Monsieur n’a encore rien vu!


– Pardon, mon cher hôte, j’y ai vu et vais revoir le monument le plus curieux non seulement de Rome, mais de toute l’Italie. Ainsi, veillez à ce que l’avoine soit donnée demain à mon cheval dès cinq heures du matin…


Et Pardaillan avait pris à pied le chemin du Palais-Riant.

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