BEN OUI

C’est Toinet qui conduit la Rolls de Pinaud, mobilisée pour la circonstance. Je me tiens à son côté.

La Vieillasse et Béru savourent à l’arrière une bouteille de Beaumes de Venise[3] en visionnant un film porno sur le poste de télé incorporé à la banquette avant.

Nous n’en percevons que la bande son, le môme et moi, mais elle nous renseigne quant à la qualité du drame poignant auquel assistent les deux compères.

Il s’agit d’un film historique, voire hystérique, narrant les mésaventures d’une jeunette pendant les guerres napoléoniennes. Alors qu’elle gardait ses oies, une estafette autrichienne égarée se met en devoir de la forcer après lui avoir demandé son chemin. C’est dire que ce militaire barbare est doublement égaré puisqu’il la sodomise sans crier gare (il ne parle presque pas notre langue).

Grâce au ciel, un détachement de lanciers français arrive opinément, qui délivre la pauvre jouvencelle. Reconnaissance éperdue de ladite, ce qui allume les ardeurs des militaires de chez nous, lesquels, n’écoutant que leur braguette, se mettent à foutre la chère fille à qui mieux mieux, sans vergogne, mais avec des chibres gros commack !

Les protestations choquées de la « sauvée » se muent rapidement en gémissements pâmés. L’humble gardeuse de palmipèdes passe de l’innocence la plus obscure au dévergondage le plus effréné, se faisant mettre à tout-va, et par toutes les voies d’accès ; pompant sauvagement des chibres au diamètre plus considérable que les œufs de ses oies, s’activant avec une furia que ses modestes sabots ne laissaient pas prévoir, criant des choses stimulantes entre deux pompages de zobs, s’employant avec tant de fougue et de discernement que les valeureux soldats français, épuisés, sont faits prisonniers sans la moindre difficulté par un corps franc autrichien qui, composé de pédés, bien sûr, comme le sont tous les ennemis de la France, te vous sodomisent les lanciers de l’Empereur, le temps de les déculotter et de les faire s’agenouiller.

Heureusement, pour l’honneur et l’anus des Français, survient un pèlerinage de nonnes en route pour Compostelle. Ces saintes filles, n’écoutant que leur héroïsme catholico-français, se jettent comme des hyènes sur les sodomites auxquels elles sectionnent les attributs à coups de serpettes (la serpette étant, après le chapelet, l’accessoire de défense de toutes les pèlerineuses en ce début de XIXe siècle).

Pour les récompenser de leur bravoure, les Français trouvent un regain de sexualité, et cette bande (le mot est irremplaçable) s’achève par une partouze qui glorifie l’armée et le clergé, ces deux piliers de la nation.

Juste qu’un berger voyeur écrit le mot « fin » sur l’écran, au moyen d’une abondante et impétueuse éjaculation, nous stoppons dans la cour de l’Hôtel-Dieu à laquelle ma brème policiarde nous a permis l’accès.

— Tu veux qu’on va aller av’c toive ? demande Béru d’un ton qui souhaite de toute évidence une réponse négative.

— Pas la peine.

— C’est bien ce dont j’pensais. Alors on va r’visionner c’putain d’film, biscotte y a d’dans certaines postures dont j’m’esplique pas ! Entre z’autres, celle où la supérieure parvient à éponger six gaziers n’en même temps. Ça peut servir.

Suivi de Toinet, je pars à la recherche du garde du corps de feu Karim Kanular.

D’entrée de jeu, l’enfant se présente mal car j’ignore son blase. Force m’est de fournir un luxe de détails pour tenter de mettre la main dessus. Personne ne paraissant au courant de son existence, je me mets à la recherche des ambulanciers qui sont allés le chercher au boxif de la mère Mina.

L’obstination étant toujours récompensée, je finis par les dénicher aux urgences où ils viennent d’amener une crise cardiaque en pleine béchamel.

C’est le gros Jérôme qui répond à mes questions. Sous sa blouse blanche, il porte un pull à col roulé qui sent la lamaserie tibétaine, un futiau de velours potelé et des baskets cradoches auxquelles ont adhéré de vieux pansements joncheurs.

L’urgence du bordel ? Tu penses qu’il se la rappelle. Un type rouquinant qui pédalait dans la mélasse ! En arrivant à l’Hôtel-Dieu, y avait presse, biscotte cette rame de métro qui venait de dérailler à la station Cité. Ils ont dû attendre. Ils sont descendus de l’ambulance, histoire de se dérouiller les cannes. Comme c’était le coup de feu, on les a réquisitionnés pour prêter main-forte. Leur assistance a duré une vingtaine de minutes. Quand ils sont revenus à leur ambulance, elle était vide : l’intoxiqué du claque avait joué rip. Ils l’ont cherché en vain. Le gardien de l’entrée s’est rappelé l’avoir vu partir d’une démarche passablement flageolante. Point à la ligne.

On lui dit merci et on retourne à la Rolls pinulcienne.

La Vieillasse s’est endormie devant les prouesses chibreuses. Lui, la baise, c’est à dose homéopathique. Une petite régalade, en passant, avec, comme point d’orgue dans les bons jours, une crampette d’honnête homme, sans excès de vitesse pour ne pas risquer le tour de reins perfide.

Il tire en danseuse, César, à sa botte, les pognes sur les poignées de freins. Fini l’héroïsme, c’est plus de son âge. Il préfère se laisser mâcher dans des postures languissantes. Pas le repos du guerrier, mais de la mise en disponibilité du tireur de fond. On ne peut pas être et avoir tété.

Quant au Gros, c’est tout le contraire : il est apoplectique et un filet de bave le transforme en boxer à l’arrêt devant l’étal d’un rôtisseur. Il déglutit avec peine et soupire :

— C’est pas pour me vanter, mais y a dans c’t’œuvre plein de belles gonzesses. Ent’ z’autres, une grande blonde qu’a des nichebabes gros comme des oreillers. Si vous verreriez comme elle aime la viande de mec ! Elle s’en biche… Attendez qu’ j’comptasse : un, deux, trois, quat’… cinq ! Oui, cinq à la fois ! alors qu’l’record à ma Berthe c’est quat’. Y a vraiment des nières qu’sont douées. Tu croives, Tonio, qu’en écrivant à la production, on pourrait obtiendre l’adresse à c’t’ moukère ? J’aimerais voir ce qu’é s’rait capab’ de réaliser av’c un chibraque d’ma dimension. Ça la motiveverait, comprends-tu ? Je peux prêter à des exploits.

On le laisse à ses rêves bleus, pleins d’innocence et de pureté. Dans son genre, c’est un ange, Alexandre-Benoît. Ses fantasmes embellissent la vie. La sienne et celle des autres.

*

L’ambassade de Chyrie ? Tu peux pas te gourer : elle est juste à gauche. Et en face, il y a une rangée de platanes dont le crémier du coin ramasse les feuilles pour envelopper certains fromages.

C’est une construction en pierre de taille dont les fenêtres sont munies de barreaux ouvragés pour faire moins prison. Perron de six marches, double porte vernie en clair. Le drapeau chyrien est placé au-dessus de l’écusson ovale où figurent les armes de ce prestigieux pays : un vautour bicéphale tenant un rameau d’olivier dans son bec gauche, un prépuce de roumi dans le droit, en broyant de ses serres un serpent en forme de caducée.

Je presse un timbre logé dans une plaque de cuivre hachée de petites ouvertures.

— Qui êtes-vous ? demande une voix féminine douce comme l’intérieur d’un préservatif après usage.

— Le directeur de la Police parisienne, mens-je-t-il plus ou moins.

— Pouvez-vous exciper de cette qualité ? demande la même voix qui a appris le français dans une école où s’enseigne l’art de devenir hôtesse d’accueil dans la diplomatie.

— Je peux le faire ! dis-je, parodiant un sketch de Pierre Dac et Francis Blanche que je pleure chaque fois que j’écoute des cons à la radio.

— En ce cas, placez une pièce d’attestation devant le petit écran de contrôle qui va apparaître.

Sur ces mots, un rectangle de la dimension d’une carte postale se révèle dans la plaque de cuivre.

Je cloque ma brème devant.

— Merci ! fait la voix féminine.

Et la porte s’ouvre avec un déclic de précision.

Je vois un sas vitré de verre dépoli. Y pénètre. La lourdoche se referme, me voici prisonnier de cette cage.

— Veuillez déposer l’arme que vous portez sous votre aisselle gauche dans la niche qui va apparaître, recommande la dame.

A peine dit, un volet de glace coulisse, découvrant une espèce de casier à droite du sas.

J’y place mon ami Tu-tues.

Le volet se referme et, enfin, la porte s’écarte pour me proposer le hall de l’ambassade.

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