Ça doit être élégant, pour un amateur de ce que j’appelle « l’art vermicelle ». Rougnougnou en diable. Bricolé. Ça tarabiscoté tous azimuts. Poils de cul. La main de fatma dans la culotte d’un émir. Cédilles et virgules. Parfois, je me dis que s’il existe un purgatoire, il peut très bien ressembler à ça. D’où mon application à mériter le paradis pour l’atteindre sans escale.
Seule concession à l’art européen : un large bureau ministre en bois noir avec plein de téléphones dessus et une gonzesse derrière. Ladite est arabe, mais vêtue en élégante Parisienne. Rousse foncée, maquillage mauve et châssis cabriolet sport. Tu l’exposes au Salon de l’Auto, c’est illico l’attroupement. Son regard fauve a d’étranges reflets mordorés.
Face à elle se trouvent deux fauteuils. A chaque extrémité du hall, il y a un gorille basané dans un costar clair, une belle cravate peinte dénouée au cou et une hypertrophie à gauche de la poitrine, because un holster hébergeant un extincteur de vie auquel ne résisterait pas un éléphant.
Dès que j’ai franchi la porte, le sas se referme derrière moi avec le bruit glisseur d’un tiroir de morgue.
Aucun des trois personnages ne bronche, c’est à peine s’ils me regardent surviendre. Ils posent comme a priori qu’ils m’enculent moralement, physiquement, civilement, et sans les honneurs militaires.
Je me dirige donc vers la fille d’un pas que je voudrais assuré, mais qui doit comporter quelque raideur.
Parvenu devant son burlingue, je lui vote une œillade tellement langoureuse qu’un chanteur napolitain en ferait caca dans le trou de sa mandoline.
La donzelle reste impassible. Elle ne cille pas. Un pareil self-control n’est pas donné à tout le monde, crois-moi. Faut une sacrée énergie à une sœur pour ne pas broncher quand je lui décerne mon œillade enjôleuse number one.
Pour amorcer la converse, je lui représente ma brème professionnelle ; mais elle l’élude d’une mimique comme étant du déjà-vu.
— Je souhaiterais m’entretenir avec la personne la plus proche de Son Excellence l’ambassadeur, dis-je d’un ton que je pense impénétrable, mais qui l’impressionne autant qu’une hypersécrétion de sébum sur le nez de Léon Zitrone.
J’entends enfin la voix de ma terlocutrice :
— A quel propos ?
— A propos de Son Excellence, précisément.
Elle force l’intensité de son regard au risque de faire disjoncter mes lotos.
— Si vous souhaitez dire quelque chose de particulier concernant Son Excellence, c’est à elle-même qu’il faut parler.
— Je le souhaiterais ardemment, mais en son absence…
La femme me darde de plus en plus fortement, au point que ses prunelles de feu me font des cloques sur les pommettes.
Puis elle semble prendre une décision et décroche l’un de ses téléphones.
Une voix masculine lui répond. La voilà qui se met à jacter fissa mais sans véhémence. Elle ne me regarde plus, fixe les ongles également mauves de sa main gauche.
Elle use d’un parfum plutôt violent, la sœur, très oriental ; je me dis que si elle s’en met sur tout le corps, je me paierais une chouette crise d’éternuements en lui dégustant le trésor.
Le gusman auquel elle turlure doit lui dire d’attendre car elle cesse de parler tout en demeurant en ligne.
Au bout d’un moment assez long à mon gré, une autre voix se manifeste. Elle lui répond avec déférence. C’est très bref.
Presque aussitôt, elle remet le combiné sur sa branche fourchue, adresse un signe à l’un des mastards de la sécurité. Le gorille développe un corps de basketteur noir américain et s’approche d’une démarche très souple pour son gabarit.
La secrétaire lui donne un ordre puis, à ma pomme :
— Son Excellence va vous recevoir.
Je ne peux me retenir de demander :
— Quelle Excellence ?
Ma question paraît la déconcerter un tout petit poil de zob. Elle me flashe d’un air singulier :
— J’ai cru comprendre que vous vouliez parler à M. l’ambassadeur, non ?
— Heu, bien sûr.
— Eh bien, on va vous conduire à lui.
J’emboîte le pas au gorille. Je dois ressembler à un boxeur groggy sauvé par le gong.
Un ascenseur capitonné de soie comme un luxueux écrin me hisse au premier.
A l’instant où j’en sors, une saloperie de môme qui doit atteindre ses sept ans sans qu’ils lui apportent l’âge de raison, me braque le canon d’une mitraillette jouet dans les roustons en gueulant « Haut les mains ! » en arabe moderne.
Le choc est si violent que je manque en dégueuler dans les chiraz.
Je m’immobilise, me tenant la panoplie d’alcôve à deux mains. J’espère que mon mentor va morigéner le mouflet, mais je t’en fous : il demeure impassible et le môme Trouduc me porte un nouveau coup, dans le bide cette fois. Naturellement, mon premier réflexe est de beigner la gueule de l’effronté, mais je me rappelle in extremis que les fils de princes ont tous les droits et que, ce faisant, je créerais un incident diplomatique avec l’État chyrien. Alors, bon, je surmonte ma nausée, domine ma douleur, enveloppe ma colère dans de la ouate dont j’aimerais bien me servir pour m’emmitoufler les valseuses et adresse au garnement un bon sourire plein de reconnaissance.
Le garde m’entraîne dans le couloir tandis que Sa Petite Majesté de merde tente de me sodomiser à travers mon futal avec le canon de sa mitraillette. J’adore les enfants, mais je suis intimement persuadé qu’une fessée jusqu’au sang, saupoudrée de poivre, ne ferait pas de mal à celui-ci.
Une double porte moulurée et dorée. Mon guide y toque.
On lui répond d’entrer.
Il ouvre et s’efface. Le gosse me lâche les baskets pour filer un coup de crosse dans les chevilles du garde du corps. Bravo ! Je suis d’accord. Le mec ne réagit pas plus qu’à une chiure de mouche.
Je les oublie l’un et l’autre en formant des vœux inchantables pour que le petit con de prince se fasse assaisonner par l’esclave. A notre époque, rien ne justifie qu’on tolère un chiare mal élevé, fût-il prince, roi, empereur ou fils de pute.
Et maintenant, Santantonio, reprends ta narration sans te laisser distraire par d’humbles épisodes de la vie domestique.
Je me trouve dans une très vaste pièce qui, en définitive, doit être une chambre, si je m’en réfère à l’immense catafalque dressé sur un praticable tendu de velours vert.
Impressionnant.
Tu gravis trois marches et tu accèdes à un gigantesque lit bas mesurant au moins quatre mètres de large sur trois de long (si l'on peut s’exprimer de la sorte). Dans ce plumard hors série, quatre personnages qui le sont également ; un homme et trois femmes.
Le mec n’est autre que le prince Kanular, ambassadeur de Chyrie, président de l'O.RC.D.Q.R.S.F.
Il porte une robe de chambre en velours vert à parements rouges et brandebourgs d’or.
Les trois dames, et c’est là que le sidérant rejoint l’incroyable, sont des sœurs « trumelles » monozygotes dont la ressemblance est stupéfiante au point de te causer un malaise ! T’as beau les mater l’une après l’autre, bien posément, l’impression que tu en tires confine au vertige. Un mec blindé se croirait arrivé au stade qui prélimine les chauves-souris géantes et les énormes lézards verts du delirium tremens. Deux, c’est fascinant, à ce degré d’identisme, mais trois, ça fait peur ; tu te crois grevé d’un maléfice dont il sera coton de te débarrasser.
Bêtement, je souris à cette triple et même image.
Beau triptyque ! Les trois filles sont brunes, coiffées à la garçonne, et portent la même tunique largement échancrée et fendue du bas jusqu’au haut de la cuisse. L’échancrure du décolleté ne cache pas grand-chose des seins abondants, en forme de poire, dont l’entre-deux vertigineux te fait venir l’eau à la bite. Six yeux à l’iris couleur d’iris composent, semble-t-il, un seul regard en trois exemplaires. Sur les trois visages se reflète la même expression intéressée et un brin salace. Je reste pantois devant cette vision extraordinaire.
Mais j’ai le devoir pressant de m’expliquer.
— Je suis navré de vous importuner, Monseigneur, articulé-je comme un qui vient de mordre dans une pomme au caramel non encore refroidi. Des faits d’une grande importance m’obligent de troubler votre quiétude.
Le prince Kanular ne se départit pas.
— Quels sont-ils, monsieur le directeur ? demande-t-il, en glissant négligemment deux doigts de sa dextre dans la chatte d’une trumelle.
— Peut-être serait-il préférable que je vous en entretienne seul à seul ?
Il sourit au milieu de son collier de barbe. Il est très photogénique. Le teint mat, un regard d’onyx comme disent les cons qui croient faire de la littérature, les tempes un tantisoit grisonnantes, de longs cils recourbés, une bouche charnue de jouisseur inapaisable et surtout des dents carnassières d’un blanc un peu bleuté. On lit une espèce de moquerie spirituelle dans ses yeux brillants.
— Nous sommes pratiquement seuls, déclare le diplomate, ces donzelles ne comprenant pas le français ; vous pouvez parler en toute liberté.
Maintenant, c’est deux doigts de sa sinistre qu’il coule entre les lèvres sud d’une des filles. Moi, franchement, j’ai beau chercher, c’est la première fois que j’ai une conversation avec un type qui branle deux frangines en même temps. La vie est pleine d’imprévus qui aident à la supporter.
— Je viens, attaqué-je-t-il, malgré le trouble physique qui — et c’est naturel — m’empare à la vue de ce spectacle, au sujet de ce qui s’est passé hier après-midi, dans le petit club… particulier d’une certaine dame Mina non loin du théâtre Hébertot. Vous voyez ce que je veux dire, Monseigneur ?
Sa Seigneurie opine :
— Je connais effectivement ce lieu, monsieur le directeur, ainsi que la charmante femme qui le gère. Seulement, je n’y ai pas mis les pieds depuis un bon mois.
A ce point crucial de l’action, j’ai la pensarde qui se met à faire des bulles et les deux chiffres déterminants de ma tension artérielle s’envolent vers des sommets.
— Monseigneur, bredouillé-je, étant déjà dans l’impossibilité de balbutier, vous affirmez ne point vous être rendu hier chez la dame Mina ?
— Comment l’aurais-je pu puisque je me trouvais à Bruxelles avec la Commission chargée d’étudier un plan de secours pour les victimes de la guerre en Bosnie ? Nous ne sommes rentrés de Belgique qu’à vingt-deux heures trente.
Il ajoute, mi-figue, mi-datte ;
— Dois-je vous produire les noms des autres diplomates qui m’accompagnaient pour qu’ils confirment cette assertion ?
— Point n’est besoin. Monseigneur, bredouillé-je en français conflictuel.
Je balance un instant, de mon couillon droit sur mon couillon gauche, ainsi qu’il sied à un homme dans l’expectative. J’ai l’impression de m’être gouré d’histoire. Ça brique à braque sous ma coiffe. Je devrais porter une perruque Grand Siècle pour dissimuler mon désarroi.
Le prince, dont la ville est un derrick, m’observe de son regard persan (d’origine). Il retire sa main polissonne et respire ses bouts de doigts avec la préciosité des douairières du temps jadis qui respiraient leurs flacons de sels pour se « vulnérairabiliser ».
— Monsieur le directeur, murmure-t-il, pardonnez-moi, mais vous paraissez subir un grand désarroi. Comme j’y suis de toute évidence associé, il serait bon que vous m’en fassiez part, peut-être pourrais-je vous être de quelque utilité.
J’opine.
Ses trois grâces ne me lâchent pas des yeux. Je te parierais une figue de Barbarie contre un orgue du même nom, qu’elles m’ont déjà à la chouette, et que si le prince Kanular proposait une petite partie de trous en camarades, elles crieraient « bravo ! ».
— Allons, cher directeur, fait la Majesté, ôtez vos chaussures et venez vous installer en notre compagnie ; il n’est de meilleur endroit qu’un lit quand on veut résoudre un problème épineux.
Sans attendre qu’il réitère son invite, je me déchausse en un tourne-pied, pose mon veston que j’ai payé dix-sept mille francs à un couturier membre de l’Institut et vais m’asseoir parmi ces gens charmants, dans cette posture orientale que nous appelons « en tailleur », nous autres humbles Occidentaux sans grande poésie.
— Ces belles jeunes femmes se nomment Shéhérazade, me présente le prince ; elles se ressemblent trop pour porter trois noms différents.
Il me plaît, ce mec. Il y a en lui un humour détonant qui force la sympathie.
— Dans mon pays, reprend-il, il est d’un usage fréquent qu’on roule un chapelet entre ses doigts pour aider à sa méditation ; moi je préfère malaxer un sein de femme. Si le cœur vous en dit…
— Je n’oserais me permettre, coassé-je avec mon air le plus batracien possible.
— Et quoi, mon cher directeur ! s’emporte le prince, croyez-vous un seul instant que je ne lis pas votre tempérament de feu sur votre personne tant affable ? Allons donc, mon cher, vous raffolez des femmes et elles vous le rendent bien. Depuis que vous êtes entré dans cette pièce, ces trois belles issues d’un même œuf ne se tiennent plus. Leur fumet a changé immédiatement.
« Vous autres, pauvres Occidentaux, ne vivez qu’avec le bout de votre nez et ignorez tout de l’odorat. Pour nous, Levantins, il est notre arme principale. Les individus se révèlent à nous par l’odeur. Nous détectons leurs qualités, leurs défauts, leurs intentions bonnes ou mauvaises grâce à la subtilité de notre sens olfactif. Nous savons qui a peur et qui a du courage ; qui a des intentions mauvaises et celui à qui on peut se fier ; qui ment et qui parle vrai ; qui nous aime et qui nous hait. L’odorat, mon cher, tout est là.
« Allons, détendez-vous. Profitez de ces femelles si elles vous tentent et, tout en les pliant à vos fantaisies, livrez-moi le gros tourment qui vous fait exhaler cette senteur de terre labourée avant l’orage. Je vous écoute. »