VEROLE

Quand nous revenons à la « maison mère » du bordel, moi soutenant la pauvre Mme Mina si durement éprouvée par ces assassinats. César Pinaud a terminé son cunnilingus et fume une Boyard pour se passer le goût du pain (un sexe de femme constituant sa nourriture de base).

Un sourire de miraculé lourdais ennoblit son visage en parchemin mâché. Il fredonne La Petite Tonkinoise, chanson rétro pour laquelle il a toujours eu un faible à cause, pensé-je, de sa connotation exotique.

— Tu tombes bien, me dit-il. Je méditais et j’aimerais t’entretenir du résultat de mes réflexions.

— C’est cela, déclaré-je en déposant dans un fauteuil cette partie de notre individu sans laquelle il n’existerait pas de jockey.

Et j’ajoute dans un long soupir, en comparaison duquel l’exhalaison d’un soufflet de forge n’est qu’une soufflade de bougie :

— Ça va me faire le plus grand bien d’entendre la voix de la raison.

— Une chose me hante, commence le patriarche, auquel ses pellicules composent un mantelet d’hermine, c’est l’évacuation des cadavres.

Tiens, tiens ! Toujours cette bonne vieille jugeote, La Pine.

Il poursuit :

— La rue est très animée, il y a une boîte de nuit presque en bas, des bars, une charcuterie italienne qui ne ferme jamais. Pas commode de sortir avec des morts de cet immeuble ; pas commode du tout, quand bien même on les mettrait dans des malles ou des caisses.

— C’est vrai, conviens-je, d’autant plus facilement que les événements renforcent ses arguments.

— Tu sais mon instinct policier, Antoine ?

— Par cœur.

A cet instant mémorable, un grand cri de femme comblée fait trembler les porcelaines. Il est suivi d’une clameur mieux articulée :

Oh ! le salaud ! Y m’tue ! Mais tu me fais mourir, petite vermine ! On s’en douterait pas à te voir ! Qu’est-ce qu’y m’fait encore ! Vouiiiii ! Oh ! que c’est bon, t’arrête pas, t’arrête pas, surtout !

Oh ! la ! Oh ! la la ! Mais c’est un surdoué, ce con ! Où va-t-il chercher des trucs pareils ? J’en peuve plus, je craque ! Je lâche tout ! Depuis Arthur, j’ai pas pris un pied pareil ! Et encore, je me demande. Si : y a eu le docteur Flosailles avec sa bite râpeuse ! Oh ! le démon. Y pousse encore ! Y me transperce. Des ressources comme ça, où il va les chercher ? Tiens, sagouin, que je te talonne les meules. Fonce à mort, bolchevik ! Oui ! Ah ! Ooooh ! Yes ! Again ! More ! Pousse, mon sagouin ! Pousse ! que je te dis. N’aie pas peur, c’est pas toi qui m’éclateras le pot ! Voilà ! Superbe ! Maman ! Encore ! Again ! Je veux tout, que je te dis ! Bouhahahâââ ! Agrrrr ! Vouai ai ais !

Pinuche écoute ces cris, comme un mélomane du Mozart :

— A cet âge, être pareillement doué ! J’augure bien de la suite, assure le docte personnage, attendri.

— « A cet âge » ? reprends-je. Tu connais donc le tireur ?

— Évidemment. C’est Toinet ! Ah ! tu peux être fier de lui. Cependant, t’en es-tu fait du souci lorsqu’il était gosse. Tu le grevais de tous les vilains instincts. Dès qu’il écopait d’une retenue à l’école, tu le réputais graine d’assassin !

— J’avais de bonnes raisons, compte tenu de son hérédité, non ?

— Personne ne naît mauvais, Antoine. On le devient à cause des rencontres de la vie. L’enfant est influençable, malléable. Ce petit, grâce au Seigneur, a eu la chance d’être élevé par des gens d’exception comme ta mère et toi. C’est déjà un être d’élite, à tous les niveaux. Il a jeté sa gourme et il ne subsiste plus en lui que de la graine de San-Antonio.

Bien entendu, il se fait chialer. L’une de ses larmes tombe sur sa cigarette qui grésille. Une aimable morve argentée accompagne son émotion, longue stalactite arachnéenne qui scintille dans la lumière du claque.

Un concert d’eau courante réalisé par les indispensables Jacob Delafon, auxquels on ne rendra jamais suffisamment hommage, me parvient, tout proche, ainsi qu’une voix de femme brisée :

— Qu’est-ce que tu m’as mis, petit salaud ! Ça fait des mois qu’on ne m’a pas tirée de cette façon. Le dernier avant toi était un prof d’histoire-géo que son épouse battait et qui devenait un fauve lorsqu’il tirait une autre femme.

Si ma mémoire auditive est toujours perfo, la dame qui exprime est Mlle Pervenche. Le gamin fait son apparition. Tranquille comme ce fameux Baptiste dont on parle toujours mais qu’on ne rencontre jamais. Fringant, il est. Détendu, modeste. Sa queutée tant appréciée ne l’induit pas à l’esbrouffe. Il a tiré sa crampe et paraît absolument maître de soi, frais, prêt à réitérer.

Il m’aperçoit sans émotion, me pose une bise en piqué entre les sourcils.

Ne semble pas ressentir la moindre gêne. Murmure simplement :

— Gentille fille, cette Pervenche, mais bruyante, comme vous avez dû le constater. Son comportement n’est pas celui d’une pute, plutôt celui d’une quelconque épouse d’employé de banque. Elle est restée naïve et presque prude, malgré ses vingt mille pafs.

« Bon, à l’Intérieur, j’ai rencontré Hilaire Dunquon, le secrétaire du ministre, qui m’a parlé des deux flics qui se sont relayés ici au cours de la nuit : Zirgon et Lanprendeux. Des perdreaux surchoix, délégués à l’Intérieur pour leurs qualités professionnelles et, probablement aussi, leur appartenance politique.

« Comme tu l’as voulu, je suis allé au domicile du premier, chemin Kaskouye, à Meudon. J’ai été reçu par sa sœur et son beauf chez lesquels il crèche. Tous deux sont dans l’enseignement libre. Ange Zirgon est un homme extrêmement rangé, qui ne pense qu’à son travail. Côté cul, c’est pas un enragé. Il a une amie d’enfance qu’il rencontre parfois, mais sa frangine ne pense pas que leurs relations aillent au-delà de la tendresse, ce qui reviendrait à dire que ce mec doit avoir, si on en croit son mode d’existence, le calbute en cale sèche. »

— Tout le monde ne peut pas posséder notre tempérament de feu, ricané-je-t-il.

— Exact, p’pa. C’est pourquoi nous devons en user, voire en abuser, histoire d’établir une moyenne qui fasse honneur à la gent masculine !

— Maintenant, fais-je, avec cette maliciosité qui emporte l’adhésion de mes contemporains, à l’exception de quelques-uns et z’unes tels que M. Robin-des-Bois-Grillet ou Mme la comtesse de Parici-Lasortie, maintenant, j’ai une grosse surprise pour vous deux dans le studio voisin ; notre bonne hôtesse va vous y conduire. Au cas où elle s’évanouirait, baissez ses jupes car elle ne porte pas de culotte, ce qui est la marque d’une nature accueillante.


C’est la future « Madame » du bordel qui se risque avec moi dans la chambre où furent trucidés le faux prince et sa copine équilibriste : Sandra l’altière, pour l’appeler par son nom. C’est vrai qu’elle possède un must que les deux autres n’ont pas. On la devine marquée du Signe, comme disait Saint-Saëns. L’autorité lui conférera l’aura et, partant, la classe sans laquelle, de nos jours, la nouvelle prostitution ne saurait s’épanouir.

Finie la pute des bas quartiers ; le pain-de-fesses se conquiert avec grâce, tact et civilité. La radasse est morte ; des femmes élégantes, belles et cultivées prennent sa place. « Vous serait-il agréable que je vous suçasse, cher monsieur ? » ; « Puis-je vous signaler l’insuffisance de votre mise de fonds pour vous acquitter d’une fellation d’aussi longue durée ? » voire : « Il n’est pas interdit de penser que les pratiques anales que vous souhaitez entraînent automatiquement une allocation supplémentaire. » Ou encore : « Mes aimables collaboratrices sont toutes disposées à vous consentir la miction dont vous désirez vous abreuver. Toutefois, comme la cérémonie entraîne des dégâts du point de vue literie, elle ne saurait s’effectuer sans une augmentation du devis initial. » Commak, elles commencent à exprimer les nouvelles prostiputes.

Un jour, tapiner deviendra une promo dans l’échelle sociale. Nous irons présenter nos jeunes filles à des super-maquerelles distinguées en les suppliant de les prendre à l’essai et de les former.

Le monde évolue, monsieur.

Et tu n’y peux rien !

— Je dérange ? s’inquiète-t-elle.

— Du tout.

— Madame paraît bouleversée… Se serait-il passé de nouveaux événements dramatiques ?

— Non, non, je la rassure ; on gère toujours les mêmes.

Elle me regarde, hésite, puis referme la porte. Nous voici les deux dans la chambre des meurtres. En humant fort, je crois (mais c’est une idée comme ça), retrouver l’odeur de la denrée toxique.

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