STOP

Mamie Mina se tient sagement entre Pinuche et Béru, à l’arrière de la Rosse-Rosse (comme l’appelle le Mastard). Elle a un chouïe récupéré, mais ça n’est pas encore ça. Son regard d’âme en peine, d’une couleur fluo, n’a ni l’ironie de celui d’Einstein, ni le génie fou de celui de Dali. On dirait deux raisins à l’eau-de-vie qu’on a laissés macérer trop longtemps.

Béru lui fourrage le sous-robe, mais c’est le type de privautés qui passent inaperçues d’une personne au fondement défoncé par plusieurs générations de gus dont les sexes allaient du modèle sapajou au gabarit cheval de labour du Perche. La mère, tu lui enquillerais un pilon d’unijambiste, type guerre de 14–18, dans le fion, elle croirait qu’on prend sa température !

Parfois, émergeant de sa trouble rêverie, elle s’adresse à ma pomme, comme le condamné à mort s’adressait au Seigneur quand on venait lui annoncer que le président de la République avait fait une cocotte en papier avec sa grâce.

— C’était pourtant lui ! assure-t-elle. C’était bien lui, hier ! Il avait même jusqu’à ce grain de beauté que M’sieur Kanular porte sous l’oreille. Vous l’aurez remarqué ? C’est moins gros qu’une pièce de cinquante centimes et, juste dessous, y en a un autre minuscule. Eh bien tout à l’heure, pendant que M. l’Excellence me parlait, je regardais ses deux petites taches. Puisque vous emportez sa photo, cherchez-les, vous les trouverez !

Je mate le portrait : exact, elles y sont.

Seulement se trouvaient-elles vraiment sur le cou de l’homme asphyxié hier, chez la brave mactée ?

Je lui pose la question.

Elle ne prend pas le temps de réfléchir.

— Et comment qu’elles y étaient ! La mort l’avait rendu plus que pâle : carrément blanc ; ses grains de beauté se détachaient comme des grosses mouches à merde sur du lait.

Elle se met à bavocher ses craintes, à dire comme quoi elle est une brave femme à l’existence irréprochable qui ne mérite pas des avanies de ce calibre. Elle ne demande rien à personne, elle gagne son pain à la sueur des fesses de ses pensionnaires, lesquelles se jetteraient au feu pour elle. Elle se comporte comme une mère avec ses gentilles demoiselles : leur faisant des infusions d’armoise lorsqu’elles ont mal au ventre et les envoyant AU docteur pour des contrôles attentifs, tout ça… Réglo, réglo.

Même quand elle était simple gagneuse et qu’elle s’expliquait près de Saint-Lago, elle se conduisait en parfaite citoyenne avec les Mœurs. Si le commissaire Blandeuil vit toujours, il peut l’attester : le nombre de mecs en cavale qu’elle lui a balancés en loucedé, t’aurais de quoi remplir Fresnes avec !

Pain de cul, c’est vrai, mais honnête. Moralité et tout. Si elle nous disait qu’elle a élevé la fille de sa sœur morte de leucémie peu après ses couches. Elle en a fait une fille bien, maintenant mariée à un expert-comptable et mère d’une fillette qui a fait sa première communion l’année dernière.

Elle s’apprête à céder son lupanar à l’une de ses pensionnaires : Sandra, la fille d’un marchand de vaisselle de Nantes qui lui consentirait une avance sur héritage pour s’établir. Ensuite, elle retournera dans son village natal où elle a fait rebecter la maison familiale. Son rêve serait d’y devenir conseillère municipale. Mais cette sinistre affaire… Qu’en pensé-je-t-il ? Rien encore ?

Dites, je ne la soupçonne pas, non plus que ses gentilles demoiselles, d’être pour quoi que ce soit dans cette histoire insensée ? Non ? Ah ! bon, merci, je lui baume le cœur, Mina. Elle a senti, au premier regard, que j’étais un monsieur bien ; pas un de ces flics qui aboient pour terroriser tout le monde, mais un poulet humain qui réfléchit, comprend les êtres, compatit à leurs problèmes.

Pendant qu’elle geint, je gamberge. Me dis que nous sommes en train de foncer contre un mur. On se heurte à de l’étrange, on se prend les pinceaux dans le bizarre.

Derrière, Pinaud s’est endormi dans sa Rolls dodue comme le fion de la reine Queen. Béru a renoncé à émoustiller la vioque et feule en sourdine. Mon Toinet drive le carrosse avec une parfaite maîtrise. Il ne parle pas.

— Sais-tu quand M. Blanc rentre du Sénégal ?

— Demain, je crois.

Il hésite, puis risque :

— Pourquoi ?

— Comme ça…

— Il te manque ?

— Tous les gens que j’aime me manquent lorsqu’ils sont loin de moi.

Il lâche le guidon de la Rolls pour poser sa main sur mon genou. Il murmure :

— P’pa !

C’est vrai qu’il est mon môme. Qu’importe qu’il soit sorti d’autres testicules, c’est nous qui l’avons élevé, Féloche et moi. Drôles de parents. Des esprits chagrins vont encore parler de sentiments incestueux au second degré. Les cons ! Alors que c’est si simple, si spontané, si pur.

— Pendant que nous serons chez la mamie Pinodrome, prends un taxi et va au labo. Tu demanderas à Mathias ce qu’il pense de la bouteille de champ truquée que Mordanvir lui a fait tenir, ainsi que des deux autres trouvées dans le réfrigérateur du boxif.

— Dac, pap’.

— Ensuite, tu passeras au ministère de l’Intérieur, tu rencontreras M. Hilaire Dunquon, le secrétaire particulier du ministre, et tu essaieras d’apprendre des choses sur l'officier de police Ange Zirgon, détaché au ministère, ainsi que sur son collègue Achille Lanprendeux.

— Ce sont les deux perdreaux qui sont venus au bordel de la grosse ?

— Exact, Baby. C’est surtout le premier qui m’intéresse puisqu’il a disparu. Tu iras faire un tour à Meudon, chemin Kaskouye.

— O.K., papa. Tu ne sais pas si la terre est argileuse dans sa banlieue ?

— Pourquoi ? demandé-je étourdiment car c’est moi qui lui ai appris la blague.

Cela dit, ça lui fait tellement plaisir de me la servir à son tour.

— Parce que j’aurais pu faire des briques à mes moments perdus.

Je me marre ; il l’a bien mérité.

— Si ça te fait trop de boulot, on peut confier Meudon à La Pine ?

— Penses-tu, c’est du velours. Et quand j’aurai fini, je passerai t’acheter des caillettes de l’Ardèche chez le charcutier de Vaugirard qui t’approvisionne.

*

Ces gentilles demoiselles viennent tout juste d’arriver au claquemuche de la mère Mina. Elles ne ressemblent pas à des marchandes de caresses, mais plutôt à des vendeuses de magasin chic. Je les situerais dans la chaussure de luxe ou l’immobilier. Elles portent des harnais de classe, ont des maquillages « étudiés » et s’expriment avec retenue, sans trop amocher nos vaillants plus-que-parfaits-du-subjonctif que seul M. Jean Dutour de l’Académie française parvient à maîtriser complètement sans se blesser.

Ainsi, fais-je la connaissance de Sandra, l’hypothétique successeuse de Madame.

Grande fille longiligne, brune, et qui ne doit pas rechigner quand un client réclame une exhibition entre dames. L’air intelligent, presque intello, avec un œil qui fait trépigner les bites dans les braguettes.

Elle est flanquée de deux « collègues », bien mises et de bonne tenue également, mais beaucoup moins « classe ». Il y a Mady et Pervenche. L’une « faisait » infirmière à ses débuts, l’autre était secrétaire chez un mandataire aux halles qui, non seulement la baisait, mais la proposait à ses copains, clients, collègues et connaissances, si bien que la pauvrette n’arrêtait plus de sucer des pafs ou d’en prendre plein la giberne. Certains de ces messieurs avaient le bon goût de lui glisser un billet dans le soutif et c’est cette aimable pratique qui orienta Pervenche vers une exploitation plus rationnelle de ses charmes. Le destin emprunte parfois des routes méandreuses pour nous conduire là où doit s’accomplir le plus riche de notre destinée.

Lorsque je montre la photo du prince-diplomate aux butineuses de braguettes, elles certifient sur l’honneur qu’il est bien le personnage venu mourir sur leur lieu de travail.

Quand j’émets l’hypothèse d’une ressemblance « stupéfiante » (tout est possible), les pécores se récrient avec vigueur que, pas du tout ! Toutes trois connaissaient bien l’Excellence pour s’être fait brouter par elle, lui avoir léché les testicules et sucé le pénis de nombreuses fois. C’est l’ambassadeur qui était ici la veille, lui, bien lui, archi-lui et personne d’autre ! Point à la ligne et d’exclamation ! Voire carrément fin.

Devant cet unisson et cette certitude collective, je n’insiste pas.

— Mes chéries, déclaré-je avec une gravité qui force l’attention, nous allons maintenant procéder à une évocation d’ensemble de vos faits et gestes à toutes et à tous, car vous aviez des habitués, pendant le temps qui s’est écoulé entre le moment où le prince s’est enfermé dans la chambre et celui où l’on a forcé sa porte pour le découvrir mort avec la femme qui l’accompagnait.

Mon ton empreint de solennité les subjugue. La môme Mady chuchote à sa copine Pervenche :

— Il m’excite, ce type. J’aimerais lui lécher les doigts de pieds tout en me caressant.

Je feins de ne pas entendre, l’heure n’étant plus au marivaudage.

— Combien de clients se trouvaient ici pendant le séjour du prince dans la chambre ?

— Deux, répond Sandra (la peut-être future directrice de cet établissement d’intérêt public).

Mes questions sont de pure forme car je connais la réponse.

Je sors le papier qui me fut remis et où se trouvent les identités des deux messieurs concernés.

— Louis Lelardon, entrepreneur de pompes funèbres, lis-je, et Hubert Flageole de l’Académie française, à qui on doit « La Fin des Couilles Molles » ou « Le Cycle de l’Azote », fresque romanesque en douze volumes.

— Si fait, laisse tomber la maquerelle qui, de retour dans son univers, a récupéré toutes ses facultés.

Où ces messieurs se trouvaient-ils pendant que vous receviez l’ambassadeur ?

C’est la grande Sandra qui répond :

— Le père Lelardon attendait dans le salon bleu en feuilletant des revues danoises et le Maître accomplissait ses « préliminaires ».

— Qu’appelez-vous ainsi, douce amie ?

— Eh bien, il arrivait toujours avec ses œuvres complètes dans un réticule de moire ayant appartenu à sa grand-mère. L’académicien se déshabillait, disposait ses œuvres sur le plancher, puis il s’agenouillait devant elles et se masturbait, sans toutefois aller jusqu’à l’éjaculation. Il s’agissait d’une mise en condition. Lorsqu’il se sentait opérationnel, il m’appelait et j’avais l’obligation de lire un texte de lui pendant qu’il m’entreprenait. L’un de ses poèmes l’excitait particulièrement : celui qui s’intitulait « Les tubéreuses scatophages ».

La belle se met à réciter comme le ferait une pensionnaire du Français :

— « Tu sombres et m’uses

« Tu Sambre et Meuse

« Épiphanie silencieuse des rois dénoyautés. »

— C’est en effet très beau, conviens-je. Je comprends que de tels vers le conduisent à l’orgasme, voire à l’Académie.

— Ils possédaient sur lui un pouvoir explosif, assure Sandra, Le Maître qui se montrait jaloux de sa semence, m’abandonnait brutalement à l’instant de l’éjaculation, et je puis vous montrer au plafond des traces de sa pression. Il a même joui un jour sur une photo représentant le père de Madame habillé en spahi. On ne s’en est pas aperçu tout dé suite, hélas. La photo n’ayant pas de verre protecteur et le sperme de l’académicien se montrant corrosif, le valeureux spahi a perdu la moitié du visage dans l’aventure, ce qui est dommage car il était beau garçon.

Elle a le sens de la narration, cette aimable péripatéticienne. Je la vois très bien remplacer Madame et tenir compagnie à ses clients huppés les jours de presse.

— Donc, l’Illustre a tiré sa crampe ? résumé-je.

— Avec brio, dit-elle. Pour un septuagénaire, c’est plutôt rare et mérite une mention spéciale.

— Et ensuite, délicieuse amie ?

— Eh bien, il s’est rhabillé après une brève toilette, a remballé son œuvre et il est parti.

— Vous l’avez raccompagné ?

— Pas Sandra, coupe la mactée : ces demoiselles prennent congé en chambre, c’est moi qui reconduis les clients à la porte.

— Tout était calme ?

— Et silencieux. Le garde du corps rouquin lisait dans l’antichambre.

— Vous l’aviez déjà vu escorter le prince chez vous ?

— Non. Il venait ici pour la première fois.

— Passons maintenant à l’autre habitué, M. Lelardon. Laquelle de vous deux, fais-je en me tournant vers les compagnes de la superbe Sandra, a assumé les passions de ce digne homme ?

— Nous deux ensemble, révèle la dénommée Mady.

— Monsieur avait de l’appétit ?

— Au contraire, il lui fallait du ciné, explique Pervenche. Nous mettions des dessous de grand-mère, ma copine et moi, vous voyez le genre ? Pantalons bouffants, fendus et noués au-dessus des genoux, bas à jarretières, corsets lacés. Il était pour le style 1900, Loulou. Un nostalgique du french cancan. On lui donnait la fessée pour nous avoir regardées et il pleurait comme un gosse en demandant pardon. C’était ça, son cinoche : le panpan-cucul ! Il se tapait un poireau pendant qu’on le rossait, sans sortir son panais de son futal. Je ne sais même pas s’il allait au bout de son propos, peut-être qu’il n’envoyait même pas la purée. On avait compris qu’il réglait ses comptes avec son enfance. La manière qu’il nous demandait pardon en nous appelant Rosy et Malvina. Chacun vient ici avec des problèmes qu’il essaie de gérer au mieux de ses fantasmes.

— Vos clients devraient être remboursés par la Sécu, fais-je.

— Vous plaisantez, mais il y a du vrai dans ce que vous dites, assure gravement Mady. Beaucoup de toubibs sont moins efficaces que nous.

— Qu’a fait ce brave bonhomme, son cinoche terminé ?

— Ce qu’il faisait chaque fois, murmure Pervenche.

— C’est-à-dire ?

— Il chialait.

Cette déclaration me serre la gorge. Bon Dieu d’humanité en désespérance ! Ce vieux mec qui vient pour un simulacre, qui ne copule même pas et qui larmoie, sa petite séance achevée. Qui pleure d’étranges larmes venues d’ailleurs avant de replonger dans la vie quotidienne. Mais, Seigneur, quelles bizarres malédictions Tu nous laisses porter, au long de nos jours insipides !

— Ça a été hier comme les autres fois ?

— Pareil. Si nous avions chronométré sa petite affaire, nous nous serions sûrement aperçues qu’elle se répétait toujours avec les mêmes mots et les mêmes silences, déclare l’ancienne infirmière.

— Il est parti après l’académicien ? demandé-je à la mère Mina.

— Assez longtemps après, précise-t-elle.

— Rien à signaler de particulier ? quelque diable me pousse à demander.

— Non ! fait la maquerelle.

Et puis elle ravise, ou du moins paraît avoir une objection interne qui lui ravive des salpingites endormies sous les palétuviers roses. Pourtant elle ne moufte pas ; c’est Monseigneur Mézigue qui vient quêter pour ses œuvres.

— Vous avez failli dire quelque chose, ma douce amie ? la prends-je-t-il à partie.

Elle a ce rire confus des humbles qui n’osent demander les gogues lorsqu’ils prennent envie de déféquer chez la baronne.

— Non, c’est une idée comme ça…

— Je raffole des « idées comme ça », elles sont souvent plus intéressantes que les idées comme ci.

Mémère rougit kif le cul d’un gibbon qui s’est torché avec du papier abrasif.

— Eh bien, il m’a semblé, mais c’est probablement une idée idiote, que M. Lelardon et le garde du corps de l’ambassadeur se connaissaient. En arrivant à la hauteur du garçon blond-roux dans l’entrée, il a eu un sursaut de surprise et s’est arrêté pour le regarder. L’autre a levé la tête, a fixé mon client, puis s’est remis à lire. Alors Lelardon est venu jusqu’à la porte que je commençais d’ouvrir et s’en est allé brusquement, sans me dire quelque chose d’aimable ainsi qu’il en avait l’habitude. Il avait l’air songeur, si vous voyez ce que je veux dire ? Et même…

Elle se tait au milieu de sa gambergerie, revivant ce qu’elle narre avec intensité.

— Oui ? la pressé-je, mine de rien.

— C’est probablement une fausse impression, se rétracte-t-elle.

— Les impressions ne le sont jamais, corrigé-je. Bien au contraire, il n’existe rien de plus fiable, puisqu’elles sont spontanées.

Elle paraît méditer sur ces écrasantes paroles que je m’attends à retrouver un de ces quatre dans les petits fascicules de l’irremplaçable maison Hatier.

— Une chose est certaine, reprend la marchande de cul, c’est que mon brave père Lelardon semblait chaviré. Comme s’il avait reçu un coup bas.

— Le garde du corps n’a fait aucune allusion au bonhomme, après son départ ?

— Pas la moindre ; il ne m’a même pas regardée.

— C’est peu après le départ du dernier habitué que vous avez ouvert la chambre du drame ?

— Dix minutes plus tard environ : ces demoiselles s’apprêtaient à plier bagages.

Un instant je me demande en quoi consiste, pour une péripatétipute, l’action de « plier bagages ». Croise-t-elle les jambes ? Remet-elle sa culotte ? S’accroche-t-elle un panneau de « sens interdit » devant la moule à crinière ?

Je retourne à la chambre du double meurtre.

Avec retard, hélas, je procède à un examen minutieux des scellés. Jeu d’enfant que de les faire sauter à l’aide d’une lame de canif, puis de les reconstituer avec un point de colle. Foutaises que ces détails qui impressionnaient le public, jadis, mais qui font marrer les mômes de la garderie aujourd’hui.

Je m’assieds au bord du lit à baldaquin pour contempler la chambre de passe. Hier soir, deux morts gisaient sur son épaisse moquette. Un couple terrassé par un gaz nocif sorti d’une bouteille de champagne. Peu banal. Ma pomme, quand je suis aux prises avec une méchante énigme, bien tourmentante, je me mets à fredonner la musique de Laura. « Laura, doux visage à peine entrevu… » Le film raconte l’histoire d’une femme assassinée : Laura. Un policier s’attache à résoudre ce problème car il est sous le charme du portrait de la morte. Il est seul de nuit, dans l’apparte de celle-ci. Et puis la lourde s’ouvre et Laura apparaît. C’est un beau moment de cinoche. Mystère et trouble délicat. « Laura, doux visage à peine entrevu… » Je sifflote le fameux air entre mes dents, me dis : « La Laura du film n’était pas morte, quelqu’un d’autre avait été tué à sa place. » C’est ça, l’astuce, tu comprends. ON CROYAIT QUE, Seulement il s’était passé tout autre chose. Tout autre chose, bordel à cul !

Je quitte le pieu pour tomber à genoux. Me déplace lentement, le pif à quarante centimètres du sol. Deux cadavres ont reposé sur cette moquette durant plusieurs heures sans laisser la moindre trace ! Je découvre deux ou trois cheveux blonds près du lit, deux ou trois cheveux bruns près de la table où se trouve encore le seau à champagne privé de bouteille et à demi plein d’eau maintenant tiède.

Jouant les bons petits Sherlock pour matinées enfantines, je glisse ces crins dans deux sachets de papier transparent. Généralement, je ne chique pas les rassembleurs d’indices ; je pratique plus volontiers une police coups de poings. Sauf dans certains cas rarissimistes, et celui-ci en est un.

Comme je serre les deux sachets dans mon portefeuille, des cris éclatent, provenant des profondeurs du claque. Un homme et une femme vitupèrent de façon discordante. Je reconnais sans mal l’organe lubrifié au beaujolais village d’Alexandre-Benoît Bérurier. Aux éclats, je décèle un courroux engendreur d’apoplexie.

Pinuche que j’ai laissé dormant sur une banquette Louis XVI, lui que voilà, bêlant sans cesse, surgit au milieu de mes réflexions avec la mine contrite d’un pénitent retour de Compostelle.

— Tu peux venir, grand ?

— Du grabuge ?

— Du jamais vu.

— Metz-Angkor ?

— Il est arrivé un accident à Alexandre-Benoît…

— Comment et de quel ordre ?

— Je pense que, pendant que NOUS enquêtions, il a voulu lutiner la femme de chambre noire. Au cours de leur étreinte, j’ignore ce qu’il s’est passé, mais il ne parvenait plus à retirer son sexe opulent de cette charmante fille.

— La chose lui est arrivée déjà, notamment à Bruxelles, crois-je me rappeler ? objecté-je.

— Je sais, mais dans le cas présent, c’est assez particulier.

Je pousse un soupir si intense qu’il aurait assuré la traversée de l’Atlantique à la flotte de Christophe Colomb.

— Quouhaha ? explosé-je-t-il.

— Il est parvenu à se retirer de Mlle Cannelle, seulement son sexe a doublé de volume…

Je balance d’un pied sur l’autre avant de déclarer :

— On n’a pas le droit de passer à côté d’un scoop pareil, César ; demande à la mère Fleur-de-Cul si elle n’aurait pas un appareil photographique à nous prêter !

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