HUE !

Libertin, certes, mais sage, le prince. Son regard pénétrant me fouille comme si j’étais un sol riche en vestiges historiques.

— Puis-je vous demander ce que je sens présentement, Monseigneur ? lui demandé-je plaisamment.

Il sourit sous sa moustache brune, sans cesse imprégnée de jus de chatte. Me hume avec discrétion.

— Votre fumet est révélateur de deux sentiments sans rapport l’un avec l’autre, mon cher. Vous sentez d’une part le mâle performant dont ces trois donzelles portent le désir à l’incandescence, et vous sentez également l’homme aux prises avec un problème pour l’instant insoluble. Or, votre nature cartésienne regimbe contre ce qu’elle ne conçoit pas. Il vous faut donc vous débarrasser de ce qui vous tourmente pour, ensuite, assouvir la fringale amoureuse qui croît dans votre sang.

Sa grande sagesse a raison de ma retenue. Très calmement, en choisissant parfaitement mes mots, je lui relate les circonstances qui m’ont conduit au lupanar de la mère Mina. Je narre avec un sens du récit peu commun, l’arrivée du pseudo prince avec une pécore et un garde du corps, l’affaire de la bouteille de champagne truquée qui contenait un gaz mortel. Le temps qui s’écoule. L’inquiétude de la tenancière. L’intervention du gorille, à son tour incommodé. La venue du commissaire Mordanrir, lequel constate le double décès et prévient l’Intérieur. Les instructions qui lui sont données de ne toucher à rien. L’arrivée de l'O.P. Zirgon, lequel disparaîtra après avoir été relevé par son confrère Lanprendeux. Mon intervention enfin, sur les lieux où je découvre que les deux cadavres ont été enlevés et que le pseudo garde du corps s’est enfui de l'Hôtel-Dieu.

— Vous comprendrez, Monseigneur, qu’un policier, fût-il de haut niveau, reste perplexe en présence d’un tel mystère ?

Il réfléchit, ses deux médius enfoncés dans de merveilleux fourreaux, bien à l’abri d’éventuelles engelures. Ne répond rien, médite. On ne perçoit que la respiration un tantisoit haletante des deux femmes caressées. Ça me fait penser que je dois acheter de la brandade de morue, le régal de Féloche.

Machinalement, ma dextre se pose sur la cuisse de la troisième partie de cette trinité ensorcelante. C’est tiède, c’est lisse, et il s’en dégage une formidable électricité pas si statique qu’on le pourrait croire. J’ai l’ami Popaul qui se transforme dard-dard en perchoir à perroquet. D’autant que, le prince a raison : les trois filles sentent le désir comme le cul de ta femme quand tu pars en voyage et que le temps va changer.

Karim Kanular parle enfin.

— Cher monsieur, fait-il, me permettez-vous d’envoyer chercher dame Mina, la gentille bordelière ? Il serait intéressant que vous l’interrogiez en ma présence, il me semble ?

— Très bien vu, Excellence, approuvé-je. J’ai des hommes à moi, dans la rue ; je vais leur dire de l’amener ici, puisque vous me le proposez si aimablement.


Toinet fait le pied de grue devant l’ambassade. Je le hèle et lui demande d’aller quérir la taulière.

— Tu as des indices concernant l’ambassadeur ? demande-t-il.

— Plus fort que ça, réponds-je : j’ai l’ambassadeur en personne…

Il débonde des coquilles.

— Comment ça, p’pa ?

— Nous sommes encore loin des explications auxquelles tout lecteur a droit, soupiré-je. Fais ce que je te dis dans les meilleurs délais, mon grand garçon, et tu en seras récompensé.

Là-dessus, je retourne à l’alcôve princière où, au cours de ma brève absence, les choses ont évolué, en ce sens que Monseigneur l’Excellence est en train de se faire turluter le Nestor par ses trois sublimes, alternativement. Je sursaute en constatant qu’il est chibré comme un lutteur turc. C’est pas le zigomar de Béru, mais pas loin s’en faut.

Les sœurs Karamazov l’ont entrepris en grand. L’une d’elles lui polit le casque de Néron, une autre s’occupe de ses sombres aumônières, lesquelles paraissent dures comme des noix de coco, tandis que la troisième lui énuclée l’œil-de-bronze de son pouce.

Les trois grâces (l’anagramme est valable aussi) œuvrent en esprit d’équipe : coordination des gestes, précision de la thérapie, onomatopées soigneusement étudiées. La technique est brillante, les initiatives judicieuses, les gestes harmonieux et dénués de fioritures. On comprend toute l’efficacité d’une pratique, sans cesse révisée. Au travail rigoureux s’ajoute une inspiration rare, celle-là même qu’engendre la véritable sensualité toujours remise en question.

Une troïka aussi perfectionnée provoque l’admiration. La mienne est totale. Je me dis qu’il conviendrait de filmer l’opération, non à des fins salaces, mais afin de révéler l’importance d’une forte expérience à celles (et à ceux) pour qui l’amour physique est un apostolat.

Je reste là, assis en biais au pied de la vaste couche, fabuleux terrain de manœuvres où s’accomplit l’exploit. Impressionné par un tel savoir-faire auquel se mêlent les richesses d’initiatives toujours renouvelées.

Au milieu de ce foisonnement « luxuriant », le prince-diplomate m’aperçoit et retrouve ses soucis d’hôte.

— Venez, venez, mon cher ! lance-t-il avec son affabilité coutumière. Vous avez votre place dans ce tableau vivant.

Tu résisterais à pareille invite, toi ?

Pour mézigo, c’est impossible. Tournemain, je suis dépiauté et la tête chercheuse de l’Antonio se met en quête d’un terrier.

N’a plus son libre « arbite » (ou arbi). Pas le temps de demander mon chemin. C’est kif un essaim de frelons qui s’abattrait sur moi. Je suis agrippé, happé, pompé, ventousé. J’ai le bas-ventre léché, les roustons mordillés, le filet stimulé aux battements de cils, l’oigne onguenté, la bouche lubrifiée à la chatte survoltée ; toutes mes zones érogènes sont prises à partie, voire simplement en considération. On m’inflige un bonheur physique si éperdu qu’il en est douloureux.

Et tu voudrais que j’entre dans les ordres, toi ?

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