SACREBLEU

« Clinique LONG REPOS ».

C’est écrit en lettres blanches sur un bandeau de tôle, au-dessus du portail. Le panneau est en grande partie bouffé par la rouille. Au-delà de l’entrée, les plantes sauvages ont pris possession de la propriété ; il y a même des touffes d’orties qui montent à l’assaut des fenêtres du rez-de-chaussée…

Celles-ci sont ouvertes. Une voix qui fut de ténor, mais que le beaujolais a transformé en basse noble, interprète le Chant des Matelassiers (ce qui fait passer aux tympans du voisinage un mauvais cardeur !).

Quelqu’un qui s’approcherait apercevrait un gros mec en blouse blanche juché sur une échelle à double révolution. Un seau de peinture bleu espérance est accroché au dernier échelon. Le peintre-chanteur plante son pinceau dans le seau et se met à dégoupiller sa braguette. Il plonge dans le gouffre ainsi découvert et dégage un paf long de quarante centimètres qui ne va pas sans évoquer le tuyau d’une colonne à essence. La bête débusquée de son terrier possède une grosse tête écarlate coiffée d’un casque à l’allemande. Le peintre braque sa lance en direction de la fenêtre dont trois mètres le séparent et entreprend d’arroser la touffe d’orties mentionnée au début du présent chapitre. Il ne cesse pas de chanter son hymne à la vie :

Cardons, cardons, car nous sommes matelassiers

En toutes circonstances, un beau matelas sied…

De toute beauté. Victor Hugo, à Guemesey, n’a jamais fait mieux.

L’urineur-sur-échelle-à-double-révolution jouit d’une pression en comparaison de laquelle celle du jet d’eau de Genève ressemble à une miction de vieillard prostatique.

Comme, chez lui, les fonctions libératrices s’exercent à l’unisson, il célèbre la gloire de son pissat d’un pet de grand séisme dont les échos vibrent longuement dans la pièce vide.

Sur ces entrefesses, une petite dame un peu boulotte s’inscrit sous le jet dont le soleil gratifie la belle couleur ambrée. Elle porte une minijupe beigeâtre qui ne dissimule pas grand-chose de ses cuissots, une jaquette rouge vif sur un chemisier que ça représente des iris sur fond rose. Très charmant. Elle est blondassouse, coiffée court et frisottée du devant ; son regard est plus bleu que les fleurs du corsage et sa petite bouche ressemble au trou du cul d’une rosière en train de péter.

— Bonjour, mons…, commence l’arrivante.

Mais constatant le surdimensionnement de l’organe-compisseur-d’orties, elle se tait, bouleversée par tant de munificence.

— Mon p’tit chou, fait l’urineur, v’devrevriez vous mett’ un peu d’côté, biscotte que quand la pression baissera, vous risquereriez d’faire arroseser vot’ mise en plis.

Mais l’arrivante n’écoute pas. Elle est tellement abasourdie par le phénomène que son ouïe prête main-forte à sa vue et lui sert momentanément à regarder.

Le peintre décrit un arc de cercle pour épargner l’ondée de fin de miction à la visiteuse et remet en place le monument qui lui a servi à libérer sa vessie surmenée.

— Vous cherchez quoi t’est-ce, mon trésor ? s’informe-t-il.

— J’ai vu que la clinique venait de rouvrir, fait la visiteuse, et comme je cherche un docteur…

— Ben, y a moi, fait le peintre.

— Je vous croyais dans le bâtiment ? s’étonne la blondasseuse.

— Accessoirement, assure l’homme au sexe d’exposition internationale ; tout à fait accessoirellement, mon trognon. Qu’est-ce je puisse-t-il pour vous, darlinge ?

— C’est rapport à mon vieux beau-père paralysé qui n’a pas l’air bien du tout ; vous pourriez venir le voir, docteur ? J’habite à deux maisons de la clinique.

— On va y aller, ma biche ; alarmez-vous pas, déclare le peintre occasionnel en descendant de son échelle. Les vieux, vous savez, y z’ont d’la ressource. J’voye ma grand-mère Bérurier : on la croiliait foutue ; et puis on lu f’sait une tisane d’acacia et ça repartait pour un tour.

Il rejoint la dame sur le perron. La trouve seyante, bien à son goût. Son cul appelle la paluche du mec. Elle sent un parfum champêtre et donc le printemps.

— V’s’êtes plaisante, lui déclare Béru ; z’avez tout pour deviendre une voisine agriable.

— Merci, docteur.

— C’est comment, déjà, vot’ p’tit nom ?

— Marinette.

— On f’ra avec, mon trognon. Moive, c’est l’docteur Béru, espécialisse des maladies féminines de la femme.

Et ils arrivent, deux pavillons de meulière plus loin, chez les Croupeton. C’est modeste, mais bien tenu, avec des efforts pour donner de la classe à ce logis banlieusard. Deux nains de Blanche-Neige encadrent le perron. Des vues de Pornic sur bois décorent le vestibule. Dans l’escadrin qui mène aux chambres, des banderilles de toréador. Au premier, une tapisserie exécutée au point de croix par Marinette Croupeton en personne et qui représente deux chiens de meute forçant un cerf. La classe !

La « voisine » ouvre une porte, celle qui donne sur la chambre du papy. Le vioque gît dans son haut lit de noyer à édredon rouge. Il a les yeux clos, la bouche béante, avec très peu de souffle à se mettre dans les éponges. Ça produit un gargouillis pas sympa. Ses bronches se font la valoche. Tout qui lui craque, le pauvre vieux ; il a passé la délabre, fonctionne sur les dernières goulées.

Béru pose sa large main sur l’étroite poitrine bourrée de cerceaux. Il sent du précaire, de la foirade complète. Fait la grimace.

— Qu’est-ce que vous en pensez, docteur ? demande la Croupeton, sans espoir excessif.

Le « docteur » la considère. La trouve plutôt bandante au creux de son inquiétude.

— Vous m’avez bien dit qu’ c’est vot’ beau-dabe ?

— Oui : le père de mon époux, pour ainsi dire.

— Donc, y vous touche pas excessiv’ment ?

— Ben…

— Rien d’comparab’ av’c un papa à soi, pas vrai ?

Elle détourne son regard myosotis.

— Je ne le dirais pas devant mon mari, mais, évidemment, un beau-père, ce n’est qu’un beau-père.

— Textuel, mon p’tit cœur.

Il lui pose fraternellement la main sur l’épaule.

— Dans l’état qu’y s’trouve, tout c’qu’on peuve faire, c’est un bout d’prière, ma chérie…

Il plonge sa main par-devant et la fourvoie dans le décolleté de la boulotte dont les loloches lui paraissent avenants.

Elle feint de ne pas s’apercevoir de cette privauté. Marinette est une femme sérieuse, en général, mais la récente vision du sexe béruréen l’a profondément traumatisée. Elle ignorait qu’un membre de ce gabarit pût exister. Décidément, la nature réserve bien des stupeurs. Elle tente de repousser cette image, en vain. Ce zob surdimensionné l’obsède et elle n’est pas prête de l’oublier. Des désirs coupables l’assaillent, qu’elle n’avait jamais éprouvés jusqu’à ce jour, étant d’un tempérament calme, aux bouffées sexuelles aisément conjurables.

Le vieux a de plus en plus de difficulté à s’approvisionner en air. Ça couine dans sa poitrine et il a du grumeleux dans les bronches.

— Vous pensez qu’il faudrait lui administrer de l’oxygène ? demande la belle-fille.

— Il en ferait quoi-ce ? objecte le Gros. C’est plutôt l’estrême-onction qu’y faut y administrer. Vous voiliez bien qu’il a commencé de rentrer son train d’atterrissage.

Tout en causant, il caresse les bouts de seins de la voisine. Elle devrait se montrer choquée de cette caresse aussi hardie qu’inopportune, mais une langueur inconnue l’empare. La grosse main experte, malgré ses callosités, lui électrise les mamelons. Sentant que la dame répond à sa flamme, le sire de Béruroche suspend ses attouchements mammaires pour se consacrer à l’hémisphère sud de la Marinette.

— Mais qu’est-ce que vous me faites ? se croit-elle obligée de questionner.

Sa Majesté s’est prestement dégagé la rapière qui roidit à une vitesse gros V.

Il ne se donne pas la peine de répondre à une aussi sotte question, partant du principe que, dans les cas d’urgence, il est superflu de mêler la parole aux actes.

Avec un brio et une promptitude qui forcent toujours l’admiration des partenaires d’Alexandre-Benoît, en moins de jouge, la bru de presque feu Honoré Croupeton se trouve déculottée et haut troussée, le visage dans le gros édredon qui sent l’eucalyptus et le sirop pectoral.

L’appréhension contracte le centre d’hébergement de la belle-fille. Elle se demande ardemment si elle va pouvoir encaisser un locataire de ce calibre. Voyez comme l’existence ménage des surprises. Il y a vingt minutes, l’état de santé de son beau-père l’induisait à réclamer du secours, et puis le docteur, négligeant le moribond, cherche à lui placer son chibre gigantesque, car, pour lui, la priorité va aux vivants davantage qu’aux mourants.

Bien que cette péripétie se déroule en marge de l’action qui va faire du présent ouvrage l’un des plus importants de son auteur, il n’est guère possible de négliger l’épisode du coït funèbre car il est essentiel pour la légende béruréenne et un écrivain pareillement surdoué est redevable de sa narration envers ses lecteurs.

Oublions donc temporairement l’agonisant pour nous intéresser aux agissements de sa bru. Celle-ci, en épouse honnête, a jusqu’alors été fidèle à une bite sous-officière d’un module des plus modestes, dont son époux, vantard grande gueule, lui donnait à croire qu’il représentait le prototype du paf accompli. Les circonstances l’amènent à réviser son jugement. Elle sait confusément que rien ne sera plus pareil dans ses relations maritales désormais. Ce jour, outre le probable trépas de son beau-père, marquera également la fin de ses illusions conjugales.

En amant civilisé, le docteur Bérurier lui prodigue une minette qu’il veut lubrifiante, mais qui se montre pourtant insuffisante. Quelques tentatives pratiquées avec probité et un profond respect de la personne humaine restant infructueuses, force est donc à ce nanti du chibre de faire appel à des émollients plus performants que la salive. Perplexe, le souffle saccadé, le regard exorbité, il cherche du secours autour de lui.

Une longue pratique de son sexe infernal lui a appris que l’intromission est TOUJOURS réalisable quand la détermination s’en mêle. Le corps humain est malléable, souple, flexible et parvient à se prêter aux pires extravagances. Lui, Bérurier, a été confronté à des situations qui semblaient, à première vue, désespérées, mais que la volonté et la patience résolvaient magnifiquement pour la plus grande gloire de la misérable chair dont nous tributons.

Il regarde alentour, en quête d’inspiration, et trouve. Sur la table de nuit du vieil agonique, il y a une bouteille d’un sirop que l’on devine visqueux à souhait.

Alexandre-Benoît se dit que ce qui est bon pour les bronches peut le devenir pour la queue. Il empare le flacon, en dévisse le bouchon et verse un flot gluant dans le creux de son immense pogne. Ensuite de quoi, il s’en oint le pilon méthodiquement.

De prime abord, cette initiative ne semble pas modifier la situation. Lors, en Casanova expérimenté, le preux entonne le goulot dans le frifri trop exigu. Une bonne rasade qu’il répartit urbi et orbi.

Miracolo ! Ses poussées lentes et puissantes obtiennent le résultat escompté. Au bout de cinq minutes, il est installé, presque confortablement, dans le centre d’accueil de la dame Croupeton, laquelle transforme ses gémissements de douleur en cris de liesse.

La frénésie s’amplifie. La gigue se déclare. Le sommier durement sollicité grince comme une goélette par gros temps. Marinette implore que « plus vite, plus viiiiite ! ». Béru rétroque, preuve à l’appui, qu’on n’est pas des bœufs. Il déclenche son dispositif d’exception et se met à tringler la dame à toute volée, ses gros roustons battant la charge contre les miches de la donzelle écarquillée.

Dantesque ! La furia culière en majesté ! Les troupes d’Attila envahissant la Gaule ! Les Quarantièmes rugissants ! Le plumzingue craque de plus en plus sinistrement. On pressent de la cata, on comprend que le pire est en route. Et poum ! il se produit.

Tu sais ce que sont ces vieux lits d’autrefois, plus que centenaires, dont on a dû changer le sommier exténué. Mauvais calcul. Il s’en fallait de cinq centimètres. Tant pis, on l’a calé tant mal que bien avec des chevilles, des coins de bois, des cornières de fer. Vaille que vaille, il a rempli son office, supporté des sommeils, des coïts, des accouchements. Seulement la tringle béruréenne ressemble à quelque typhon dans son genre. Elle déprède.

Au plus intense de la culée du Mammouth, quelque chose cède dans l’entrepont. Le terrain de manœuvres bascule soudain, jetant à terre, en un pêle-mêle invraisemblable, tringleurs et mourant.

La baise portée à l’incandescence ne s’arrête pas pour autant. Au contraire, cette basculade en a accentué la folle intensité. Marinette, forcée au-delà du possible, pousse une profonde clameur de stade lors du marquage d’un but.

Bérurier juge qu’il a accompli sa prestation et peut, de ce fait, songer à son confort personnel. Il déflaque la tête haute.

Un simple cri d’intense libération lui vient, qui n’est pas sans analogie avec celui du taureau perpétrant une saillie.

Il a, tout de suite après, les deux mots qu’il lance à l’issue de chaque copulation et qui expriment la joie organique du mâle œuvrant pour la propagation de l’espèce :

— Bon gu !

Ancestral ! Tous les Bérurier venant de découiller l’ont poussé. Déjà un Béroyer, fidèle compagnon de Duguesclin, le bieurlait à pleins poumons en libérant sa zone génitale.

« Bon gu. » Le besoin d’associer le Seigneur à son lâcher de potage. Humble témoignage d’une reconnaissance qui, pour être organique, n’en est pas moins fervente.

Un instant de récupération. Les amants essaient de retrouver une respiration malmenée par l’intensité de l’effort.

Et voilà que, soudain, une voix sort de cet enchevêtrage épique de viande et de literie :

— Qu’est-ce y est arrivé ? Mais qu’est-ce y est-il arrivé ?

Le mourant !

Ce séisme culier l’a miraculeusement arraché aux sombres tentacules du trépas[2].

Chiffonné, il est assis dans les décombres du plumard et considère ce couple dénudé du bas d’un œil surpris.

— Un tremb’ment d’terre, assure Alexandre-Benoît, de mansuétude 5 su’ l’échelle double d’la caserne Champerret. Voiliez dans quel état qu’y nous a mis, moi et maâme. N’heureus’ment qu’j’ sus docteur et qu’j’ai l’habitude d’voir la chatte des dames, qu’aut’ment elle eusse pu s’sentir gênée, la chère femme. Soiliez pas intimidée, p’tite. Un méd’cin, c’est ni pu ni moinsse qu’un docteur. Des chattes d’ gonzesses, on passe not’vie à fout’ des spéculateurs d’dans. T’nez, v’là vot’ slip, mon bijou ; mais vous fereriez bien d’aller vous rafraîchir la moniche au paravent. Ces s’cousses simiesques vous envoyent tout’ sortes de détritus (comme on dit en latin) dans les orifesses. Moive, j’m’occupe du papa tandis qu’vous vous détartrerez la case trésor.

En homme actif bourré d’initiatives, le cher Gros « médecin » s’occupe effectivement à réparer les dégâts de la soi-disant secousse « simiesque ». Il arrache le ci-devant mourant aux décombres, l’installe dans un fauteuil voltaire que M. Croupeton père a hérité de sa tante Adélaïde, laquelle était postière à La Chaux-de-Pysse, dans le Puy-de-Dôme. Avec le seul concours de son couteau Opinel qui ne le quitte jamais, ce praticien émérite parvient à réparer le lit. Il y recouche l’exmourant, le borde avec des gestes de maman et va jusqu’à déposer un baiser sur son front ivoirin.

— A présent, une bonne dorme vous reconstituerera, pépé, assure-t-il. Laissez-vous soigner par vot’ bru qu’est très conne-pétante, s’lon d’après c’que j ai pu juger. J’r’passererai vous voir d’main.

Il retrouve sa conquête, à califourchon sur un appareil de porcelaine exécuté par l’entreprise Jacob Delafon.

— Je crois que vous m’avez blessée avec votre gros machin, docteur, dit la dame sans marquer de ressentiment.

— C’est la première fois qui coûte, rassure le docteur Bérurier. Faites des blablutions et mettez un peu d’ beurre des Charentes su’ les parties endouleurises. J’sus sûr qu’ ma troussée de demain pass’ra comm’ un’ lett’ à la poste.

— Demain, nous serons samedi, mon époux sera à la maison, objecte l’aimable bru de M. Croupeton senior.

— N’en c’cas, vous viendrerez vous faire traiter n’à la clinique, tranche calmement le praticien pour qui la vie est un long fleuve de foutre tranquille.

Загрузка...