Dring !
Et même « Dreling ! Dreling ! » car la sonnette a un faux contact et fonctionne presque à contretemps, comme dans les Laurel et Hardy.
Une musique douce me parvient, dite de chambre. Un violon est en grande converse avec un hautbois, tandis qu’un piano mêle son grain de sel.
« La porte s’ouvre, elle apparaît », comme il est dit dans la chanson. N’a plus ses bigoudoches à la con. L’est coiffée un peu poupée Barbie. Bien peinte comme il faut : sourcils, lèvres, pommettes. Débarrassée de sa robe de chambre de reine mage, tu apprécies mieux sa taille de guêpe. Elle est saboulée gironde bas noirs, short noir, chemisier rouge. De la fille agréable.
Elle haut-le-corpse en me reconnaissant. Me visionne à longs traits, assoiffée de ma personne, écrirait Jean d’Ormesson qui a bien failli être de la Cadémie française[7].
Je sens qu’elle va proférer quelque chose de définitif, et en effet ça ne rate pas :
— Vous !!!
Sourire un tantinet soit peu suffisant de l’intéressé.
Convaincue qu’il n’est pas question de mirage entre nous, la ravissante me montre trente-deux ratiches étincelantes.
— Depuis tout à l’heure, je ne pense qu’à vous ; vous m’obsédez. Toute ma vie je vous reverrai sur cette corniche, en face, allant secourir ce vieil homme. Sans vous…
— Sans moi, il se fraisait la gueule, admets-je. La perte aurait été irréparable pour l’humanité ; c’est lui qui a inventé le tampon périodique à tête vibrante, le nougat liquide pour ceux qui défaillent de la prothèse dentaire et le chausse-pied pneumatique.
Elle se gondole, pis que le Grand Canal un jour de grève des tramways. Me fait entrer dans son intérieur, comme disent les bonnes gens et d’enfants.
Charmant pigeonnier : un studio assez vaste, plus une chambre mansardée et sa minuscule salle de bains, auxquelles tu accèdes par quatre marches.
Un coin de rêve pour la tringlette. Mais ne fais pas attention : je vois des baisodromes partout ; question de tempérament. T’as des gus, une alcôve ombreuse, pleine d’odeurs légères, leur donne seulement sommeil ; et d’autres (dont auxquels j’appartiens), qui bandent à la vue d’un mouilleur de mines.
— Asseyez-vous, invite-t-elle. C’est vrai que vous appartenez à la Police ?
— Pratiquement, éludé-je-t-il plus ou moins.
Au lieu de me déposer dans le fauteuil qu’elle me propose, je gagne la fenêtre. D’ici je vois admirablement celles, closes, du bobinard de dame Mina. Quand on s’abstient de mater la Street, en bas, on a l’impression de presque pouvoir toucher l’immeuble d’en face.
— Vous étiez aux premières loges, dis-je.
— Vous parlez ! Tout de suite, je n’ai pas remarqué le vieux type, c’est seulement quand vous avez enjambé la barre d’appui que j’ai commencé à découvrir ce qu’il se passait.
Elle m’a rejoint et sa cuisse droite fait connaissance avec ma cuisse gauche. Elles ont l’air de bien s’entendre, spontanément.
— On m’appelle Nane, dit-elle. Et vous ?
— Tony.
Sa dextre opère un tombé-braguette d’une parfaite délicatesse. L’impression qu’une colombe bat des ailes sur mon chibroque. Caresse de grand style, digne de la mère Windsor. On dit que, quand elle paraît au balcon de Bujingame, elle fait « bonjour, bonjour » à son peuple de la main droite, tandis que de la gauche elle caresse la bite de son ducal époux. C’est le seul endroit où il est obligé de se laisser faire, alors tu parles qu’elle en profite, mémère ! Son grand duc hono, ça fait des encablures qu’il navigue loin de la couche royale.
Je risque la question qui, en réalité, m’amène chez la gentille Nane :
— Vous étiez chez vous, hier soir, quand une autre personne déjà s’est déplacée sur cette corniche ?
Je suis anxieux de sa réponse, comme dit Mme Duboudubraque, la repasseuse de m’man qui « fait » nos rideaux de salle à manger et mes chemises de smokinge.
C’est pile ou face.
Pile, je suis venu pour la peau ; face, je touche ma prime-gamberge.
— Oui, répond la survoltée du petit bec.
— En ce cas, ma chérie, racontez-moi ce que vous avez vu.
Elle expose :
— J’étais dans ma salle de bains à ce moment-là.
Mon premier réflexe est pour déplorer, mais je fais un double look par la pensée. Donc, elle sait qu’il y a eu quelque chose à voir. Si elle le sait, c’est parce que quelqu’un d’autre le lui a dit. Si quelqu’un d’autre le lui a dit, c’est que ce quelqu’un d’autre l’a vu.
Je la presse de questions.
Elle s’explique.
— Mon ami Matthieu était passé me dire bonjour. Lorsque je suis sortie de la salle d’eau, il m’a raconté qu’il venait de voir une femme marcher sur la corniche d’en face. Il était soufflé.
— Une femme ? bée-je-t-il.
— Paraît qu’elle est allée mettre une bouteille de champagne tout au bout de l’immeuble.
Ça chante et danse en mon cœur. Ainsi donc, la fille qui a escorté le prince ou son sosie chez la mère Claquezingue était une équilibriste chargée d’évacuer la bonne rouille de champ’.
A ce point du récit, on peut dire que ma comprenette s’obscurcit. Si cette acrobate a éloigné la bonne boutanche de la pièce, c’est donc qu’elle a apporté l’autre et qu’elle la savait truquée. Si donc elle était au courant, pourquoi s’est-elle laissé buter ?
Intéressant, non ?
Au plus intense de mes réflexions, je m’aperçois que je trique comme Guignol. Pas de l’ersatz, espère ! Du goumi en pur caoutchouc dur, à peine flexible.
Elle a, en me sentant culminer, cette exclamation de surprise si flatteuse que j’ai toujours préférée au Prix Goncourt ou à une réception à l’Hôtel de Ville de Paris.
— Il y a des attractions dans votre rue, plaisanté-je.
— Les plus fortes ne se trouvent peut-être pas sur la voie publique, dit la spirituelle jeune femme en procédant à l’extraction de mon pénis que sa rigidité rend malaisée.