Chapitre XIV

Brusquement, l’eau sembla glaciale à Malko. Cessant de nager, pour ne pas se faire remarquer de la plage, il se laissa entraîner par le courant, presque debout dans l’eau, sans se soucier des requins et des coraux.

Craaac !

Une seconde détonation claqua. Dans sa position, il ne pouvait plus apercevoir Rhonda. Impossible de savoir si elle avait été touchée ou non.

Donnant un coup de ciseau avec ses jambes, il essaya de voir la tête de l’Australienne. Elle nageait sous l’eau ou…

À son tour, il réalisa que le courant venait de l’entraîner dans la zone éclairée par la lune. Presque aussitôt une troisième détonation fit vibrer ses tympans. Cette fois un geyser d’eau de mer jaillit à un mètre de sa tête !

Instinctivement, il prit sa respiration et s’enfonça entre deux eaux, attendant de suffoquer pour remonter.

Il replongea aussitôt, après avoir repéré la position du Koala. Il en était encore à deux cent mètres. Toujours pas de Rhonda.

Impossible de voir où se tenaient ses adversaires dissimulés dans l’ombre des falaos.

Quatrième détonation. Geyser. C’était pour lui. Il avala de l’eau en s’enfonçant trop vite, toussa, coula avec une pensée affreuse. Ils avaient dû toucher Rhonda, sinon, ils ne se concentreraient pas sur lui… Il continua à dériver, nageant, plongeant, crachant, respirant de plus en plus difficilement. Le Koala ne semblait pas se rapprocher. Aucun signe de vie de Rhonda. Cinquième détonation. Juste quand il remontait cette fois… La bouche ouverte, il aspira une goulée d’eau salée.

Il se maintenait sous l’eau avec l’énergie du désespoir. Si seulement le Derviche avait été là avec son « big gun ». Il réalisa soudain que le courant allait le faire passer à une vingtaine de mètres du Koala ! Heureusement, le cabin-cruiser se trouvait entre la plage et lui. Tentant le tout pour le tout il se mit à crawler vigoureusement vers la coque blanche. Si rapidement qu’il manqua de se cogner dedans ! Il essaya en vain de s’accrocher au plastique lisse, gagna l’arrière, crocha dans le garde-hélice et s’immobilisa à l’abri de la coque, essayant de reprendre son souffle. Ses oreilles bourdonnaient et son cœur semblait prêt à s’échapper de sa cage thoracique.

Et Rhonda ? Il s’approcha un peu du côté exposé sans rien voir. La plage faisait une ligne plus sombre dans la nuit claire.

Quelque chose le frôla et il bondit presque hors de l’eau, pensant à un requin. Les battements de son cœur ne s’étaient pas calmés que, la tête de Rhonda fit surface à côté de lui.

— Ne te montre pas, souffla-t-elle.

La jeune femme était à peine essoufflée. Malko fut si heureux de la savoir vivante qu’il ne pensa plus aux tueurs embusqués sur la plage. Rhonda, accrochée au gouvernail, se laissa aller contre lui, debout dans l’eau.

— Ils croient peut-être qu’ils nous ont touchés, dit-elle. Il faut rester là. Si nous nous mettons en route tout de suite, ils risquent de tirer encore, de provoquer des avaries graves.

Elle avait raison, Malko consolida sa position et ils restèrent là, immobiles dans la houle, essayant de ne pas penser aux requins. Plus de signe de vie sur la plage. Malko commençait à s’engourdir, en dépit de la tiédeur de l’eau. Rhonda bougeait doucement les pieds, leurs deux têtes affleuraient à peine l’eau, dans l’ombre de la poupe. Un poisson glissa entre les jambes de Malko. La pensée des requins l’obsédait : il lui semblait déjà sentir une mâchoire lui arracher une jambe… Les battements de jambes de Rhonda provoquaient un remous qui le caressait doucement. Peu à peu, une sensation agréable commença à dissiper son angoisse. S’il voulait tenir longtemps sans devenir fou dans sa position inconfortable, il fallait se changer les idées. Il passa son bras libre autour de la taille de Rhonda. La jeune femme incrusta aussitôt ses reins contre son ventre. Ils demeurèrent ainsi, debout dans l’eau, glissant, épiderme contre épiderme, au rythme de la houle. En quelques minutes ce frottement eut raison chez Malko de la peur des requins et de la hantise des tueurs. La pression des fesses cambrées se fit plus forte. Glissant la main le long du slip de bain de la jeune femme, Malko écarta l’élastique, la jeune femme se cambra. Le reste se fit tout seul, grâce à un coup de houle, un peu plus fort. C’était une sensation délicieuse, avec la fraîcheur relative de l’eau.

Malko commença un mouvement très lent, freiné par l’eau qui ne facilitait pas un échauffement rapide. Jusqu’à ce qu’un coup de houle plus fort l’arrache de Rhonda. Il revint sur elle, à tâtons, chercha l’ouverture de son ventre, eut l’impression de la trouver, poussa pour la prendre de nouveau.

Rhonda eut un petit cri :

— Doucement. Tu me fais mal.

La houle revenait, plaquant Malko contre elle. Cette fois il acheva sa pénétration involontairement brutale. Rhonda se raidit.

— Attends, ne bouge pas tout de suite, j’ai mal…

Il obéit, puis commença à bouger lentement. Honteusement ravi que la houle lui ait fait exaucer son vœu secret.

Assez vite Rhonda ne se plaignit plus, au contraire, elle se collait à lui, comme pour l’aider à mieux la pénétrer. Il effleura son épaule de ses lèvres. Aussitôt, elle murmura :

— Bite me ! Bite me[19] !

Malko enfonça ses dents dans la chair tendre. Comprenant pourquoi Rhonda était restée si longtemps avec Brownie Cassan. Elle se cambra violemment quand il se vida dans ses reins.

Ils ne se détachèrent pas l’un de l’autre, restant debout dans l’eau.

Ensuite, elle se retourna :

— Ils doivent être partis. Cela fait une heure.

Ils se séparèrent enfin et, la première, elle se hissa rapidement le long de l’échelle. Aucune réaction. Malko la rejoignit.

— Nous allons dériver sans moteur le plus loin possible, dit Rhonda. Sinon ils risquent de nous entendre. Le courant va nous emmener vers le large et la marée est haute. Je vais couper le cordage de l’ancre. Tant pis, il y en a une autre à bord.

Elle se faufila à l’avant, sans un bruit, après avoir pris un poignard. Malko sentit une petite secousse ; le cabin-cruiser se libérait. Rhonda revint et ils restèrent dissimulés sur le pont, immobiles, regardant la plage défiler avec une lenteur exaspérante. Soudain, la houle claqua plus fort contre la coque : ils venaient d’atteindre l’eau profonde. Aussitôt Rhonda s’installa aux commandes.

Les diesels ronflèrent et le cabin-cruiser bondit dans les vagues, s’éloignant de l’île.

Ils l’avaient échappé belle.

— Il vaut mieux aller jusqu’à Bird, dit Rhonda. À 1 500 tours, nous en avons pour deux heures et demi. C’est plus prudent.

Tandis qu’elle maintenait le cap, Malko entreprit de ranger le matériel de plongée sous-marine qui encombrait la plage arrière. La nuit serait courte et ils avaient du pain sur la planche pour le lendemain.


* * *

Malko se réveilla le premier, à cause du jour qui filtrait par l’écoutille et de la houle. Ils étaient arrivés à Bird Island à trois heures du matin. Le temps de trouver l’ancre de secours, et de s’amarrer en vue de la plage, il était près de quatre heures…

Rhonda dormait sur le côté, lui tournant le dos, sur la couche voisine. Il vint s’emboîter contre elle. Elle bougea dans son sommeil, ondulant légèrement, avec un soupir. Le reste se fit tout seul. Comme dans l’eau, au début de la nuit. Il resta immobile, abuté en elle, sentant le sang battre dans son membre.

Rhonda, apparemment, continuait à dormir. Malko n’avait pas envie de bouger. Comme par miracle, le cabin-cruiser se mit soudain à rouler, bord sur bord. Malko passa un bras autour de la taille de sa partenaire pour ne pas la perdre et laissa faire la mer. À chaque coup de roulis, il sortait presqu’entièrement, puis la mer le précipitait de nouveau dans l’étui chaud et humide.

Il prolongea le plus possible jusqu’à ce qu’une vague plus forte lui arrache son orgasme. Rhonda, prise de court poussa un petit cri, se retourna et vint se blottir dans ses bras.

— Ce n’est pas juste, dit-elle, je ne peux jouir que quand je me caresse.

— Caresse-toi, dit Malko.

Elle laissa glisser sa main vers son ventre et, très vite, aux vibrations rapides de son poignet, il s’aperçut qu’elle avait suivi son conseil.

Cela dura plusieurs minutes, puis la jeune femme se détendit d’un coup avec un léger gémissement.

Elle laissa sa respiration se calmer puis s’arracha de la couchette.

— Je vais faire du café, dit-elle.

Malko sortit sur le pont arrière. Suivant des yeux la silhouette somptueuse de la jeune Australienne. Quel blocage psychique l’empêchait d’avoir une vie sexuelle normale ?

Les milliers d’oiseaux commençaient à s’envoler avec le soleil. Bird Island dormait encore et ils étaient le seul bateau à l’ancre. Le café fut prêt en trois minutes. Rhonda chantonnait, ravie. Quand elle monta sur le flying deck pour mettre en route les diesels, elle lui dit pensivement :

— Tu sais, je pourrais être très amoureuse de toi, mais il ne faut pas.

— Pourquoi ? demanda Malko.

— Parce que nous appartenons à deux mondes différents. Tu partiras et je ne te reverrai jamais. Je n’aurais plus qu’à revenir avec Brownie.

— Après ce qu’il t’a fait ? demanda Malko étonné de cette résignation.

— C’est le seul homme qui me fasse jouir, avoua la jeune femme. Et je n’ai pas envie de retourner en Australie. Tiens, va relever l’ancre, s’il te plaît.


* * *

— Nous devons y être, annonça Rhonda.

Malko se pencha par-dessus le bastingage du flying deck et regarda l’eau turquoise. Rhonda avait maintenu le cap depuis Denis dont ils avaient frôlé la pointe pour ne pas risquer de s’égarer. Ils avaient parcouru 15 miles et en principe se trouvaient au-dessus de la barrière de corail.

— Je ne vois pas le fond, dit-il.

Rhonda quitta les commandes et vint s’agenouiller devant le sondeur encastré à tribord, dans la paroi avant de la dunette. Après avoir ouvert le volet de protection, elle le mit en route, examinant les oscillations de la pointe sèche.

Malko vint la rejoindre. Elle lui désigna le stylet qui grattait le rouleau de papier.

— Tu vois, chaque graduation fait quatre mètres. Il y en a 5. Nous avons 20 mètres de fond. C’est bien le sec. Mais il y a des profondeurs différentes selon les endroits.

— En dehors du sondeur, il n’y a aucun signe ?

— La couleur de l’eau.

— Tu as déjà vu la tête du corail qui se trouve en surface ?

Elle secoua la tête.

— Non. Brownie est tombé dessus un jour. Par hasard. Il faut quadriller. En respectant les caps…

Malko effectua un rapide calcul mental. Quinze kilomètres carrés cela faisait quinze cents hectares à ratisser…

— Eh bien, allons-y, dit-il.

Rhonda remit en marche à petite vitesse. Le temps était toujours aussi beau et la mer absolument vide. Malko ferma les yeux, bercé par le mouvement de la mer ; heureusement que Brownie Cassan avait fait le plein de mazout en partant de Victoria.

— Il nous reste du fuel pour deux jours, annonça Rhonda en remontant sur la dunette. Après il faudra rentrer…

Malko ne répondit pas, découragé, la peau cuite par le soleil. C’était le quatrième jour de la même routine ! Départ de Bird au lever du soleil, passage par Denis pour prendre le cap, quadrillage, retour à Bird, épuisé, dès le crépuscule. Ils n’avaient plus osé aller s’ancrer à Denis. Ceux qui avaient tiré sur eux ne s’étaient plus manifestés. À Bird il y avait trop de touristes pour un coup de main… Écœurés de soleil et de houle, ils ne faisaient même plus l’amour.

L’équipement de plongée attendait sur la plage arrière, inutile. Malko sentait le découragement le gagner. Il cherchait quelque chose sans point de repère précis. Pire qu’une aiguille dans une meule de foin. La meule, c’était l’océan Indien. Il commençait même à avoir le mal de mer… Cent fois Rhonda s’était penchée sur la carte.

Pourtant, ils étaient bien sur le sec… Mais la tête de corail recherchée par Malko ne mesurait que quelques dizaines de mètres. Il pouvait labourer l’océan pendant des mois avant de la trouver.

Ou ne jamais la trouver.

Quant au Laconia B, il était peut-être à une dizaine de miles de l’endroit où ils se trouvaient, avec 600 mètres d’eau par-dessus lui… Malko essuya la sueur qui coulait de son front.

— Allons-y !

Maintenant, il lisait le sondeur comme un ingénieur maritime. Rhonda s’installa aux commandes. Cap 380. Vitesse mille tours. Malko commença à lire les graduations : 16 mètres… 12 mètres… 10 mètres… 8 mètres. L’aiguille descend. Le cœur lui bat. Et puis 20 mètres d’un coup. 28… On descend.

Virage au bout de un quart de mile. Cap 270.

Les chiffres : 16… 20… 16… 16… 16… Un plateau sous-marin.

Cap 0.

Et on recommence.

À chaque changement de cap, Rhonda augmentait un peu la distance parcourue pour ne pas balayer tout le temps la même zone. Malko avait mal au dos, la nuque le brûlait, ses yeux le piquaient. Il ne voyait plus ni les poissons volants ni les dauphins, ni les bancs de sardines.

16… 12… 12…

— Attention ! cria Rhonda, je vois quelque chose droit devant.

Malko se dressa, abandonnant le sondeur, écarquilla les yeux. Son cœur se mit à battre. Lui aussi distinguait une masse sombre à fleur d’eau. Ils allaient droit dessus. Un récif. Le récif.

Rhonda s’empara des jumelles et aussitôt jura.

— Shit, c’est un requin-baleine !

L’excitation de Malko tomba d’un coup. C’est d’un œil différent qu’il vit l’énorme cétacé venir tourner autour du Koala, escorté de ses poissons pilotes, puis disparaître majestueusement. Un animal de six mètres de long…

Il n’y avait plus qu’à continuer. Rhonda se laissa retomber sur le plastique brûlant.

— Ce n’est pas possible, soupira-t-elle, on n’y arrivera jamais.

— Plus qu’un jour et demi, l’encouragea Malko.

De toute façon, les problèmes du retour à Mahé seraient tels qu’il y avait peu de chance pour qu’ils puissent repartir. Il retourna à son sondeur, écœuré d’avance.

Le cabin-cruiser avançait à toute petite allure. Brusquement, Rhonda donna un coup de barre à gauche.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Malko immédiatement en éveil.

La jeune femme étendit le bras, montrant des points presque invisibles à l’œil nu.

— Des oiseaux qui « travaillent » là-bas… On ne sait jamais.

Au point où ils en étaient. Cela pouvait être un gros poisson mort remonté à la surface. Un récif ou un banc de petites bonites. Malko resta le regard rivé sur les oiseaux. Enfin, un repère sur cette immensité mouvante. Des oiseaux qui volaient en rond au ras des vagues. Ils restèrent silencieux tandis que l’étrave blanche fendait la mer.

Dix minutes s’écoulèrent. Les oiseaux, peut-être effrayés par le bruit du moteur, s’étaient dispersés. De nouveau, il n’y avait plus que les vagues.

Tout à coup, Rhonda se pencha sur le côté gauche.

— Tu vois quelque chose ? demanda Malko.

Sans conviction. Le sondeur indiquait 24 mètres.

— Je crois, dit-elle, mais ça peut être un reflet…

Elle coupa les moteurs et vint regarder le fond à gauche du bateau, les mains devant les yeux pour se protéger du soleil. Lorsqu’elle se redressa, une lueur de triomphe brillait derrière les verres épais de ses lunettes.

— Regarde, fit-elle, à gauche.

Malko voyait seulement les vagues émeraude. En regardant plus attentivement, il devina une tache marron clair. Du corail ! À deux ou trois mètres de la surface ! Un peu plus loin la houle se transformait en écume blanchâtre : le corail affleurait presque l’eau.

— C’est ça ! cria Malko. Nous y sommes !

Rhonda déjà dégringolait l’échelle pour jeter l’ancre.

Malko resta sur le flying deck, fasciné par cette eau translucide. Le bruit de l’ancre le tira de sa rêverie. Il descendit à son tour. Le Koala avait un peu dérivé et ils se trouvaient maintenant au-dessus du sec. Rhonda revint vers lui, épanouie.

— Je n’y croyais plus ! s’écria-t-elle.

Malko regarda les taches jaunâtres sous le Koala. Il imaginait un cargo lourdement chargé, en pleine nuit, avec un tirant d’eau de huit mètres, se heurtant à cette barrière. À tous les coups, il s’éventrait… Rhonda ressortit du carré avec une bouée lumineuse, un rouleau de cordage et un poids de fonte de dix kilos.

— Nous allons mouiller cette bouée, dit-elle. Comme ça, nous aurons un point de repère.

La bouée mouillée, Malko releva l’ancre et Rhonda relança le Koala à petite vitesse, explorant le sec. Très vite ils en délimitèrent les contours. La partie haute s’étendait sur 300 mètres environ, dans le sens est-ouest, tantôt effleurant l’eau, tantôt descendant à quatre ou cinq mètres. Le Laconia B avait dû s’ouvrir comme une boîte de conserve sur les coraux coupant comme des rasoirs.

Malko fit stopper le bateau et tâcha de se repérer par rapport à Denis. L’emplacement du récif coïncidait très bien avec la course supposée du Laconia B. Mais, pour l’instant ils n’avaient encore découvert aucune trace tangible du naufrage. Ce n’était encore qu’une construction de l’esprit.

— Continuons encore un peu, conseilla Malko.

Rhonda fit avancer le Koala d’un mile. Le sondeur recommença à indiquer une certaine profondeur : 24… 28… 24… 32… Finalement elle stoppa de nouveau.

— Je vais plonger un peu, dit-elle. Si je trouve quelque chose je remonte et tu y vas. J’ai plus l’habitude que toi de cet équipement.

Malko regarda Rhonda disparaître avec appréhension. Une grosse lampe jaune à la main.

Il s’allongea, après avoir inspecté l’horizon à la jumelle. Le soleil lui cuisait la peau, mais il n’avait pas envie de rentrer dans le carré. Un quart d’heure se passa. L’angoisse commençait à l’envahir. Si Rhonda s’était fait attaquer par un requin, il n’en saurait rien.

Enfin, il y eut un clapotis et la silhouette de caoutchouc noir apparut au ras des vagues. Malko se précipita pour l’aider à monter. Rhonda arracha son masque avec un soupir de soulagement, son imposante poitrine agitée d’une houle furieuse.

— Alors ?

— Rien, annonça la jeune femme.

— Je vais plonger à mon tour, dit Malko. Avance d’un quart de mile.

Docilement, Rhonda enleva sa peau de caoutchouc et remonta aux commandes. Malko alla chercher une bouteille pleine dans la cabine. Quand elle coupa les moteurs, il était déjà en train d’enfiler sa combinaison. Elle redescendit et lui tendit un poignard.

— Prends ça, j’ai aperçu un requin.

Il attacha le poignard à sa jambe, arrima sa bouteille, ajusta le masque et dès la première goulée d’air se laissa basculer dans l’eau. Il descendit jusqu’à quinze mètres en une minute, soufflant dans ses narines pour équilibrer la pression. Tout près du fond. Tenta de s’orienter. D’abord, il ne vit que la masse brunâtre et torturée des coraux, à perte de vue. L’eau déformait la vision. Des poissons multicolores rôdaient autour de lui. Il avait la sensation d’être un poisson lui aussi.

Il fila vers le nord, cherchant des traces sur les coraux.

Rien.

La bouteille lui donnait une autonomie d’une heure. La remontée et le palier prenaient une dizaine de minutes. Lorsqu’il eut parcouru un demi-mile, il descendit encore de quelques mètres.

La barrière de corail était creusée comme un paysage lunaire… Il s’en approcha, la toucha, sentant le corail rugueux et coupant comme un rasoir contre ses gants.

Il était si absorbé qu’il ne vit même pas surgir une ombre au-dessus de lui. Il eut à peine le temps d’avoir peur. Un gros requin, rendu encore plus énorme par la réfraction de l’eau, venait de se glisser entre lui et la surface. Malko le vit virer sec et revenir dans sa direction, intriguée par ce gros poisson inconnu. Malko cessa de nager, tâta le manche de son poignard. Il fallait éviter à tout prix que le requin ne se frotte à lui. Sa peau dure comme un papier de verre l’écorcherait et l’odeur du sang rendrait fou le prédateur.

Au moment où le requin s’approchait de lui, Malko agita les bras et lâcha un peu d’air.

Effrayé, le requin fit un brusque écart et fila, disparaissant dans le corail. Malko n’était plus tranquille : il aurait pu aussi arriver sur lui et lui arracher une jambe.

Il continua sans voir autre chose que d’innocents poissons et une grosse raie marron qui s’enfuit. Il réalisa, en regardant sa montre, que quarante minutes s’étaient déjà écoulées. Il n’avait pas le temps de revenir sur ses pas. Il fallait remonter. Battant des pieds, il se laissa pousser vers le haut, expirant le plus possible pour éviter la surpression pulmonaire, faisant attention de ne pas dépasser ses bulles. Lorsqu’il fut à trois mètres, selon le profondimètre, il s’arrêta et attendit trois minutes. Enfin il acheva sa remontée.

Lorsqu’il émergea, il arracha son masque et aspira une goulée d’air frais, puis se laissa glisser sur le dos, récupérant. Un peu reposé, il regarda autour de lui et éprouva aussitôt une affreuse angoisse.

La mer était vide, le cabin-cruiser avait disparu !

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