Chapitre IV

Malko passa son index sur le pare-brise étoilé, la peau agacée par les aspérités du verre brisé. La taille de l’impact donnait le calibre. Du 378 ou du 460 Weatherby Magnum, de la munition pour éléphant avec une force d’impact prodigieuse. Un tel projectile causait des dégâts irréparables dans un corps humain… En plus de la chaleur extérieure, il éprouvait une intense sensation de chaleur intérieure, comme si on lui avait injecté un dopant. Il quitta le parking et pénétra dans le grand hall ouvert à tous les vents du Fisherman’s Cove.

Il avait envie d’alcool. Le bar au niveau inférieur était vide. Il s’installa dans un fauteuil dominant le jardin et la piscine, commanda une vodka-tonic.

On lui avait tendu une embuscade. Le tireur connaissait sa voiture et son itinéraire. À quelques minutes près. Cela signifiait une organisation et des complices. Vraisemblablement locaux… Il pensa à la voiture qui l’avait suivi. Son trouble avait été tel après l’attentat qu’il n’avait pas vérifié si elle était toujours derrière lui… On lui apporta sa vodka et il trempa voluptueusement ses lèvres dedans. La première chose à faire était de prévenir Willard Troy de ce qui s’était passé.

Il avait largement le temps avant le dîner. En dépit de ce que lui avait affirmé l’Américain, le téléphone ne lui inspirait pas confiance. Il n’y avait plus qu’à retraverser l’île.


* * *

Malko leva le pied de l’accélérateur pour laisser se dissiper le nuage bleu du diesel. Depuis le bas de la route de la Misère, il se traînait derrière un gros camion surchargé de Seychellois qui grimpait les lacets avec une sage lenteur. Le paysage était sublime : des amoncellements de rochers noirs émergeant de la végétation tropicale, des jacquiers, des hibiscus carmin, des frangipaniers, des bougainvillées au mauve éblouissant, semés de pics impressionnants dominant la baie de Victoria. Avec, hélas, de temps à autre, le chancre d’une tôle ondulée. Au gré des virages, on apercevait parfois la « balle de golf » au sommet de sa colline, comme un objet de science-fiction… Le camion s’engagea dans une courte ligne droite et Malko en profita pour le dépasser.

Un kilomètre plus haut, il bifurqua à gauche dans la route menant à la « Satellite Tracking Station ». L’air était nettement plus frais, à cause de l’altitude.

Il franchit une première enceinte, marquant la zone sous contrôle US, puis tourna à gauche avant d’arriver à la seconde enceinte gardée par des vigiles seychellois et dominée par d’énormes réservoirs de fuel. Le sentier menant à la résidence de Willard Troy était plus défoncé qu’une rue new-yorkaise. Il déboucha sur une esplanade dominant tout l’est de Mahé avec l’aéroport dans le lointain. La maison blanche de style colonial était entourée d’une pelouse superbe. Dès que Malko sortit de la Cooper, un serviteur impeccable en tenue blanche, marcha à sa rencontre. Semblant surpris de voir un visiteur.

« Oui, M. Troy était là. Non, il ne recevait personne, parce qu’il était très malade. Il fallait le voir au bureau. »

Fermé comme le roc de Gibraltar. Malko prit un billet de cent roupies et griffonna quelques mots dessus.

— Allez lui porter ceci, dit-il et gardez-le ensuite.

Tandis que le domestique disparaissait, il avança jusqu’à la véranda vide. Le Noir réapparut, nettement plus souriant. À 13 roupies pour une livre, c’était un pourboire royal.

— Le « bougeois » vous attend, annonça-t-il avec un inimitable accent créole.

Malko se laissa mener jusqu’à une pièce climatisée. Dans l’ombre d’une lampe verte, il aperçut Willard Troy, pratiquement de la même couleur que la lampe, allongé sur un lit bas en désordre.

— Excusez-moi, fit l’Américain en lui tendant la main, ça ne s’arrange pas… Que se passe-t-il ?

Malko s’assit sur le bord du lit.

— Des choses intéressantes, dit-il. Je crois que ma couverture est trouée comme un vieux gruyère.

Il relata l’attentat de la route de Beauvallon. Willard Troy l’écoutait attentivement. Ses yeux semblant s’enfoncer dans leurs orbites au fur et à mesure. Il essuya son front couvert de sueur.

— Vous avez une idée ? Est-ce que Mark a pu vous aider ?

— Je n’ai pas d’idée, avoua Malko et ce petit nabot de Mark ne m’a rien appris.

Willard Troy eut un geste de surprise.

— Nabot ! Mais il fait plus de 1 m 80…

Les deux hommes croisèrent leur regard, pensant la même chose.

— Shit ! explosa Troy. Je ne sais même pas où il habite. Vous comprenez bien qu’il ne tenait pas à ce que je vienne chez lui. Le seul endroit, c’est l’hôpital où il travaille tous les jours jusqu’à 15 heures 30.

— J’irai demain, dit Malko. J’espère ne rien découvrir de déplaisant…

Vœu pieux. La seule présence de l’inconnu à la place du « stringer » de la CIA signifiait pas mal d’ennuis… La case en tôle ondulée bleue indiquée par le faux Mark n’était sûrement pas le domicile du vrai.

— J’espère aussi, dit en écho Willard Troy d’une voix morne. Je voudrais bien savoir qui a remplacé Mark et comment on a eu vent de ce rendez-vous…

Ce n’était pas la peine d’aller barboter au clair de lune, pensa Malko… Il consulta discrètement sa Seiko-Quartz. Six heures et demie. Il avait juste le temps de rentrer au Fisherman’s, de se faire beau pour dîner avec la Finlandaise. Il pensa soudain à un petit détail.

— À propos, demanda-t-il, auriez-vous un lance-pierre ou un gourdin. Enfin, n’importe quoi…

Willard Troy prit l’air embarrassé.

— J’ai demandé au TD [10] de vous faire parvenir quelque chose de « propre », dit-il, mais ils n’ont pas encore répondu. Ici je n’ai qu’un petit truc personnel, un « 38 » Stainless Smith et Wesson modèle 60.

Malko tendit la main.

— Donnez. Si j’attends la TD, c’est un suaire qu’il me faudra.

— Mais c’est une arme américaine, protesta Willard Troy. Avec un numéro…

— Il fallait penser à la TD avant, coupa Malko. Sinon, je reprends l’avion. J’ai horreur de jouer les pigeons d’argile. C’est un lance-missile que je devrais vous demander. Alors ?

— Il est dans le tiroir là-bas, fit l’Américain, vaincu.

Malko ouvrit le secrétaire, écarta deux bouteilles de J & B, farfouilla quelques secondes et sentit une crosse. À côté, il y avait une boîte de 50 cartouches « 38 spécial » qu’il prit également.

— J’espère ne pas avoir à m’en servir, dit-il, mais je dormirai mieux. Quand la TD vous aura envoyé une arme « propre », je vous le renverrai. Demain, je vous retrouve ici, après l’hôpital. OK ?

— OK, approuva Willard Troy. Tenez, si vous voulez de l’alcool, servez-vous. Je ne peux plus boire pendant six mois…

Des bouteilles s’alignaient sur une étagère. La panoplie complète du petit barman : Dom Pérignon, Moët et Chandon, Don Ruinait rosé, J & B, Martini Bianco, cognac, etc. Malko, poliment, ne prit que le Dom Pérignon et une bouteille de cognac Gaston de Lagrange. Au cas où il aurait à séduire la Finlandaise…

Puis, il traversa la véranda et glissa le revolver et les cartouches sous le siège, après avoir vérifié que le barillet était plein.

L’air lui parut aussitôt plus suave en descendant les lacets de la Misère. Cette fois, personne n’était derrière lui. Les feux de quelques cargos scintillaient dans la rade de Victoria. Il se demanda comment la somptueuse Finlandaise allait s’habiller. Souci superficiel, mais on ne pouvait pas être barbouze vingt-quatre heures sur vingt-quatre.


* * *

Elle était belle à en mourir.

Malko laissa glisser son regard le long de la robe blanche en jersey moulante comme un gant. Les pointes des seins ressortaient dessinées par le tissu, comme dans un dessin hyperréaliste, les cheveux cascadaient sur les épaules bronzées. Sûrement par inadvertance, le vieux monsieur de la table voisine se mit à tourner son café avec sa cigarette. Irja adressa à Malko un sourire radieux.

— Quel endroit agréable !

Un guitariste jouait en contrebas du restaurant. La lune brillait. Une vraie carte postale ; complétée par les grands yeux noirs en amande et le décolleté sublime.

— Vous avez eu une bonne journée ? interrogea la Finlandaise d’une voix douce.

— Excellente, affirma Malko sans rire. J’ai trouvé un bateau pour chercher mon épave. Vous êtes la bienvenue si votre reportage vous en laisse le loisir…

— Ah, soupira la jeune femme, je ne sais pas. Ils sont si lents…

Le récit de ses péripéties bureaucratiques faillit arracher des larmes à Malko. Sa détente fut imperceptiblement gâchée par un regard que jeta Irja sur la montre vers le dessert.

— Vous êtes pressée ? interrogea aussitôt Malko, pensant à l’inconnu de la nuit précédente.

Irja répondit par un sourire absolument candide.

— Oh non, mais il faut que je me lève tôt. Alors il faut que je me couche tôt, non ?

Évident. Elle ne précisait pas avec qui. Apparemment ce ne serait pas avec Malko ; la crème caramel lui sembla encore plus avoir un goût de ciment. Le supplice de tantale n’avait jamais été son style. Il observa les longs ongles rouges et pointus, impeccables.

— Vous êtes très sportive ?

Irja inclina la tête.

— Oui. Pourquoi ?

— Comment arrivez-vous à garder des ongles de cette longueur ?

La Finlandaise sourit :

— Oh, je fais attention, mais j’en casse souvent…

« Dans le dos d’un homme… » Une brusque onde de désir balaya Malko. Déjà, la crème caramel à peine avalée, Irja se levait, avec un sourire d’excuses. Il dut suivre contraint et forcé comme attiré par la traînée de parfum : Cabochard. Le dîner avait passé très vite, à échanger des propos inconsistants. Pas moyen d’accrocher un vrai contact. Et maintenant, la Finlandaise s’esquivait. Devant la porte du bungalow « Bicune », elle lui tendit la main avec un sourire à arracher des larmes à un gestapiste.

— Merci, c’était tellement agréable… À demain peut-être ?

— Votre robe est sublime, dit Malko essayant de gagner quelques minutes. D’où vient-elle ?

— Oh, c’est un cadeau de madame Grey. J’avais fait un reportage qu’elle avait aimé. Bonsoir.

Pfuiit ! Elle avait déjà refermé la porte. Partagé entre la frustration et la rage, Malko mit la clef dans la serrure de la sienne. Les rideaux tirés, le bungalow était plongé dans le noir. En une fraction de seconde, il réalisa qu’il ne les avait pas tirés en partant. La bonne ? Mais il y avait autre chose. Une perception presque extrasensorielle d’une présence dans le noir.

Il se figea, un flot d’adrénaline dévalant ses artères. Hésitant à allumer, strictement immobile. Le cerveau en ébullition. Si on le guettait pour le tuer, il se découpait dans l’ouverture de la porte. En entrant, il s’est coupé toute retraite. Soudain, dans le noir, une voix venant du centre de la pièce, dit en anglais :

— Avancez, monsieur Linge. Mais n’allumez pas.

C’était la voix d’un homme, assez grave. Avec de l’accent. Malko, sans discuter, referma la porte derrière lui et, à tâtons, se dirigea vers les lits jumeaux. Un peu rassuré. Un tueur l’aurait abattu immédiatement. Le Stainless se trouvait dans le petit coffre scellé au fond de la penderie. Inaccessible.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

Il devinait maintenant la silhouette de son visiteur inconnu, assis dans l’un des deux fauteuils de rotin, le dos au mur. À trois mètres de lui. Comment était-il entré et que voulait-il ?

— Vous ne me connaissez peut-être pas, mais je vous connais, continua la voix tranquille. Avez-vous jamais entendu parler du Derviche ?

— Le Derviche ?

Les rouages de la prodigieuse mémoire de Malko s’étaient mis en route, triant les souvenirs, les informations, les noms, des visages. Le Derviche. Cela éveillait un très vague écho, mais impossible d’en dire plus.

— Je travaille pour une compagnie d’assurances quelquefois rivale de la vôtre, continua l’inconnu avec un rien d’ironie.

Le Derviche !

Les bribes d’une conversation remontant à plusieurs mois resurgissent dans la mémoire de Malko. Ce jour-là, on parlait du Mossad, les services spéciaux israéliens. Particulièrement d’un de ceux qui se consacraient à la recherche et à l’extermination des terroristes palestiniens.

Le Derviche. Personne ne savait exactement pourquoi on lui avait donné ce surnom. À part quelques hauts fonctionnaires israéliens, personne ne connaissait son visage et sa véritable identité. Le regard de Malko s’immobilisa sur l’ombre assise dans le fauteuil.

Un peu soulagé.

— Bienvenue, dit-il. Je me doutais bien que vous étiez là.

Une arrière-pensée tempéra immédiatement son soulagement. Qu’est-ce qui lui prouvait qu’il avait en face de lui un agent israélien ? Il avait cru aussi se trouver en face de Mark, le « stringer » de la CIA… La plaisanterie pouvait continuer… Les Israéliens n’avaient pas le monopole de l’astuce.

— Je vois que vous avez entendu parler de moi, fit la voix. J’en suis heureux, cela facilitera nos rapports.

Malko laissa s’écouler quelques secondes avant de répondre :

— Qui me prouve que vous êtes le Derviche ? Que se passera-t-il si j’allume la lampe qui se trouve à côté de moi ?

La réponse arriva, dite d’une voix indifférente et parfaitement contrôlée.

— Vous serez mort avant d’avoir vu mes traits. Il y a un pistolet braqué sur vous en ce moment. Ce serait regrettable. Je ne viens pas vous voir en ennemi. Pas encore.

— Pourquoi ? demanda Malko, fixant l’endroit d’où venait la voix.

— Parce que les intérêts de nos compagnies pourraient diverger sur certains points, continua l’Israélien. Je suis à Mahé pour retrouver le Laconia B. Vous aussi. Nous ne sommes pas les seuls. Les autres sont nos adversaires communs.

Malko enregistrait. Au fond, l’Israélien lui proposait – si c’était lui – une alliance provisoire.

— Savez-vous où se trouve le Laconia B ?

La question brutale faillit le surprendre. Ce n’était pas dans les habitudes des barbouzes de parler aussi directement. Il s’agissait vraiment d’une situation inhabituelle.

— Non, dit Malko. Et vous ?

— Je l’ignore également, avoua l’Israélien d’une voix tranquille. Mais il n’est pas impossible que nos adversaires – il appuya sur le mot « nos » – le sachent.

Silence, rompu par le chuintement du conditionneur. Les yeux de Malko s’étaient accoutumés à l’obscurité et il distinguait mieux la silhouette massive dans le fauteuil.

— Pourquoi ? demanda-t-il.

Le Derviche émit un soupir très léger.

— Il y a quelques jours, dit-il, des pêcheurs ont recueilli un cadavre en mer. Il avait été sauvagement torturé. Il se trouvait sur le Laconia B. Il est possible, mais non certain, qu’il ait fourni des indications sur la position exacte de son naufrage.

Tout se recoupait. Malko entra dans le jeu, décidé à en savoir le plus possible.

— Qui l’a torturé ?

— Un certain Rachid Mounir, répondit aussitôt l’Israélien. Le n° 2 du Directorat « Action » des services irakiens. Un homme qui nous hait, autant que les SS nous haïssaient. Il se trouve en ce moment à l’hôtel Coral Sands. Nous le connaissons depuis longtemps. C’est lui qui a torturé des prisonniers israéliens pendant la guerre du Kippour. Onze hommes et femmes, faits prisonniers au Mont Hermon. Il leur a arraché les yeux alors qu’ils étaient encore vivants…

Le silence qui s’établit dans la chambre sembla plus lourd à Malko. Il avait déjà entendu parler de l’histoire du Mont Hermon.

— Un homme comme ce Rachid ne doit pas se risquer souvent hors d’Irak, remarqua-t-il. Pourquoi ne vous vengez-vous pas ?

Le Derviche bougea dans son fauteuil, comme si la question de Malko l’avait énervé.

— Nous nous vengerons, affirma-t-il. Mais pas tout de suite. Mais il y a des tâches plus urgentes. Rachid Mounir dispose ici de nombreuses complicités locales.

— Pourquoi les Irakiens veulent-ils le Laconia B demanda Malko.

— Vous êtes très naïf, monsieur Linge, fit le Derviche d’une voix pleine d’amertume. Ceux pour qui travaille Mounir rêvent d’exterminer Israël. Il y a à bord du Laconia B de quoi le détruire dix fois…

— Les Arabes ne maîtrisent pas encore ces techniques, objecta Malko.

— Allons donc, trancha le Derviche, si les Indiens y sont arrivés, ils y arriveront aussi. Avec de l’argent, on se fait aider. De toutes les façons, c’est un risque que nous ne pouvons pas prendre. Surtout pas pendant les négociations qui se déroulent actuellement…

Ils n’allaient pas se lancer dans un cours de technologie atomique. Malko commençait à en avoir assez d’être dans le noir.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il.

— Que vous nous disiez où se trouve le Laconia B au cas où vous le trouveriez le premier, annonça l’agent israélien d’une voix égale.

De plus en plus étonnant. La brutalité du Derviche tranchait sur la prudence traditionnelle des Israéliens.

— Comment savez-vous que je vous dirai la vérité ? demanda Malko. Je pourrais très bien déjà savoir où se trouve le Laconia B.

— Non, fit le Derviche. Sinon, on n’aurait pas tenté de vous tuer aujourd’hui. On vous aurait enlevé pour vous torturer.

Silence. Décidément les Israéliens étaient bien renseignés. Malko éprouva quand même une satisfaction vague de les avoir relativement de son côté.

— Que m’offrez-vous en échange de ce que vous me demandez ?

— Des informations, répondit l’Israélien aussitôt. Qui peuvent vous éviter des faux pas. Par exemple, le « contact » que vous avez rencontré aujourd’hui ne s’appelle pas Mark, mais Bill. C’est le chef de la section du SPUP[11] pour Beauvallon. Et surtout le patron officieux de la police parallèle du nouveau régime. Que ce dernier ne contrôle pas totalement.

— Comment connaissait-il notre rencontre ?

Malko aurait pu jurer que le Derviche avait souri dans le noir.

— Parce que Mark, l’agent de votre compagnie, travaille également comme informateur pour le SPUP. Sa femme, Claire, est la maîtresse de Rachid, après beaucoup d’autres, dont l’ancien président Mancham… Mark est un mou, un faible que tout le monde manipule…

Malko fixait la silhouette sombre, atterré. Bravo pour la CIA… Il avait été se jeter droit dans la gueule du loup, grâce à Willard Troy. L’amibiase ne ramollissait pas le cerveau quand même. Il était temps que la CIA fasse le ménage chez elle…

— Ils voulaient savoir si vous connaissiez l’emplacement du Laconia B avant de vous éliminer, continua impitoyablement l’Israélien. Quand ils ont été fixés, ils ont organisé l’attentat contre vous.

Maintenant tout était clair… Malko essayait de classer ce flot d’informations. Cherchant la faille. Parce que tout cela pouvait aussi être de l’intox.

— Pourquoi les Seychellois aident-ils les Irakiens à ce point ?

Le Derviche eut un rire sec et sans joie.

— Ils ont peur d’une contre-révolution. Mancham a déjà essayé avec l’aide de certains Saoudiens. Alors, les Irakiens leur livrent des armes tchèques qu’ils cachent un peu partout au cas où… C’est ce Bill qui organise tout cela.

« Voilà, monsieur Linge. Je vous repose la question : Acceptez-vous de m’aider, maintenant que je vous ai prouvé ma bonne foi ? Pour le pays dont vous défendez les intérêts ce n’est qu’un incident sans réelle importance. Pour nous c’est une question de vie ou de mort. Réfléchissez.

Malko vit la silhouette émerger du fauteuil et esquissa un geste de se lever. Le Derviche l’arrêta net :

— Restez où vous êtes, monsieur Linge. Tant que je ne serai pas dehors. Et ne sortez pas derrière moi. Vous recevriez une balle dans la tête.

Malko se rassit, vit l’Israélien atteindre la porte-fenêtre, la faire coulisser. Le Derviche se retourna :

— Je sais que vous partez en mer sur le Koala. Je vous recontacterai au retour.

— Que se passera-t-il si je refuse de collaborer avec vous ? lança Malko alors que le Derviche avait déjà le corps à moitié dehors.

L’Israélien arrêta son mouvement.

— Cela serait extrêmement fâcheux, dit-il. Je serais contraint de chercher une solution à votre cas. Qui pourrait être une solution finale.

Malko n’eut pas le temps de contester cet humour noir d’un goût douteux. Le rideau battait dans le vide sous la brise nocturne. Le Derviche avait disparu. Il alluma sans chercher à le suivre. Il connaissait trop les Israéliens pour ne pas appliquer à la lettre leurs recommandations. Pendant la guerre des Six Jours, leurs Mirages avaient bombardé un navire-espion US qui s’approchait trop de leurs côtes en dépit de leurs observations. Bilan : 104 morts…

Il alla refermer la porte-fenêtre et comprit comment l’Israélien s’était introduit dans sa chambre. Un loquet verrouillait le battant coulissant. Mais au-dessus il y avait un vasistas qui, lui, ne fermait pas. Il suffisait de se mettre sur la pointe des pieds, de passer le bras et de manœuvrer le loquet… Il le referma néanmoins.

Déshabillé, il demeura étendu un long moment avant de s’endormir. Cette fois, aucun bruit ne venait de la chambre de la volcanique Finlandaise. Il n’aurait plus manqué que cela. Elle dormait vraiment… Il plaça le Stainless sous le matelas, à portée de la main.

Songeant avec une certaine amertume que son séjour à Mahé s’ouvrait sous des auspices particulièrement favorables. S’il ne trouvait pas le Laconia B, les Irakiens et leurs amis, feraient tout pour le liquider. Au cas où il aurait du succès, les Israéliens prendraient la relève.

Situation éminemment confortable. La seule solution étant de partir sur la pointe des pieds. Exclue, pour cause de conscience professionnelle. Il ferma les yeux, cherchant à recréer la silhouette éblouissante de la Finlandaise. Au moins s’offrir cette compensation. La vie était courte. Il avait deux choses moins agréables à faire le lendemain. Aller dire ce qu’il pensait à Willard Troy et se rendre à l’hôpital.

Puisque tout le monde manipulait Mark, le « stringer » de la CIA, pourquoi pas lui ?

Même s’il était aussi dangereux à manier qu’une grenade dégoupillée… Ce ne serait pas la première partie de roulette russe disputée par Malko.

De toute façon, on ne perdait qu’une fois à ce jeu…

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