Pendant une fraction de seconde, Malko n’entendit plus le bruit du moteur, ne sentit plus le bois du volant sous ses paumes, n’éprouva plus aucune sensation. Le temps semblait s’être arrêté, comme la masse de la Land Rover qui fonçait droit sur lui. Il photographia le visage effaré du Noir qui conduisait, la bouche ouverte sur le cri qu’il devinait, le geste violent pour tourner le volant, puis tout disparut.
La route descendait, vide devant ses phares. Il lâcha l’accélérateur, écrasa le frein, sentit une odeur de brûlé monter de ses freins, parvint à stopper en une cinquantaine de mètres. Il sauta à terre, sans même éteindre ses phares, regarda derrière lui, pour se convaincre qu’il n’avait pas été le jouet d’une illusion.
Rien. La route vide qui montait, les pentes sombres, pas une lumière.
La Land Rover avait bien plongé dans le ravin.
Cette fois, il remonta dans la Cooper et repartit en marche arrière. Il n’avait même pas le courage d’effectuer un demi-tour. Ses bras semblaient peser du plomb. Les phares éclairèrent une traînée noirâtre sur le sol. Trace de freinage. Il remonta encore un peu et stoppa, éteignant ses phares.
Il marcha jusqu’au bord du précipice, sonda l’obscurité, prêta l’oreille. Rien que les bruits habituels de la nuit. La pente était presque verticale à cet endroit, se terminant par une sorte de vallée envahie de végétation tropicale. Pas une maison, rien. Soudain, il y eut un « plouf » amorti et une flamme claire jaillit d’un point en contrebas presque au fond de la vallée.
En une seconde, il distingua tous les détails. Un gros rocher noir émergeant de la verdure et la masse de la Land Rover, roues en l’air, écrasée dessus comme un insecte maladroit. Les flammes sortaient de l’avant, puis enveloppèrent brutalement tout le véhicule. Il y eut plusieurs petites explosions, comme des ratés, mais pas un bruit humain. Fasciné et horrifié, Malko regardait son œuvre. À part l’incendie, il n’y avait aucun signe de vie. Les occupants de la Land Rover avaient dû être tués sur le coup par le choc de la chute. Ou ils gisaient quelque part dans la végétation, assommés.
Le conducteur avait commis l’erreur qu’il escomptait. Instinctivement, surpris par les phares de la Cooper, il avait donné un coup de volant à droite, se jetant dans le précipice. Sans même effleurer la petite voiture. Le crime parfait. Tout à coup, Malko réalisa qu’une sueur glaciale dégoulinait le long de son dos. Ce n’était pas la chaleur. Il se recula, la bouche sèche, le cœur battant, se demandant quelle avait été la dernière pensée de l’homme qui conduisait. Il n’avait pas eu beaucoup le temps d’avoir peur. Maintenant, son corps était en train de se recroqueviller sous la chaleur du brasier. Malko avait déjà vu beaucoup de morts brûlés. Ils ne mesuraient plus qu’un mètre à peine. Il revint à la Cooper et pour chasser de son esprit l’horreur, il craqua « une allumette, examina rapidement la carrosserie du côté gauche.
Rien, pas une trace, sur la peinture rouge.
Il se redressa, un goût de bile dans la bouche, un léger picotement sur le dos des mains, les jambes molles.
L’adrénaline continuait à inonder ses artères, lui causant une curieuse sensation, un peu semblable à l’ivresse, mêlée d’une oppression pénible. Lui qui avait horreur de la violence, venait de tuer.
Même si c’était pour éviter d’être tué lui-même, il en ressentait un dégoût profond, une sorte de vide intérieur. Peut-être était-ce aussi le sentiment d’avoir échappé à la mort et de jouir d’une chance insolente. Plus de quarante missions et seulement quelques blessures à l’âme et au corps. Beaucoup d’autres n’avaient jamais dépassé la seconde ou la troisième.
Mais lui vivait, respirait, entendait le bruissement des insectes nocturnes et ces craquements sinistres, beaucoup plus bas. Il se remit au volant pour ne plus voir la lueur montant du ravin, remit en marche.
L’angoisse disparut d’un coup. Il avait envie de crier, de se prouver qu’il était vivant. Il ne sentait plus les nids de poule, ne voyait plus la route. Il ne sut jamais comment il se retrouva dans le parking du Fisherman’s Cove. Dans un autre monde. Un groupe de touristes montaient dans un minibus avec des cris joyeux. Un couple s’éloignait, la main dans la main. Il y avait des bruits heureux, de la lumière, des gens normaux. Comme un robot, Malko coupa le contact, prit sous son siège le sac contenant le Stainless de Willard Troy et entra dans le lobby en plein vent. Il devait avoir l’air d’un fantôme car l’employée de la réception lui jeta un regard étrange. Il s’en moquait. Ce qui comptait, c’était d’oublier l’horreur de la dernière heure. De ce sanglant jeu de colin-maillard. Qui tirait les ficelles ? Qui avait donné l’ordre de tuer sauvagement le malheureux Mark ? Il avait hâte d’être au lendemain, en mer, de s’éloigner de Mahé et de ses complots. Même si le retour risquait d’être pire. La fraîcheur de sa chambre lui fit du bien. Il faisait presque trop froid.
Soudain, il réalisa qu’il lui fallait un dérivatif à son humeur noire. Tout de suite. C’était un besoin urgent qui montait de ses entrailles, comme un spasme irrépressible.
Il n’y avait qu’une solution. Il fallait qu’il fasse l’amour, qu’il se vide dans le corps d’une femme. Peut-être pour se prouver qu’il était bien vivant.
Le cœur de Malko battait presque aussi fort que sur la route de Niol une heure plus tôt.
Frustration anticipée. Cela faisait la cinquième sonnerie et la chambre voisine était aussi petite que la sienne. Il n’avait même pas pris le temps de prendre une douche et son corps sentait encore la sueur de la peur. Son bras s’abaissa pour reposer le récepteur. Au moment où il allait couper la communication, il y eut un bruit différent.
— Allo ?
La voix essoufflée de la Finlandaise, sa voisine.
Il eut l’impression qu’une énorme bouffée d’oxygène envahissait ses poumons.
— Irja ?
— Oui. Qui est à l’appareil ?
Déclic. L’ordinateur se remettait en marche. Il s’essuya le front, retrouva d’instinct la voix souriante, bien placée, charmeuse, sûre d’elle. Surtout ne pas vexer, effaroucher. Les femmes sont des êtres pleins d’orgueil.
— Votre voisin.
— Ah. Comment cela va ? Je rentre juste. J’ai couru en entendant la sonnerie.
Bon signe. De la chaleur dans la voix. Tout de suite l’estocade.
— Je voulais vous inviter à dîner.
— Ce soir ?
— Ce soir.
Pas trop de tension. Les femmes ont horreur de la tension. Mais de la volonté. Et du magnétisme. Malko s’aperçut qu’il serrait l’appareil à le briser. La voix hésitante qui vous torture.
— Je… j’allais me coucher. Je suis fatiguée. Demain, il faut que je me lève tôt.
Même rengaine. Cette fois, ne pas se laisser piéger.
— Moi aussi. Je passe vous prendre dans cinq minutes.
Il avait déjà raccroché. Il y avait une ou deux minutes difficiles à passer. Il se jeta sur le lit, oppressé, s’attendant à chaque seconde à sursauter à la sonnerie du téléphone.
Rien.
Il gagnait la première manche.
Il se jeta sous la douche, sentit avec délices l’eau chaude couler sur la peau nue. Se savonnant longuement, s’imprégnant de Bogart, humant la senteur qu’il aimait, after-shave, déodorant, chemise fraîche. La soie douce sur la peau. Si bon de vivre.
Il sortit, fit deux mètres vers la gauche et frappa à la porte du bungalow « Bicune ».
Divine. Une robe de jersey de soie, souple comme un gant, bleu électrique, les cheveux noirs sur les épaules, les yeux soulignés de même bleu que la robe. Les effluves de Cabochard. La sophistication, le luxe. Tout ce qu’il aimait.
— Je n’ai pas eu le temps de me faire belle.
Malko sourit avec sa bouche, mais ses yeux s’étaient fixés sur le corps superbe offert devant lui. Sans qu’il lui en donne l’ordre, sa main droite partit en avant et se posa sur le jersey bleu, à la hauteur de la hanche.
— Vous êtes belle.
L’autre main se posa sur l’autre hanche, repoussant Irja à l’intérieur. La surprise dans les yeux. Un zeste de peur, vite disparu, une défense molle. Ils sont déjà dans la chambre, en face de la coiffeuse. D’un coup de pied, Malko a refermé la porte. Il tient Irja contre lui. Sa bouche se dérobe, mais pas son corps, appuyé contre le sien.
— Arrêtez.
De la mollesse dans la voix. Et ce ventre si près, offert. Elle est accoudée à la coiffeuse, le dos à la glace, les reins coincés contre le bord.
La main gauche de Malko lâche la hanche, effleure la courbe douce d’un sein, continue vers le ventre.
— Malko !
Elle se souvient de son nom. La tension dans son ventre est si forte qu’il a envie de crier. Quand même pas la prendre debout. Il sent qu’elle ne le giflera pas, qu’elle n’appellera pas. Il l’entraîne, ils tombent en travers des lits jumeaux, elle sur le dos, lui à côté. De nouveau, il caresse sa poitrine. Ses doigts glissent jusqu’au creux du ventre. Elle le repousse par les épaules, ne sursaute pas.
— Non, je ne veux pas.
La voix est calme, sans la moindre trace de panique.
Il enfouit son visage dans la chair tiède de l’épaule, continue à la caresser. Lentement, moulant la forme des seins de ses doigts, agaçant les pointes. Irja ne bouge plus, comme un animal effrayé, mais son souffle est aussi régulier que si elle dormait. Malko sent son ventre qui lui fait mal, mais n’ose pas se découvrir, ne pas rompre ce charme fragile. Pourtant, comme il a envie de la prendre. Doucement, il fait glisser une bretelle de la robe, dégage le sein gauche, pose doucement ses lèvres dessus. Il lui a semblé percevoir un frémissement dans le ventre de la jeune femme. Il la fait aussitôt basculer sur le côté, se colle à elle, afin de ne lui laisser aucune illusion sur son état.
Elle frémit doucement, ne dit rien, ne l’attire pas contre elle. Son bras droit est coincé sous elle, le gauche repose mollement sur Malko.
Passive et consentante à la fois. Il n’y a dans la chambre que le bruit de leur respiration. Malko s’enhardit, repousse le tissu, la caresse avec une retenue qui manque le faire hurler. Il voudrait la pénétrer tout de suite. À la hussarde. S’enfoncer en elle. Sans s’en rendre compte, il gémit de désir, son sexe incrusté contre le jersey de soie.
Ils ne se sont pas encore embrassés.
Il remonte un peu, cherche sa bouche. Elle ne bouge pas, ne vient pas à sa rencontre, mais quand leurs lèvres se rejoignent, les siennes s’écartent et sa langue s’enroule docilement autour de la sienne. Il manque jouir, tellement c’est bon. Il l’embrasse à perdre le souffle.
Comme un collégien. Maintenant, Irja lui rend son baiser, le bras posé sur lui s’est noué autour de son cou, mais son corps continue à ne pas réagir… Malko n’en peut plus. Il revient à la poitrine, fait glisser la seconde épaulette, découvre l’autre sein.
Puis reprend la bouche qui s’offre de nouveau docilement. Sans qu’un mot ne soit prononcé. Il commence à retrouver le contrôle de lui-même. Sentant que la Finlandaise ne lui résistera pas. Pourtant il a l’impression qu’il s’en faudrait d’un rien pour qu’elle le repousse. Il réalise soudain que c’est la même femme qui hurlait de plaisir avec un autre homme la nuit précédente. Où est passée sa fougue ?
Il revient à la bouche et laisse errer sa main sur son ventre. Elle porte un léger slip sous le jersey de soie. D’abord, il lui masse le Mont de Vénus par-dessus le tissu. Sans obtenir la moindre réaction. Comme s’il avait frotté le parquet. Il laisse sa main gauche glisser plus bas. Atteindre la jambe, remonter, entraînant le tissu. Sa jambe est soyeuse, fraîchement épilée. Il atteint le genou, le caresse longuement, puis se hasarde le long de la cuisse, haletant quand même. Irja ne bouge toujours pas.
Une morte.
Malko arrive au nylon du slip, le caresse, sans rencontrer ni résistance, ni réaction. Agacé, il se crispe sur le Mont de Vénus descend plus bas encore, sent la chaleur du sexe. Doucement, il commence à le masser, du bout des doigts.
Enfin, la respiration de la jeune femme se modifie. Légèrement. Le bras se resserre autour de la nuque de Malko, l’attirant, l’étouffant presque. Il continue, plus excité que jamais, n’osant pas encore la prendre. C’est déjà un miracle qu’Irja ait réagi de cette façon à sa brutale attaque. Maintenant, son « massage » est de plus en plus appuyé. Ses doigts s’enfoncent dans le nylon. La jeune femme, toujours sur le dos, se laisse faire, la longue robe relevée sur ses cuisses bronzées et musclées.
Cela peut durer longtemps. Il l’embrasse de nouveau, caressant les seins au passage.
Juste au moment où ses doigts se glissent entre le nylon et la peau. Effleurant la toison rêche et descendant plus bas. Lorsqu’il sent à quel point elle est ouverte, prête à l’accueillir, il manque exploser. Sans plus se gêner, il va et vient le long de son sexe, la violant de ses doigts. Elle continue à l’embrasser mécaniquement, mais son bassin ondule, très lentement contre lui, suivant le rythme de ses doigts.
À bout de désir, il veut faire glisser la bande de dentelle, mais il sent une résistance. Elle ne veut pas de déshabillage.
Cessant de la caresser quelques instants, il se libère rapidement, se colle aussitôt contre elle. Elle ne frémit même pas en le sentant brûlant contre sa cuisse. Il recommence à la caresser, mais n’en peut plus. D’un coup de reins, il bascule sur elle. Du même mouvement, il écarte l’élastique du slip et s’engouffre en elle d’un seul coup de reins, d’une seule poussée rectiligne qui lui arrache un soupir de soulagement. Elle est si prête qu’il n’a aucun mal à la pénétrer, en dépit de la position inconfortable. Mais aussi étonnant que cela paraisse, elle ne réagit toujours pas.
Seuls ses bras se sont noués mollement dans le dos de Malko. Ce dernier se déchaîne, la prenant à grands coups de reins, égoïstement, affolé par ce consentement tacite. Si violemment que très vite, il gicle en elle et reste foudroyé. Un long moment s’écoule, tandis qu’il reprend sa respiration. Il s’écarte et aussitôt, d’un geste très naturel, Irja remonte les épaulettes de sa robe, rabaisse celle-ci sur son ventre et ses cuisses. Appuyée sur un coude, elle contempla Malko avec une expression indéfinissable.
— Nous allons dîner ?
La voix est parfaitement maîtresse d’elle-même.
Malko, désarçonné par cette étrange attitude, ne peut que répondre « oui ». En silence, ils achèvent de se rajuster. Irja lisse ses cheveux et sa robe, éteint. Au moment de sortir, elle toise Malko avec un regard ironique.
— C’est vrai ? Nous sortons pour de bon ?
Le Pouilly Fuissé était presque frais et le thon à la créole, mangeable. Malko vida son verre et sourit à Irja. Le restaurant était désert à part eux. Une escouade de serveuses en tenue marron attendaient visiblement dans un coin qu’ils s’en aillent.
Le guitariste continuait à jouer. Malko se demanda soudain comment il pourrait contacter le Derviche afin de le tenir au courant.
Maintenant que son désir était apaisé, il reprenait conscience des problèmes qui se posaient à lui. Il était seul. Contre des gens qui n’hésiteraient pas à tuer et bénéficieraient de la neutralité active des Seychellois. Il leva les yeux. La Finlandaise l’observait, avec une expression indéfinissable. Le guitariste venait de s’arrêter de jouer.
— Vous vous jetez souvent sur les dames que vous invitez à dîner, avant le dîner ?
Malko fixa la belle bouche charnelle.
— Vous faites souvent l’amour sans y prendre de plaisir ?
Irja tordit les coins de sa bouche vers le bas en une sorte de grimace.
— Nous n’avons pas fait l’amour. Vous m’avez violée. Je suis amoureuse d’un autre homme, mon cerveau ne fonctionne pas dans ce cas-là.
— Pourquoi ne m’avez-vous pas repoussé alors ?
Irja tourna la tête, fixant l’océan où se découpait l’île Silhouette, à une dizaine de milles.
— Vous avez paralysé mes réflexes. C’était si… brutal. Si inattendu. Comme une hypnose. Je ne voulais pas, mais je ne pouvais pas me dégager de vos bras.
Elle le fixa avec des yeux pleins de curiosité.
— Pourquoi aviez-vous si envie de moi ? Des hommes ont déjà voulu me forcer, mais jamais avec cette… intensité. On aurait dit que votre vie en dépendait. Si c’est une technique, cela doit vous réussir. Au fond, les femmes aiment parfois être prises de force.
Malko secoua la tête.
— Ce n’est pas une technique. J’ai failli me tuer tout à l’heure. Un accident de voiture. De frôler la mort, m’a donné une envie irrésistible de faire l’amour. Je ne dois pas être normal…
La Finlandaise esquissa un sourire amusé.
— J’espère que vous conduirez désormais avec prudence. Je ne veux pas être violée tous les jours.
— Il n’y a pas que le viol, dit Malko.
La Finlandaise le fixa avec un sourire désarmant.
— Je ne pense pas refaire l’amour avec vous. Il faudra trouver un autre exutoire à votre fougue. Elle posa sa main sur la sienne. Il n’y a rien de personnel. Je suis sûre que lorsque vous êtes moins – disons sous pression – vous êtes un très bon amant. Mais j’ai horreur de me partager. J’ai eu un certain nombre d’hommes dans ma vie, mais jamais deux à la fois.
Elle se leva et ils sortirent du restaurant, descendirent les quelques marches menant au bar où, à part les ventilateurs et une barmaid, il n’y avait pas âme qui vive. Le bar donnait directement sur la pelouse menant à la plage.
— Voulez-vous faire quelques pas sur la plage ? proposa Malko.
Irja sourit.
— Décidément, vous êtes un incorrigible romantique… Oui, si vous me promettez de ne pas me violer sur le sable. J’ai horreur de faire l’amour sur une plage. Le sable entre partout…
— Juré, dit Malko en lui baisant la main.
Ils traversèrent la pelouse, descendirent les marches et se retrouvèrent sur la plage déserte, éclairée par un superbe clair de lune. Après quelques pas, ils s’assirent dans l’ombre de la cocoteraie. La mer était un miroir.
Son ventre apaisé, Malko avait un peu honte de s’être conduit comme une bête. Mais apparemment, Irja ne lui en tenait pas trop rigueur. Le sable était encore chaud du soleil de la journée. Ils restèrent là, sans parler. Perdus chacun dans leurs pensées. Malgré lui, Malko guettait l’ombre derrière lui. Ceux de la Land Rover n’étaient que des exécutants. Il n’avait pas éliminé l’opposition. À chaque instant, la riposte pouvait surgir, brutale et mortelle.
— Voulez-vous m’accompagner en bateau demain matin ? proposa-t-il. Compléter votre bronzage…
La Finlandaise soupira.
— Pas demain. J’ai des choses à faire. Des photos. Un autre jour, si vous y retournez…
— Je pense, que j’y retournerai, dit Malko en se levant.
La main dans la main, ils regagnèrent l’hôtel. Devant la porte de son bungalow, Irja s’arrêta et donna un baiser léger à Malko.
— Bonsoir.
Il l’embrassa sans insister, la tenant serrée contre lui quelques instants. Elle se dégagea sans brusquerie et entra dans sa chambre. Malko fit de même dans la sienne. Avant même d’avoir entendu une voix connue dire « N’allumez pas, monsieur Linge », il avait senti une présence.
Tranquillement, Malko gagna les lits jumeaux et s’y assit.
— Bonsoir, dit-il. Je suis heureux de vous voir. Il s’est passé pas mal de choses depuis hier.
— Je suis au courant. Ils ont liquidé votre « stringer ». Vous leur avez fait peur.
— Ils ont failli aussi me liquider, précisa Malko. Il relata à l’Israélien l’épisode de la Land Rover. Le Derviche écouta silencieusement, puis laissa tomber.
— Ils recommenceront.
— Comment savez-vous tant de choses ?
— J’ai des informateurs.
Silence. Froissement de tissus.
— Ce n’est pas cela qui m’amène, continua l’Israélien. Vous partez en mer, n’est-ce pas ? Demain matin.
— Exact, dit Malko.
— Vous allez repérer l’épave du Laconia B. Grâce aux renseignements que vous a fournis M. Troy ?
Malko croisa les jambes, agacé, et corrigea :
— Je vais essayer de repérer l’épave du Laconia. Mais je n’en sais pas plus que vous.
Nouveau silence. Puis la voix froide du Derviche laissa tomber :
— Vous mentez. Nous avons de bonnes raisons de croire que vous possédez des informations sur l’emplacement exact de cette épave. Nous pensons que vos satellites et les navires basés à Diego Garcia ont réuni des renseignements précis et qu’il y a même un navire du style « Global Explorer » en route pour les Seychelles. Que vous n’êtes ici que pour assurer le soutien logistique local indispensable…
Malko soupira. C’était énorme !
— Écoutez, dit-il, vous nous croyez plus forts que nous ne le sommes. Ma compagnie ne sait rien de plus que ce que je vous ai dit. Je recherche le Laconia B ; mais je n’ai pas de boule de cristal.
— Calmez-vous, fit l’Israélien. Au bruit, Malko réalisa qu’il s’était levé. Je voulais simplement vous répéter que mon gouvernement est prêt à tout pour récupérer la cargaison du Laconia B. Je suis chargé de cette mission et je l’accomplirai.
« Même si je dois vous éliminer. Je tenais à vous prévenir une nouvelle fois. Je vous verrai demain soir. Bonsoir. Ne bougez pas, je vous prie, tant que je ne serai pas sorti de cette pièce.
Malko demeura immobile, entendit la porte-fenêtre s’ouvrir, devina la silhouette se glissant dehors, puis il n’y eut plus que le silence troublé par les bruissements d’insectes. Il se leva, alluma.
Cela faisait beaucoup d’émotions pour une journée.
Il bloqua sa porte-fenêtre et se déshabilla. Souhaitant ne pas être réveillé au milieu de la nuit par la gestapo locale. En fermant les yeux, il revit la Land Rover renversée sur le rocher. Si l’Israélien avait su la modicité des moyens dont il disposait !
Son seul espoir reposait sur Brownie, le skipper du Koala.