Chapitre VIII

— Vous voyez, le phare de Mamelles. La nuit on le laisse à tribord et on monte tout droit sur celui de Denis. C’est la seule façon de s’en sortir sans casse.

Malko regarda les deux rochers jumeaux de Mamelles un peu avant la grande île de Praslin. Le Koala filait à 11 nœuds, cap 015. Brownie Cassan, les yeux dissimulés derrière des lunettes noires, hirsute comme toujours, tenait la barre.

Malko se tenait sur la banquette à côté de lui. Rhonda s’activait dans le carré.

Il respira à pleins poumons l’air tiède, le visage offert au soleil. Du flying deck on entendait à peine le bruit des deux diesels. On aurait presque pu se croire sur un voilier. L’île de Mahé s’estompait dans le lointain avec son plafond de nuages. Dès qu’on en dépassait la pointe nord, la mer « bougeait » un peu. Pourtant, en novembre, c’était la fin des alizés.

— Des dauphins, cria soudain la voix de Rhonda du pont inférieur.

Les silhouettes aérodynamiques noirâtres et luisantes jouaient autour de l’étrave. Toute une bande de dauphins. Brownie Cassan les observait, amusé.

— Vous savez que jamais un dauphin ne mord à un hameçon ? remarqua-t-il de sa voix traînante. C’est quand même fantastique…

Les dauphins jouèrent encore un peu et disparurent.

Soudain, Brownie Cassan tira légèrement les leviers des gaz et le Koala ralentit nettement. Malko se redressa.

— Que se passe-t-il ?

— Oh, on va pêcher un peu par ici. D’habitude c’est bon, fit l’Australien. Ensuite on montera sur Bird.

— Comment, dit Malko, mais je ne suis pas venu pour pêcher ! C’est le Laconia que je cherche. Avec votre expérience, on devrait le trouver du côté de Denis Island, d’après ce que vous m’avez dit…

L’Australien secoua la tête, but une gorgée d’une bière Beck’s déjà ouverte, puis s’essuya la bouche d’un revers de main. Malko remarqua que les branches de ses lunettes de soleil étaient réunies par un fil de nylon les retenant autour de son cou. Ainsi, il ne risquait pas de les perdre.

— On n’a pas une chance, lâcha-t-il d’un ton désabusé. Quelquefois on peut tourner des jours avant de retrouver le sec. Le Laconia a dû passer près de Bird, continuer et faire son trou dans les grands fonds. Vous verrez rien. Alors, autant faire un peu de pêche non ? On peut déjeuner à Bird. Ensuite on rentrera pour la nuit. Mais faudra pas traîner.

Malko n’en croyait pas ses oreilles.

— Je croyais qu’avec les corrections apportées à votre carte, vous pourriez retrouver le sec où le Laconia a pu s’échouer, insista-t-il. Vous paraissiez très sûr de vous avant hier. Nous avons le temps.

— Ouais, fit l’Australien. Mais il y a un truc que j’avais oublié. On m’avait déjà retenu. Alors, demain, je ne peux pas partir avec vous.

Malko réussit à ne pas répondre. Que s’était-il passé pour que l’Australien change ainsi d’attitude ? Lui qui semblait tellement alléché par la perspective de récupérer le Laconia B. Décidément les alliés de Willard Troy n’étaient pas de première qualité… Le Koala continuait à filer bon train sur la mer d’huile. Malko décida de ne pas heurter de front l’Australien.

Allongé sur la banquette, il fit semblant de somnoler. Vingt minutes plus tard, le crissement aigu d’un moulinet l’arracha à sa torpeur. Il se dressa en sursaut. Mais le poisson n’avait pas vraiment mordu. Par contre, il aperçut sur l’avant du Koala, un trimaran qui faisait route aussi vers le nord. Le cabin-cruiser allait beaucoup plus vite que lui et ils arrivèrent à sa hauteur. Malko prit les jumelles et l’examina. Il ne payait pas de mine. Une coque verdâtre avec un bastingage rouillé, des mâts oxydés. Un Noir tenait la barre et personne d’autre n’était en vue.

— Tiens, c’est le Kenyen, remarqua Brownie. Deux types de Mombasa qui trament dans le coin depuis quelques jours. Il paraît qu’ils doivent descendre sur le Mozambique, près de Maputo, chercher quatre tonnes d’ivoire. Y vont jamais y arriver avec un engin dans cet état… Il est tout pourri.

Le trimaran s’éloignait sur leur arrière. Malko voulut profiter de la détente pour reprendre le dialogue.

— J’aimerais bien voir la carte de l’archipel, demanda-t-il.

— Sûr, dit l’Australien. Il tourna la tête et cria : Rhonda, viens me remplacer.

Quelques instants plus tard la masse de cheveux roux et bouclés apparut en haut de l’échelle. Depuis que le bateau était parti, l’Australienne avait ôté son soutien-gorge et sa poitrine n’avait rien à envier à celle de Irja. Des seins ronds et pleins, merveilleusement bronzés qui faisaient oublier son visage ingrat. Son slip minuscule de toile rosâtre couvrait à peine ses reins cambrés. Elle dit à Malko avant de s’installer à la barre :

— Si vous avez faim ou soif, je suis à votre disposition.

— Ça va, coupa brutalement l’Australien.

Depuis le départ, il la traitait comme un chien. Malko n’en revenait pas de sa docilité. Il n’avait jamais pu rencontrer son regard. Brownie descendit l’échelle devant lui et ils pénétrèrent dans le carré. Une carte était étalée à côté du Drakkar, l’émetteur radio.

Malko eut un coup au cœur : ce n’était pas celle qu’il avait vue. Aucune indication manuscrite n’était portée sur celle qui se trouvait devant lui ! Brownie Cassan se moquait de lui ! L’Australien posa son doigt sur un point situé entre Bird Island et Denis Island.

— Tout par là, il y a entre 40 et 60 mètres. Du côté de Bird, il y a un grand sec, mais on n’arrive jamais à le trouver. Ensuite, il y en a encore deux au nord de Denis et un petit au sud-est. Seulement, faut tomber dessus. On arrive parfois dessus par hasard, mais c’est impossible de recommencer deux fois de suite, à cause du vent et des courants…

Le gros index de Brownie Cassan remonta sur la carte, au nord de Denis.

— Vous voyez, par là, ça descend vite après le sec : 153, 165, 243, 245, 315 et après on arrive à 5-600 mètres. Puis, il y a la grande fosse de 6 000 mètres.

Malko se pencha sur les pointillés chiffrés qui délimitaient les secs.

— On ne sait vraiment pas où ils se trouvent ?

L’Australien ricana et son index fila vers le haut de la carte.

— Lisez ça.

Malko lut l’inscription en français :

« Carte 2948. Attention : dans la partie située à l’est du méridien 55° 35’ utiliser la carte avec circonspection, cette région étant imparfaitement reconnue. »

— Vous voyez, triompha l’Australien, c’est pas vieux ça date de 1976.

Il se redressa. Malko comprit qu’il ne tirerait rien de plus pour l’instant.

— Qui vous a charté ? dit-il. Ce n’est pas très gentil de me laisser tomber…

— Oh, ce n’est pas de ma faute, protesta Cassan de sa voix traînante. Je ne peux pas refuser. C’est un type trop puissant ici. Le patron du SPUP pour Beauvallon. Un « banania » tout court, vicieux comme un pou. Il pourrait m’empêcher de travailler.

Malko sentit son estomac se serrer. Volontairement ou non, l’Australien venait de lui donner l’explication de sa réticence. Il n’eut pas le temps d’approfondir.

— Zzzz…

La ligne filait.

— On en a un ! s’écria l’Australien. Allez-y.

Malko émergea sur la plage arrière, arracha de son alvéole la canne extérieure gauche et se cala dans le siège central après avoir attaché son harnais. Le moulinet continuait à se dévider. Il le stoppa, régla le frein et commença à réenrouler le fil.

— Ça a l’air d’un gros thon, dit Cassan derrière lui. Il va se défendre.

Malko sentait déjà dans ses bras que l’Australien avait raison. Il releva la grosse canne à grand-peine et moulina en redescendant. Rhonda avait réduit la vitesse. Pour un moment, il allait oublier le Laconia.

C’était le commencement d’une longue lutte.


* * *

— Ça y est presque !

Les mains sur les hanches, Rhonda observait le thon en train de tourner en sens inverse des aiguilles d’une montre, tout près du tableau arrière du Koala. C’était l’agonie. Après 45 minutes de lutte. Elle s’approcha de Malko et essuya gentiment son visage couvert de sueur avec une serviette. Il dégoulinait littéralement avec la sensation d’avoir tracté un éléphant pendant un mille. Ses bras lui faisaient mal à hurler, ses reins aussi. La jeune femme lui avait déjà apporté à boire alors qu’il luttait contre le poisson.

Le thon cessa soudain de se débattre. Aussitôt Brownie Cassan penché sur l’arrière, crocha dans le poisson avec la gaffe et le hissa sur le pont, secoué des soubresauts de l’agonie.

Il empoigna le maillet de bois servant à achever les poissons et le frappa plusieurs fois de toutes ses forces.

Puis, il jeta le poisson dans la grande caisse de bois, remit les lignes en place et remonta à la barre.

— Je vais préparer le déjeuner, annonça Rhonda en descendant.

Le slip de bain de Malko était plein de taches de sang. Il pénétra dans le carré afin de gagner la cabine avant où se trouvaient ses affaires.

Rhonda était accroupie en face du frigidaire. Il y avait à peine la place de passer dans l’étroit couloir. Elle se releva. Malko essaya de se glisser entre elle et la cloison sans la toucher, mais elle ne fit rien pour lui faciliter le passage. Un léger coup de roulis les appuya l’un contre l’autre. La croupe cambrée et musclée de la jeune Australienne s’appuya contre les cuisses de Malko. Le contact tiède l’électrisa. Rhonda ne chercha pas à l’éviter. Elle tourna seulement son regard myope vers Malko et demanda d’une voix égale :

— Vous voulez une bière ?

Ses reins le maintenaient serré entre elle et la cloison. Le visage absolument impassible. Malko pensa à l’Australien sur la dunette.

— Avec plaisir dit-il, dès que j’aurai changé de maillot.

Elle s’écarta aussitôt et il pénétra dans la cabine. Lorsqu’il en ressortit, un verre était sur la table basse du carré et Rhonda, à quatre pattes sur le pont arrière nettoyait le sang du thon…

Malko s’installa sur la banquette, examinant l’aménagement du carré. À côté du gros poste-radio, il y avait plusieurs cartes empilées les unes sur les autres.

Il se leva et les examina rapidement. Aucune n’était celle qu’il avait vue lors de sa première visite. L’Australien avait dû l’enfermer. Il leva la tête. Rhonda l’observait. Elle sourit.

— Vous vous intéressez à la navigation ?

— Un peu.

Il s’éloigna des cartes, regagna le pont arrière et aspira la brise marine, examinant l’horizon.

Une mouette passa eh couinant… couvrant le bruit des diesels. Rhonda ressortit du carré et vint près de lui.

— Voilà Bird Island, annonça-t-elle, tendant le bras vers bâbord.

Malko aperçut une étroite bande de terre au ras de l’océan avec une rangée de cocotiers. La vraie île déserte de contes de fées.

L’Australienne ressortit le thon de sa caisse et se mit à le découper en filets. Malko contemplait Bird Island, se demandant comment il pourrait se procurer la carte annotée par Brownie.

Si elle était toujours en possession de l’Australien… Soudain, il aperçut au-dessus de la pointe de l’île une sorte de masse mouvante qui obscurcissait le soleil.

— Les oiseaux, expliqua Rhonda dans son dos. Ils sont des millions.

Leurs cris devinrent perceptibles puis assourdissants. Ils tournaient tous autour de la pointe de l’île, se posaient par vagues entières, rasaient la mer. Comment pouvaient-ils se nourrir ? Bird Island était minuscule.

Même pas un mille de long, quelques cocotiers, une plage d’un blanc éblouissant.

Le cabin-cruiser avançait doucement vers la plage. Il n’y avait ni port, ni ponton.

— L’ancre, cria Brownie Cassan du haut de la dunette.

Aussitôt, Rhonda lâcha le thon, se précipita à l’avant et commença à libérer la lourde ancre terminée par une chaîne, la soulevant pour la faire passer par-dessus bord. Mais l’Australienne glissa et la laissa échapper. Elle s’écrasa avec un bruit sec sur le pont, entaillant profondément le bois. Le hurlement de Brownie Cassan, fit sursauter Malko.

— Stupid broad ![13]

Déjà, il dégringolait l’échelle de la dunette, se glissait le long du bordage, jusqu’à sur la plage avant. La gifle claqua avant que Malko ne puisse intervenir. Rhonda recula jusqu’au bastingage, mais ne protesta pas. Sans un mot, l’Australien empoigna l’ancre et la jeta par-dessus bord. Puis il contempla l’entaille dans le bois du pont en secouant la tête.

— Va falloir que je répare ça moi-même, grommela-t-il.

La chaîne de l’ancre filait avec un brait épouvantable. Le Koala n’avançait presque plus, à une cinquantaine de mètres d’une plage d’un blanc éblouissant, bordée de cocotiers, où venaient se briser de gros rouleaux d’écume.

Brownie Cassan remonta sur la dunette, coupa les moteurs. Aussitôt les cris des milliers d’oiseaux qui tournaient au-dessus d’eux devinrent assourdissants.

— Faut y aller à la nage, cria l’Australien. Il y a des rouleaux, je ne peux pas m’approcher plus… Attention aux requins…

Malko plongeait déjà. Le contact de l’eau tiède sur sa peau brûlante et pleine de sel lui causa une sensation délicieuse. Il nagea sur le dos, franchit les rouleaux, mit pied sur le sable blanc comme du sel et bouillant comme de la lave en fusion. Il courut jusqu’à l’ombre et se laissa tomber sous un parasol de feuilles, reprenant son souffle.

Sur le cabin-cruiser, Ronda et Brownie semblaient discuter violemment, face à face, sur la plage avant. La gifle ne passait pas. Malko s’engagea dans un sentier serpentant entre les cocotiers vers l’intérieur de l’île. Il n’avait pas fait trente mètres qu’il aperçut une masse brune d’un mètre de haut se déplaçant lentement en travers d’un sentier. Une tortue de terre géante qui devait peser 200 kilos !

Un peu plus loin, il distingua à travers les arbres des bungalows et un local ouvert à tous les vents, avec des tables et des sièges. Une voix le héla :

— Hé, qui êtes-vous ?

Il se retourna, aperçut un jeune barbu, maigre et très bronzé qui le contemplait les sourcils froncés.

— Et vous ? répliqua Malko.

— Moi, je suis le propriétaire de cette île, fit le barbu d’un ton sans réplique.

— Je suis sur le Koala, dit Malko tout aussi sèchement. Je viens boire un verre.

L’autre se calma aussitôt.

— Ah, vous êtes avec Brownie ! Soyez le bienvenu alors. Je me demandais d’où vous sortiez.

Les cris des oiseaux, omniprésents, devenaient abrutissants. L’homme reprit :

— Venez au bar.

Malko détailla le propriétaire de Bird Island. Ce n’était pas un Européen. Son teint était trop mat, ses yeux trop globuleux. À la suite de son hôte, il entra dans le restaurant en plein air, décoré de poissons-lunes séchés. Des tables de teck, un bar en bambou. Une serveuse mafflue vint prendre sa commande.

— Un Perrier, avec de la glace, demanda Malko. Il avait repéré la bouteille. Il y avait même une autre bouteille de Moët et Chandon… et les bougies étaient fichées dans des magnums vides de J & B. La civilisation n’était pas loin…

Le propriétaire de l’île observait son visiteur.

— Vous venez faire de la pêche ?

— Pas tout à fait, avoua Malko. Je suis assureur et je recherche l’emplacement du naufrage d’un cargo qui a disparu récemment dans ces parages. Le Laconia B.

— Le Laconia, fit le propriétaire de l’île, c’est le cargo qui a coulé il y a quinze jours au nord de Denis ? Vous ne trouverez rien par ici. Vous auriez dû vous laisser guider par Brownie, il connaît tous les secs du coin par cœur. Il vient souvent prendre des clients par ici pour les emmener pêcher à Denis. Il y a juste 40 miles.

— Comment êtes-vous sûr que le Laconia a coulé près de Denis ? demanda Malko.

L’autre tendit la main vers un vieux poste de radio posé sur une table non loin du bar.

— Parce que j’ai recueilli son SOS. On reste souvent branché sur la fréquence de détresse, 2182, parce que c’est là-dessus qu’on s’appelle toujours. Ensuite, on passe sur une autre fréquence. Je me souviens très bien que le radio a signalé qu’il avait laissé à tribord le phare de Denis avant de heurter un récif non signalé sur la carte et de couler en quelques minutes. Donc il était au nord de Denis. C’est la route normale pour tous ceux qui montent vers Socotra.

— Je vois, dit Malko, en achevant son Perrier. Eh bien, je vais filer vers Denis.

— Revenez nous voir, dit le barbu. À Denis, il n’y a encore rien pour se loger.

Malko avait hâte de regagner le Koala. Il courut sur la plage, s’enfonçant dans le sable qui lui brûlait la plante des pieds et accueillit la tiédeur de l’eau comme une délivrance. La chaleur était tout simplement terrifiante. Malko ne pensait même plus aux requins. Il étira voluptueusement ses muscles en un puissant crawl dorsal.

Brownie Cassan buvait un cognac sur le flying deck à côté de Rhonda, impassible. Malko avait amené à bord la bouteille de Gaston de Lagrange prise chez Willard Troy. Pour améliorer l’ordinaire à bord.

Il s’ébroua et les rejoignit.

— Alors, vous aimez Bird Island ? lui jeta l’Australien d’un ton ironique.

— Ce n’est pas mal, dit Malko, mais je crois que je préférerai Denis. Il semble bien que le Laconia ait coulé au nord de Denis. Le propriétaire de l’île a recueilli son SOS.

— Ah oui… Mais c’est pas à côté Denis, fit sans se troubler Brownie Cassan. Ça fait plus de 40 miles et ensuite 50 pour descendre sur Mahé. Sept à huit heures de mer. On n’a pas le temps aujourd’hui. De toutes les façons, je dois être ce soir à sept heures au vieux port pour voir un mécanicien à cause de la pompe du diesel gauche.

Il avait repris son ton traînant, mais ferme à la fois. Malko comprit que rien ne le forcerait à se rendre à Denis Island. Rentrant sa rage, il réussit à prendre un ton enjoué.

— Très bien. Il n’y a qu’à rentrer en péchant.

— On y va, fit l’Australien. Rhonda, tu remontes l’ancre ?

Tandis que le couple s’affairait pour l’appareillage, Malko s’installa dans le siège central de pêche. Réfléchissant. La réponse à son problème se trouvait sur le Koala. Mais il ne pourrait pas manœuvrer l’Australien. Il avait peur. Il fallait donc contourner l’obstacle.

Retrouver la carte où étaient portés les emplacements véritables des secs, notamment de celui où le Laconia avait dû s’échouer. Ensuite on verrait.

Les diesels ronflèrent, les lignes se dévidèrent. Peu à peu, un plan s’échafaudait dans la tête de Malko. Utiliser les éléments dont il disposait. C’est-à-dire pas grand-chose… Le ronronnement et la fumée des diesels poussaient à l’assoupissement. Il se laissa aller, souhaitant qu’un poisson téméraire ne le tire pas de sa nonchalance. Mais les poissons mordaient surtout dans les heures les plus chaudes. Il était déjà un peu tard.


* * *

Une sensation de fraîcheur réveilla Malko. Le cabin-cruiser passait au large d’une grande île très découpée où brillaient plusieurs lumières dans le crépuscule.

Malko reconnut Praslin. Ils n’étaient plus loin de Mahé. Il se redressa et rejoignit Cassan sur la dunette.

— Vous avez pioncé comme une bête, fit jovialement l’Australien.

Rhonda était toujours dans le carré, active comme une fourmi. Elle devait briquer le Koala même la nuit. Malko regarda les lumières de Mahé se rapprocher. Cassan se tourna vers lui.

— Vous allez au yacht-club ou au Fisherman’s Cove ?

— J’ai laissé ma voiture au yacht-club, dit Malko.


* * *

— Eh bien, voilà !

Brownie Cassan se tenait en face de Malko, l’observant de ses petits yeux marrons. Attendant ses cent livres. Le Koala se balançait le long du quai, à une centaine de mètres du yacht-club. Le youyou venait d’être mis à l’eau. Malko rhabillé, fouilla dans les poches de son pantalon et poussa une exclamation dépitée, d’un air totalement innocent.

— Oh, je suis désolé, j’ai oublié mon argent. Cela vous ennuierait-il de venir prendre un verre à l’hôtel, que je vous paie…

L’Australien secoua la tête.

— Je peux pas, j’attends le type qui vient pour la pompe du diesel. Je vais vous donner Rhonda, elle reviendra en bus.

— Très bien, dit Malko.

La jeune femme était en train de passer un vieux tee-shirt sans couleur, sur son slip de bain. Elle enfila un short, puis des sandales en caoutchouc. Brownie se rapprocha d’elle et lui dit quelque chose si bas que Malko n’entendit pas. Puis, ils descendirent tous les deux dans le youyou. Ils traversèrent le port et Rhonda amarra ensuite au ponton. Toujours sans un mot, elle s’installa dans la Cooper. Au moment où Malko sortait du yacht-club pour traverser dans Badamier Avenue, un bruit insolite lui fit tourner la tête.

Rhonda pleurait à chaudes larmes.

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