C’était comme s’il avait reçu un coup de poing en plein dans l’estomac. Il tourna sur lui-même si vite qu’il avala une grande gorgée d’eau de mer. Rien. La mer vide.
Puis l’angoisse le prit. Il était trop loin de Denis pour regagner l’île à la nage. Il résista à l’envie furieuse d’arracher les bouteilles jumelles qui pesaient sur son dos. Avec l’énergie du désespoir, il donna un coup de ciseaux pour se sortir de l’eau. Cette fois, il aperçut un point blanc à près de deux miles !
Malko avait été entraîné vers l’est par un courant. Les Seychelles étaient redoutées pour la force de leurs courants. À Mahé, on pouvait être entraîné et se noyer à trois mètres du bord.
Il se sentait beaucoup trop épuisé pour nager cette distance. Il fallait donc attirer l’attention de Rhonda pour qu’elle vienne le chercher. Mais comment ?
Crier était rigoureusement inutile.
Il essaya de sortir de l’eau à mi-corps et d’agiter les bras. Après s’être livré une dizaine de fois de suite au même exercice, il était prêt à couler de fatigue. Il se remit sur le dos, attendit. Il n’avait même plus la force de nager. En se soulevant, il parvenait à apercevoir le cabin-cruiser très loin. Rhonda devait, elle aussi, chercher à l’apercevoir. Mais il n’était qu’un point perdu dans les vagues.
Quelque chose frôla sa jambe et il la replia violemment.
Il envoya la main pour vérifier l’intégrité de son membre et ses doigts touchèrent le manche du poignard, cela lui donna une idée. L’arrachant de sa gaine, il le dressa hors de l’eau, faisant miroiter la lame d’acier dans le soleil. Une chance minuscule que Rhonda l’aperçoive. Seulement c’était épuisant de garder le bras ainsi hors de l’eau. Pour ménager ses forces, il défit les courroies des bouteilles et les laissa couler.
Inlassablement, il continua à remuer doucement dans le soleil la lame du poignard. Mais la silhouette blanche du cabin-cruiser ne bougeait pas. Il suffisait que Rhonda regarde dans la bonne direction. C’était sa seule chance de survie. En se reposant fréquemment sur le dos, il pouvait tenir plusieurs heures dans cette eau tiède, mais il ne pourrait jamais regagner Denis Island à la nage…
Doucement, il remua le poignet, pour la centième fois. Un éclair jaillit du poignard, aveuglant. Malko tenta de le prolonger le plus longtemps possible, puis retomba dans l’eau, submergé, épuisé par son effort. Il resta deux ou trois minutes sur le dos et se redressa de nouveau.
Une angoisse atroce lui coupa les jambes. Le Koala avait bougé ! Avant il lui présentait le flanc, maintenant, il ne voyait plus que l’arrière ! Rhonda s’en allait, le croyant noyé !
— Himmel ! murmura-t-il, les yeux rivés sur la coque blanche.
Il y eut un suspense d’interminables secondes puis lentement, la silhouette blanche du Koala se modifia. Le cabin-cruiser virait lentement et revenait vers lui.
Rhonda l’avait vu ! Frénétiquement, il agita son bras armé du poignard. Il se démena tant et si bien que lorsque le bateau ne fut plus qu’à quelques mètres de lui, il pouvait à peine se tenir à la surface. Moteurs coupés, le cabin-cruiser s’approcha tout près ; il entendit la voix de Rhonda qui criait :
— Malko, Malko, viens à l’arrière !
Il réussit à s’accrocher à l’échelle posée le long de la coque. Mais sans l’aide de la jeune femme, il n’aurait pas pu monter. Enfin, elle l’arracha de l’eau et il se laissa tomber sur le pont arrière. Ses jambes tremblaient, de violentes douleurs lui paralysaient les bras, il avait des éblouissements, sa peau imbibée de sel le brûlait. Rhonda l’essuya, lui fit boire une bouteille entière de Perrier, puis l’aida à ôter sa combinaison.
— Mon Dieu, dit-elle, j’ai cru ne jamais te revoir ! Avec les jumelles, je regardais partout.
Le soleil commençait à monter dans le ciel, presque à la verticale du Koala. Quand on ne bougeait pas, la chaleur était insupportable. Rhonda se décida à demander :
— Tu as trouvé quelque chose ?
Il secoua la tête.
— Non. En nous y prenant comme cela, il faudra des mois. Cette barrière de corail est trop grande. J’ai une autre idée. Revenons à la bouée. Tu peux ?
— Je vais essayer, dit la jeune femme.
Pendant que Malko se reposait dans le siège de pêche, elle remonta sur la dunette et remit les diesels en route. Le Koala fit demi-tour. Malko somnolait, récupérant. Au bout d’un moment, la voix de Rhonda l’arracha à sa torpeur.
— Nous y sommes.
Il se leva et aperçut sur l’avant la bouée signalant le haut du sec.
— Stoppe, dit-il. Il faut que je vérifie quelque chose sur la carte.
Il entra dans le carré et sortit une carte de l’archipel des Seychelles et du nord de l’océan Indien. D’abord, il y nota au crayon l’emplacement du sec qu’ils venaient de découvrir. Puis, il tira un trait, à partir du phare de Denis Island, jusqu’à Socotra, tout en haut de la carte.
Obtenant ainsi la route prévue du Laconia B.
Premier résultat. Le trait passait juste au milieu du sec. Il releva soigneusement le cap et remonta sur la dunette. Rhonda attendait en fumant une Rothmans.
— Tu vas prendre le cap 020, dit Malko et continuer tout droit jusqu’à ce que je te le dise. Je surveille le sondeur. Ne va pas trop vite.
— Pourquoi ?
— Admettons que le Laconia B ait touché ce récif, expliqua Malko. Il n’a pas coulé sur place, même la coque déchirée. Les courants n’ont que peu d’effet sur un cargo de 15 000 tonnes. Donc, il a continué sur sa route primitive, jusqu’à ce qu’il coule, comme un éléphant blessé. Il peut même avoir parcouru une distance importante. Une masse de 15 000 tonnes lancée à 13 nœuds ne s’arrête pas comme ça.
Nous allons refaire sa route, jusqu’à ce que le sondeur nous indique que nous avons quitté le sec. Après ce n’est plus la peine de faire des recherches. Ensuite, il faudra revenir sur nos pas et tenter de le trouver au sondeur, pour ne pas plonger trop.
Rhonda hocha la tête. Admirative.
— C’est une bonne idée. Espérons qu’il n’a pas été trop loin.
Malko s’accroupit devant le sondeur et le Koala se mit en marche, cap 020.
D’abord, l’aiguille n’indiqua pratiquement pas de fond, tant le corail affleurait. Puis, peu à peu, le fond augmenta : 4 mètres… 8… 12… 12… 16… 24… 32… 36… Cela descendait en pente douce. Ils se trouvaient toujours sur le récif. Au bout d’un mile, le fond se stabilisa autour de 35 mètres. Malko était hypnotisé par le stylet inscrivant son trait sur le rouleau de papier. Tellement qu’il sursauta lorsque le trait plongea brusquement…
234… Ce fut la dernière indication. Il se trouvait maintenant au-dessus du grand fond.
— Stop !
Le Koala vibra sous la poussée des diesels en marche arrière. Le sondeur ne sondait plus, à bout de course. Ils avaient dépassé les 250 mètres.
— Reviens en arrière, demanda Malko. Cap 200.
Bouillonnements. Manœuvre. De nouveau accroupi devant le sondeur, les épaules en feu à cause du soleil. Une minute, deux. Tout à coup, l’aiguille fit un bond vers le haut.
— Stop ! crie de nouveau Malko.
Ronflement des diesels dans les oreilles. L’aiguille indiquait 40 mètres.
Malko se releva, ankylosé.
— Jette une ancre flottante, je vais plonger ici. Nous sommes exactement à la fin du récif de corail. Si je ne trouve rien, nous repartirons d’où nous venons en stoppant tous les quarts de mile.
Malko ne se sentait pas encore très solide et avait des éblouissements. Cette fois, il ferait attention aux courants. L’eau lui parut plus fraîche lorsqu’il se laissa aller en arrière. La tache blanche du Koala disparut. Battant des pieds, il fila vers le fond, le plus vite possible pour économiser le précieux air.
Pas un seul poisson. Par contre, il atterrit au milieu d’un véritable jardin sous-marin, de coraux arborescents, avec des couleurs sublimes. Après, c’était de nouveau l’étendue jaunâtre et tourmentée. Grâce à la boussole fixée à son poignet, il s’orienta, se dirigeant vers l’extrémité du récif. Le profondimètre indiquait 32 mètres. Fond plat. Il contourna une énorme méduse et continua. La visibilité n’était pas très bonne. Une vingtaine de mètres.
Six minutes, huit minutes, douze minutes.
La fatigue commençait à le gagner. Il lui sembla que l’eau était beaucoup plus froide tout d’un coup. Il devait s’approcher de la grande fosse.
Quelque chose apparut devant lui. Une espèce de serpent de mer dressé latéralement. Le fond remontait légèrement et l’eau était plus claire. Il s’approcha encore, sur ses gardes. Ce n’est qu’à quelques mètres qu’il réalisa avoir devant lui, le mât d’un navire émergeant d’une fosse comme la flèche d’une cathédrale.
Il venait de retrouver le Laconia B.