Malko freina brusquement, mais faillit quand même dépasser l’embranchement. La Cooper S était vraiment une petite bombe. Il s’était amusé dans les lacets de la route sinueuse et défoncée reliant Victoria à Beauvallon. L’écriture signalant la résidence de l’ambassadeur soviétique ne payait pas de mine : une pancarte en bois avec des lettres tracées à la main maladroitement, le tout au bout d’un piquet enfoncé dans le sol… La Cooper S se mit à cahoter effroyablement sur un sentier perpendiculaire à la route, bordé de quelques cases sur pilotis perdues dans les cocotiers. Festival de tôle ondulée… Un cochon noir traversa le sentier et Malko pila presque en face d’un éventaire de fortune.
Une planche sur deux tréteaux, avec des coco-fesses alignés. Noix de coco jumelles, poussant exclusivement aux Seychelles et reproduisant à s’y méprendre la croupe et le bas-ventre d’une femme… D’un beau noir vernis.
Il se gara en face d’une case en tôle ondulée et descendit. Un petit Seychellois trapu, aux cheveux très frisés, avec des yeux enfoncés et malins, se précipita aussitôt sur lui, brandissant un coco-fesses.
— Mark ? demanda Malko à mi-voix.
Le Seychellois inclina la tête affirmativement. Des poules caquetaient autour d’eux, cela sentait mauvais. Au bout du hameau, une piste en ciment montait vers la résidence de l’ambassadeur soviétique. Une femme observait la scène d’une des cases. Lorsqu’elle croisa le regard de Malko, elle recula, fermant vivement le volet.
— Oui, c’est moi, dit le Seychellois, vous êtes l’ami de Monsieur Troy ?
— Right, dit Malko.
L’autre regarda autour de lui, mal à l’aise.
— Je ne veux pas rester ici, dit-il. On peut nous voir. Partons dans votre voiture. Vous me déposerez à Victoria.
Sans lâcher son coco-fesses, il s’installa dans la Mini-Moke.
Malko effectua une manœuvre dans la terre grasse et remit le cap sur la route de Beauvallon, effrayant les cochons et les poules.
— Vous habitez là ? demanda Malko, pour dire quelque chose.
Mark montra une case à l’écart.
— Oui, la bleue, là.
Comme les autres, c’était une construction de tôle ondulée peinte en bleu pastel, montée sur quatre blocs de ciment. Des poules jouaient dessous.
— Il y a longtemps que vous êtes à Mahé ? demanda Mark au moment où Malko se lançait à l’assaut des courbes menant à Victoria.
— Un jour, dit Malko.
— Vous avez appris beaucoup de choses ?
Malko sourit :
— Pas grand-chose, mais je compte sur vous.
Mark prit l’air choqué et serra plus fort son coco-fesses contre lui.
— Moi, je ne sais pas beaucoup de choses, dit-il gravement. Mais je crois que vous devez rencontrer des gens qui sont au courant.
Malko tourna la tête vers lui, si surpris qu’il faillit rater son virage.
La route descendait en lacets abrupts au milieu de la jungle, parsemée de cahutes en tôle ondulée.
— Quels gens ? demanda-t-il. M. Troy ne m’a parlé que de vous.
Le Seychellois lui jeta un regard en coin. Comme déçu, puis marmonna.
— Non, non, je ne sais pas…
Ils abordaient les derniers lacets débouchant dans Royal Street. Malko était déçu par l’aide que la CIA lui apportait. Pourtant, il avait dramatiquement besoin d’informations…
— Vous ne savez rien sur le cadavre qu’on a retrouvé en mer ? demanda-t-il. Il paraît que c’est le marin du Laconia B soigné à l’hôpital. Il aurait été enlevé. Vous travaillez à l’hôpital, vous devez être au courant.
Il freina pour éviter des touristes en train de discuter des carapaces de tortues chez un Hindou les vendant au poids de l’or. Mark secoua la tête énergiquement.
— Non, je ne connais pas cette histoire. Le malade est parti de l’hôpital, il a pris l’avion. Ce n’est pas le même.
Il paraissait si sûr de lui que Malko n’insista pas. Préférant explorer une autre piste.
— Il paraît que vous avez des amis dans le CID[8] avança-t-il. Vous n’avez pas entendu parler d’agents étrangers venus à Mahé en liaison avec l’histoire du Laconia B ?
Cette fois, Mark prit l’air carrément choqué.
— Des agents étrangers ? fit-il. Il n’y a pas d’agents étrangers sur le sol national…
Son ton était tellement déclamatoire que Malko n’insista pas. La CIA lui avait envoyé un étrange allié. Côté informations, il pouvait aussi bien regarder dans une boule de cristal.
Il tourna à gauche, Royal Street se terminant en sens unique. Il fallait contourner le marché pour rejoindre le centre de Victoria.
Comme s’il voulait se racheter, Mark se tourna vers lui, tout sourire :
— Je croyais que vous saviez où se trouvait le Laconia, dit-il et que vous étiez seulement venu chercher ce qu’il y avait dedans.
Malko leva les yeux au ciel :
— Si je détenais cette information, dit-il, je serais sur un navire américain en train de remonter ce fichu cargo. Mais je n’ai qu’une vague idée de l’endroit où il se trouve. Comme tout le monde…
— Ah bon ! fit le Seychellois.
— À propos dit Malko, où se trouve le yacht-club ?
Il avançait lentement vers la pendule rectangulaire-mini-réplique de Big Ben – qui se dressait à l’intersection de Victoria Street et de Statehouse Avenue, marquant le centre de la petite ville. Mélange de boutiques hindoues, de magasins modernes et de grands immeubles blancs.
— C’est là-bas, dit Mark. Vous passez devant la poste et le Pirate’s Arms, puis vous tournez à droite dans Badamier Avenue.
— Très bien, dit Malko, où est-ce que je vous laisse ?
Mark regarda sa montre avec ostentation.
— En face de la poste.
La poste était un superbe bâtiment moderne, en face du café-hôtel Pirate’s Arms sur la grande avenue filant vers le vieux port. La plus moderne.
— Tiens, pourquoi est-ce qu’ils arborent le drapeau russe ? demanda-t-il.
Mark sourit.
— C’est l’ambassade. Ils n’ont pas encore de local.
Le Seychellois sauta de la voiture comme s’il avait le feu aux fesses, serrant à peine la main de Malko.
— Si vous voulez me voir, dit-il, il faut demander au Bubble Club, le soir.
Il traversait déjà. Malko redémarra, songeur. Trois minutes plus tard, il se garait dans le parking du yacht-club, un petit bâtiment lépreux et minable au fond d’un plan d’eau délimité par deux jetées. Latanier Road menant au nouveau port et Long Pier au vieux port. Il examina le petit port, où ne se trouvaient que peu de bateaux modernes.
Une sorte de terrasse couverte avec des tables et des chaises, dominait un vieux wharf en bois. Une serveuse noire bayait aux corneilles, près du bar. Les murs étaient couverts de vieilles cartes marines.
Malko s’approcha de la serveuse.
— Vous connaissez le bateau de Brownie, le Koala ?
La Seychelloise fit un effort considérable de réflexion puis finit par héler en créole plusieurs Noirs qui s’affairaient mollement autour d’un bateau sur le quai d’en face, à côté d’une baraque en bois annonçant : « Marine charter ». La réponse vint directement, gueulée par un gros Seychellois tout frisé.
— Il est au vieux port, près de la caserne des pompiers.
Malko reprit sa bombe, enfila Latanier Road Avenue en sens inverse et tourna à droite dans Long Pier.
Ce qui frappa d’abord ses yeux, ce fut une paire de fesses incroyablement rondes et cambrées, moulées dans un short coupé dans un vieux blue-jean qui montait et descendait devant lui. Leur propriétaire, accroupie sur une planche suspendue à des cordages, était en train de lessiver énergiquement le tableau arrière d’un gros cabin-cruiser.
Koala, Sidney, se détachait en lettres noires sur la coque. On ne voyait personne sur le pont. Avec la chaleur ambiante, la lessiveuse devait fondre. Malko se dit que c’était du gâchis d’utiliser ainsi une croupe aussi appétissante…
— Miss, cria-t-il. Je cherche Brownie. Est-ce qu’il est là ?
La fille se releva et se retourna brusquement. La poitrine débordant d’un maillot rosâtre était aussi fabuleuse que la croupe. Une masse de cheveux roux et frisés encadrant un visage anguleux, tout en longueur, enlaidi par de grosses lunettes de myope. Dommage, sur ce corps de déesse. Elle examina Malko, indifférente.
— Il fait la sieste, dit-elle, vous voulez lui parler ?
— On m’a dit que vous chartiez ce bateau ? dit Malko, c’est exact ?
— Oui, fit la rousse. Mais il faut en parler à Brownie. Montez par la passerelle. Il est à l’intérieur.
Le Koala était amarré le long du quai, tenu à l’avant et à l’arrière par des cordages. Malko franchit l’étroite passerelle et se retrouva sur la plage arrière, encombrée de trois sièges de pêche.
Sans plus s’occuper de lui, la rousse plongea son éponge dans le seau et se remit à frotter la coque avec acharnement. Le bateau était propre comme un sou neuf. Malko aperçut un barbu en slip de bain, étendu sur une couchette dans le carré, en train de lire un illustré, les doigts de pied en éventail. Entendant du bruit, il baissa son magazine. Ses cheveux étaient aussi en broussaille que sa barbe, d’où émergeait le nez pointu, contrastant avec les yeux très enfoncés.
— Brownie Cassan ?
— C’est moi, fit le barbu en se redressant.
Il était très large d’épaules, beaucoup plus petit que Malko. Son aspect négligé contrastait avec la propreté du Koala.
— Je cherche un bateau comme le vôtre à charter, dit Malko. On m’a parlé de vous. L’ami d’un ami, M. Troy. Vous avez effectué une croisière à Madagascar pour son compte, je crois.
Les yeux enfoncés s’éclairèrent fugitivement. Brownie Cassan fourragea dans ses cheveux noirs et bâilla.
— Ouais. Drôle de croisière… Les foutus bananias[9]ont failli me mettre au trou. C’est un coin pourri là-bas. J’y retournerais pas pour tout l’or du monde.
En dépit de son dégoût apparent, Malko sentait un intérêt certain percer sous les mots désabusés. Il se hâta de rassurer son interlocuteur.
— Ce que j’attends de vous est beaucoup plus facile, affirma-t-il.
Brownie Cassan glissa ses pieds dans de vieilles sandales de toile. La semelle de la gauche bâillait. Il passa autour une ficelle déjà nouée et la mit en place.
— Venez, on va prendre une bière au yacht-club. Parce que si je demande à Rhonda…
Il enfila un T-shirt sale. Malko eut envie de lui faire remarquer qu’on ne pouvait à la fois frotter une coque et servir à boire, mais réalisa que cela ne le regardait pas. Ils montèrent sur le quai. En passant, l’Australien jeta à la rousse :
— Dès que tu as fini, tu vas chez le Shipchandler voir s’il a reçu le relais pour le sondeur. Et ramène de la glace. Un demi-pain, au moins.
Avec la Mini-Moke, ils furent au yacht-club en deux minutes, et s’installèrent sur la terrasse dominant l’eau sale. Brownie commanda d’autorité deux bières Beck’s, un paquet de Rothmans et demanda :
— Vous voulez pêcher le gros ?
Malko sourit :
— Presque. Le très gros. Je suis agent d’assurances et je cherche à éclaircir les circonstances du naufrage d’un cargo qui a coulé récemment, le Laconia B, avant de payer les indemnités. Vous en avez entendu parler ?
Brownie Cassan fourragea dans sa barbe, rota, et dit d’un ton traînant :
— Bien sûr. Il s’est planté au nord de Denis. C’est pas le premier. Il y a trois mois, c’était un chalutier nord-coréen, du côté de Mamelles. Il aurait jamais dû naviguer de nuit sans connaître les parages. Il a dû heurter une tête de corail pas signalée sur les cartes. Il y en a plein, je passe mon temps à en rajouter sur les miennes. J’ai même faussé une hélice il y a six mois en péchant près de Bird. Mais qu’est-ce que vous voulez faire au juste ? Il a coulé, c’est fini.
— S’il a heurté un récif, dit Malko, il n’est peut-être pas en eau profonde. La cargaison est assurée pour une somme très importante. Si nous pouvions la récupérer, nous économiserions une prime énorme.
L’Australien secoua la tête.
— Votre Laconia, il doit être par trois ou quatre cents mètres de fond. Après le sec, ça descend très vite. Jusqu’à 3 000 mètres…
Malko eut un sourire encourageant.
— Je vois que vous connaissez tout cela parfaitement. Ça vaut la peine de chercher un peu sur les secs. Parce que vous pourriez avoir une prime très forte si vous m’aidiez à retrouver ce cargo. Plusieurs dizaines de milliers de dollars.
L’œil de l’Australien s’alluma comme le phare d’Ouessant. Il guigna Malko par en dessous et grommela comme pour lui-même :
— Moi, je ne suis pas un chercheur de trésor. Je fais du charter : le fuel, ça coûte cher. Tout ce que vous verrez en vous baladant, c’est la mer. Le trou qu’il a fait, le Laconia, il s’est déjà rebouché.
Malko le rassura d’un sourire.
— Je dispose d’un budget important pour les recherches. Vous chartez à combien la journée ?
— Deux cents livres, laissa tomber l’Australien, comme s’il n’attendait que cela. Plus la nourriture et le fuel. On a une autonomie de 900 miles. J’ai des réservoirs supplémentaires 600 gallons. À 11 nœuds en croisière, ça fait du temps. On peut filer 18 nœuds, si on veut. Il y a deux cabines, une douche et c’est Rhonda qui fait la cuisine…
Au même moment, la jeune femme traversa le quai d’en face. Elle avait troqué son short contre une vieille robe de toile à fleurs toute déchirée et marchait pieds nus… Malko n’en crut pas ses yeux.
— Elle semble extrêmement efficace, remarqua-t-il. Elle s’occupe aussi des moteurs ?
— Non, fit l’Australien sans sentir l’ironie, mais elle sait tenir la barre. Elle s’emmerdait comme institutrice dans un trou près de Melbourne. Maintenant, elle a une chouette de vie.
— Et elle n’a pas le temps de s’ennuyer, compléta Malko avec une certaine perfidie.
— Ça non, approuva Brownie, il y a toujours des trucs à faire sur un bateau.
— Bien, dit Malko, je vous charte le bateau pour une semaine. Vous me le faites pour 1 200 livres ?
L’autre hésita pour la forme.
— OK, approuva-t-il, mais pas moins, tout coûte les yeux de la tête ici. Vous me donnez un dépôt ?
— Cent livres, proposa Malko. On part demain matin. Vous serez prêt ?
L’Australien fit la grimace.
— Je préférerais après-demain. Je dois remonter le sondeur et le vérifier. On risque d’en avoir besoin pour votre truc. Vous serez combien ?
— Peut-être deux, dit Malko, pensant à la Finlandaise. Puis-je visiter le Koala ?
Il tira de sa poche une liasse de billets de vingt livres et en compta cinq, sous l’œil ravi de Brownie Cassan.
L’Australien les empocha, laissa quand même Malko payer les Beck’s et les cigarettes, et se leva :
— Sûr. Mais pour votre cargo, ne rêvez pas, vous ne verrez rien, je sais même pas où il a coulé. Personne le sait d’ailleurs.
— Ça me fera des vacances, dit Malko.
Direction le vieux port. Cette fois Malko monta sur le flying deck, inspecta les deux cabines à l’avant, la kitchenette et le carré. Une carte était posée à plat à côté d’un émetteur-radio.
Pleine d’annotations au crayon. Malko s’approcha.
— C’est là-dessus que vous situez la vraie position des secs ?
Aussitôt, l’Australien prit la carte, la roula et l’enfouit dans un tiroir.
— Oh, il y a juste deux, trois trucs, des repères quoi, rien d’important. Alors, dit-il d’un ton faussement léger, je vous attends ici, après-demain ? Vous venez ici ?
— Je viendrai, dit Malko. À propos, vous avez de l’équipement pour la plongée sous-marine ?
L’Australien hocha la tête.
— Ouais, quatre bouteilles et deux équipements complets. J’ai même un fusil, mais il est planqué parce que les « bananias » n’aiment pas ça… Mais, faut faire gaffe aux requins… Alors, après-demain, huit heures, ici.
— Parfait, dit Malko.
En arrivant près de sa voiture, il aperçut Rhonda titubant sous le poids d’un énorme pain de glace qui devait faire ses vingt kilos… Elle lui sourit :
— Alors, vous avez fait affaire ?
— Oui, dit Malko, nous nous retrouvons après-demain matin. Il fixa ses pieds nus, couverts de poussière. Vous ne portez jamais de chaussures ?
L’Australienne eut un rire confus.
— Si, mais je n’en ai plus. Ici, cela coûte un prix fou. Mais au printemps, nous irons à Mombasa, elles valent moins cher…
Elle s’éloigna, laissant Malko rêveur. Une paire de chaussures tous les six mois, Brownie la gâtait…
Il se lança dans Badamier Avenue, plutôt ragaillardi. Si quelqu’un pouvait l’aider à trouver le Laconia B c’était Brownie Cassan qui semblait connaître l’océan Indien comme sa poche. Mais cela coûterait une petite fortune pour le « motiver »…
Il était un peu plus de cinq heures et tout était fermé dans le centre de Victoria. Presque plus de circulation. Il lui sembla qu’un taxi s’attachait à lui. Il ne pouvait voir qui l’occupait à cause du pare-brise teinté. À tout hasard, dès qu’il eut tourné dans Royal Street, passant devant le QG de la police, charmant avec ses fenêtres encadrées de bleu pastel, il accéléra dans la pente rectiligne, lâchant facilement le taxi. Tellement, qu’il dut freiner violemment en face de l’incroyable château fort en tôle ondulée qui se dressait en haut de Royal Street – pension de famille tenue par un vieux marin – pour aborder les innombrables virages qui le séparaient de Beauvallon.
Un bus de touristes le croisa dans un hurlement de klaxon. Il continua, faisant crier ses pneus à chaque virage. La route escaladait des collines couvertes de jungle, semées de cabanes en tôle ondulée. Ce matériau est à l’architecture tropicale ce que le béton est à la ville. « La Cooper S » était vraiment une petite bombe. Bien accroché à son volant et secoué comme un prunier, il aborda le virage le plus en épingle à cheveux du parcours, dominé par un haut mur, de pierres grises.
Frein. Accélérateur. Rugissement du petit moteur. Soudain, un choc dans le pare-brise qui s’étoila avec un bruit sourd.
Malko écrasa le frein si brutalement qu’il dérapa, se mit en travers de la route et n’évita que de justesse une autre Mini-Moke qui descendait. Les mains moites, il stoppa un peu plus loin pour inspecter les dégâts.
Il y avait un trou rond dans le pare-brise, à peu près au milieu. Comme… Il se retourna, inspecta la capote arrière et sentit le désagréable fourmillement de la peur lui picoter le dessus des mains. Un trou similaire apparaissait dans la tôle. Ce n’était pas une pierre qui avait heurté son pare-brise, mais une balle. Tirée d’en haut, d’après l’angle.
Une balle qui l’avait raté d’un cheveu. Sans l’accélération foudroyante de la Mini, il était mort. On avait dû tirer du haut du mur. L’endroit était bien choisi, il était forcé de presque stopper, à cause du virage en épingle à cheveux… Machinalement, il redémarra, accéléra, le cœur battant la chamade. Il n’y avait rien de plus éprouvant pour les nerfs que ce que les Anglais appelaient un « big gun ».
Une carabine à lunette maniée par un expert. Une arme puissante qui pouvait vous tuer à 300 mètres.
Il arriva au sommet du col et redescendit sur Beauvallon, un œil collé au rétroviseur. Forçant son cerveau à assimiler une donnée nouvelle et angoissante : il était désormais en danger de mort permanent. Sans savoir d’où venait la menace.