Des millions de fourmis couraient sur le corps de Malko. Il ouvrit les yeux et vit le visage de Lucrezia penché sur lui. La jeune Bolivienne portait un short et un pull-over de laine très fine. Elle avait écarté les draps et c’étaient ses ongles courant sur la peau de Malko qui l’avaient réveillé.
— Tu vas mieux, murmura-t-elle, tu es chez moi et tu ne crains rien.
Sa main descendit et caressa Malko très tendrement.
— Ne bouge pas, murmura-t-elle.
Elle se leva, ôta son short et vint s’allonger sur Malko. Sans qu’il eût à faire le moindre geste, s’allongea sur lui.
Très vite, elle accélérait le rythme, au bord de la crise nerveuse. Elle eut un premier délire, puis un second, immédiatement, la tête dodelinant, les ongles crispés sur les flancs de Malko, comme pour lui arracher le foie.
Puis elle s’effondra près de lui, épuisée et essoufflée. Maintenant, c’est lui qui avait envie d’elle. Quand il la prit, elle poussa un cri de bête, ravie et déchirée à la fois.
Malko, inlassablement, martelait le corps de Lucrezia, de plus en plus vite et de plus en plus fort. La tête de la jeune femme s’arracha de l’oreiller. Son hurlement frappa Malko en plein visage, ce qui décupla son excitation.
Mais il avait trop présumé de ses forces. Il eut soudain l’impression que ses poumons ne se remplissaient plus d’air. La bouche ouverte, il eut tout juste le temps d’exploser avant de s’effondrer sur le corps de Lucrezia. Celle-ci prit la tête de Malko contre sa poitrine et lui caressa les cheveux, très tendrement.
— Mon macho blond, murmura-t-elle. Je t’aime. Jamais aucun homme ne m’a rendu heureuse comme toi. Tu es guéri.
Malko se sentait merveilleusement bien, mais n’avait aucun sens du temps écoulé.
— Il y a combien de temps que je suis ici ?
— Quatre jours. Plus trois à l’hôpital, cela fait une semaine. Mais ne crains rien, Raul est toujours là ainsi que sa confession.
Malko se sentait encore très faible.
— Demain, j’irai voir le major Gomez, dit-il avant de sombrer dans le sommeil.
Lucrezia le regarda s’endormir. Puis elle commença à se caresser doucement en pensant à lui. Elle avait encore envie de faire l’amour.
Malko revit avec angoisse la galerie où on l’avait traîné, enchaîné jusqu’à la cellule. Lucrezia était avec lui, très digne avec une longue robe fendue et des bottes. Quand la fente ne découvrait pas toutes ses cuisses. Le flic de service revint, obséquieux :
— Le major Gomez vous reçoit tout de suite.
— Reste-là, dit Malko à Lucrezia.
Il suivit le policier. La poignée de main de Gomez fut si chaleureuse que Malko se demanda s’il n’avait pas rêvé les trois dernières semaines. Le major s’assit en face de lui, un large sourire sur son visage rond, mais ses petits yeux noirs aux aguets.
— M. Cambell m’a dit que vous vouliez me voir ? dit-il. Que puis-je faire pour vous ?
Malko plongea ses yeux dorés dans les siens.
— D’abord me rendre les empreintes digitales de Klaus Heinkel. Ensuite, me dire où se trouve ce dernier et collaborer à son arrestation.
Gomez en resta muet.
— Mais ce Klaus Heinkel ou Muller s’est suicidé, fit-il, vous le savez bien. Sinon, je…
— Klaus Heinkel est aussi vivant que vous et moi, fit froidement Malko. Vous avez même fait supprimer M. Izquierdo afin que je ne puisse pas arriver jusqu’à lui. Ce crime a été commis par un de vos hommes de main, Raul, qui se trouve en ce moment en sûreté. Il a signé une confession complète vous accusant. Cette confession sera remise à plusieurs ambassadeurs et à différentes personnalités officielles de ce pays si vous refusez de m’aider. En voici un double.
Il tira de sa poche une enveloppe et la posa sur la table basse. Le Bolivien avait encaissé le coup. Il ouvrit l’enveloppe, parcourut le texte et jeta les papiers sur la table.
— Mensonges, fit-il avec une grimace de haine incroyable.
Malko se dit que si Raul avait été là, l’autre l’aurait découpé en morceaux.
— On verra, fit-il.
Gomez alluma une cigarette. Il fallait prendre une décision. À l’expression des yeux de son adversaire, il comprit que le bluff ne prendrait pas. Après tout, il se foutait de Klaus Heinkel.
— Klaus Heinkel est mort, dit-il, nous ne pouvons pas le ressusciter. Je me ridiculiserais. J’ai été à son enterrement…
Malko ne voulait pas entrer dans ce genre de discussion. Il se leva.
— Je vous donne vingt-quatre heures pour trouver une solution, dit-il. Je ne quitterai pas la Bolivie sans avoir une solution au problème Heinkel. J’espère que vous ne chercherez plus à m’éliminer. Il se trouve que la Company, à laquelle j’appartiens, me soutient à fond.
Le major Gomez fit comme s’il n’avait pas entendu. Il raccompagna Malko jusqu’à la pièce d’attente, salua Lucrezia et rentra dans son bureau. Malko aurait voulu être une toute petite souris cachée dans un coin. Cette fois, c’était l’hallali pour Klaus Heinkel. Après un mois de lutte et six cadavres.
Klaus Heinkel raccrocha le téléphone, le cœur dans la gorge. Comme toujours, le major Gomez n’était pas là. Depuis trois jours, il n’arrivait plus à le joindre. Et il n’osait pas se rendre en ville. Gomez le lui avait interdit. Le médecin qui l’hébergeait était parti à Sucre pour une semaine et il devenait fou dans cette villa isolée en tête à tête avec les chulos idiots. Ils avaient baptisé la fille d’une chula et dansaient depuis la veille de ridicules rondes boliviennes auxquelles il était obliger de se mêler.
Le soir, il essayait de téléphoner à Doña Izquierdo, mais il ne l’avait pas jointe non plus. Une seule fois, un chulo avait dit : « Ne quittez pas, je vous la passe. » Puis on avait raccroché, sans explication. Certainement Don Federico. Quand il pensait à la jeune femme, Klaus Heinkel devenait fou.
Il commençait à avoir des cauchemars, avec des bribes de sa vie passée, des tortures, des cris, du sang. Un visage de femme dont il avait arraché la peau revenait souvent. Ses nerfs commençaient à lâcher. Il fallait qu’il quitte La Paz. Au Paraguay, il ne risquerait rien, mais il fallait y parvenir. Pas question de prendre l’avion à El Alto. Par la route, il fallait une voiture et des papiers en règle. Cela prendrait au moins huit jours.
Une des petites chulas sortit de la cuisine en courant et le prit par la main.
— Vamos a bailar !
Il dut la suivre. Chacun un mouchoir dans la main, ils se mirent à danser une sorte de quadrille rythmé par une charanga, sorte de petite guitare faite avec la carapace d’un tatou.
La sonnerie du téléphone le fit sursauter cinq minutes plus tard.
Plaquant sa cavalière, il courut jusqu’au hall d’entrée et décrocha :
— Allô, qui est là ? fit une voix avec un fort accent allemand. Je veux parler à Klaus Muller.
Klaus en aurait pleuré de joie. C’était la voix de son copain, Sepp, le propriétaire du Daïquiri.
— C’est moi, Sepp, fit-il joyeusement. Wie Gets ?
— Cela va mal, fit Sepp, très mal.
Klaus Heinkel eut l’impression que son cœur s’arrêtait.
— Tu veux dire pour moi ?
— Oui. Gomez te lâche. Ils vont venir t’arrêter.
— M’arrêter ! Mais ce n’est pas possible. Ce salaud m’a…
— Écoute, fit Sepp, je suis ton copain, je ne te raconte pas de blagues. Peut-être que cela s’arrangera plus tard mais, pour l’instant, ce schweinerei de Gomez te laisse tomber. La voiture est déjà partie.
— Merci, fit Klaus d’une voix faible. Il raccrocha.
Ce n’est qu’ensuite qu’il réalisa que son copain Sepp ne lui avait pas proposé de le cacher.
Le cerveau vide, il fit quelques pas dans l’entrée. La chula vint le relancer et il l’envoya grossièrement promener. Il entendit un bruit de moteur dans la petite rue tranquille, alla à la fenêtre et écarta les rideaux. À travers le massif de fleurs, il aperçut une voiture blanche et noire de la police.