Chapitre VII

La pelle fit un bruit mat. Lucrezia dirigea le rayon de sa torche électrique vers le trou. Un morceau de bois apparut.

Le cercueil de Klaus Heinkel.

Les deux chulos creusaient avec des pelles à manche court. Le fer de l’une d’elles heurta une pierre et fit un bruit clair. Malko sursauta. Ils avaient beau être à l’extrémité du cimetière, du côté de la montagne, on pouvait les entendre.

— Doucement, recommanda-t-il.

Le taxi les avait déposés au coin de la calle 11, au fond de Copacabana. Le froid était vif et les rues désertes. Comme ils approchaient du cimetière, un sifflement léger s’était élevé d’un coin d’ombre.

Lucrezia s’était avancée la première et, d’un bref éclair de sa torche, avait éclairé deux hommes accroupis, le long du mur du cimetière.

Des Aimaras trapus au visage inexpressif, serrant contre eux des pelles.

Lucrezia avait discuté à voix basse avec eux et s’était tournée vers Malko.

— Ils veulent cinq cents pesos chacun. C’est cher.

Ce n’était pas le moment de discuter. Il avait payé d’avance, et les Indiens avaient empoché les billets.

— D’où viennent-ils ? avait-il demandé à Lucrezia.

— De la Hampa, du quartier des truands, derrière San Francisco.

Cent mètres plus loin, ils avaient tous escaladé le mur du cimetière et s’étaient glissés silencieusement à travers les allées. Malko avait facilement retrouvé la tombe. Les deux Aimaras s’étaient mis au travail sans trop de répugnance. Maintenant, ils touchaient au but.

Un des Indiens enfonça sa pelle d’un coup sec et fit un bruit qui se répercuta dans tout le cimetière ! Il allait réveiller la ville. Malko se précipita et demanda à Lucrezia de leur dire de continuer à creuser avec leurs mains.

Docilement, ils s’agenouillèrent dans la terre grasse et entreprirent de dégager le cercueil. Fasciné, Malko regardait la masse sombre apparaître. Dans quelques minutes, il allait être fixé sur le sort de Klaus Heinkel. De grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber. En quelques secondes, elles se transformèrent en un orage d’une violence inouïe. Les deux chulos continuaient à creuser comme si de rien n’était, mais Lucrezia et Malko furent trempés jusqu’aux os, très rapidement. De quoi envier Klaus Heinkel au chaud dans son cercueil…

La pluie diminua aussi brutalement qu’elle avait commencé au moment où les deux chulos arrivaient enfin à dégager l’une des extrémités du cercueil. Saisissant la poignée, ils l’arrachèrent de l’excavation. Il se décolla de la glaise avec un bruit de succion. Lucrezia guidait l’opération par de petits ordres brefs. Malko dut prêter main-forte pour sortir complètement le cercueil qu’ils hissèrent dans l’allée, à côté de la terre extraite. En dépit du froid, Malko était en sueur. Trempé et grelottant, il massa ses reins douloureux. Il ne restait plus qu’à dévisser le couvercle. Par chance, la pluie cessa brusquement.


* * *

La dernière vis du cercueil sauta. Un des Aimaras glissa la lame du tournevis et pesa, faisant glisser le couvercle du cercueil. La pluie avait recommencé. Malko vint à la rescousse, éclairé par Lucrezia.

Le couvercle bascula et tomba par terre. Un des Aimaras jura dans sa langue. Une odeur fade, aigre-douce et écœurante montait du cercueil ouvert. Il y avait bien un corps.

Malko fut un peu surpris et déçu : il s’était attendu à trouver un cercueil vide, ou rempli de pierres, à la rigueur.

Surmontant une affreuse nausée, il se pencha. D’abord, il ne vit qu’une masse sombre. Il n’y avait pas de linceul. Rien qu’un corps tassé contre une des parois, couché sur le côté. Malko crocha dans l’épaule pour le retourner et dut reculer, au bord de la nausée. Il avait touché quelque chose de soyeux. Un des Aimaras vint à la rescousse. Il planta une sorte de croc de boucher dans l’épaule du mort et tira, faisant pivoter le corps. Une bouffée d’air fétide se dégagea, qui les fit tous reculer. Puis Lucrezia tendit le bras et la lampe éclaira une barbe sombre.

Elle avait continué à pousser après la mort et atteignait vingt bons centimètres.

Le visage du cadavre était méconnaissable, à cause du sang qui avait coulé d’une blessure au crâne. Avidement, Malko scrutait les traits gonflés, blafards et déformés par l’enflure de la mort.

Le cadavre était celui d’un homme très grand, qui n’avait pas plus de trente ans, avec une chevelure abondante, une moustache et une barbe. À travers la bouche ouverte, on apercevait des dents irrégulières. Le mort était vêtu d’un blue-jean, d’un blouson et de courtes bottes texanes très pointues, en cuir marron.

— Ce n’est pas Klaus Heinkel, dit-il.

Ou alors il avait rajeuni d’un quart de siècle. L’Allemand était un homme de 1 m 68, âgé de cinquante-huit ans, chauve.

— C’est Jim, murmura Lucrezia d’une voix altérée. Jim Douglas, un jeune Américain. Je reconnais ses bottes.

Les deux Aimaras commençaient à manifester une certaine impatience. Malko se redressa. Ce cadavre inconnu ne lui apprendrait rien de plus. Il était visiblement mort de mort violente et ce n’était pas Klaus Heinkel. Ce qui signifiait presque certainement que l’Allemand était toujours vivant.

— Dites-leur de refermer, dit-il, et de remettre le cercueil dans la tombe.

Les deux chulos se remirent à visser le couvercle à toute vitesse. Malko, trempé et bouleversé, ne comprenait plus. Si Lucrezia disait vrai, que faisait cet Américain dans le cercueil de Klaus Heinkel ? Qui l’avait tué ? Il se bénit de ne pas avoir donné les empreintes digitales de Klaus Heinkel à Jack Cambell. Elles risquaient de servir…

En silence, Lucrezia et lui regardèrent les Aimaras redescendre le cercueil dans la terre et boucher le trou. Cela prit vingt minutes.

Puis, ils repartirent tous les quatre par où ils étaient venus. Au pied du mur, il y eut une discussion à voix basse entre les Aimaras et Lucrezia : ils demandaient deux cents pesos de plus. Malko paya.

— Ils ne risquent pas de nous dénoncer ? demanda-t-il.

— Non, fit Lucrezia. Ils repartent immédiatement vers leur village à pied. Ils ont peur de la police.

Les deux Aimaras les quittèrent très vite et disparurent dans l’obscurité. Malko et Lucrezia descendirent à gauche vers le centre. Il n’y avait pas un chat. Ils marchèrent jusqu’au pont sur la rivière de La Paz en silence. Ce n’est que cent mètres plus loin qu’ils aperçurent un taxi. Le chauffeur somnolent les chargea sans même se retourner.

— Si Klaus Heinkel est vivant, dit soudain Lucrezia, Hugo Gomez est sûrement au courant…

Absorbé dans ses pensées, Malko ne répondit pas : il était curieux de voir la réaction de Jack Cambell qui était tellement persuadé de la mort de Klaus Heinkel.

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